Un pionnier de la photographie de nu en Alsace : Hermann Ludwig von Jan (1851-1908) entre pictorialisme et naturisme
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L’auteur remercie chaleureusement Veronika, Dorothea, Bernarda et Marcella von Jan, petites-filles d’Hermann Ludwig von Jan, pour leur aide dans ses recherches, ainsi que Christian Kempf pour le travail de reproduction photographique.
1Le nu en peinture est aussi vieux que la figuration, et la photographie de nu existe depuis les premiers daguerréotypes. Toutefois, l’arrivée du nu dans le monde de l’édition est relativement prudente et tardive. Commercialiser un livre de nu pose des problèmes que ne rencontrent pas les petites productions d’images érotiques peu couteuses, vite réalisées et qu’on diffuse en toute discrétion. Un livre demande un investissement, en temps, en argent. Il demande, paradoxalement, qu’on en fasse la publicité, alors que menacent les ennuis judiciaires. Il demande aussi un public d’acheteurs décomplexés, qui n’éprouvent pas l’embarras de leur achat. Rien d’étonnant donc à ce que ce genre de publication n’arrive que relativement tard dans l’histoire de la photographie, à la toute fin du 19e siècle, en gros au moment où les procédés de reproduction photo mécanique s’imposent sur le marché de l’impression photographique.
2De façon inattendue, et jusqu’ici peu remarquée, un photographe établi à Strasbourg, Hermann Ludwig von Jan, sera l’un des pionniers d’un genre nouveau qui va rencontrer un immense succès au 20e siècle : le livre de photographie de nu artistique.
Historien et photographe
3Von Jan naît le 22 mai 1851 à Francfort, dans une famille aisée. Son père est directeur d’une banque, et Hermann Ludwig s’installe à Vienne dans les années 1870. Il s’intéresse à la composition musicale, qu’il travaille au conservatoire de la ville. Il se marie en 1881 avec une jeune femme née en 1854, de bonne famille elle aussi, Martha von Ziegler und Klipphausen et, pour des raisons qui nous restent à ce jour ignorées, s’installe à Strasbourg. Un fils, Eduard, naîtra de leur union le 13 novembre 1885.
- 1 On trouvera une bibliographie quasi complète de sa production ici : https://www.idref.fr/11283759X
4Les annuaires d’adresses de la ville nous permettent de suivre sa trace à partir de 1882. Il y figure alors comme « Schriftsteller », écrivain, avant d’apparaître comme « Privatgelehrter », qu’on pourrait traduire par « chercheur privé », en fait un érudit non rattaché à l’université. Entre 1886 et 1901, il publie une dizaine de livres, dont beaucoup ont un rapport à la culture et à l’histoire alsaciennes1. On pourrait imaginer que, parti sur cette lancée, von Jan continue d’aligner les publications, année après année. Et pourtant non : après deux derniers livres en 1901, sa veine dans ce domaine se tarit, et il apparaît sur une autre scène, celle de la photographie amateur.
Hermann Ludwig von Jan, autoportrait, Strasbourg, 1906 (gélatino-bromure, 15x20 cm)

Coll. particulière
5La première mention de son intérêt pour ce médium nous est fournie en 1900 par le catalogue de l’exposition annuelle de la Gesellschaft zur Förderung der Amateurphotographie Hamburg. Il y apparaît comme membre de cette société, et expose six photographies, dont un nu, dans des formats inhabituels, très allongés, destinés à illustrer des livres. Ces travaux montrent déjà une belle maturité : il remporte avec eux un premier prix, dans la catégorie « Buchschmuckerei » (décoration de livres). Cette distinction lui vaut sans doute d’être remarqué par la rédaction de la revue Photographische Rundschau, qui publie début 1901 deux photos de cette série, un serpent et un oiseau, et lui ouvre ses colonnes pour la présentation d’un trépied de voyage. Son activité dès cette époque est assez importante et ses réalisations commencent à faire l’objet de comptes rendus dans les revues de photographie. En mars 1901, il expose à Groningen aux Pays-Bas. Un critique parle ainsi de son travail dans Camera Obscura :
- 2 Camera Obscura, 1901, p. 801
Le professeur von Jan est étonnamment actif dans le domaine du nu ; toutefois, il ne semble pas rechercher de belles formes ni de belles poses, mais plus particulièrement des femmes simplement nues, belles ou laides, peu importe, pourvu qu’elles soient nues. L’endroit où elles sont nues est apparemment sans importance : au milieu d’une forêt, au bord d’un fossé, etc., etc. Il y avait une femme nue dans une forêt toute bleue, elle était plus que dégoutante [en français dans le texte] ; pourquoi le jury l’a-t-il autorisée2 ?
6Cela n’empêche pas les rédacteurs de Camera Obscura de publier, en liaison avec cette exposition, six de ses photographies – deux nus et quatre animaux –, formatées dans des cartouches de formes diverses à la mode Art nouveau.
7À l’automne de cette même année 1901, on retrouve les tirages de von Jan accrochés aux cimaises de l’exposition annuelle de la Royal Photographic Society. Une fois de plus, son nu attire l’attention : l’écrivain Bernard Shaw en rend compte dans The Amateur photographer d’octobre 1901 :
- 3 Il s’agit de la photographie titrée « Betrübnis », qui sera publiée dans le volume 2 du livre de v (...)
Dans la Nouvelle galerie, il y a, au milieu d’hectares de chapellerie et de couture, une seule petite étude d’une femme entière, par le professeur Ludwig von Ian [sic], d’une riche qualité fauve-rouge, qui serait qualifiée de superbe, de magistrale, et ainsi de suite, si elle avait été dessinée par Henner3.
8D’où vient cet intérêt d’Hermann Ludwig von Jan pour la photographie ? Nous n’en savons pas grand-chose. Tout juste peut-on remarquer que ces années charnières entre la fin du 19e et le début du 20e siècle sont une période qui voit éclore un intérêt grandissant des amateurs pour ce médium. Strasbourg n’est pas en reste dans ce domaine : en 1901 naît, sous la houlette d’un groupe d’universitaires, le premier grand club alsacien de photographes amateurs, le « Photographischer Klub Strassburg ». Von Jan, même s’il n’apparaît pas dans le cercle des membres fondateurs, y adhère précocement, et dès l’été 1901 le club lui organise une petite exposition, de scènes de genre et d’animaux. Nous n’en savons pas davantage sur son intérêt pour la photographie de nus, et l’on en est réduit aux suppositions. Une chose toutefois est certaine : dès ses débuts, von Jan est perçu comme un des bons praticiens du genre. En témoigne la publication de quatre de ses photographies dans un livre paru à Paris en 1902, La photographie du nu. L’ouvrage, dirigé et publié par Charles Klary, rassemble cinq textes et cent clichés de quarante-deux photographes différents. Un des articles est signé par le professeur Gustav Fritsch, un médecin-anatomiste berlinois réputé, passionné de photographie, qui a peut-être mis en contact Klary et von Jan, à moins que ce ne soit von Jan qui ait rapproché le professeur Fritsch de Klary. Il pose la question fondamentale qui agite l’époque : « La reproduction du nu est-elle indécente ? », pour y répondre bien sûr par la négative. Avec la publication de quatre de ses photographies, von Jan est particulièrement bien servi par Klary. Seuls sept photographes ont droit à plus de trois images. Von Jan joue dans la cour des grands, ce que reconnaît volontiers le bimensuel Photographische Mitteillungen qui rend compte du livre en ces termes :
- 4 Photographische Mitteilungen, 15 novembre 1902
Le professeur v. Jan, de Strasbourg, le comte de Clugny, R. Le Begue et, dans quelques études particulièrement heureuses, Henry A. Collins, Skittereen, traitent du domaine extrêmement intéressant et important du nu en plein air. Parmi les autres collaborateurs, on peut citer P. Bergon, R. Demachy, C. Puyo, Paris ; Charle E. Semon, Cleveland ; F. Boissonnas, Geneve, et Otto Schmidt, Vienne. Le livre, illustré par plus de cent photos, peut être chaudement recommandé pour l’étude de la photographie de nus4.
Radlerin (Portrait) [Cycliste ; Mélanie von Jan].
![Radlerin (Portrait) [Cycliste ; Mélanie von Jan].](docannexe/image/6177/img-2-small480.jpg)
Phototypie, publiée dans le Katalog der Austellung kunstlerischer und wissenschaftlicher Lichtbilder veranstaltet vom Photographischen Klub Strassburg, 1906
Coll. Bnu
Les livres de nus
9Sans doute stimulé par ces premiers succès, von Jan poursuit sa carrière courant 1902 et 1903, en accumulant expositions et médailles. En mai 1902, il remporte une médaille de bronze à Graz en Autriche, et à l’automne il expose trois photographies à Londres, à la manifestation annuelle de la Royal Photographic Society. En 1903, ses œuvres sont présentées à nouveau à Graz, à Nice dans une exposition consacrée exclusivement au nu, à Dresde, à Brême ou il remporte une médaille de bronze, à Saint-Pétersbourg et à deux reprises à Hambourg. Le catalogue de l’exposition de mars à Hambourg reproduit sa photo « Schmerz », un nu partiellement drapé, et celui de l’exposition d’automne publie sa photographie « Studie (Diana) ». L’accueil critique de son travail est divers, parfois mitigé, parfois enthousiaste. Matthies-Masuren, photographe pictorialiste et chroniqueur de la revue Photographische Kunst, note ainsi en 1903 :
- 5 Die photographische Kunst im Jahre 1903. Ein Jahrbuch fur kunstlerische Photographie, p. 44
Les nus ou “études” du professeur v. Jan, Strasbourg, dont la presse quotidienne a fait l’éloge, ne nous ont pas fait une impression particulièrement favorable […] Nous n’avons pas pu déterminer pourquoi ces prises de vue, qui rappellent à plusieurs reprises les positions théâtrales d’un Puyo, d’un Brémard et d’autres amateurs français similaires, ont été tant louées par la presse5.
10Le nu exposé à Nice trouve toutefois plutôt grâce aux yeux du même critique qui en parle en ces termes :
- 6 Ibid., p. 59
Le professeur von Jan, de Strasbourg, avait exposé un magnifique tableau d’une grande femme nue, qu’il fallait qualifier de chaste dans tous les sens du terme6.
11À Dresde, son jugement reste à nouveau assez prudent :
- 7 Ibid., p. 138
Le professeur Jan (Strasbourg) a de nouveau exposé un certain nombre de ses célèbres photographies de nus féminins […] J’ai rencontré pour la troisième fois les mêmes images du professeur Jan, et j’ai trouvé à nouveau confirmation de mon premier jugement : des photographies en partie de bon gout, réalisées avec habileté, de jeunes filles déshabillées, plus ou moins bien faites7.
- 8 Photographische Mitteilungen, 1903, p. 114
12Concernant les photographies présentées par von Jan à l’exposition d’automne de Hamburg, les Photographische Mitteilungen jugent quant à elles qu’elles sont « réalisées avec une habileté raffinée dans le style français »8.
13C’est donc avec une réputation bien établie qu’il sort en 1904 un livre novateur : Das lebende Modell. À cette date, moins d’une vingtaine de livres de nus féminins ont été publiés en Allemagne. Et si l’on y va voir de plus près, leur approche est de nature soit plastique, soit scientifique. Dans le domaine du nu plastique, un certain nombre d’ouvrages proposent des vues académiques, dans le sillage des artistes, peintres ou sculpteurs. Un titre récurrent est Der Aktsaal, littéralement « la salle de nu, la salle de pose ». Parmi les livres « scientifiques », l’un des plus célèbres est un ouvrage médical du Dr C. H. Stratz, Die Schonheit des weiblichen Korpers, publié à Stuttgart en 1898 – une publication, comme l’indique le sous-titre, « destinée aux mères, aux médecins et aux artistes ». Dans une veine plus anthropologique, Paul Schultze-Naumburg publie en 1901 Die Kultur des weiblichen Korpers als Grundlage der Frauenkleidung, dont le but est de prouver que « les principes de base de l’ensemble de notre habillement féminin […] reposent sur des conceptions erronées… » Nu plastique, scientifique ou anthropologique, on le voit, le genre est timidement présent dans l’édition allemande à la fin du 19e siècle, mais un type de nu manque encore : le nu « artistique ».
- 9 Hans Hildenbrand est un pionnier de la photographie en couleur, bien connu pour ses autochromes de (...)
14C’est cet espace que vient occuper en 1904 le livre de von Jan, Das lebende Modell, publié en deux volumes chez A. Schumann à Leipzig. Il ne s’agit pas cette fois d’un livre de texte illustré par des photographies, mais de deux albums de nus, introduits par une présentation de quatre pages signée par un grand historien de l’art, le professeur Bruno Meyer, lui-même passionné de photographie. Le premier volume rassemble vingt photographies de von Jan, le second sept de Hans Hildenbrand9 et treize de von Jan. Même si de nombreux photographes en Europe pratiquent le nu, un genre courant dans le mouvement pictorialiste, aucune des stars du mouvement n’a publié à cette date un album de nus féminins sous son seul nom. Le livre est aussi exceptionnel dans sa matérialité. Le format est très grand (40x30 cm), les photographies sont collées sur des planches cartonnées de couleur sombre et protégées par des serpentes à motif. Quant aux images, elles sont tirées en « duplex autotypie », un procédé deux couleurs, le texte étant imprimé sur de grandes feuilles de papier déchiré de forte épaisseur. Tout contribue à faire du livre un objet de luxe.
15Von Jan, pourtant, ne se contente pas de la sortie de cet ouvrage d’exception. Cette même année 1904 paraissent en effet trois autres publications, de façon à peu près simultanée, qui font la part belle à ses nus. Notons tout d’abord un livre de deux cent vingt-huit pages sur papier glacé, Weibliche Schonheit : kritische Betrachtungen uber die Darstellung des Nackten in Malerei und Photographie (voir ill. ci-dessous). On retrouve dans cette nouvelle publication, qui paraît à Stuttgart chez Klemm et Beckmann, la signature du Dr Bruno Meyer, accompagnée d’une préface de Ludwig Schrank, conseiller gouvernemental et fondateur de la revue viennoise Photographische Correspondenz. Cette fois, le texte de Bruno Meyer ne commente pas les photographies de von Jan : le livre est un essai, en vingt-et-un chapitres, sur la représentation du nu dans la peinture et la photographie. Von Jan en est l’illustrateur, avec soixante-deux photographies colorisées, dont une partie est commune à Das lebende Modell. Il s’agit de vues faites en studio, dans des ateliers de peintre et en plein air, avec un ou plusieurs modèles. La couverture est illustrée non pas d’une photographie, mais d’un dessin au trait, qui représente deux jeunes femmes nues assises sur un rocher en forme de crâne géant. L’une tient un appareil photo à soufflet, tandis que l’autre, derrière elle, tient à la main une palette et pointe un pinceau en direction d’un sujet invisible, comme une baguette de chef d’orchestre : la photographie travaillant sous la houlette de la peinture, formidable allégorie du pictorialisme…
Weibliche Schonheit

Kritische Betrachtungen uber die Darstellung des Nackten in Malerei und Photographie von Dr. Bruno Meyer, Professor der Kunstgeschichte, mit malerischen Aktstudien von Professor Hermann Ludwig von Jan und einer Einleitung von Regierungs-Rat Ludwig Schrank, Stuttgart, Verlag Klemm und Beckmann, 1904, 27,3x17 cm, 228 pages. L’ouvrage montre 62 photographies colorisées de H. L. von Jan
Coll. Bnu
- 10 Cf. notamment les nombreuses publicités et offres promotionnelles dans le mensuel américain Photo- (...)
- 11 Photographische Correspondenz, janvier 1904, p. 40
- 12 Photo-Era, février 1904
- 13 Photographische Mitteilungen, juillet 1904, p. 205 et suiv.
16La sortie de l’ouvrage est soutenue par une importante campagne d’annonces publicitaires dans la presse spécialisée, en Allemagne bien sûr, mais aussi à l’étranger, en France et aux États-Unis10. Avec pareille médiatisation, le livre ne peut échapper aux radars de la critique, qui en rend compte largement. La rédaction de Photographische Correspondenz ouvre le bal dans son numéro de janvier 1904 en apportant un soutien sans faille à la publication. Il est vrai que le fondateur et rédacteur en chef du mensuel, Ludwig Schrank, est aussi le préfacier de l’ouvrage, et que Bruno Meyer, l’auteur du texte, est un collaborateur régulier de la revue11. En février, le mensuel américain Photo-Era met en perspective l’intérêt du livre par rapport aux publications antérieures et souligne la valeur du travail de von Jan12. En juillet, c’est au tour des Photographische Mitteilungen d’insister sur le sérieux de l’entreprise, tout en égratignant le parti-pris de coloriser certaines photographies13.
- 14 Il s’agit essentiellement de photographies de René Le Begue, et de quelques images de Guglielmo Pl (...)
- 15 Une nouvelle édition sortira en 1911, également sous forme de fascicules.
17Mais à peine l’ouvrage est-il lancé qu’une nouvelle publication part à la conquête du marché français. Des juin 1904 sort en effet une traduction de Weibliche Schonheit, sous le titre La grâce féminine (voir ill. ci-dessous). L’édition est assurée par la Librairie d’art technique à Paris, en vingt fascicules dont la sortie est échelonnée du 8 juin 1904 au 25 mars 1905. La publicité insiste sur le luxe de la publication due à « la grande érudition de M. Bruno Meyer, professeur d’esthétique » et sur les « merveilleuses études académiques, reproduites en couleurs par des procédés typographiques nouveaux » du professeur von Jan. Cette fois encore, le nombre de photographies publiées est en augmentation : Das lebende Modell montrait trente-trois photographies de von Jan, Weibliche Schonheit en proposait soixante-deux, mais La grâce féminine en rassemble cent soixante, que viennent compléter dans les dernières livraisons cinquante-six photographies supplémentaires de divers auteurs, dont les noms, en dehors de Hans Hildenbrand, ne sont pas mentionnés14. Si le nombre des photographies de von Jan a largement augmenté d’un livre à l’autre, son répertoire aussi s’est enrichi de nouvelles photographies, essentiellement des images faites en plein air : en Alsace aux châteaux de Ribeauvillé, mais surtout dans les paysages enneigés des Alpes15.
La grâce féminine, Paris

Librairie d’art technique, 1er février-15 novembre 1911. 20 livraisons, 28,5x18,5 cm, 320 pages. Réédition de l’édition initiale en 20 fascicules publiés du 8 juin 1904 au 25 mars 1905
Coll. Bnu
18Le quatrième ouvrage de von Jan à paraître en 1904 est publié sous deux titres : Weibliche Grazie et Die Korperschonheit des Weibes, dont le contenu toutefois est identique. Il s’agit d’une édition en cinq volumes, chez Klemm et Beckmann, dans l’esprit du livre Das lebende Modell, avec des photographies collées sur des cartons de couleur sombre et protégées par des serpentes à motif. L’aspect luxueux est renforcé par un ruban qui relie le dos de la couverture cartonnée. Côté textes, Bruno Meyer et Ludwig Schrank sont à nouveau de la partie. S’y ajoutent un petit essai du Dr Gustav Fritsch, qui signait déjà un texte dans le livre de Klary, une contribution du peintre et critique Eduard Daelen et une autre d’un certain Konrad Wahr. Comme pour La grâce féminine, il s’agit d’un ouvrage collectif, lancé à grand renfort de publicité. Huit photographes y sont invités, dont plusieurs étaient présents dans le livre de Klary : von Jan signe trente-huit photographies, Achille Lemoine et René Le Begue vingt-cinq chacun, Guglielmo Plüschow cinq, le marquis Charles de Clugny quatre, tandis qu’Otto Schmitt, Ernst Schneider et Hans Hildenbrand sont représentés par une seule photographie. En quelque sorte, le gratin de la critique d’art et de la photographie de nu à l’époque…
Diana (autotypie, 12x18,8 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm).

Publié dans Weibliche Grazie, vol. 5, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. IV (« Fächer-Studie : Diana »), dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 287 (« Étude d’éventail : Diane ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 35 (« Fächer-Studie : Diana »)
Coll. Bnu
19Enfin, comme si cette frénésie éditoriale ne suffisait pas à son bonheur, von Jan va également changer de vie en cette année 1904, en se remariant à une jeune Alsacienne de Lautenbach-Zell, Mélanie Klein. Von Jan est veuf depuis 1894. Il va régulièrement se promener dans les Vosges avec son fils Eduard et loge souvent dans la ferme tenue par les parents de sa future épouse, qui est à peine plus âgée que son fils. Il s’amourache de Mélanie, l’envoie à Londres pour y parfaire son éducation et la rejoint pour l’épouser le 25 aout 1904. À l’occasion de leur voyage de noces à travers l’Angleterre, Hermann et Mélanie découvrent l’archipel des îles Scilly – les Sorlingues –, à la pointe de la Cornouaille. C’est le coup de foudre pour ce bout du monde, aux paysages de paradis et aux tempêtes redoutables, un coup de foudre qui va engager leur vie et sceller le destin de von Jan.
Scilly connection
- 16 Une troisième édition, également en 2 volumes ou 25 livraisons, sera proposée en 1906.
20Cette salve de publications trouve sans doute son public, car un nouveau livre de nus de von Jan sort en 1905. Il s’agit d’une réédition de Weibliche Schonheit, en deux volumes ou en vingt-cinq livraisons, à nouveau chez Klemm et Beckmann à Stuttgart16. L’ouvrage, comme La grâce féminine, présente un contenu très largement augmenté par rapport à la première édition de 1904. Von Jan partage le premier tome avec René Le Beguen qui a droit à quarante-quatre photos, von Jan lui-même en présentant quatre-vingt-onze. Dans le deuxième tome, c’est toujours von Jan qui tient la corde avec quarante- cinq photographies, les autres images se répartissant entre Le Begue (vingt-neuf), Ernst Schneider (dix-huit), W. Hartwig (treize), Egbert Falk (six) et Oliver Lippincott (trois). La plupart des photographies ne sont pas nouvelles, elles ont déjà été publiées dans les livres de 1904.
Toilette (autotypie, 16x11 cm).

Publié dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 2, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 263
Coll. Bnu
- 17 Voir notamment The photographic journal, organe de la RPS, mars 1907, page 163 et suiv.
21Cette année 1905 va encore être marquée par une activité débordante : von Jan participe aux expositions du Photo-Club de Paris, du Wiener Photo-Club, il est présent à Marseille, Darmstadt, Brême, Gênes et retourne en Angleterre dès le mois de mai pour un nouveau séjour aux îles Scilly. Lui et Mélanie se sont liés d’amitié avec Charles James King, le droguiste et photographe de St Mary’s, ou ils logent. Membre de la Royal Photographie Society (RPS), grand producteur de cartes postales de mer déchaînée, King vend à von Jan ses produits photo et lui prête sa cave transformée en laboratoire. C’est sans doute lui aussi qui fait admettre von Jan dans les rangs de la royale société au cours de cette même année. Mais deux autres photographes encore incitent peut-être von Jan à revenir ici : Alexander Gibson, chasseur d’épaves, maillon de quatre générations de photographes installés à Scilly et à Penzance, à la pointe de la Cornouaille, et Francis Mortimer, un photographe pictorialiste dont la réputation est déjà bien établie, habitué lui aussi des Sorlingues et membre également de la RPS17. Von Jan partage avec eux, outre le gout de la photographie, celui des paysages de mer, des tempêtes et des vagues, autant de sujets dont ses homologues locaux se sont fait une spécialité.
Gefahrlicher Platz (Lieu dangereux ; autotypie, 11x16 cm).

Publié dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 2, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 269 ; également dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 269 (« Situation périlleuse »)
Coll. Bnu
La grande exposition de Strasbourg en 1906
22Une entreprise nouvelle va encore mobiliser fortement von Jan au cours de cette année : la préparation avec le club photo de Strasbourg d’une grande exposition qui se tient du 25 mars au 30 avril 1906 à l’« Alte Schloss », l’actuel palais Rohan (voir ill. ci-dessous). Cette exposition est un événement majeur pour le club, qui s’est créé en 1901. Elle l’est aussi pour von Jan, qui en est le maître d’œuvre et y présente deux cents photographies, dont certaines de très grand format : un quasi « one-man-show » et une véritable rétrospective de son travail. Auréolé de ses admissions dans les grandes sociétés d’amateurs, de ses multiples expositions et de son imposante bibliographie, von Jan signe la couverture et la mise en page du catalogue, qui reproduit une vingtaine de ses photographies. Il y publie aussi un petit article, « Zur Photographie des Nackten », dans lequel il souligne la difficulté de la photographie de nu :
- 18 Katalog der Ausstellung kunstlerischer und wissenschaftlicher Lichtbilder veranstaltet vom Photogr (...)
Notre exposition, y conclut-il, donnera l’occasion de juger si et dans quelle mesure l’art de la photographie est capable de surmonter dans ce domaine les insuffisances inhérentes à sa nature pour atteindre les plus hauts résultats artistiques. Puisse-t-elle également contribuer à dissiper les préjugés auxquels cet aspect de son activité est souvent confronté18.
23Autant de précautions oratoires qui ne sont peut-être pas inutiles pour le public strasbourgeois encore peu habitué à voir des photos de dames dénudées dans les salons du palais Rohan…
La grande exposition strasbourgeoise au palais Rohan, 1906.

Hermann Ludwig von Jan est assis à gauche, en compagnie d’autres membres du Photographischer Klub Strassburg, au milieu de ses photographies. On reconnaît notamment, au-dessus de lui, un tirage de sa photographie « Nach dem Bade » et sur le mur, face à lui, un portrait de son épouse Mélanie en cycliste. Carte postale, 9x14 cm
Coll. particulière
24Les Strassburger Neueste Nachrichten consacrent bien sur un long article aux photographies de von Jan dans leur édition du 27 mars 1906 :
- 19 Strassburger Neueste Nachrichten, 27 mars 1906. L’article consacré à von Jan est extrêmement long (...)
Le point central de l’exposition, par le nombre et la richesse des sujets, ainsi que par la hauteur artistique de ce qui est proposé, est la collection du professeur von Jan [...] Pour commencer par le plus difficile, le nu, l’offre est parfois tout à fait excellente […] C’est encore plus vrai pour les nus pris en pleine nature, ou le nu est parfois le sujet principal, alors que dans d’autres, il ne sert que d’accessoire. C’est en relation avec la mer que le nu semble le plus naturel, car l’idée de la baignade constitue une certaine motivation pour lui ; il en va de même pour certains paysages idéaux, alors que les corps nus en haute montagne sont quelque peu inhabituels pour notre sensibilité…19
Scilly islands, silly accident
- 20 Voir les photographies primées dans Die Schonheit, Verlag der Schönheit, Berlin, 1909, p. 3 (1er p (...)
- 21 Voir notamment le portrait de von Jan et la photographie des Sorlingues par E. O. Hoppé, publiés d (...)
25L’exposition met en lumière une nouvelle série de photographies, qui n’avaient été ni exposées, ni publiées précédemment. Apres les grands paysages des Alpes, von Jan a en effet découvert une nouvelle source d’inspiration pour ses nus en plein air : la mer et les côtes rocheuses des îles Scilly, ou les jeunes mariés, l’exposition achevée, séjournent jusqu’au début de l’automne. Von Jan, en Pygmalion attentionné, enseigne la photographie à son épouse Mélanie. Leur « chasse photo » est parfois aventureuse : Mélanie raconte dans un courrier à son beau-fils Eduard comment, alors qu’ils faisaient des photos avec une lourde chambre 24x30, ils ont failli être emportés par la marée… Cet espace géographique du bout du monde et les amitiés qu’ils y cultivent prennent année après année une place grandissante dans la vie de von Jan et de son épouse : ils se sont rendus aux Sorlingues chaque année depuis leur mariage, et y retournent en 1907 et 1908. Von Jan y réalise des nus, qu’il envoie dans le cadre des concours du mensuel Die Schonheit, dont le fondateur, Karl Vanselow, patron de la maison d’édition du même nom, est un militant infatigable de la culture du corps libre et du naturisme. Le succès est au rendez-vous : l’une de ses images, une jeune femme nue couchée sur les rochers en bord de mer, remporte en 1907 le premier prix, doté de 300 marks (voir ill. ci-dessous)20. Lors de ces voyages, von Jan entre également en contact avec un autre photographe, Emil Otto Hoppé, qui lui aussi fréquente les Sorlingues et fera par la suite une brillante carrière21. À l’une ou l’autre de ces occasions, Hoppé réalise un portrait de von Jan, qui est exposé en 1907 lors de la manifestation annuelle de la Royal Photographic Society.
Auf der Klippe (Sur le rocher ; autotypie, 10,3x17,8 cm).

1er prix du concours photo 1907 organisé en 1906 par le mensuel Die Schonheit. Publié dans Die Schonheit, vol. 6, Berlin-Leipzig-Wien, Verlag der Schönheit, 1909, p. 3 ; également dans Ideale Nacktheit, vol. 1, Dresden-Werder, Verlag der Schönheit, 1914, p. 18
Coll. Bnu
- 22 Cf. Amanda Martin, Viewing the past : the photographic heritage of the isles of Scilly, Isles of S (...)
26En 1908, dès le printemps, comme chaque année, le couple retourne à St Mary’s. Courant septembre 1908, von Jan raccompagne à Londres son épouse qui rentre chez eux. Sans doute le couple se rend-il à la New Gallery, Regent Street, pour assister à l’inauguration de l’exposition annuelle de la Royal Photographic Society, ou Mélanie expose pour la première fois deux photographies. Elle part seule ensuite pour Munich, tandis que von Jan reste aux Sorlingues. Le 13 octobre, c’est le drame. Alors qu’il est sorti pour traquer la vague, et peut-être faire des photographies de nu, si l’on en croit le témoignage de Molly Mortimer, la fille du photographe Francis Mortimer, son chapeau est repéré, flottant sur les vagues, par une jeune femme qui l’accompagne, Rosa Wolff22. Elle court chercher des secours, on part à la recherche du disparu. Le lendemain, on découvre le corps de von Jan, échoué sur la plage de Porthcressa, sa chambre photographique couchée à ses côtés. Sa passion l’a emporté. La presse anglaise, les Strassburger Neueste Nachrichten et de nombreux titres de journaux photo rendent largement compte de sa disparition. Mélanie revient à St Mary’s pour enterrer son mari. Son ami C. J. King lui rendra un touchant hommage, en novembre 1908, dans le journal de la Royal Photographic Society :
Il était connu dans toute l’Europe comme un photographe de premier plan, ayant obtenu les plus hautes récompenses lors de toutes les expositions sur le continent et au Salon de Paris, ou son travail a toujours été accepté. Dans sa vie privée, il était un homme très attachant, calme, doux et modeste, mais plein de force, un ami de toujours et quelqu’un qui n’avait pas d’ennemis.
Postérité
27Que retenir de cette courte carrière ? D’abord que ses livres méritent d’inscrire le nom d’Hermann Ludwig von Jan dans l’histoire de la photographie. Das lebende Modell est un ouvrage pionnier, qui ouvre la voie à un genre majeur de la photographie, le nu artistique. Alessandro Bertolotti, dans son Livres de nus qui accompagnait une exposition de la Maison européenne de la photographie en 2009, ne s’y trompe pas, en soulignant son importance – à ceci près qu’il en attribue le mérite à Hans Hildenbrand, auteur de sept photographies sur quarante, et mentionne à peine le nom de von Jan, qui en est le principal auteur. Le deuxième ouvrage « de prestige » de von Jan, Weibliche Grazie, ou il est associé à d’autres photographes tout y en gardant la vedette, a encore une autre portée : directement ou indirectement, à travers son réseau de critiques et d’éditeurs, von Jan y offre à deux grands praticiens français du nu pictorialiste, Achille Lemoine et René le Begue, leur première édition d’art. Au moment de la sortie de Weibliche Grazie, Lemoine n’a en effet publié aucun livre sous son nom. Quant à René Le Begue, ses deux ouvrages édités par Charles Mendel – Douze petites études de femmes sorti en 1896 et Le nu et le drape en plein air en 1898 – sont plus techniques qu’artistiques. C’est bien dans ce livre publié en Allemagne qu’ils accèdent pour la première fois au statut d’auteurs à part entière, avec vingt-cinq photographies chacun et leur nom sur la couverture.
Sonnenblicke (Rayons de soleil ; autotypie, 12x15,5 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm).

Publié dans Weibliche Grazie, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans La photographie du nu, de C. Klary, Paris, C. Klary, 1902, p. 32 (« Baigneuses »), dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. 141, dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, [p. IV] (« Lueurs de soleil ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 13
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28Deuxième fait remarquable, l’approche du nu par von Jan est assez novatrice. Alors que les images des photographes avec lesquels il partage les publications qui suivent Das lebende Modell restent très mises en scène, et que leurs modèles sont souvent affublés de fleurs dans les cheveux ou de tissus vaporeux, von Jan finit par abandonner tout accessoire, pour représenter ses modèles dans leur plus simple appareil. Par ailleurs, il quitte progressivement le studio, et fait poser ses modèles dans la nature, au milieu des prairies, au bord de rivières, en haute montagne et à la mer, pour combiner deux genres : le nu et le paysage. Un article d’un magazine anglais, dans un compte rendu de l’exposition strasbourgeoise de 1906, souligne de façon judicieuse l’originalité et la difficulté de ce travail :
- 23 Photograms of the year 1906, London, Dawbarn & Ward Ltd, p. 42 et suiv.
Son dernier travail, le plus ambitieux, est l’étude du nu parmi les plus grandes scènes de la nature. Le cadavre d’une jeune fille noyée sur fond d’éléments déchaînés, des baigneuses surprises sur fond de toute la grandeur des Alpes, une alpiniste au milieu de pics déchiquetés, vêtue seulement d’un alpenstock et d’un filet pour les cheveux, tels sont les sujets auxquels le professeur consacre son temps et, franchement, nous pensons qu’il tente l’impossible, qu’il essaie de combiner l’incompatible. En même temps, si quelqu’un peut réussir avec un tel matériel, van Jan [sic] est l’homme qu’il faut…23
29Cette pratique du plein air devient d’ailleurs sa signature après sa découverte des îles Scilly : ses photographies ne montrent plus que des femmes à la mer, assises sur des rochers, face aux vagues, créatures naturelles au milieu de la nature sauvage. Sa vision du corps féminin s’inscrit peu à peu dans le mouvement allemand de la « Lebensreform » et de la « Freikörperkultur » (FKK). Comme s’il avait fait le tour du nu « artistique », il finit par privilégier le nu « naturel » : le naturisme plutôt que le pictorialisme en quelque sorte. Il initie ainsi une pratique photo étrangère à tout érotisme, bien plus que les trois photographes français que l’on désigne parfois sous le nom de « trio de nudistes », Le Begue, Lemoine et Bergon, dont le regard sur le corps est plus savant et maniériste.
Modellpause (La pause du modèle ; autotypie, 11,8x16,5 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm).

Publié dans Weibliche Grazie, vol. 4, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. 217, dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 41 (« Modèles en récréation ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunst verlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 29
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- 24 Voir notamment les livraisons des années 1909, 1910 et 1911.
- 25 Die Schonheit, Verlag der Schönheit, Berlin, 1909, p. 452
- 26 Ideale Nacktheit, Verlag der Schönheit, Dresde. Voir vol. 1 (1914), vol. 2 (1915), vol. 3 (1920) e (...)
- 27 Sans doute ces photos avaient-elles été fournies par von Jan lui-même, à l’ occasion des concours (...)
30Cette approche « brute » de la nudité continuera d’intéresser la maison d’édition Verlag der Schönheit. Peu de temps après le décès de von Jan, elle lui rendra un long hommage, abondamment illustré, dans son mensuel Die Schonheit24, le comptant parmi les « prophètes de la beauté moderne »25. Richard A. Giesecke, qui rachètera le titre et la maison d’édition en 1914, continuera d’exploiter ce fonds et publiera également quelques-uns de ses clichés dans une parution annuelle, Ideale Nacktheit26. Il diffusera encore, à partir de 1922, un grand nombre de ses nus de plein air, en partie inédits, en les proposant à la vente via un livret-catalogue, Mit Kamera und Palette, sous différents formats27. Le rédacteur du catalogue, qui reproduit, sous forme de vignettes, trente-neuf clichés de von Jan, souligne sa « maitrise dans le choix du cadre naturel dans lequel il place ses filles et femmes nues et les fait littéralement fusionner avec l’environnement ». Mais la notoriété de von Jan est déjà en déclin à cette date : l’année de son décès mentionnée dans le livret est erronée, et son nom est écorché en « van Jan ».
Brandung (Les vagues ; autotypie, 10,9x15,7 cm).

Publié dans Ideale Nacktheit, vol. 7, Dresden, Verlag der Schönheit, 1924, p. 17. La photographie y est également proposée à la vente en tirages de format 13x18 cm
Coll. Bnu
Les raisons d’un oubli ?
31Avec au moins deux cent dix photographies de nu différentes publiées dans plus d’une quinzaine de livres, la production de von Jan est considérable. Pourtant, il semble avoir été totalement oublié par l’histoire de la photographie. Comment l’expliquer ? Différents facteurs ont pu jouer. Tout d’abord, il faut bien reconnaître que von Jan n’est qu’un amateur parmi d’autres. Il est de surcroît installé à Strasbourg, dont le rayonnement culturel n’équivaut pas à celui des grandes villes de l’empire allemand. Il pratique la photographie en loisir, il n’est pas un théoricien ni un chef de file, et sa disparition précoce l’a clairement empêché de poursuivre la voie qu’il empruntait. On peut aussi se demander si le peu d’intérêt des historiens pour sa photographie n’est pas à mettre en relation avec sa place dans l’histoire de l’Alsace entre 1870 et 1918 : un artiste trop allemand pour intéresser les chercheurs français, trop expatrié pour retenir l’attention des spécialistes allemands, et de surcroît inhumé en Angleterre…
- 28 H. Snowden Word, Photogram of the year 1907, p. 7
32Il n’en reste pas moins que sa production fait de lui un pionnier, tant dans l’histoire de l’édition photographique que dans le genre nouveau du « nu naturiste ». Hermann Ludwig von Jan est incontestablement le plus important des photographes de nu ayant vécu et travaillé en Alsace, et un artiste dont l’importance dans l’histoire de la photographie va bien au-delà de sa région d’adoption. Il fait partie, comme le note un critique anglais en 1907, « de ceux qui n’ont jamais été vus à leur juste valeur par le monde qui visite les expositions »28.
Notes
1 On trouvera une bibliographie quasi complète de sa production ici : https://www.idref.fr/11283759X
2 Camera Obscura, 1901, p. 801
3 Il s’agit de la photographie titrée « Betrübnis », qui sera publiée dans le volume 2 du livre de von Jan, Das lebende Modell, dont il sera question plus loin. L’article sera repris par Camera Work en 1904.
4 Photographische Mitteilungen, 15 novembre 1902
5 Die photographische Kunst im Jahre 1903. Ein Jahrbuch fur kunstlerische Photographie, p. 44
6 Ibid., p. 59
7 Ibid., p. 138
8 Photographische Mitteilungen, 1903, p. 114
9 Hans Hildenbrand est un pionnier de la photographie en couleur, bien connu pour ses autochromes de la guerre de 1914-1918.
10 Cf. notamment les nombreuses publicités et offres promotionnelles dans le mensuel américain Photo-Era tout au long de l’année 1904, ainsi que dans la revue française L’Art photographique, avril 1904 et mois suivants.
11 Photographische Correspondenz, janvier 1904, p. 40
12 Photo-Era, février 1904
13 Photographische Mitteilungen, juillet 1904, p. 205 et suiv.
14 Il s’agit essentiellement de photographies de René Le Begue, et de quelques images de Guglielmo Plüschow, Oliver Lippincott et W. Hartwig.
15 Une nouvelle édition sortira en 1911, également sous forme de fascicules.
16 Une troisième édition, également en 2 volumes ou 25 livraisons, sera proposée en 1906.
17 Voir notamment The photographic journal, organe de la RPS, mars 1907, page 163 et suiv.
18 Katalog der Ausstellung kunstlerischer und wissenschaftlicher Lichtbilder veranstaltet vom Photographischen Klub Strassburg, 1906
19 Strassburger Neueste Nachrichten, 27 mars 1906. L’article consacré à von Jan est extrêmement long et détaillé. Il propose une véritable visite guidée des photos qu’il expose, et il n’est pas possible de le citer ici en entier. On y accède sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bd6t5420408j/f9.item
20 Voir les photographies primées dans Die Schonheit, Verlag der Schönheit, Berlin, 1909, p. 3 (1er prix du concours 1907), p. 95 (accessit du concours 1907) et p. 415 (accessit du concours 1908).
21 Voir notamment le portrait de von Jan et la photographie des Sorlingues par E. O. Hoppé, publiés dans Der Tag. Illustrierte Unterhaltungs-Beilage, édition du 24 octobre 1908, qui illustrent l’annonce du décès de von Jan.
22 Cf. Amanda Martin, Viewing the past : the photographic heritage of the isles of Scilly, Isles of Scilly museum publication, 2004, p. 28.
23 Photograms of the year 1906, London, Dawbarn & Ward Ltd, p. 42 et suiv.
24 Voir notamment les livraisons des années 1909, 1910 et 1911.
25 Die Schonheit, Verlag der Schönheit, Berlin, 1909, p. 452
26 Ideale Nacktheit, Verlag der Schönheit, Dresde. Voir vol. 1 (1914), vol. 2 (1915), vol. 3 (1920) et vol. 7 (1924).
27 Sans doute ces photos avaient-elles été fournies par von Jan lui-même, à l’ occasion des concours 1907 et 1908 du mensuel Die Schonheit.
28 H. Snowden Word, Photogram of the year 1907, p. 7
Haut de pageTable des illustrations
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Titre | Hermann Ludwig von Jan, autoportrait, Strasbourg, 1906 (gélatino-bromure, 15x20 cm) |
Crédits | Coll. particulière |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,4M |
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Titre | Radlerin (Portrait) [Cycliste ; Mélanie von Jan]. |
Légende | Phototypie, publiée dans le Katalog der Austellung kunstlerischer und wissenschaftlicher Lichtbilder veranstaltet vom Photographischen Klub Strassburg, 1906 |
Crédits | Coll. Bnu |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,5M |
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Titre | Weibliche Schonheit |
Légende | Kritische Betrachtungen uber die Darstellung des Nackten in Malerei und Photographie von Dr. Bruno Meyer, Professor der Kunstgeschichte, mit malerischen Aktstudien von Professor Hermann Ludwig von Jan und einer Einleitung von Regierungs-Rat Ludwig Schrank, Stuttgart, Verlag Klemm und Beckmann, 1904, 27,3x17 cm, 228 pages. L’ouvrage montre 62 photographies colorisées de H. L. von Jan |
Crédits | Coll. Bnu |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,8M |
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Titre | La grâce féminine, Paris |
Légende | Librairie d’art technique, 1er février-15 novembre 1911. 20 livraisons, 28,5x18,5 cm, 320 pages. Réédition de l’édition initiale en 20 fascicules publiés du 8 juin 1904 au 25 mars 1905 |
Crédits | Coll. Bnu |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,6M |
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Titre | Diana (autotypie, 12x18,8 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm). |
Légende | Publié dans Weibliche Grazie, vol. 5, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. IV (« Fächer-Studie : Diana »), dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 287 (« Étude d’éventail : Diane ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 35 (« Fächer-Studie : Diana ») |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 3,4M |
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Titre | Toilette (autotypie, 16x11 cm). |
Légende | Publié dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 2, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 263 |
Crédits | Coll. Bnu |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,6M |
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Titre | Gefahrlicher Platz (Lieu dangereux ; autotypie, 11x16 cm). |
Légende | Publié dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 2, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 269 ; également dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 269 (« Situation périlleuse ») |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,3M |
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Titre | La grande exposition strasbourgeoise au palais Rohan, 1906. |
Légende | Hermann Ludwig von Jan est assis à gauche, en compagnie d’autres membres du Photographischer Klub Strassburg, au milieu de ses photographies. On reconnaît notamment, au-dessus de lui, un tirage de sa photographie « Nach dem Bade » et sur le mur, face à lui, un portrait de son épouse Mélanie en cycliste. Carte postale, 9x14 cm |
Crédits | Coll. particulière |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 1,1M |
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Titre | Auf der Klippe (Sur le rocher ; autotypie, 10,3x17,8 cm). |
Légende | 1er prix du concours photo 1907 organisé en 1906 par le mensuel Die Schonheit. Publié dans Die Schonheit, vol. 6, Berlin-Leipzig-Wien, Verlag der Schönheit, 1909, p. 3 ; également dans Ideale Nacktheit, vol. 1, Dresden-Werder, Verlag der Schönheit, 1914, p. 18 |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,7M |
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Titre | Sonnenblicke (Rayons de soleil ; autotypie, 12x15,5 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm). |
Légende | Publié dans Weibliche Grazie, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans La photographie du nu, de C. Klary, Paris, C. Klary, 1902, p. 32 (« Baigneuses »), dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. 141, dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, [p. IV] (« Lueurs de soleil ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 13 |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 3,7M |
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Titre | Modellpause (La pause du modèle ; autotypie, 11,8x16,5 cm, sur carton noir, 19x25,5 cm). |
Légende | Publié dans Weibliche Grazie, vol. 4, Stuttgart, Kunstverlag von Klemm & Beckmann, 1904 ; également dans Weibliche Schonheit, Stuttgart, Verlag von Klemm & Beckmann, 1904, p. 217, dans La grâce féminine, Paris, Librairie d’art technique, 1904-1905, p. 41 (« Modèles en récréation ») et dans Weibliche Schonheit, 2e édition augmentée, vol. 1, Stuttgart, Kunst verlag von Klemm & Beckmann, 1905, p. 29 |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,5M |
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Titre | Brandung (Les vagues ; autotypie, 10,9x15,7 cm). |
Légende | Publié dans Ideale Nacktheit, vol. 7, Dresden, Verlag der Schönheit, 1924, p. 17. La photographie y est également proposée à la vente en tirages de format 13x18 cm |
Crédits | Coll. Bnu |
URL | http://journals.openedition.org/rbnu/docannexe/image/6177/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 2,7M |
Pour citer cet article
Référence papier
Philippe Lutz, « Un pionnier de la photographie de nu en Alsace : Hermann Ludwig von Jan (1851-1908) entre pictorialisme et naturisme », La Revue de la BNU, 26 | 2022, 88-99.
Référence électronique
Philippe Lutz, « Un pionnier de la photographie de nu en Alsace : Hermann Ludwig von Jan (1851-1908) entre pictorialisme et naturisme », La Revue de la BNU [En ligne], 26 | 2022, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 12 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6177 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6177
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