Éditorial
Texte intégral
« Sur le milieu du chemin de la vie Je me trouvai dans une forêt sombre : Le droit chemin se perdait, égaré » (Dante, Divine Comédie, Enfer, v. 1-3)
1L’ouverture de ce livre de vie qu’est la Divina Commedia, aux accents si adéquats à la situation présente d’un univers du savoir et de la culture au milieu du gué, ne sachant plus vraiment où il va ni ce qui l’attend, ayant abandonné l’espoir d’un retour à la normale et ayant presque oublié ce qu’était cette normalité, résonne d’accords si profondément actuels qu’on en oublierait presque qu’ils ont plus de huit cents ans.
2L’Enfer au milieu du chemin, la forêt obscure, la direction perdue : au moment où paraît ce vingt-troisième numéro de La Revue de la Bnu, cela fait presque un an que les mesures de protection sanitaire bloquent ou limitent fortement les échanges, la transmission du savoir, la création et tous les liens d’apprentissage, les liens sociaux qui en découlent. Universités à distance, musées fermés, théâtres et opéras fermés, cinémas fermés : à vrai dire, c’est plus l’image du désert qui s’impose aujourd’hui que celle de la forêt luxuriante et oppressante, mais qu’importe, l’isolement est le même. On se tourne vers l’expérience numérique pour engager un semblant de vie parallèle, et c’est sans doute un des traits qui resteront pour l’avenir ; mais ce dédoublement a aussi ses limites.
3Dans ce sombre paysage, dans ce long Purgatoire d’attente que nous traversons, les bibliothèques ont été les premiers services culturels à pouvoir ouvrir de nouveau en France et, depuis le 19 mai dernier, jouant de son double statut de bibliothèque universitaire et de bibliothèque publique ouverte à tous, la Bnu n’a presque plus fermé, s’adaptant chaque semaine aux nouvelles consignes et offrant autant de services que possible à ses différents publics. Osons croire ici à l’importance du symbole, parce qu’une sorte de repère, de veilleuse est absolument nécessaire : ce coin-là n’est pas de l’ordre de l’activité accessoire, il est un des nœuds où s’arriment nos vies intellectuelles, nos vies tout court ; celles des chercheurs, des étudiants, des lecteurs, comme émanation représentative de la cité tout entière.
4On compare parfois nos bibliothèques à des Paradis du savoir : rien n’est moins vrai. C’est en dynamique qu’elles trouvent un sens, c’est parce qu’elles sont un moyen de sortir de la forêt, dans le parcours de chacun. On les élève, on les relève moins comme des palais que comme des phares, non des temples mais des fabriques, non des paradis mais des sortes de Béatrice. Poursuivre cette activité autant que faire se peut, c’est tout l’engagement de l’équipe de la Bnu aujourd’hui. En témoigne la parution de ce numéro, aux date et format prévus, alors même que toute diffusion est difficile et que tout projet rencontre, dans les circonstances actuelles, d’innombrables difficultés. Sa genèse remonte à une journée d’études organisée par Enrica Zanin et Gianluca Briguglia de l’Unistra et Daniel Bornemann et Christophe Didier de la Bnu, au cours de laquelle avait été remis en lumière le fonds Witte de la bibliothèque, essentiel à la recherche dantesque mais encore largement inexploré. Ce numéro, qui témoigne du travail étroit entre responsables de collections et chercheurs universitaires, peut en être vu comme une forme d’aboutissement, ouvrant les acquis de la recherche vers un public plus large, ce dont témoigne aussi le soutien reçu (et que nous saluons) de la part de l’Institut culturel italien de Strasbourg. Alors qu’à l’automne, le partenariat entre Bnu et Université de Strasbourg permettra d’accueillir dans notre ville le prix Nobel de littérature Olga Tokarczuk, nous sommes heureux en ce printemps de célébrer l’actualité – après Gutenberg en 2018 – de cet autre humaniste européen que fut Dante et des collectionneurs et savants que son génie fascine depuis huit siècles.
« Et là fut notre issue, pour revoir les étoiles » (Dante, Divine Comédie, Enfer, dernier vers)
Pour citer cet article
Référence papier
Alain Colas et Christophe Didier, « Éditorial », La Revue de la BNU, 23 | 2021, 5.
Référence électronique
Alain Colas et Christophe Didier, « Éditorial », La Revue de la BNU [En ligne], 23 | 2021, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 23 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/4305 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.4305
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