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Le dossier : Bagages d'artistes
Le carnet, témoin de la circulation des artistes et des modèles

Le carnet du sculpteur Pierre Jacques, répertoire de modèles romains

Maxence Hermant
p. 42-45

Texte intégral

  • 1 Catalogue de dessins et tableaux provenant de la collection de feu M. Hippolyte Destailleur. Dessi (...)
  • 2 Auguste Audollent, « Dessin inédit d’un fronton du temple de Jupiter Capitolin », in Ecole françai (...)
  • 3 Henri Jadart, « Les Jacques, sculpteurs rémois des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Notice et docume (...)
  • 4 Salomon Reinach, L’album de Pierre Jacques, sculpteur à Reims, dessiné à Rome de 1572 à 1577, Pari (...)
  • 5 On peut néanmoins citer Gisèle Lambert (dir.), Dessins de la Renaissance. Collection de la Bibliot (...)
  • 6 Maxence Hermant, « Pierre Jacques, sculpteur rémois », in Chrystelle Laurent et Genevieve Bresc-Ba (...)
  • 7 Maxence Hermant, Entre Moyen Age et Renaissance. Arts et artistes en Champagne du Nord aux XVe et (...)

1En 1896, lors de la vente après décès du célèbre collectionneur Hippolyte Destailleur, le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale fit l’acquisition d’un carnet de dessins décrit comme : « Album de Pierre Jacques, sculpteur rémois, représentant des marbres antiques conservés à Rome au XVIe siècle. 1572-1577 », depuis conservé au département des Estampes et de la photographie sous la cote RESERVE FB-18(A)-41 (voir ill. ci-dessous). Il avait été publié précédemment, tout d’abord de façon allusive, en 1889, au sujet d’un unique feuillet, par Auguste Audollent, membre de l’École française de Rome, puis, de façon plus globale, en 1890, par Auguste Geffroy, directeur de cette même École2. Dans son article, celui-ci déclare vouloir faire connaître le carnet « sommairement et sans en déflorer le caractère inédit », listant les dessins les plus importants et reproduisant cinq feuillets. En lien avec l’historien rémois Henri Jadart, il obtint de celui-ci divers documents relatifs à l’auteur du carnet, le sculpteur rémois Pierre Jacques. Jadart publia d’ailleurs la même année la première véritable étude de fond sur l’artiste, à partir de larges dépouillements d’archives3. L’entrée du volume dans les collections publiques permit enfin une publication complète, réalisée en 1902 par Salomon Reinach, membre de l’Institut, et accompagnée d’une reproduction de l’ensemble des planches par phototypie4. Depuis, le carnet n’a plus fait l’objet de recherches poussées5. Le constat est le même pour son auteur dont la carrière et l’œuvre n’ont guère été étudiés au 20e siècle, sinon pour répéter un certain nombre d’erreurs et de raccourcis. Il a fallu attendre l’exposition Beau XVIe siècle. Chefs-d'œuvre de la sculpture champenoise à Troyes en 2009 pour avoir une première mise au point6, reprise depuis dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en 2013 à l’École pratique des hautes études, en cours de publication7.

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 14

  • 8 Ce qui concorde avec les filigranes du papier (Briquet 207).
  • 9 Regina Seelig-Teuwen, « “Apres avoir vu Rome, en France je revins”. Le voyage à Rome des sculpteur (...)

2Le carnet de dessins de la BnF est un document exceptionnel. Il est composé de quatre-vingt-quinze feuillets de format oblong (208x280 mm), couverts en leurs rectos et versos de dessins réalisés pour l’essentiel à la plume et à l’encre ou à la pierre noire, plus rarement a la sanguine. La rareté du volume tient notamment au fait qu’il nous est parvenu dans son état presque originel, avec peu de manques (deux feuillets avec rupture dans la foliotation du 17e siècle et un feuillet partiellement conservé), dans sa reliure de parchemin souple a lacs de cuir de la fin du 16e ou du début du 17e siècle. Il porte plusieurs annotations anciennes. Quarante-sept feuillets sont datés, avec des millésimes allant de 1572 à 15778. Cette datation peut être étendue en amont en raison d’une mention citant Barthélemy Prieur, que Pierre Jacques ne put rencontrer qu’entre 1568, date ou Prieur quitta Turin, et l’été 1571, quand celui-ci rentra à Paris9. Même s’il est possible de dégager quelques ensembles cohérents de dates, il apparaît que Pierre Jacques n’a pas réalisé ses dessins de façon linéaire dans le volume, l’utilisant au gré de ses envies et besoins.

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 26v

3En plus d’être datés, de nombreux dessins sont annotés, donnant, en italien, le lieu où l’œuvre copiée se trouvait alors : le Trastevere, le Capitole, la place Sciara, la place de Monte Cavallo, le Ghetto, la fontaine Saint-Georges, le mausolée d’Auguste, le théâtre de Marcellus, les thermes de Titus, ceux de Dioclétien, la colonne Trajane, l’arc de Septime-Sévere, le temple du soleil d’Aurélien, le baptistère de Constantin, ou encore des basiliques (voir ill. ci-dessous). Sont également largement citées les collections della Valle, Cesi, Bufalo et Carpi et, de façon unique, les palais du Belvédere et Farnese. Le carnet de Pierre Jacques n’est pas un recueil de voyageur désirant conserver et ramener en France le souvenir des grands antiques de Rome. Il a été constitué dans une autre optique, celle d’un sculpteur amassant tout ce qui attire son regard, attise son intellect et qui, par là-même, pouvait être utile à l’exercice de son art : des statues ou des fragments de corps vus sous divers angles, parfois dégagés de leur enveloppe de peau (voir ill. ci-dessus), des éléments d’architecture, certains réduits à leurs formes et lignes principales, des éléments décoratifs.

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Pierre Jacques, Carnet de dessins

Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 81v

4Le carnet de Pierre Jacques est en outre une source essentielle pour notre connaissance de nombre d’antiques romains aujourd’hui dispersés voire disparus, leur état et leur lieu de conservation à la fin du 16e siècle. On oublie trop souvent que Pierre Jacques a aussi copié des œuvres modernes : des sculptures de Michel-Ange et de son entourage, de Girolamo Dal Duca, mais aussi des peintures de l’atelier de Raphaël ou de Polidoro da Caravaggio.

Pierre Jacques, Crucifix. Reims, église Saint-Jacques

Pierre Jacques, Crucifix. Reims, église Saint-Jacques

Cliché Maxence Hermant

5Pierre Jacques ne fut pas le seul Champenois de la Renaissance à faire le voyage de Rome (ainsi Barthélemy Prieur, Ponce Jacquiot ou Guillaume Poiret), si tant est qu’il fut champenois, et précisément rémois d’origine. On ignore du reste son âge lors de son séjour. Aucun acte antérieur au carnet ne le documente de façon certaine, mais il est bien établi qu’il résida et travailla à Reims ensuite (notamment pour un retable monumental disparu pour l’église Saint-Pierre-le-Vieil, en 1583), jusqu’à sa mort en 1596. Quoi qu’il en soit, sa connaissance des œuvres de l’Antiquité ou de la Renaissance d’Italie centrale ont considérablement marqué son œuvre de sculpteur dans la cité des sacres, notamment son Crucifix de l’église Saint-Jacques (anciennement à Saint-Pierre-le-Vieil ; voir ill. ci-dessus) ou le Saint André de l’église éponyme, daté de 1586. Ces sculptures, notamment caractérisées par l’étude de l’anatomie et de la musculature sans les envolées du maniérisme, se démarquent fortement du courant alors en vogue en Champagne sous l’influence de Dominique Florentin.

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Notes

1 Catalogue de dessins et tableaux provenant de la collection de feu M. Hippolyte Destailleur. Dessins d’architecture et de décoration, vues de Paris et des environs. Dessins de différents genres, cat. vente, Paris, Damascene Morgand, 19-23 mai 1896, n° 410

2 Auguste Audollent, « Dessin inédit d’un fronton du temple de Jupiter Capitolin », in Ecole française de Rome. Mélanges d’archéologie et d’histoire, t. 9, 1889, p. 120-133 ; Auguste Geffroy, « L’album de Pierre Jacques de Reims. Dessins inédits d’après les marbres antiques conservés à Rome au XVIe siècle », in Ecole française de Rome. Mélanges d’archéologie et l’histoire, t. 10, 1890, p. 150-215.

3 Henri Jadart, « Les Jacques, sculpteurs rémois des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Notice et documents sur leur famille, leur vie et leurs travaux », in Réunion des sociétés des beaux-arts des départements, 14e session, 1890, p. 568-596

4 Salomon Reinach, L’album de Pierre Jacques, sculpteur à Reims, dessiné à Rome de 1572 à 1577, Paris, 1902

5 On peut néanmoins citer Gisèle Lambert (dir.), Dessins de la Renaissance. Collection de la Bibliothèque nationale de France, cat. exp., Paris, BnF, 24 février-4 avril 2004, Paris, 2004, n° 26 (qui reprend l’historiographie du 19e siècle).

6 Maxence Hermant, « Pierre Jacques, sculpteur rémois », in Chrystelle Laurent et Genevieve Bresc-Bautier (dir.), Le beau XVIe siècle. Chefs-d'œuvre de la sculpture en Champagne, cat. exp., Troyes, église Saint-Jeanau- Marché, Vanves, 2009, p. 216-219 (avec notices 40-41)

7 Maxence Hermant, Entre Moyen Age et Renaissance. Arts et artistes en Champagne du Nord aux XVe et XVIe siècles, Rennes, Presses universitaires de Rennes, à paraître en 2023

8 Ce qui concorde avec les filigranes du papier (Briquet 207).

9 Regina Seelig-Teuwen, « “Apres avoir vu Rome, en France je revins”. Le voyage à Rome des sculpteurs français dans la seconde moitié du XVIe siècle », in Marion Boudon-Machuel (dir.), La sculpture française du XVIe siècle. Etudes et recherches, Marseille / Paris, 2011, p. 190

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Table des illustrations

Titre Pierre Jacques, Carnet de dessins
Crédits Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 14
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6121/img-1.png
Fichier image/png, 7,6M
Titre Pierre Jacques, Carnet de dessins
Crédits Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 26v
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6121/img-2.png
Fichier image/png, 7,2M
Titre Pierre Jacques, Carnet de dessins
Crédits Cliché et coll BnF, Est., RESERVE FB-18(A)-4, f. 81v
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6121/img-3.png
Fichier image/png, 6,3M
Titre Pierre Jacques, Crucifix. Reims, église Saint-Jacques
Crédits Cliché Maxence Hermant
URL http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6121/img-4.JPG
Fichier image/jpeg, 1,1M
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Pour citer cet article

Référence papier

Maxence Hermant, « Le carnet du sculpteur Pierre Jacques, répertoire de modèles romains »La Revue de la BNU, 26 | 2022, 42-45.

Référence électronique

Maxence Hermant, « Le carnet du sculpteur Pierre Jacques, répertoire de modèles romains »La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 25 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6121 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6121

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Auteur

Maxence Hermant

Conservateur, département des Manuscrits, BnF

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International - CC BY-NC-SA 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/

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