Le prix du livre
Texte intégral
1Combien coûte un livre ? Voilà une question qu’il sera sans doute intéressant de poser dans vingt-cinq ans, à une époque où (peut-être) ce support de lecture aura été rendu complètement obsolète et où le commerce de librairie ne subsistera plus que dans sa variante antiquaire. On pourra alors gloser sur ce début de 21e siècle où le sujet demeure d’actualité, où l’on se souvient encore, plus de quarante ans après, de l’importance de la loi Lang qui entre-temps a pris une dimension européenne, et où le ministère français de la Culture s’est doté d’un « médiateur du livre » qui joue un actif rôle de conseil sur toutes les questions qui peuvent concerner le secteur.
2La Revue de la Bnu a choisi, comme elle en a l’habitude, de considérer les choses sur le temps long, remontant jusqu’aux époques antiques où la notion même de livre ne recouvrait en aucun cas les réalités actuelles… mais où la pensée transmise sur un support d’écriture n’en avait pas moins son prix, un prix qu’ont façonné, au cours du temps, les évolutions techniques et sociétales et dont la longue histoire n’est que le reflet de la façon dont s’organisaient les mondes intellectuels antiques et médiévaux, ceux de la société d’Ancien Régime et ceux qu’a fait naître la révolution industrielle. Aujourd’hui en Europe, d’une observation attentive peut se dégager l’impression que le livre ne vaut plus rien, à considérer les boîtes à livres plus ou moins bien entretenues où l’on s’en débarrasse comme d’un « encombrant », ou encore ces murs purement décoratifs, dans les cafés, les hôtels ou les magasins de design d’intérieur où les volumes s’achètent au mètre (voire au kilo) et où le livre n’a plus de prix en tant que tel. Mais à côté de ces tristes constats, ce dernier continue en même temps d’être considéré comme un bien culturel d’importance, ce dont témoignent la vitalité de l’antiquariat, en boutiques comme en ligne, et aussi le fait que le commerce du livre neuf, au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire par le biais des librairies, résiste à la concurrence pour peu qu’il soit soutenu par des politiques publiques volontaristes. C’est ce que nous rappellent les exemples français et allemands analysés à la fin de ce numéro, et c’est sans doute ce qui explique que le prix du livre soit un thème de recherches toujours actuel (ne citons ici que l’ouvrage de Patricia Sorel, Les libraires, les éditeurs et la loi Lang : un combat pour le livre, 1974-2008, co-édité par l’École nationale des chartes et les Presses de l’Enssib et paru en 2021), et que la loi Lang de 1981 continue d’être un objet de débats et de réflexions, alors qu’on a fêté en 2021 son quarantième anniversaire. Pour cette raison, il nous a semblé important d’en proposer ici un historique, tant les rebondissements qui ont accompagné sa mise en œuvre en disent long sur l’évolution de nos sociétés et de nos habitudes de consommation.
3Le lecteur trouvera ainsi dans ce numéro une série de synthèses sur des aspects finalement peu connus de l’économie du livre, de l’édition et même, de façon plus générale, de l’activité intellectuelle. Car se demander combien coûte un livre, ce n’est pas seulement étudier les fluctuations de prix d’un objet, d’un « produit ». Ce peut être aussi l’occasion de réfléchir à ce que signifie, économiquement parlant, être un auteur ou un éditeur ; à ce que signifie, dans certaines circonstances, être le lecteur d’un titre donné, quand le prix de celui-ci suppose une appartenance socio-économique qui conduit à une forme de distinction sociale. Le récent scandale né de l’explosion de la bulle spéculative qu’avait montée le « système Aristophil », dont toutes les répercussions financières et juridiques n’ont pas encore trouvé leur terme, nous rappelle que le prix du livre est loin de n’être qu’un sujet technique. En dira-t-il moins sur nos sociétés dans vingt-cinq ans ? Nul ne peut l’affirmer. Pour le moment, l’économie de l’imprimé est toujours un sujet qui peut fâcher – réjouissons-nous en, puisque nous sommes encore quelques-uns à croire (pour parler comme le poète) « le bonheur possible avec lui ».
Pour citer cet article
Référence papier
Christophe Didier, « Le prix du livre », La Revue de la BNU, 27 | 2023, 7.
Référence électronique
Christophe Didier, « Le prix du livre », La Revue de la BNU [En ligne], 27 | 2023, mis en ligne le 05 juillet 2023, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/6281 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rbnu.6281
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