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Le Dossier

Musique : archives et fonds musicaux

Christophe Didier
p. 6-7

Texte intégral

1Une fois n'est pas coutume, la présentation du dossier de ce numéro va commencer avec des souvenirs personnels. L'auteur de ces lignes, Messin devenu Strasbourgeois d'adoption, se souvient des belles années des Rencontres internationales de musique contemporaine de Metz, au mitan des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt qui étaient aussi celles de son adolescence et de sa jeunesse - années où les impressions marquent et demeurent vivaces malgré la fuite du temps. Au cours de ce qui était alors un des principaux festivals français de musique actuelle, le spectacle était bien entendu d'abord sur la scène : entre premières françaises et premières mondiales, on voyait défiler (et surtout, on entendait) pendant quatre jours les œuvres des principaux protagonistes de l'époque, qui venaient à Metz et dirigeaient, donnaient des conférences ou organisaient des happenings plus ou moins spontanés : Paul Méfano, Ivo Malec, Vinko Globokar, Mauricio Kagel, Karlheinz Stockhausen et ses fameuses chemises blanches, Pierre Boulez et sa battue métronomique, John Cage suscitant un concert de « grosses cuillères » (cela se passait en Lorraine...) dans la grande salle du buffet de la gare, et le public découvrant Sirius, Répons et bien d'autres chefs-d'œuvre d'un répertoire qui peine toujours à devenir « classique », tant sa modernité et son radicalisme continuent de déconcerter. Mais le spectacle était aussi dans la salle, où un illuminé en transe dansait, quels que soient l'heure ou le morceau joué, sur les travées du premier ou du second balcon, au milieu des spectateurs ordinaires qui connaissaient l'énergumène et avaient appris à ne pas trop se formaliser de ses folies. Que dire encore de cet autre passionné, peut-être plus attaché à l'engagement social de Paul Méfano qu'à sa musique, qui un jour scanda « Méfano ! Méfano ! » à la fin d'un concert qu'il avait dû juger trop peu novateur – et à la rescousse duquel ne pouvait être appelé qu'un « progressiste » ?

2Toutes ces traces de ce qu'on appelle aujourd'hui, dans le monde académique, le « spectacle vivant », ce « caractère éphémère des représentations artistiques », pour reprendre l'expression d'un des articles de ce numéro, ne seront peut-être pas archivées. Il n'est d'ailleurs pas forcément nécessaire qu'elles le soient. Mais ce que nous montre plus d'une contribution de ce dossier, c'est que l'archivage de « la musique », entendue comme phénomène social, ne saurait se réduire à la conservation des seules œuvres et de ce qui fut longtemps leur support emblématique, la partition. On pourrait reprendre ici (en l'élargissant) la distinction opérée par les historiens du livre entre « mise en texte » et « mise en livre » : on ne lit en effet pas le même texte suivant qu'il est présenté avec ou sans illustrations, dans une édition de luxe élégamment mise en pages ou dans une édition courante aux effets graphiques minimaux, suivant qu'il est ou non accompagné du paratexte (préface, postface, avant-propos, notes...) qui parfois fait doubler sa pagination. De la même façon, c'est à chaque fois une musique différente qu'on entend, suivant qu'on l'écoute sur disque ou au concert, dans le cadre d'un festival consacré à un compositeur ou au cours de la saison régulière d'une institution municipale. Et toutes ces variations, toute cette « mise en musique » (pour reprendre l'expression de nos historiens du livre), ce sont au bout du compte les archives qui en perpétuent la mémoire.

3Et les archives musicales sont aujourd'hui en pleine mutation. Un article de ce numéro nous rappelle l'aventure du « patrimoine musical régional », lorsqu'il s'est agi, à la fin des années quatre-vingt, de sortir de l'oubli les fonds musicaux des bibliothèques provinciales et de signaler avant tout manuscrits et partitions imprimées. Ce processus, nécessaire en son temps, est aujourd'hui en passe d'être achevé, même si l'on sait qu'en la matière, il y a toujours de nouveaux fonds à découvrir. Mais ce que nous montrent les contributions ici réunies, c'est que derrière le terme générique d'archives musicales se cachent en réalité une grande diversité de supports (l'informatique et les nouvelles technologies en général, là comme ailleurs, ont apporté leur grain de sel et obligé les professionnels à reconsidérer plus d'une de leurs pratiques), comme de centres d'intérêts : si la musique, ce sont les sons, les sons vont au-delà de la musique, et la notion d'archives sonores implique tout autant le musicien ou le musicologue que le sociologue ou l'historien des médias. C'est là un vaste champ qui nous force à reconsidérer nos façons de penser. La Bnu en fait l'expérience, elle qui a récemment accueilli aussi bien des fonds de compositeurs au sens classique du terme (Méfano, Koechlin) que des ensembles plus complexes comme le fonds Abraham Moles qui combine entre autres acoustique, cybernétique, sciences de l'information et de la communication, sémiologie, sociologie ou psychologie. Tout cela nous rappelle que la musique, au fond, n'est pas un art à part, mais qu'elle est tout autant ancrée dans les réalités sociales que les autres arts. Il faut donc se donner les moyens d'archiver les nouveaux sons, tout en faisant en sorte que les anciens ne se perdent pas, et ce faisant continuent à nous parler.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Didier, « Musique : archives et fonds musicaux »La Revue de la BNU, 31 | 2025, 6-7.

Référence électronique

Christophe Didier, « Musique : archives et fonds musicaux »La Revue de la BNU [En ligne], 31 | 2025, mis en ligne le 13 juin 2025, consulté le 11 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rbnu/7582 ; DOI : https://doi.org/10.4000/144l0

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Auteur

Christophe Didier

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