Le Portrait de François Ier de Pierre Révoil
Texte intégral
- 1 Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe–XXIe siècle, Paris, Presses unive (...)
1Lorsque Pierre Révoil présente le tableau François Ier armant chevalier son petit-fils François II au salon de 1824, il exprime une fascination pour les grands hommes de l’histoire nationale qui jalonne toute sa production. Caractéristique de l’école dite « troubadour », il demeure fort à la mode durant le premier quart du 19e siècle. Ses contemporains apprécient ses peintures consacrées à des sujets chevaleresques, évoquant des temps révolus et idéalisés à travers l’intimité des monarques. Toutefois, cet intérêt pour les figures tutélaires du passé n’est pas propre à Pierre Révoil. L’artiste s’inscrit au contraire dans la continuité de la seconde moitié du 18e siècle, durant laquelle se construit une association étroite entre ces personnages emblématiques et des idéaux abstraits tels que l’émancipation intellectuelle. En découle une nouvelle forme de sacralité ou le « grand homme » est envisagé comme jalon intellectuel de la construction nationale1.
Portrait de François Ier, entre la seconde moitié du 18e et le début du 19e siècle

Crayon sur papier blanc, 29x22 cm, n° 875.4.1
Cliché et coll. musées de la ville de Béziers
- 2 Marie-Claude Chaudonneret, Pierre Revoil, 1776-1842. Thèse de 3e cycle en histoire de l’art, sous (...)
2À la fin du siècle, ce processus se matérialise dans de nombreuses entreprises officielles, dont le musée des Monuments français demeure l’un des exemples les plus probants. Mais il s’incarne également à travers des initiatives particulières, illustrées ici par le Portrait de François Ier (voir ill. ci-dessus), un dessin au crayon (conservé au musée de Béziers) réalisé par Pierre Révoil alors qu’il est encore en formation au sein de l’atelier de Jacques-Louis David, ou il avait été admis des 1795. Pour cet aspirant artiste issu d’une famille lyonnaise modeste, l’apprentissage dans la capitale est une occasion inespérée pour constituer un répertoire iconographique susceptible d’illustrer les époques encore méconnues du Moyen-Âge et de la Renaissance. Aussi fréquente-t-il assidument le musée des Monuments français, et consulte-t-il des manuscrits médiévaux tels que le Livre des tournois de René d’Anjou, dont il tire plusieurs esquisses réalisées au crayon2.
- 3 Le portrait François Ier, roi de France, de profil est conservé au musée du Louvre à Paris.
- 4 Pierre Révoil, Lettre à Fontaine au musée des Monuments français, Lyon, 18 avril 1907, Lyon, Bibli (...)
3Pour nourrir son imaginaire, Pierre Révoil s’in spire aussi des maîtres anciens : le Portrait de François Ier est une transcription fidèle de l’œuvre que Titien réalise en 15383. Le Lyonnais apporte un grand soin à la représentation de chaque mèche de cheveux, ainsi qu’à la barbe fournie du souverain. Il concentre également son attention sur l’expression débonnaire du monarque, en détaillant les ridules accentuées par son sourire bienveillant. Le costume fait en revanche l’objet d’un rendu plus sommaire. L’artiste prend la peine d’esquisser le médaillon sur lequel la figure reste reconnaissable, mais les textures des tissus ne sont brossées que par quelques hachures rapides. Enfin, contrairement à Titien, Pierre Révoil choisit de représenter François Ier sans son épée, confirmant ainsi la volonté de mettre en valeur les traits du souverain. Cette œuvre endosse donc un rôle documentaire, permettant au peintre d’immortaliser une représentation qu’il peut ensuite réinvestir dans ses peintures. Dans le même but, il réclame au musée des Monuments français des estampes d’un bas-relief représentant Charles Quint4.
Portrait de François Ier en buste, 16e siècle

Peinture sur papier, 42x42 cm, INV MI 1106, R°
Cliché et coll. musée du Louvre
- 5 Louis Courajod, La collection Revoil du musée du Louvre [Extrait du Bulletin monumental, n° 52], C (...)
- 6 Léon de Laborde, Notice des émaux, bijoux et objets divers exposes dans les galeries du musée du L (...)
4Le fait de constituer une bibliothèque d’images permet d’entrevoir l’embryon, au sein de son atelier à Lyon et à échelle réduite, d’une galerie des grands hommes. C’est une galerie au sens équivoque, le Portrait de François Ier étant à envisager comme élément constitutif d’un catalogue de références au sein duquel dessin et objet viennent tour à tour nourrir l’imaginaire du peintre. Tout au long de sa vie, Pierre Révoil constitue un cabinet rassemblant des pièces du Moyen-Âge et de la Renaissance5. Plusieurs objets issus de cet ensemble témoignent du même intérêt porté à la figure de François Ier, parmi lesquels une enluminure (voir ill. ci-dessus), ainsi qu’une médaille du 16e siècle. L’entourage du souverain est également représenté à travers un portrait féminin sur plaque émaillée du 17e siècle, que le peintre identifie dans son inventaire comme étant le « portrait de Marguerite, sœur de François Ier ». Cette proposition est toutefois contredite par le comte de Laborde, qui propose de voir dans cette attribution une conclusion hâtive tirée de la fleur que tient la jeune femme dans la main droite6.
François Ier armant chevalier son petit-fils François II, 1824

Huile sur toile, 140x180 cm
Cliché et coll. musée Granet, Aix-en-Provence
- 7 Charles-Paul Landon, « Salon de 1824 », in Annales du Musée et de l’Ecole moderne des beaux-arts, (...)
5Ainsi, dessin et objets sont tour à tour convoqués afin de nourrir son inspiration lorsqu’il peint François Ier armant chevalier son petit-fils François II (voir ill. ci-dessus)7. Si l’on excepte la position inversée de la figure du monarque, cette dernière est une reprise presque identique du dessin de Béziers. Le profil à l’antique du dessin est reproduit dans le tableau final, tout comme la carrure imposante de François Ier, accentuée par son lourd manteau. Le médaillon, dont la chaîne est plus épaisse que sur sa référence, est également représenté par Pierre Révoil. L’inspiration est telle que l’air débonnaire du souverain est repris d’une œuvre à l’autre, bien que la solennité de l’événement dépeint au sein du tableau ne s’y prête guère. Quant à l’épée, absente dans le dessin originel, elle est complétée grâce au modèle proposé par les nombreuses armes conservées dans la collection Révoil.
Patineurs en costume du XVIe siècle, première moitié du 19e siècle

Aquarelle et mine de plomb, 45x63 cm
Cliché et coll. musée du Louvre
6Le Portrait de François Ier est donc représentatif de la démarche de Pierre Révoil à plus d’un titre : témoignage d’un intérêt presque obsessionnel envers des époques révolues, il rend également compte d’un dialogue sans cesse renouvelé entre carnets et collection comme éléments participatifs de la création. Si le dessin étudié semble privilégier une approche archéologique, le choix de juxtaposer des éléments divers témoigne au contraire d’une certaine prise de liberté au cours de laquelle l’exactitude historique s’efface devant le fantasme du passé. De la même manière, la fidélité que Pierre Révoil témoigne à l’égard du portrait du Titien ne doit pas occulter les autres dessins que l’on trouve dans ses carnets, ou le peintre s’exprime avec davantage de liberté. Le musée du Louvre conserve plusieurs œuvres qu’il réalise en s’inspirant d’une tapisserie du 16e siècle. Lorsqu’il dessine ses Patineurs du XVIe siècle à l’aquarelle et à la mine de plomb (voir ill. ci-dessus), l’arrangement et l’ajout de personnages ainsi que les coloris acidulés sont autant de fantaisies que le peintre s’autorise, quitte à s’éloigner de son modèle. Ces œuvres montrent un usage différent du carnet, ou l’intérêt documentaire cède face à un geste graphique devenant acte d’appropriation.
Notes
1 Dominique Poulot, Une histoire du patrimoine en Occident, XVIIIe–XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2006
2 Marie-Claude Chaudonneret, Pierre Revoil, 1776-1842. Thèse de 3e cycle en histoire de l’art, sous la direction d’Antoine Schnapper, Université de Dijon, 1977
3 Le portrait François Ier, roi de France, de profil est conservé au musée du Louvre à Paris.
4 Pierre Révoil, Lettre à Fontaine au musée des Monuments français, Lyon, 18 avril 1907, Lyon, Bibliothèque municipale, fonds Charavay
5 Louis Courajod, La collection Revoil du musée du Louvre [Extrait du Bulletin monumental, n° 52], Caen, Le Blanc-Hardel, 1886
6 Léon de Laborde, Notice des émaux, bijoux et objets divers exposes dans les galeries du musée du Louvre, Ire partie, Paris, Vichon (imprimeur), 1853
7 Charles-Paul Landon, « Salon de 1824 », in Annales du Musée et de l’Ecole moderne des beaux-arts, t. II, Paris, Imprimerie de Chaignieau aîné, 1824
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Titre | Portrait de François Ier, entre la seconde moitié du 18e et le début du 19e siècle |
Légende | Crayon sur papier blanc, 29x22 cm, n° 875.4.1 |
Crédits | Cliché et coll. musées de la ville de Béziers |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6101/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,7M |
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Titre | Portrait de François Ier en buste, 16e siècle |
Légende | Peinture sur papier, 42x42 cm, INV MI 1106, R° |
Crédits | Cliché et coll. musée du Louvre |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6101/img-2.png |
Fichier | image/png, 4,4M |
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Titre | François Ier armant chevalier son petit-fils François II, 1824 |
Légende | Huile sur toile, 140x180 cm |
Crédits | Cliché et coll. musée Granet, Aix-en-Provence |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6101/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,6M |
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Titre | Patineurs en costume du XVIe siècle, première moitié du 19e siècle |
Légende | Aquarelle et mine de plomb, 45x63 cm |
Crédits | Cliché et coll. musée du Louvre |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6101/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,5M |
Pour citer cet article
Référence papier
Caroline Antoine, « Le Portrait de François Ier de Pierre Révoil », La Revue de la BNU, 26 | 2022, 26-29.
Référence électronique
Caroline Antoine, « Le Portrait de François Ier de Pierre Révoil », La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 26 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6101 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6101
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