1Parmi les outils qui permettaient d’évaluer la valeur réelle des monnaies, la balance de changeur était sans doute le principal, à côté du trébuchet proprement dit, ou éventuellement de la pierre de touche. Installé sur son banc (d’où dérive d’ailleurs le mot banque), le changeur attendait son client afin de convertir les monnaies dont il était porteur en d’autres monnaies, celles qui avaient cours dans tel ou tel endroit. Comme la valeur d’une monnaie d’or ou d’argent dépendait de son poids de métal fin (autrement dit son titre), la pesée était un élément important de l’évaluation. La masse nominale ou théorique de la monnaie présentée au change pouvait pour diverses raisons différer de sa masse réelle et il fallait donc par comparaison l’évaluer. Un autre élément primordial pour les changeurs était ce qu’affirmait tel ou tel texte institutionnel sur la valeur des différentes monnaies.
Vue d’ensemble de la balance monétaire
Cliché JPR-Bnu CC-BY-NC-SA
2Les balances de changeurs sont des outils portatifs et pratiques, qui permettent un travail rapide et d’une relative sûreté, grâce à des poids bien identifiables et bien connus des changeurs. La BNU possède une petite collection de balances monétaires, anciennes pour la plupart, mais aussi plus modernes. Celle qui est présentée ici est une balance à deux plateaux, qui fonctionne donc par recherche de l’équilibre entre l’espèce concernée et un contrepoids particulier pour telle ou telle espèce : un dénéral (du latin « denarius », denier). La balance se présente sous la forme d’une petite boîte en bois poli (sans doute un bois de noyer) et verni, dont le couvercle est muni de deux crochets de fermeture. Dans l’épaisseur du bois sont creusées des cavités exactement adaptées au rangement des plateaux au centre (ici des plateaux de type dit « à trou bombé »), du fléau de laiton (de type dit « à double trou plat ») près des charnières, de l’étrier avec son aiguille brisée au premier tiers (l’étrier étant la partie de l’instrument que le changeur tient lors de la pesée) et des emplacements pour les douze dénéraux. Enfin, une cavité supplémentaire servait à conserver des poids plus légers, sous la forme de feuilles de métal poinçonnées. À l’intérieur du couvercle, deux petits anneaux servaient à coincer une aiguille de laiton (aujourd’hui disparue), qui permettait de saisir sans peine les dénéraux, grâce à une encoche placée à cet effet au bord des cavités creusées dans le bois.
3Sur le couvercle, du côté intérieur, figure l’inscription suivante nommant le balancier, autrement dit l’artisan qui fabrique, répare, adapte ou ajuste les instruments de pesée :
IACQVES . BLANC RVETVPINALION
4L’artisan qui a réalisé cette inscription par lettres au feu (ou pyrogravure), en se servant d’un composteur et de poinçons, a ajouté à la main la date de fabrication : 1680. Le lieu d’activité mentionné est la rue Tupin, à Lyon (dans l’inscription, les lettres ne sont pas séparées).
5La ville de Lyon a été un grand centre de production de balances monétaires, à côté d’autres villes en Europe comme Cologne et Nuremberg. Cet artisan est bien connu. Son activité a duré de 1668 à 1685. La rue Tupin existe toujours à Lyon : elle se situe sur la presqu’île, entre la rue Mercière et la rue de la République, près des Cordeliers.
6En 1685, après la révocation de l’édit de Nantes par Louis XIV, cet artisan qui était de confession protestante s’exile à Genève où il continue son activité jusqu’en 1702. Sa descendance poursuit l’activité dans cette ville jusqu’en 1763. Les artisans balanciers étaient installés en nombre dans la rue Tupin, car une liste en indique jusqu’à 18 à cet endroit (voir la bibliographie). Cette balance monétaire mesure 175 mm de large, 250 mm de haut et 650 mm en profondeur. Aucun décor n’a été ajouté sur le couvercle ou à l’intérieur. Les balances monétaires étaient, au moins au 17e siècle, des objets faits à façon, selon les désirs des clients, notamment en ce qui concerne le décor éventuel, mais aussi la taille et enfin le choix des dénéraux.
7Les deux plateaux de cuivre de 450 mm de diamètre, légèrement creux, portent eux aussi en leur centre la marque du fabricant : un grand poinçon circulaire « I. BLANC ».
8Neuf poids monétaires poinçonnés et frappés de types monétaires précis occupent douze alvéoles de taille et de forme adaptées au rangement et à leur blocage. Trois sont donc manquants. Les poids monétaires sont ici en laiton (parfois ils peuvent être aussi en bronze, et dans certaines régions du monde ils peuvent même être en verre), de forme carrée et trapézoïdale en coupe, autrement dit en forme de pyramide tronquée. Sur leur face la plus large figure le droit d’un type monétaire connu, de frappe simplifiée mais identifiable, appelée empreinte. Les poids monétaires peuvent aussi affecter la forme de petites cuvettes rondes ou godets, qui peuvent alors s’emboîter, ce qui représente un gain de place, mais ce n’est pas le cas ici. Sur leur face inférieure figurent de nombreux poinçons de contrôle. La liste ci-après les énumère, en allant de gauche à droite et de haut en bas et en passant par-dessus le logement des plateaux.
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Espagne : ducat de Ferdinand et Isabelle, appelé aussi « excellente », bustes affrontés, pesant entre 3,47 et 3,40 gr. Ici : 3,46 gr. Au dos : I D 17 g. Cette monnaie frappée dès la fin du 15e siècle a perduré longtemps, notamment en Flandre espagnole.
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Italie : pistole, à l’écu des Médicis en ove surmonté d’une couronne radiée, 6,58 g. Au dos V D 4 g.
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3.Espagne : double ducat d’or (ou doublon) pesant entre 7,05 et 6,75 gr. Ici 6,89 g. Au dos V D X g.
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Pays-Bas : demi réal d’or de Charles Quint, à l’écu au soleil, ici 3,36 g. Au dos II D 15 g.
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Italie : double pistole à l’écu des Médicis en ove surmonté d’une couronne radiée, ici 13,18 g.
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Espagne : pistole d’or, ici 6,69 g. Au dos X D 8 g.
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Espagne : demi pistole d’or, ici 3,35 g. Au dos V D 6 g.
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Espagne : pistole d’or, ici 6,71 g. Aucun poinçon au dos. Mais une contremarque (aigle de profil) sur la face. Les poids sans mentions au dos sont généralement considérés comme plus anciens que ceux avec mentions.
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9.Espagne ou Milan : double pistole d’or, ici 13,39 g. Au dos X D 12 g.
9Au revers des poids monétaires figurent plusieurs poinçons dont on peut rapidement donner la signification. En haut, le D signifie denier, l’unité divisionnaire qui représente un vingt-quatrième de l’once, et le chiffre romain en regard en exprime le nombre dans ce poids. Mais pour plus de précision, au nombre de deniers on ajoute le nombre de grains, une unité plus fine pour exprimer le poids des métaux précieux. En bas, un autre chiffre romain est suivi de la lettre g (qui n’exprime donc pas le gramme mais le grain) – toutefois cette lettre peut être omise. Au milieu du revers, la lettre D indique, comme pour les frappes monétaires, l’atelier de Lyon et d’autres lettres, d’autres ateliers. La fleur de lis est le poinçon de la Cour des monnaies et l’étoile ou un autre signe celui du maître balancier juré qui inspectait la qualité du travail des balanciers au nom de cette Cour. Enfin, le fabricant du poids monétaire signe son ouvrage par son poinçon, « IB ».
Cinq des neuf dénéraux : ducats et pistoles, et leurs multiples et sous-multiples d’Espagne et d’Italie.
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10Une main plus moderne a ajouté à l’encre sur le couvercle ces mots énigmatiques : « Cest le noir », et une autre a tenu à séparer d’un trait de crayon les mots « Rue Tupin à Lyon ». Au dos, le bois aminci à l’endroit de la cavité destinée aux plateaux a été percé sans doute accidentellement. Pour le reboucher, une rondelle de papier de récupération a été utilisée. Ce morceau de papier rond porte des fragments d’écriture en langue allemande, d’après ce qu’on peut en juger.
11Les balances monétaires portatives anciennes (antérieures à la première moitié du 19e siècle et d’un type proche de celle qui vient d’être décrite) des collections de la BNU sont au nombre de six et ont été achetées entre 1893 et 1907. On les retrouve dans une section (section III dite « sonstiges Inventar ») des registres d’entrées des collections numismatiques. Celle-ci a été inventoriée en janvier 1896, en même temps que trois autres comparables. Par la suite, cinq autres balances de précision, non portatives, et quelques jeux de poids dûment étalonnés, ont permis aux numismates d’étudier nos riches collections. Un outil électronique sert actuellement au pesage des monnaies, opération toujours utile aux recherches numismatiques.