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Le dossier : Bagages d'artistes
À la manière d'un carnet, le musée utilse de l'artiste

Une vue de la gypsothèque du décorateur Adrien Simoneton (1862-1949)

François Gilles
p. 34-37

Texte intégral

  • 1 Dans une certaine mesure, dès le 18e siècle, les sculpteurs ornemanistes accumulaient déjà les mou (...)

1Les collections de référence peuvent prendre la forme de carnets de papier (le décorateur Adrien Simoneton en avait), mais elles peuvent aussi revêtir des aspects plus variés pour répondre à des besoins spécifiques. En l’occurrence, pour les sculpteurs, le papier ne saurait suffire à recueillir toutes les caractéristiques d’une référence en volume. Dans ce cas, seul le moulage permet d’obtenir une reproduction fidèle d’une sculpture. La somme de tous ces moulages, comme autant de références accumulées, forme une gypsothèque. En raison de la fragilité des moulages en plâtre et du caractère physiquement encombrant de ces compilations, peu de gypsothèques d’ornements nous sont parvenues, alors que pratiquement tous les sculpteurs ornemanistes constituaient la leur1.

Photographie d’une gypsothèque, tirage au bromure d’argent sur papier, 36x17,5 cm, vers 1900

Photographie d’une gypsothèque, tirage au bromure d’argent sur papier, 36x17,5 cm, vers 1900

Cliché François Gilles, anct. coll. Adrien Simoneton, actt. coll. part.

  • 2 Les tirages sont de deux formats : 36x17,5 cm et 27,5x37,5 cm.
  • 3 La pochette contenant les tirages portant une étiquette ancienne manuscrite (« Mr Simoneton photog (...)
  • 4 Sur l’histoire de cet atelier de moulage, voir Mathilde Pillien, L’Atelier de moulage de l’Union c (...)

2Un album non relié d’une cinquantaine de tirages photographiques au bromure d’argent2 permet d’avoir une vue exhaustive inédite de la gypsothèque d’Adrien Simoneton (voir ill. ci-dessus)3. Chaque photographie répertorie méticuleusement (avec parfois une échelle) un panneau ou un pan de mur d’un atelier sur lequel sont accrochés des tirages en plâtre, qui sont tous méthodiquement numérotés. Sans qu’il en manque une seule, ce ne sont pas moins de mille sept cent trente pièces qui sont ainsi immortalisées. Au regard des mille sept cents moulages constituant le catalogue de vente de l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD)4, la collection de Simoneton apparaît considérable. La photographie reproduite montre les moulages numérotés de 1041 à 1049. Il est frappant de remarquer que la continuité des numéros correspond à une continuité stylistique : de toute évidence, cet accrochage est une compilation de fragments de sculptures de style et d’époque Louis XV.

Vue de l’atelier de moulage de l’UCAD, Paris, Bibliothèque des arts décoratifs

Vue de l’atelier de moulage de l’UCAD, Paris, Bibliothèque des arts décoratifs

Cliché François Gilles, coll. Maciet, 81/02

  • 5 La numérotation en creux que portent les plâtres est celle des catalogues de vente de l’UCAD.

3La distinction entre « style » et « époque » est essentielle, puisqu’elle permet de comprendre la manière dont a été constituée cette gypsothèque selon trois origines différentes. La première provenance, qui permet de dater avec certitude certaines pièces de la collection, est l’achat de moulages a l’éphémère atelier de reproduction de l’UCAD (1883-1901 ; voir ill. ci-dessus). En sont issus les fragments 1045, 1048 et 1049 qui ont été réalisés5 sur les boiseries du château de Rambouillet (1048 ; voir ill. ci-dessous), une boiserie déposée au Musée des arts décoratifs par le château d’Écouen (1049 ; voir 2e ill. ci-dessous) et un « modèle créé en 1894 » (1045). D’autres moulages ont été effectués directement par le sculpteur par estampage sur des sculptures anciennes, comme les numéros 1042, 1043, 1046 et 1047.

Porte du boudoir de la comtesse de Toulouse, chêne sculpté, vers 1730-36, château de Rambouillet

Porte du boudoir de la comtesse de Toulouse, chêne sculpté, vers 1730-36, château de Rambouillet

Reproduit dans Les intérieurs et les boiseries sculptées du château de Rambouillet, Paris, A. Guérinet, s. d., pl. 55

Cliché François Gilles

Parclose sculptée provenant du château d’Écouen, chêne sculpté et peint, vers 1735, Paris

Parclose sculptée provenant du château d’Écouen, chêne sculpté et peint, vers 1735, Paris

Cliché François Gilles, coll. Musée des arts décoratifs ; dépôt de la grande chancellerie de la Légion d’honneur

  • 6 Voir Xavier Salmon, Côme Fabre, Sculpter pour Louis XV. Jacques Verberckt ou l’art du lambris à Fo (...)
  • 7 Les différents estampages (sur des sculptures anciennes ou récentes) portent un numérotage en creu (...)

4Il faut remarquer que le moulage 1047 a été effectué directement sur une parclose de l’oratoire de la tribune de la chapelle du château de Fontainebleau – décor qui était démonté et en réserve à la fin du 19e siècle (voir ill. ci-dessous)6. Enfin, deux moulages (1041 et 1044) sont aussi des estampages, mais cette fois-ci réalisés sur des pièces de style Louis XV d’une production contemporaine du moulage7. Il s’agit ici d’une mémorisation de pièces certainement créées au sein de l’atelier, qui sont mises sur le même plan que les « authentiques ». La mémoire des créations, mélangée aux relevés selon une numérotation continue, montre qu’il n’y avait pas de hiérarchie. Cette indistinction prouve que ce n’était pas l’authenticité qui primait, mais la qualité du modèle (faisant ainsi référence) et sa collecte.

Fragment inédit de l’oratoire de la tribune de la chapelle du château de Fontainebleau, chêne sculpté, peint et rechampi doré, 1741-42

Fragment inédit de l’oratoire de la tribune de la chapelle du château de Fontainebleau, chêne sculpté, peint et rechampi doré, 1741-42

Cliché François Gilles, coll. réserves du château de Fontainebleau

5Ce collage, cette juxtaposition visuelle, résultent d’un besoin impérieux de documenter la sculpture et l’ornement sous toutes leurs formes – avec, conséquemment, des moyens adaptés. Par ailleurs, la mémorisation photographique de cette compilation pose elle-même question : Simoneton voulait peut-être rendre déplaçables ses références, sous la forme d’un album peu encombrant… Il y a là comme un dédoublement qui souligne encore une fois une sorte de frénésie documentaire, laquelle a eu une influence très directe dans la production de Simoneton jusqu’à ce qu’il devienne un des acteurs de l’Art nouveau.

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Notes

1 Dans une certaine mesure, dès le 18e siècle, les sculpteurs ornemanistes accumulaient déjà les moulages comme autant de références. Cette pratique est notamment attestée par une lettre conservée dans la correspondance des Bâtiments du roi : « Le sr Le Goupil, sculpteur des Bâtiments du roi, successeur du sr Werbereckt [sic] son oncle, et duquel il a les creux des parties de sculptures des châteaux de Versailles, Marly, Trianon, Compiègne, Saint-Hubert, la Muette et Fontainebleau, a l’honneur de vous suplier de luy accorder a l'avenir les parties de sculptures dont feu son oncle étoit chargé sous les ordres de M. Gabriel […] » (A. N. O1/19125, 12. Lettre transcrite dans : Stanislas Lami, Dictionnaire des sculpteurs de l’école française au dix-huitième siècle, Paris, Honoré Champion, 1911, vol. 2, p. 50).

2 Les tirages sont de deux formats : 36x17,5 cm et 27,5x37,5 cm.

3 La pochette contenant les tirages portant une étiquette ancienne manuscrite (« Mr Simoneton photographies »), il ne fait aucun doute que les photographies ont été commandées par Simoneton, ce qui n’est pas aussi certain pour les moulages eux-mêmes. La datation de certains tirages provenant de l’atelier de moulage de l’UCAD (1883-1901) amène cependant à déduire que la collection avait été constituée par Simoneton dans sa période « historiciste ».

4 Sur l’histoire de cet atelier de moulage, voir Mathilde Pillien, L’Atelier de moulage de l’Union centrale des arts décoratifs (1883- 1901), mémoire d’étude (1e année de 2e cycle) sous la direction de Michela Passini, Audrey Gay-Mazuel et Jean-Marc Hofman, École du Louvre, 2005, 3 volumes.

5 La numérotation en creux que portent les plâtres est celle des catalogues de vente de l’UCAD.

6 Voir Xavier Salmon, Côme Fabre, Sculpter pour Louis XV. Jacques Verberckt ou l’art du lambris à Fontainebleau, Dijon, Faton, 2012, p. 68.

7 Les différents estampages (sur des sculptures anciennes ou récentes) portent un numérotage en creux, qu’il n’a pas été possible d’élucider.

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Table des illustrations

Titre Photographie d’une gypsothèque, tirage au bromure d’argent sur papier, 36x17,5 cm, vers 1900
Crédits Cliché François Gilles, anct. coll. Adrien Simoneton, actt. coll. part.
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6109/img-1.JPG
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Vue de l’atelier de moulage de l’UCAD, Paris, Bibliothèque des arts décoratifs
Crédits Cliché François Gilles, coll. Maciet, 81/02
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6109/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,5M
Titre Porte du boudoir de la comtesse de Toulouse, chêne sculpté, vers 1730-36, château de Rambouillet
Légende Reproduit dans Les intérieurs et les boiseries sculptées du château de Rambouillet, Paris, A. Guérinet, s. d., pl. 55
Crédits Cliché François Gilles
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6109/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 4,2M
Titre Parclose sculptée provenant du château d’Écouen, chêne sculpté et peint, vers 1735, Paris
Crédits Cliché François Gilles, coll. Musée des arts décoratifs ; dépôt de la grande chancellerie de la Légion d’honneur
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6109/img-4.JPG
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Fragment inédit de l’oratoire de la tribune de la chapelle du château de Fontainebleau, chêne sculpté, peint et rechampi doré, 1741-42
Crédits Cliché François Gilles, coll. réserves du château de Fontainebleau
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6109/img-5.JPG
Fichier image/jpeg, 1,6M
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Pour citer cet article

Référence papier

François Gilles, « Une vue de la gypsothèque du décorateur Adrien Simoneton (1862-1949) »La Revue de la BNU, 26 | 2022, 34-37.

Référence électronique

François Gilles, « Une vue de la gypsothèque du décorateur Adrien Simoneton (1862-1949) »La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 27 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6109 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6109

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Auteur

François Gilles

Doctorant, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/

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