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Le dossier : Bagages d'artistes
Le carnet comme document d'archives

Thomas Jones et le Casino Vignola Boccapaduli au 18e siècle

Elania Pieragostini
p. 22-25

Texte intégral

  • 1 A propos de Thomas Jones, voir Francis Hawcroft, Travels in Italy : 1776-1783 ; based on the ‘Memo (...)
  • 2 Sur l’itinéraire de Jones et ses vues de la région du Testaccio, voir Nicholas Stanley-Price et El (...)

1Lors de son séjour en Italie entre 1776 et 1783, le peintre paysagiste gallois Thomas Jones (1742-1803)1 a réalisé un nombre important de vues de Rome et de ses environs, toutes soigneusement datées. Sa production graphique comprend trois carnets de croquis, dont deux de dimensions similaires (British Museum, Londres, 1981,0516.17.1 et National Museum of Wales, Cardiff, NMW A 2528) et un autre de plus grande taille (BM, 1981,0516.18.1). Comme il les utilisait parfois simultanément, en suivant les notes prises et leur ordre au sein des carnets de croquis reliés, nous pouvons saisir les journées types de Jones à Rome. Une journée particulièrement intéressante est celle du 22 mars 1777, pour laquelle treize vues dans les deux carnets de croquis du British Museum documentent une longue excursion de la zone du forum Boarium a la via Appia hors des murs de la ville2.

Thomas Jones, View of the Casino Vignola Boccapaduli, 1777

Thomas Jones, View of the Casino Vignola Boccapaduli, 1777

Graphite sur papier, 182x129 mm, 1981,0516.17.49

Cliché et coll. British Museum, © The Trustees of the British Museum

2La majeure partie de l’itinéraire est claire : en partant de la zone du forum Boarium, Jones suit la via della Salara Vecchia (aujourd’hui le lungotevere Aventino), la via Marmorata à travers l’arco di San Lazzaro vers la porta San Paolo, puis il se dirige vers le recinto di Testaccio et la zone de la pyramide de Cestius. Apres avoir croqué la zone peu explorée du Testaccio et des Prati del popolo romano, Jones dessine la porta San Paolo depuis l’extérieur des murs (BM, 1981,0516.17.48). À partir de ce point cependant, il devient plus difficile de retracer son trajet. La comparaison de ses vues annotées avec des cartes historiques et des « vedute » de Rome, ainsi que l’aide des archives – des documents souvent inestimables pour retrouver les bâtiments « perdus » de cette ville en constante évolution –, permet néanmoins de faire quelques suggestions.

  • 3 Une vue comparable est due à Carlo Labruzzi (BM, 1955, 1210.10.7).

3Dans le petit carnet de croquis, le dessin qui suit celui de la porta San Paolo est une vue difficilement identifiable (voir ill. ci-dessus), portant l’inscription « Between St Paul’s Gate and St Sebastian’s Gate » (BM, 1981,0516.17.49). Il est suivi du dernier dessin du 22 mars dans le grand carnet de croquis (BM, 1981,0516.18. 17) – une vue à l’intérieur des murs au carrefour de la via Appia et de la via Latina, à proximité de la porta Capena3 –, et enfin, dans le petit carnet de croquis, des tout derniers dessins de la journée (BM, 1981,0516.17.50 et 1981,0516.17.51), qui représentent la via Appia après que Jones a quitté la ville par la porta San Sebastiano.

Photographie du Casino Vignola Boccapaduli sur la piazza di Porta Capena

Photographie du Casino Vignola Boccapaduli sur la piazza di Porta Capena

Droits réservés

  • 4 Ici, le terme « Vignola » est probablement à mettre en relation avec le mot italien « vigna », plu (...)
  • 5 Prospero était Conservatore (1531, 1544, 1570 et 1573), Provveditore di Castel Sant’Angelo (1556-1 (...)

4Le dessin intitulé « Between St Paul’s Gate and St Sebastian’s Gate » place l’artiste a l’intérieur des murs de la ville, en direction de la porta Capena (aujourd’hui détruite). Sa vue montre une route venteuse entourée d’assez hauts murs et un élégant bâtiment a deux étages couvert d’un toit plat et d’une arcade aveugle, pouvant être identifié comme étant le Casino Vignola Boccapaduli4, probablement érigé pour Prospero Boccapaduli (1505-1585). Membre d’une famille aristocratique éminente de Rome, Prospero était un magistrat de la ville et, en 1564, il fut nommé par les Conservateurs pour superviser les travaux des palais du Capitole5. Le Casino Boccapaduli a depuis été démoli, dans le cadre de l’ouverture de la « Passeggiata archeologica », et reconstruit au début du 20e siècle sur un autre emplacement à proximité, l’actuelle piazza di Porta Capena (voir ill. ci-dessus).

Détail de la Nuova Pianta di Roma par Giovanni Battista Nolli, 1748

Détail de la Nuova Pianta di Roma par Giovanni Battista Nolli, 1748
  • 6 Isabella Salvagni, « Per una storia dell’uso delle terme Antoniniane : proprieta, scavi e spoliazi (...)
  • 7 Respectivement en rouge et en bleu sur la carte de Nolli.
  • 8 Cette carte montre l’emplacement privilégié du casino et des thermes de Caracalla (en haut à droit (...)
  • 9 Amato Pietro Frutaz, Le piante di Roma, vol. III, tav. 426, pianta CLXX,a,6 ou une impression anté (...)

5Historiquement, la famille Boccapaduli possédait des terrains à l’intérieur de la zone des thermes de Caracalla6, mais le casino représenté par Jones se trouvait probablement dans l’autre Vigna Boccapaduli, identifiée en 1748 par Giovanni Battista Nolli (voir ill. ci-dessus) au nord de la basilique Santa Balbina, juste à côté de l’actuelle via delle Terme di Caracalla. Nolli décrit deux bâtiments dans la Vigna : une structure en forme de L et une autre plus petite, carrée, à l’angle de la Vigna et de la route principale7. Il est plausible que le dernier soit celui décrit par Jones. Sur la carte plus ancienne (1667) de Giovanni Battista Falda (voir ill. ci-dessous), on peut apprécier la position centrale du casino8, qui est reconnaissable dans le bâtiment à deux étages faisant face à un jardin quadripartite9, placé sur la route principale, à gauche de Santa Balbina.

Détail de la Pianta di Roma par Giovanni Battista Falda, 1667

Détail de la Pianta di Roma par Giovanni Battista Falda, 1667

6Le plan cadastral de 1818 pour le Ripa Rione (voir ill. ci-dessous)10 montre les deux bâtiments (respectivement n° 370 et 37111) – le premier identifié comme « Casa con corte ad uso della vigna » et le second comme « Casa ad uso del vignarolo » –, tous deux faisant partie de la Vigna Trojani (n° 369), du nom de la famille qui, à ce moment-là, était propriétaire des biens de Boccapaduli12. L’implantation du casino – en plein sur la route qui devait devenir la via delle Terme di Caracalla, une artère majeure de la Passeggiata archeologica a Rome – et son état de délabrement ont scellé son destin. Hormis un dessin sommaire d’Antonio Barluzzi datant du 20e siècle et des photographies contemporaines, les vues du casino sont particulièrement rares, surtout les exemples antérieurs à la reconstruction du 20e siècle. Par conséquent, le dessin de Thomas Jones apporte une contribution importante pour conserver le souvenir d’un bâtiment du début du 16e siècle, érigé dans un endroit privilégié pour une influente famille aristocratique romaine.

Catasto urbano (1818), rione Ripa (XII), planche VIII

Catasto urbano (1818), rione Ripa (XII), planche VIII

Cliché et coll. Archivio di Stato, Rome ; su concessione del Ministero per i Beni e le Attivitá Culturali e per il Turismo

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Notes

1 A propos de Thomas Jones, voir Francis Hawcroft, Travels in Italy : 1776-1783 ; based on the ‘Memoirs’ of Thomas Jones, Manchester, Whitworth Art Gallery, 1998 ; Ann Sumner et Greg Smith, Thomas Jones (1742-1803) : an artist rediscovered, Yale, Yale University Press, 2003 ; Anna Ottani Cavina, Viaggio d’artista nell’Italia del Settecento : il diario di Thomas Jones, Milan, Electa, 2003 ; Paul Oppé, « Memoirs of Thomas Jones, Penkerrig, Radnorshire, 1803 », in Walpole Society, n° 32, 1946-1948 (1951), p. 1-143.

2 Sur l’itinéraire de Jones et ses vues de la région du Testaccio, voir Nicholas Stanley-Price et Elania Pieragostini, British Art Journal, à paraître.

3 Une vue comparable est due à Carlo Labruzzi (BM, 1955, 1210.10.7).

4 Ici, le terme « Vignola » est probablement à mettre en relation avec le mot italien « vigna », plutôt qu’avec l’architecte Jacopo Barozzi da Vignola.

5 Prospero était Conservatore (1531, 1544, 1570 et 1573), Provveditore di Castel Sant’Angelo (1556-1564) et Maestro delle Strade ; il était impliqué dans la Fabbrica in Campidoglio depuis 1555. Voir Marco Ubaldo Bicci, Notizia della famiglia Boccapaduli, patrizia romana, Roma, 1762 ; Frederick Lawton, The Roman Capitol in ancient and modern times, London, 1906 ; Arturo Bassotti, « Carte della famiglia Boccapaduli », in Studi Romani, Roma, vol. 2 (3), 1954, p. 343-348, avec une liste des archives de la famille Boccapaduli (conservées a l’Archivio Storico Capitolino, Rome). Pour l’inventaire de la riche collection de livres et de manuscrits de Prospero Boccapaduli, voir Tony Hackens, « Un inventaire inédit des livres, œuvres d’art et manuscrits de Prospero Boccapoduli (1505-1585) », in Bulletin de l’institut historique belge de Rome, n° 34, 1962, p. 481-488.

6 Isabella Salvagni, « Per una storia dell’uso delle terme Antoniniane : proprieta, scavi e spoliazioni », in ArcHistoR architettura storia restauro - architecture history restoration, VII, 2020, n° 13, p. 4-81 ; pour la Vigna a l’intérieur des thermes de Caracalla, voir la carte de Nolli (ci-contre au milieu) en bas à gauche (près du n° 1064).

7 Respectivement en rouge et en bleu sur la carte de Nolli.

8 Cette carte montre l’emplacement privilégié du casino et des thermes de Caracalla (en haut à droite). Le Colisée (en haut à gauche) et le Circus Maximus (en bas au centre) sont également visibles.

9 Amato Pietro Frutaz, Le piante di Roma, vol. III, tav. 426, pianta CLXX,a,6 ou une impression antérieure (1667) sur https://www.info.roma.it/pianta_di_roma_1667_giovan_battista_falda.asp. Le bâtiment apparaît à une échelle plus petite sur la carte de Mario Cartaro (1576) : voir Frutaz, op. cit., vol. II, tav. 242, pianta CXXVI,4 (tout en bas à gauche), ou, pour une impression ultérieure (1579) : https://www.info.roma.it/vista_di_roma_1579_mario_cartaro.asp ; sur la carte de Giuseppe Vasi (1781) : voir Frutaz, op. cit., vol. III, tav. 449, pianta CLXXIV,2 (à gauche de l’église de Santa Balbina) ou sur : https://www.info.roma.it/vista_di_roma_1781_giuseppe_vasi.asp. Les dimensions et la structure de l’édifice décrites par Cartaro et Vasi correspondent davantage à la description de Jones.

10 Voir à l’adresse suivante : http://www.imago.archiviodistatoroma.beniculturali.it/Urbano/s_piante.php?Rione=Ripa&Foglio=VIII

11 Respectivement entourés en noir et en rouge sur la carte ; le périmètre de la Vigna est souligné en rouge.

12 Salvagni, op. cit., p. 53

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Table des illustrations

Titre Thomas Jones, View of the Casino Vignola Boccapaduli, 1777
Légende Graphite sur papier, 182x129 mm, 1981,0516.17.49
Crédits Cliché et coll. British Museum, © The Trustees of the British Museum
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6093/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 976k
Titre Photographie du Casino Vignola Boccapaduli sur la piazza di Porta Capena
Crédits Droits réservés
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6093/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 2,3M
Titre Détail de la Nuova Pianta di Roma par Giovanni Battista Nolli, 1748
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6093/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 750k
Titre Détail de la Pianta di Roma par Giovanni Battista Falda, 1667
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6093/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Catasto urbano (1818), rione Ripa (XII), planche VIII
Crédits Cliché et coll. Archivio di Stato, Rome ; su concessione del Ministero per i Beni e le Attivitá Culturali e per il Turismo
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6093/img-5.png
Fichier image/png, 7,0M
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Pour citer cet article

Référence papier

Elania Pieragostini, « Thomas Jones et le Casino Vignola Boccapaduli au 18e siècle »La Revue de la BNU, 26 | 2022, 22-25.

Référence électronique

Elania Pieragostini, « Thomas Jones et le Casino Vignola Boccapaduli au 18e siècle »La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 26 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6093 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6093

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Auteur

Elania Pieragostini

Curatorial Assistant, Christ Church Picture Gallery, Oxford

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0

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