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Le dossier : Bagages d'artistes
À la manière d'un carnet, le musée utilse de l'artiste

Revoir l'artiste à la lumière de son musée de papier

L'expérience fondatrice de Sylvie Gaudin (1950 -1994), photographe et peintre-verrier
Soline Morihain
p. 38-41

Texte intégral

  • 1 Les ateliers Gaudin étaient pluriels car on y créait et/ou restaurait à la fois des vitraux et des (...)
  • 2 Voir Jean-François Luneau, Félix Gaudin, peintre-verrier et mosaïste (1851-1930), Clermont-Ferrand (...)
  • 3 Voir Le Printemps, verre et plomb, vitrail de Félix Gaudin sur un carton d'Eugène Grasset, présent (...)
  • 4 Les ateliers Gaudin étaient situés au n° 6, rue de la Grande-Chaumière, dans le sixième arrondisse (...)
  • 5 Félix et Jean Gaudin rachètent en 1912 la célèbre entreprise du mosaïste italien Gian Domenico Fac (...)
  • 6 Voir Nathalie Loire, Le vitrail en dalle de verre en France des origines à 1940, thèse de doctorat (...)
  • 7 École supérieure d'arts graphiques créée par Guillaume Met de Penninghen et Jacques d'Andon dans l (...)
  • 8 https://www.bm-lyon.fr/expo/11/sudre/biographie-jean-pierre-sudre.php

1, Sylvie Gaudin est la quatrième et dernière représentante d'une dynastie de peintres-verriers établis à Paris pendant plus d'un siècle. À travers l'histoire des ateliers Gaudin1 s'entrevoient celles du vitrail et plus largement de l'art, de la fin du 19e siècle au milieu des années 1990. Félix2, le fondateur, a notamment transposé sur verre des cartons d'Auguste Steinheil ou Luc-Olivier Merson, avant de devenir l'ami intime et le légataire du célèbre représentant de l'Art nouveau Eugène Grasset3. Dans le vaste immeuble de briques du quartier de Montparnasse4 qui étend ses ateliers de vitrail et de mosaïque5 sur quatre cents mètres carrés, son fils Jean (1879-1954) invente le vitrail en dalle de verre6 qu'il expérimente en 1929. Pierre (1908-1973), le fils de Jean, formé dans les Ateliers d'art sacré de Maurice Denis et Georges Desvallières, adopte un style très marqué par le cubisme, puis mène des recherches personnelles sur l'utilisation du verre dans l'espace et sa juxtaposition avec divers éléments, notamment l'acier. Quelques-uns de ses reliefs translucides et son vitrail-sculpture intitulé Adam et Ève sont présentés à Tokyo et à Kyoto, lors des expositions de l'École de Paris en 1965. Quant à Sylvie, d'abord très attirée par le dessin, elle est formée à l'ESAG Penninghen7 de1969 à 1972, puis choisit de devenir photographe à l'issue d'un stage d'un an auprès de Jean-Pierre Sudre8 créateur et chef d'atelier du département de photographie à l'ESAG.

Paris, ateliers Gaudin : Sylvie Gaudin choisissant du verre, 1982

Paris, ateliers Gaudin : Sylvie Gaudin choisissant du verre, 1982

© Sylvie Gaudin

2Mais le destin en a décidé autrement. Le décès brutal de son père, alors qu'elle n'a que vingt-trois ans, la propulse à la tête des Ateliers Gaudin qui emploient alors douze personnes. Bien décidée à tirer profit du poids de cet héritage et à assurer la pérennité de l'atelier familial, elle se voue totalement au vitrail pendant vingt années, jusqu'à ce que la maladie l'emporte, en 1994, à l'âge de quarante-quatre ans.

  • 9 Archives privées, fonds d'atelier Gaudin, qui appartient désormais à son époux Michel Blanc-Garin.

3, Bien que les sources soient de plus en plus rares au fur et à mesure que nous remontons dans le temps, il est cependant plus facile de déceler le modèle d'une œuvre figurative que la source d'une œuvre abstraite. C'est pourquoi les « musées de papier » sont précieux pour tenter de comprendre la démarche et les processus de création artistique d'une artiste telle que Sylvie Gaudin (voir ill. ci-dessus), qui a délibérément banni toute figuration de ses vitraux. Par chance, au-delà de son attrait pour le graphisme, elle aimait aussi écrire et a laissé quatorze carnets et cahiers9 des recueils variés de textes, de références bibliographiques, de poèmes et de citations d'auteurs, et bien sûr de croquis de paysages, d'objets et d'ébauches de maquettes, au crayon ou à l'aquarelle - sans oublier les recueils de ses photographies qui ont sans aucun doute eux aussi nourri son imaginaire.

Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260

Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260
  • 10 Catherine Brisac, Le vitrail, Paris, Nathan, 1985, p. 74
  • 11 Musée Quesnel-Morinière de Coutances, Sylvie Gaudin, The Little Sisters [catalogue d'exposition no (...)
  • 12 Ibidem

4C'est au cours d'un voyage dont elle rêvait depuis longtemps que Sylvie Gaudin put enfin admirer une verrière qui marquera profondément sa peinture. Il s'agit des célèbres Pive Sisters, ainsi nommées par l'écrivain Charles Dickens10 situées dans la cathédrale • • , d'York au nord de l'Angleterre, cinq longues lancettes datant du 13e siècle, à la composition non figurative (voir ill. ci-dessus). Cette grande verrière magnifie ce type de vitrail « aniconique », par son ampleur et l'effet saisissant de sa compacité formelle. L'absence de personnages et de narration est déjà très déroutante pour l'époque. Selon Sylvie Gaudin, « toute la force, toute l'intensité du propos tient à la simplicité du thème et de la technique. Les cinq compositions forment une chatoyante masse gris-vert, variation sans fin presque répétitive »11 Et de préciser : « L'autre élément important, c'est évidemment la façon dont les Pive Sisters filtrent la lumière. Fascinant, magique »12 La technique utilisée est celle de la grisaille, rehaussée de pointes de couleurs vives qui révèlent les médaillons superposés du décor (voir ill. ci-dessous).

Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260

Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260

Détail des panneaux inférieurs de la lancette de droite

  • 13 Ibidem

Mon regard de peintre verrier s'est révélé à la lumière des vitraux anciens. Combler l'espace, tramer finement et en détails l'espace nu, éclairer de nuances et de transparences ce que la nature nous donne, crue et changeante : la lumière. La colorer pour enfin la voir et en jouir simplement13.

  • 14 Sylvie Gaudin, cahier n° 3, archives privées, fonds d'atelier Gaudin

5Le métier de peintre-verrier consistant plus à restaurer qu'à créer, Sylvie Gaudin est en contact permanent avec des verrières vénérables qui la bouleversent et la confortent dans sa volonté d'utiliser les techniques séculaires du vitrail en les enrichissant de son regard d'artiste contemporaine, elle qui, contrairement à d'autres confrères, ne les a jamais considérées comme un poids. Malgré toutes les technologies nouvelles, « le vitrail, c'est toujours du verre et du plomb », écrit-elle. « Le plomb est une invention géniale, on peut l'intégrer dans le dessin, on peut tout faire avec le plomb »14.

Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 1, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985

Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 1, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985

© Sylvie Gaudin

6Il est donc intéressant de voir comment une artiste contemporaine peut fonder son expression sur l'observation, la fascination et la mémoire d'un vitrail, a fortiori du 13e siècle. Les baies du chœur de l'église de Sainte-Maure, dans l'Aube, en constituent sans doute l'exemple le plus frappant (voir ill. ci-dessus et ci-dessous). On y retrouve la densité graphique, caractéristique de l'œuvre de Sylvie Gaudin, qui résulte ici d'une variation de lignes verticales et horizontales, de semis de croix et de motifs variés peints à la grisaille dans une dominante gris-bleu gris-vert en écho au verre potassique médiéval, l'ensemble rehaussé de , couleurs vives (couleurs primaires). Les compositions tonales sont très structurées, avec une fantaisie dans le détail et une parfaite maîtrise des contrastes. Fidèle aux maîtres du passé, elle est parvenue à montrer qu'il est possible de composer des verrières très modernes tout en conservant la simplicité des techniques médiévales. Bien qu'elle n'ait pratiqué le vitrail « que » durant vingt années, Sylvie Gaudin est devenue non seulement une restauratrice de vitraux reconnue, mais aussi la créatrice inspirée de verrières non figuratives qui ont marqué une nouvelle étape dans l'histoire des ateliers Gaudin. Quelque peu tombé dans l'oubli, son œuvre, d'une grande richesse tant en nombre qu'en qualité picturale, mérite amplement d'être redécouvert.

Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 2, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985

Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 2, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985

© Sylvie Gaudin

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Notes

1 Les ateliers Gaudin étaient pluriels car on y créait et/ou restaurait à la fois des vitraux et des mosaïques.

2 Voir Jean-François Luneau, Félix Gaudin, peintre-verrier et mosaïste (1851-1930), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2006

3 Voir Le Printemps, verre et plomb, vitrail de Félix Gaudin sur un carton d'Eugène Grasset, présenté au Salon du Champ-de-Mars à Paris en 1894, et conservé au musée des Arts décoratifs de Paris.

4 Les ateliers Gaudin étaient situés au n° 6, rue de la Grande-Chaumière, dans le sixième arrondissement de Paris. L'immeuble a été bâti par les Gaudin en 1911.

5 Félix et Jean Gaudin rachètent en 1912 la célèbre entreprise du mosaïste italien Gian Domenico Facchina.

6 Voir Nathalie Loire, Le vitrail en dalle de verre en France des origines à 1940, thèse de doctorat en histoire de l'art sous la direction de Françoise Levaillant, Université Panthéon-Sorbonne-Paris I, 1993

7 École supérieure d'arts graphiques créée par Guillaume Met de Penninghen et Jacques d'Andon dans les locaux de la célèbre Académie Julian, rue du Dragon, dans le sixième arrondissement de Paris.

8 https://www.bm-lyon.fr/expo/11/sudre/biographie-jean-pierre-sudre.php

9 Archives privées, fonds d'atelier Gaudin, qui appartient désormais à son époux Michel Blanc-Garin.

10 Catherine Brisac, Le vitrail, Paris, Nathan, 1985, p. 74

11 Musée Quesnel-Morinière de Coutances, Sylvie Gaudin, The Little Sisters [catalogue d'exposition non paginé], salle capitulaire de la cathédrale de Coutances, 6-30 septembre 1990, MSPC, DRAC de Basse-Normandie, 1990

12 Ibidem

13 Ibidem

14 Sylvie Gaudin, cahier n° 3, archives privées, fonds d'atelier Gaudin

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Table des illustrations

Titre Paris, ateliers Gaudin : Sylvie Gaudin choisissant du verre, 1982
Crédits © Sylvie Gaudin
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6113/img-1.jpeg
Fichier image/jpeg, 1,1M
Titre Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6113/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
Titre Cathédrale d'York, bras nord du transept, verrière dite des Pive Sisters (Cinq sœurs), vers 1260
Légende Détail des panneaux inférieurs de la lancette de droite
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6113/img-3.png
Fichier image/png, 1,8M
Titre Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 1, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985
Crédits © Sylvie Gaudin
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6113/img-4.png
Fichier image/png, 2,6M
Titre Sainte-Maure (Aube), église Sainte-Maure, baie 2, détail, création de Sylvie Gaudin, 1985
Crédits © Sylvie Gaudin
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6113/img-5.png
Fichier image/png, 4,6M
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Pour citer cet article

Référence papier

Soline Morihain, « Revoir l'artiste à la lumière de son musée de papier »La Revue de la BNU, 26 | 2022, 38-41.

Référence électronique

Soline Morihain, « Revoir l'artiste à la lumière de son musée de papier »La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 27 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6113 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6113

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Auteur

Soline Morihain

Doctorante, Université Clermont Auvergne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/

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