Le Recueil de plantes copiées d’après nature par Charles Germain de Saint-Aubin (1736-1785)
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1Le Recueil de plantes copiées d’après nature constitue un ensemble exceptionnel d’études de fleurs réalisées au crayon, à l’encre et à l’aquarelle par le dessinateur du roi en broderie et en dentelles, Charles Germain de Saint-Aubin (1721-1786). Plus de deux cents pages d’illustrations botaniques complétées par quelques croquis, une autobiographie, un index et une multitude d’anecdotes consignées pendant près de quarante ans par l’artiste laissent entrevoir son processus créatif. Protégé de la favorite du roi Louis XV, la marquise de Pompadour, et de la reine Marie Leszczynska, Charles Germain conçoit les broderies du costume de mariage du dauphin en 1770, et réalise des modèles pour les costumes, les meubles et la vaisselle des rois du Portugal et de Prusse, ainsi que de la comtesse du Barry. Pourtant, la grande majorité des dessins du recueil ne sont produits qu’après ses heures de gloire à la cour de France, entre 1775 et 1786. A cette époque, et comme en témoignent ses figures de mode, Saint-Aubin tente de moderniser ses créations et d’attirer une nouvelle clientèle parisienne, plus sensible à la mode qu’aux codes vestimentaires imposés par l’étiquette de cour. A sa mort en 1786, le recueil est transmis à sa fille aînée Marie- Françoise Donnebecq, avant que le collectionneur Hippolyte Destailleur n’en devienne propriétaire. Vendu en 1893 pour 3 000 francs-or, le recueil fait maintenant partie de la collection de l’Oak Spring Garden Foundation en Virginie aux États-Unis.
Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Sauterelle », aquarelle sur papier, 1775, p. 131

Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis
Les carnets dans le cercle des Saint-Aubin
- 1 Colin Jones et Juliet Carey, « Introduction », in The Saint Aubin ‘Livre De Caricatures’ : Drawing (...)
2Les membres de la famille Saint-Aubin faisaient grand usage des carnets de dessins et de croquis, souvent produits en collaboration et caractérisés par une grande liberté de ton. Entre les années 1740 et 1770, Charles Germain produisit le Livre de caricatures, une collection de dessins satiriques pour divertir un groupe restreint d’amis et de proches parents1. Le Recueil de dessins, quant à lui, réunit cent seize dessins et gravures par Charles Germain et son célèbre frère Gabriel, tandis que le Livre des Saint-Aubin réunit des œuvres produites par la famille élargie. A l’image de ces carnets, remplis d’humour et d’ironie et rassemblant des dessins d’une grande variété, le Recueil de plantes copiées d’après nature semble offrir à Charles Germain de Saint-Aubin un espace de liberté pour étudier et explorer la nature en dehors des conventions artistiques et académiques de son temps.
Le dessin de broderie
- 2 Les dessins sont conservés dans trois volumes de la bibliothèque de l’Institut de France (Ms. 2057 (...)
3Bien que la fabrication des broderies revînt aux ouvriers de l’atelier, le traité technique L’Art du brodeur écrit par Saint-Aubin et publié en 1770 démontre sa connaissance pratique de la broderie. Un dessin, daté de 1775, constitue l’une des rares références du Recueil de plantes à l’activité de brodeur de son auteur, évoquée par deux sauterelles occupées à entrelacer des tiges se confondant en fils de soie. Au-dessus, une vignette collée présente « un des quarante mille dessins de broderies de Charles Germain de Saint-Aubin », se composant de quatre gerbes de fleurs (voir ill. ci-dessus). A l’image de ce dessin de broderie, les modèles dessinés par Saint-Aubin pour broder des gilets masculins et des costumes de cour, conservés par centaines à l’Institut de France, figurent des fleurs simplifiées et stylisées qui se distinguent nettement des spécimens botaniques qu’il dessine avec minutie et exactitude dans le recueil2. Ce décalage suggère le rôle créatif et expérimental de ce dernier, qui ne se résume pas à la constitution d’une collection de modèles pour la broderie.
Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Chèvrefeuille », aquarelle sur papier, ca. 1742, p. 8

Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis
Le dessin botanique comme formation
- 3 Geneviève Regnault, La botanique mise à la portée de tout le monde […] Exécuté et publié par les S (...)
4Le recueil témoigne du rôle de la pratique du dessin botanique dans la formation des artistes, avant l’apparition de l’École royale gratuite de dessin en 1767, consacrée à l’éducation artistique des artisans. Des 1740, le jeune Saint-Aubin, formé au dessin par Monsieur Dutrou, se consacre en parallèle au dessin de fleurs, une pratique qui lui permet de développer son gout pour l’imitation de la nature. Enveloppée autour d’une branche de chèvrefeuille, une vignette dessinée par le jeune Saint-Aubin en 1742 reproduit la célèbre gravure La Maraude (1633), de Jacques Callot (voir ill. ci-dessus). La copie des grands maîtres comme Callot constituait un des piliers du modèle académique de l’éducation des artistes. En associant la gravure du maître et l’imitation des anciens à l’imitation de la nature que représente le dessin botanique, Saint-Aubin réunit ainsi en une page les deux pratiques essentielles à la formation au dessin. Il puise aussi ses modèles dans la presse périodique comme dans les jardins de Paris et de ses environs. Il copie notamment plusieurs planches de La botanique mise à la portée de tout le monde3. Les jardins comme ceux du château d’Orly, appartenant au maréchal de Coigny et dont Saint-Aubin propose une vue perspective avec les fleurs de jasmin qui y poussent, inspirent nombre de croquis parfois peints sur le motif (voir ill. ci-dessous).
Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Belle de jour », aquarelle sur papier, ca. 1757, p. 68

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L’ami de la marquise de Pompadour
- 4 Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes copiées d’après nature par de Saint-Aubin, dess (...)
5Saint-Aubin dessine volontiers dans les jardins du château d’Évreux de la marquise de Pompadour qui, comme ne manque pas de le préciser l’auteur, « aimait beaucoup Saint-Aubin, et le protégeait »4. Ainsi, sur le dessin de la Belle de jour, une inscription précise que la marquise a « travaillé à ce bouquet », en collaboration avec lui (voir ill. ci-dessous).
Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Jasmin commun », aquarelle sur papier, ca. 1740, p. 2

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6En face d’un bouquet de roses et de tulipes datant de 1762, un message codé, dont la clé est inscrite en haut de la page, permet au lecteur assidu de déchiffrer les mots suivants :
Ces tulipes sont moins reconnaissables par leur beauté que par l’anecdote qui les accompagne. Je faisais assidument ma cour à madame de Pompadour et dessinais avec elle des fleurs dans son délicieux jardin de l’amitié, à l’hôtel d’Évreux, un jeudi 22 mai. Je reçois d’elle un billet […] qui m’ordonne d’aller dans son petit jardin cueillir les plus belles tulipes et de lui envoyer le portrait qu’elle voulait broder.
Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Tulipes et rose », aquarelle sur papier, ca. 1762, p. 80

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7L’anecdote révèle que l’étude des fleurs permet à l’artiste et à son mécène de tisser des liens d’amitié, et de les mettre en scène dans ce qui semble de prime abord appartenir à la tradition classique de l’honnêteté. Pourtant, c’est sur un ton plus libertin que l’anecdote se poursuit, tandis que Saint-Aubin relate non sans une pointe d’ironie son entrevue dans les petits appartements de l’hôtel d’Évreux avec une charmante femme de chambre.
8Au fil des deux cent soixante-deux feuilles de croquis, dessins et anecdotes rassemblés par l’artiste tout au long de sa vie, le recueil brosse le portrait de Charles Germain pour la postérité. Bien plus qu’un simple portefeuille de modèles de broderies, il formait un espace de liberté, d’expérimentation et d’introspection pour l’artiste. Alors que les carnets remplis par son frère Gabriel de Saint-Aubin font partie des plus célèbres ensembles de dessins du 18e siècle, l’œuvre originale et prolixe de Charles Germain mérite aussi d’être mise en valeur. Au croisement de l’art et de la science, les dessins botaniques de ce dernier suggèrent plus largement l’apport de l’histoire naturelle à la formation des artistes.
Notes
1 Colin Jones et Juliet Carey, « Introduction », in The Saint Aubin ‘Livre De Caricatures’ : Drawing Satire in Eighteenth-century Paris, éd. par Colin Jones, Juliet Carey et Emily Richardson, 1re édition, Oxford, Voltaire Foundation, 2012
2 Les dessins sont conservés dans trois volumes de la bibliothèque de l’Institut de France (Ms. 2057, Ms. 2058 et Ms. 2059).
3 Geneviève Regnault, La botanique mise à la portée de tout le monde […] Exécuté et publié par les Sr et De Regnault, Paris, 1774
4 Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes copiées d’après nature par de Saint-Aubin, dessinateur du Roy Louis XV (Paris, 1736-85), note au revers de la page 259
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Sauterelle », aquarelle sur papier, 1775, p. 131 |
Crédits | Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6141/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,2M |
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Titre | Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Chèvrefeuille », aquarelle sur papier, ca. 1742, p. 8 |
Crédits | Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6141/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,4M |
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Titre | Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Belle de jour », aquarelle sur papier, ca. 1757, p. 68 |
Crédits | Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6141/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
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Titre | Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Jasmin commun », aquarelle sur papier, ca. 1740, p. 2 |
Crédits | Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6141/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 938k |
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Titre | Charles Germain de Saint-Aubin, Recueil de plantes, « Tulipes et rose », aquarelle sur papier, ca. 1762, p. 80 |
Crédits | Cliché et coll. Oak Spring Garden Foundation, Upperville, VA, États-Unis |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6141/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
Pour citer cet article
Référence papier
Carole Nataf, « Le Recueil de plantes copiées d’après nature par Charles Germain de Saint-Aubin (1736-1785) », La Revue de la BNU, 26 | 2022, 58-61.
Référence électronique
Carole Nataf, « Le Recueil de plantes copiées d’après nature par Charles Germain de Saint-Aubin (1736-1785) », La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 25 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6141 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6141
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