Les dessins d’Eugene Dock1 (1827-1890), un laboratoire de papier
Texte intégral
- 1 La production (dessinée, comme réalisée) d’Eugene Dock fait actuellement l’objet d’une thèse de do (...)
- 2 Gérard Cames, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, tome II, fascicule n° 8, Strasbourg, (...)
- 3 Encyclopédie de l’Alsace, tome IV, Strasbourg, Publitotal, 1983, p. 2393
- 4 Florian Siffer, « Eugene Dock dans les collections du Cabinet des estampes et des dessins », in Mu (...)
- 5 Ingénieur de métier, Emile Beringer (1840-1881) meurt lors d’une mission d’exploration avec le col (...)
1Né à Strasbourg, Eugene Dock est un sculpteur-statuaire et dessinateur. Des 1845, à l’âge de dix-huit ans, il commence sa formation aux ateliers de l’Œuvre Notre-Dame dans sa ville natale, puis la termine à l’École des Beaux-Arts de Paris2. A l’issue de ses études, Dock installe son premier atelier dans la capitale, boulevard Montparnasse, et embauche Auguste Bartholdi3. Vers 1860, il revient en Alsace. Apres la guerre de 1870, il participe à plusieurs chantiers de restauration de grande envergure à Strasbourg, comme celui de la préfecture, de l’Aubette, de la maison Kammerzell ou encore de la cathédrale, et il réalise plusieurs monuments aux morts pour les villes de Strasbourg, Schiltigheim et Haguenau4. Enfin, à partir des années 1880 et jusqu’à la fin de sa carrière, l’artiste élabore plusieurs dizaines de monuments funéraires privés, tel que celui pour Émile Beringer5 au cimetière Sainte-Hélène de Strasbourg.
Eugene Dock, Projet de coffre, 1855, 22x13 cm
Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.2002, cliché Quentin Despond
2Une très large majorité des dessins d’Eugene Dock, environ mille cinq cents, sont conservés au Cabinet des estampes et des dessins de Strasbourg. Les thèmes représentés sont éclectiques, de la sculpture au mobilier en passant par la décoration intérieure et aussi l’architecture. Plusieurs types de documents constituent ce fonds. On distingue un grand nombre de dessins d’exécution dans le cadre de commandes privées et publiques, ainsi qu’autant de croquis, d’études préparatoires ou encore de motifs pris sur le vif lors de ses déplacements en Alsace et en région parisienne.
Eugene Dock, Mise au carré d’un meuble à double corps, 1855, 8x14 cm
Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.2001, cliché Quentin Despond
- 6 Reproduite dans Charles Robin, Histoire illustrée de l’Exposition universelle par catégories d’ind (...)
- 7 Gustave Julliot, « L’art industriel. Une visite chez Tahan », in La chronique des arts et de la cu (...)
3Parmi les premiers dessins d’Eugene Dock, ceux annotés de la mention « Tahan 1854 » ou « Tahan 1855 » correspondent à une période de travail de l’artiste pour la maison du même nom, qui fut l’une des ébénisteries officielles de Napoléon III. C’est avec cette entreprise que Dock participe à l’Exposition universelle de Paris en 1855. A cette occasion, il dessine plusieurs éléments qui figurent dans le stand des plus belles réalisations de la maison, par exemple plusieurs modèles de coffrets en bois (voir 1re ill.). Il exécute également une mise au carré d’un meuble à double corps (voir ill. ci-dessus). Toujours dans ce cadre, il semble que Dock participe à l’élaboration d’un objet plus important : un meuble rassemblant un bénitier en partie haute et un prie-Dieu en partie basse. L’artiste fournit une étude préparatoire assez aboutie (voir ill. ci-dessous) pour la partie supérieure de cette pièce, mais la version réalisée6 comporte quelques modifications par rapport au projet initial. Sur son dessin primitif, Dock avait installé les anges qui tiennent le bassin debout, alors qu’ils sont accroupis sur l’objet réalisé. Serait-ce donc une œuvre conçue à plusieurs mains ? A moins que le projet d’Eugene Dock n’ait pas été retenu au profit d’une autre proposition d’un dessinateur de l’entreprise. En revanche, il est certain que Dock garde en mémoire (et en dessins) ces formes qu’il a élaborées pour pouvoir les remobiliser lors de commandes privées futures. Quelques années plus tard, la presse contemporaine encense les qualités de l’entreprise. Apres une visite au magasin Tahan, Julliot déclare dans La Chronique des Arts et de la Curiosité que l’ébéniste est « l’un de ces fabricants qui devancent la mode et donnent le ton au lieu de le subir »7.
Eugene Dock, Projet de bénitier, 1855 ( ?), 48x51 cm
Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.1990, cliché Quentin Despond
- 8 Lettre écrite à Paris le 3 septembre 1857, collection privée
4Tout au long de sa vie, Dock va collaborer avec d’autres artistes dans le cadre de projets communs. Peu après cette première expérience parisienne, il s’associe avec son ami Théodore Deck, un céramiste originaire de Guebwiller qui crée avec son frère un atelier à Paris en 1856. Depuis la fin du mois d’aout 1857, Deck n’a plus de commandes en cours et aimerait poursuivre des projets alors inachevés avec Dock. Le céramiste déclare ainsi dans une lettre adressée à son ami au début du mois de septembre : « Parlons un peu de nos affaires que je viens de reprendre »8.
Eugene Dock, Dessin d’une cruche pour Theodore Deck, 1857 ( ?), 23x13,5 cm
Cliché et coll. Guebwiller, Musée Théodore Deck et des pays du Florival, inv. D-995.1.9
- 9 Ibid.
5De fait, les deux hommes s’associent pour l’élaboration d’une cruche dont le dessin a déjà été fourni à Deck par Dock (voir ill. ci-dessus). Celle-ci se caractérise par une base bombée comportant des décors géométriques, alors que le col cylindrique est agrémenté d’un phylactère. Une version réalisée de cette cruche (voir ill. ci-dessous) est de couleur marron, crème et bordeaux. Elle comporte l’inscription « Freundschaft » (amitié) et est signée de deux « D » entrelacés se rapportant aux initiales des noms de famille des deux amis. En somme, une « cruche de l’amitié » qui scelle l’attachement des artisans, mais aussi l’entraide mutuelle, telle une corporation médiévale. Par la suite, Deck va décliner ce même modèle de cruche en plusieurs coloris, dont une en gris qui est aussi évoquée dans la lettre de septembre 1857. Deck y affirme : « Le gris rehaussé par un gris plus foncé est devenu d’un ton superbe […] Je vois une fois de plus quel bel avenir pourrait avoir notre partenariat, si nous avons le bonheur, comme je l’espère, de pouvoir nous y appliquer tous les deux »9. La volonté de coopérations futures du céramiste reste pourtant vaine. Rapidement à l’étroit dans leur atelier parisien, les frères Deck, qui souhaitent s’associer à Eugene Dock pour louer des locaux plus grands, finissent par abandonner le projet devant le silence de ce dernier.
Eugene Dock et Théodore Deck, Cruche, 1859, 32x20 cm

Cliché et coll. Guebwiller, Musée Théodore Deck et des pays du Florival, inv. D-995.1.10
- 10 Voir notamment, à ce sujet, l’article de Marianne Lepage p. 31
6Au cours de sa carrière, Eugene Dock collabore avec nombre d’autres de ses contemporains, notamment avec Émile Reiber pour sa revue l’Art pour tous, avec l’architecte Édouard Roederer à qui il fournit le dessin d’exécution du monument aux morts de 1870 à Strasbourg10, ou encore avec le peintre François Ehrmann qui lui commande des modèles pour des bordures de tapisseries en 1879. Enfin, Dock s’adonne tant au portrait, pour représenter sa famille, qu’au paysage lors de sorties dans la campagne avec son groupe d’amis.
Notes
1 La production (dessinée, comme réalisée) d’Eugene Dock fait actuellement l’objet d’une thèse de doctorat en histoire de l’art par l’auteur de ces lignes, afin de pouvoir étudier son œuvre dans son ensemble ainsi que de connaître plus précisément les relations entre les artistes alsaciens à Paris au 19e siècle.
2 Gérard Cames, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, tome II, fascicule n° 8, Strasbourg, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 1988, p. 669
3 Encyclopédie de l’Alsace, tome IV, Strasbourg, Publitotal, 1983, p. 2393
4 Florian Siffer, « Eugene Dock dans les collections du Cabinet des estampes et des dessins », in Musée Bartholdi (éd.), Eugene Dock, un ami d’Auguste Bartholdi, cat. d’exp., 15 octobre 2021-15 septembre 2022, Musée Bartholdi, Colmar, I. D. Éditions, 2021, p. 59
5 Ingénieur de métier, Emile Beringer (1840-1881) meurt lors d’une mission d’exploration avec le colonel Flatters dans le Sahara en 1881.
6 Reproduite dans Charles Robin, Histoire illustrée de l’Exposition universelle par catégories d’industries avec notices sur les exposants, 1855, p. 148.
7 Gustave Julliot, « L’art industriel. Une visite chez Tahan », in La chronique des arts et de la curiosité, n° 3, 15 décembre 1861, p. 2
8 Lettre écrite à Paris le 3 septembre 1857, collection privée
9 Ibid.
10 Voir notamment, à ce sujet, l’article de Marianne Lepage p. 31
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Eugene Dock, Projet de coffre, 1855, 22x13 cm |
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Crédits | Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.2002, cliché Quentin Despond |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6157/img-1.JPG |
Fichier | image/jpeg, 1,8M |
Titre | Eugene Dock, Mise au carré d’un meuble à double corps, 1855, 8x14 cm |
Crédits | Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.2001, cliché Quentin Despond |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6157/img-2.JPG |
Fichier | image/jpeg, 1,8M |
Titre | Eugene Dock, Projet de bénitier, 1855 ( ?), 48x51 cm |
Crédits | Coll. Strasbourg, Cabinet des estampes et des dessins, inv. 77.2019.0.1990, cliché Quentin Despond |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6157/img-3.JPG |
Fichier | image/jpeg, 1,8M |
Titre | Eugene Dock, Dessin d’une cruche pour Theodore Deck, 1857 ( ?), 23x13,5 cm |
Crédits | Cliché et coll. Guebwiller, Musée Théodore Deck et des pays du Florival, inv. D-995.1.9 |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6157/img-4.JPG |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
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Titre | Eugene Dock et Théodore Deck, Cruche, 1859, 32x20 cm |
Crédits | Cliché et coll. Guebwiller, Musée Théodore Deck et des pays du Florival, inv. D-995.1.10 |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6157/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 895k |
Pour citer cet article
Référence papier
Quentin Despond, « Les dessins d’Eugene Dock (1827-1890), un laboratoire de papier », La Revue de la BNU, 26 | 2022, 74-77.
Référence électronique
Quentin Despond, « Les dessins d’Eugene Dock (1827-1890), un laboratoire de papier », La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 23 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6157 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6157
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