Navigation – Plan du site

AccueilNuméros3Dossier thématiqueDeuxième partie : AfriquesL’extension de la protection soci...

Dossier thématique
Deuxième partie : Afriques

L’extension de la protection sociale aux salariés de l’économie informelle

Birane Thiam
p. 64-77

Résumés

L’économie informelle occupe une frange importante de la population active dans les pays sous-développés. Son analyse révèle l’inadaptation du droit positif à s’appliquer à des catégories de personnes qui sont privées de protection sociale et exposées aux risques sociaux de toutes sortes. C’est pour corriger cette situation que les États font des efforts afin d’étendre la protection sociale à travers des stratégies novatrices et des actions immédiates à mettre en œuvre.

Haut de page

Texte intégral

1La protection sociale et le secteur informel constituent deux préoccupations fondamentales pour l’humanité et un casse-tête pour les décideurs. La protection sociale, en tant que droit fondamental de l’être humain, n’a jamais connu de réelle portée universelle. Ce déficit est plus perceptible dans les pays sous-développés qui éprouvent beaucoup de difficultés à amorcer une dynamique de développement humain fondée sur la satisfaction des besoins fondamentaux.

2Le secteur informel est un secteur à caractère et à vocation économiques. Il regroupe des acteurs qui constituent un monde catégorisé et stigmatisé qui se singularise dans son mode de déploiement, considéré comme marginal par rapport aux normes sociales et économiques. Il existe dans tous les pays du monde mais avec des identités et des caractéristiques différentes. Il est beaucoup plus visible dans les pays en voie de développement où il prend des proportions alarmantes. C’est dans ces mêmes pays que le déficit de protection sociale prend toute son ampleur.

3La question de fond est de savoir : comment faire pour apporter des réponses appropriées en matière de protection sociale pour répondre aux besoins d’acteurs d’un secteur complexe, évanescent et en perpétuelle croissance ? Plus qu’un droit, l’extension de la protection sociale aux travailleurs du secteur informel peut être considérée d’emblée comme une revendication de justice sociale et non de charité.

4Au regard des textes supranationaux qui consacrent le droit à la protection sociale, il apparaît de manière claire que cela relève d’abord de la responsabilité des autorités qui président aux destinées des collectivités nationales des pays dont ils ont la charge. Pour éviter les confusions pouvant découler de la pluralité sémantique des expressions souvent utilisées, il serait opportun de procéder à une élucidation conceptuelle des termes : risque social, sécurité sociale, protection sociale, et secteur informel (I). Ensuite, sera présenté un état des lieux de la protection sociale et du secteur informel (II) et, enfin, sera abordée la stratégie d’extension de la protection sociale (III).

I - Approche conceptuelle

5La problématique de l’extension de la protection sociale au secteur informel est un thème technique et complexe. Son intelligibilité nécessite d'apporter des précisions aux expressions usuelles : « risque social », « sécurité sociale », « protection sociale », et « secteur informel ».

6Le risque social se définit d’une manière générale comme étant un évènement futur plus ou moins incertain, dont la réalisation ne dépend pas entièrement de l’individu et qui, lorsqu’il se produit, fait naître un besoin. En effet, la sécurité de l’homme a toujours été menacée par des risques sociaux nombreux et de nature diverse, parmi lesquels figurent notamment :

  • les risques résultant du milieu social : guerre, accident de la circulation, émeutes, etc. ;

  • les risques physiques résultant du milieu naturel : inondation, tremblement de terre, incendie, sécheresse, raz de marée ;

  • les risques d’ordre économique : chômage, dépréciation de la monnaie, etc. ;

  • les risques résultant de l’organisation de la famille : épouses et enfants à charge ;

  • les risques d’ordre physiologique : maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès ;

  • les risques inhérents à l’activité professionnelle : insécurité dans l’emploi, lésion corporelle occasionnée par des accidents du travail et les maladies professionnelles.

7Tous les risques sociaux, couverts par la sécurité sociale, ont un dénominateur commun : ils entraînent généralement la perte ou la réduction du revenu ou créent des charges supplémentaires. Leurs conséquences sont soit temporaires (maladie guérissable, maternité, etc.) soit permanentes (vieillesse, invalidité, décès, etc.). La sécurité sociale a été considérée comme étant la sécurité que la société fournit à ses membres par des organisations appropriées contre certains risques auxquels ils sont exposés. L’objet de la sécurité sociale est donc d’assurer une garantie, une protection ou une sécurité contre un certain nombre de risques sociaux, en créant, au profit de toutes les personnes et particulièrement des travailleurs salariés et des personnes à leur charge, un ensemble de mesures visant à prévenir la survenance d’un certain nombre d’éventualités et à organiser la garantie contre leurs conséquences lorsqu’elles ont pour effet, de diminuer, de supprimer l’activité de ces personnes, ou de leur imposer des charges supplémentaires. Cette garantie consiste essentiellement à donner à la personne protégée des moyens d’existence et une assistance médicale, par l’attribution de prestations spécialement conçues suivant les besoins résultant des conséquences du risque.

8La protection sociale se définit comme l’organisation de solidarités professionnelles, communautaires ou nationales dont le but est de garantir l’accès aux biens et services essentiels ; de conduire une politique de protection et de prévention contre les risques sociaux et naturels ; de promouvoir les capacités et les potentiels de chaque individu ; d’assurer la sécurité des biens et des investissements, condition nécessaire pour une croissance durable. Concept plus large que la sécurité sociale, la protection sociale est mue par deux logiques : une logique d’assistance, par le biais de prestations non contributives, et une logique d’assurance qui postule la prise en charge partielle des prestations par les assujettis eux-mêmes.

  • 1 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008.
  • 2 Les relations de travail ne sont pas basées sur des principes objectifs mais plutôt affectifs, voir (...)

9Le secteur informel est officiellement défini comme « un ensemble d’unités produisant des biens et des services en vue principalement de créer des emplois et des revenus pour les personnes concernées. Ces unités, ayant un faible niveau d’organisation, opèrent à petite échelle et de manière spécifique, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production. Les relations de travail, lorsqu’elles existent, sont surtout fondées sur l’emploi occasionnel, les relations de parenté ou les relations personnelles et sociales plutôt que sur des accords contractuels comportant des garanties en bonne et due forme »1. C’est un secteur caractérisé par une précarité de l’emploi, un manque d’organisation du travail et une part de « sentimentalisme »2 dans les relations professionnelles. Le secteur informel est également appréhendé sous l’angle de l’emploi. Les emplois concernés sont divers et présentent certaines caractéristiques qui permettent de les distinguer.

  • 3 BIT, La transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, Rapport V (1) du Directeur gé (...)

10En effet, dans le paragraphe 3 de la « Directive concernant une définition statistique de l’emploi informel », adopté en 2003 par la 17e Conférence Internationale des Statisticiens du Travail (CIST) : « L’emploi informel englobe : les travailleurs à leur propre compte et les employeurs occupés dans leurs propres entreprises du secteur informel ; les travailleurs familiaux collaborant à l’entreprise familiale, qu’ils travaillent dans des entreprises du secteur formel ou informel ; les salariés qui exercent un emploi informel, qu’ils soient employés par des entreprises du secteur formel ou informel ou par des ménages comme travailleurs domestiques rémunérés ; les membres de coopératives informelles de producteurs ; les travailleurs à leur propre compte engagés dans la production de biens exclusivement pour usage de leur propre ménage »3.

  • 4 D’ailleurs l’OIT a utilisé en 1972 l’expression « secteur non structuré » pour décrire ces activité (...)

11Enfin, il existe aussi d’importantes précisions sur la différence entre « secteur informel » et « économie informelle ». Dans tous les cas, qu’il s’agisse du secteur informel ou de l’économie informelle, certains spécialistes qui se sont penchés sur cette question sont d’avis que ce secteur ou cette économie occupait, à l’origine, des travailleurs dont les activités n’étaient ni reconnues, ni enregistrées, ni protégées, ni réglementées par les pouvoirs publics4.

II - État des lieux de la protection sociale et du secteur informel

A - État des lieux de la protection sociale

  • 5 Au Sommet sur le développement durable le 25 septembre 2015, les États membres de l’ONU ont adopté (...)

12La protection sociale est devenue une problématique très actuelle mais aussi une source de préoccupation pour les décideurs. Elle est devenue, ces quinze dernières années, une demande sociale de plus en plus forte des populations urbaines et rurales des pays en voie de développement. En effet, nous évoluons dans un contexte social dominé par des technologies qui favorisent la circulation de l’information. Cette diffusion internationale de l’information a permis d’attirer l’attention des peuples sur les droits fondamentaux que leur confèrent le droit international et les engagements des pays en faveur de certaines initiatives, comme le travail décent, les objectifs de développement durable5. Les progrès spectaculaires observés sporadiquement dans les pays du Nord en matière de couverture sociale ont conduit également les populations des pays du Sud à se montrer de plus en plus exigeantes envers leurs gouvernants. Elles sont convaincues que la protection sociale est un moyen efficace de lutte contre la pauvreté mais aussi un facteur important de l’amélioration des conditions de vie.

1 - La protection sociale : un droit fondamental

13L’expression « sécurité sociale » a très tôt connu une consécration juridique internationale. Elle apparaît déjà en 1880 en Allemagne dans les réformes de Bismarck. Quelques décennies plus tard, elle est inscrite à l’article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée Générale des Nations Unies qui stipule : « Toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personne, grâce à l’effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l›organisation et des ressources de chaque pays ».

  • 6 Citons encore l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culture (...)

14Cette disposition est renforcée par l’article 25 de la même Déclaration qui détaille les différents besoins de base individuels et collectifs de l’Homme, mais aussi, les différents risques contre lesquels il doit être protégé, avec une attention particulière accordée à la situation des femmes (maternité) et des enfants : « 1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. 2. La maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciale. Tous les enfants, qu’ils soient nés dans le mariage ou hors mariage, jouissent de la même protection sociale »6.

15Ces prestations seront reprises et ordonnées le 28 juin 1952 par l’OIT qui, lors de la 35e session de la Conférence Internationale du Travail, a décidé d’adopter sous forme de Convention internationale les diverses propositions relatives à la norme minimum de la sécurité sociale. Ainsi, prenait corps la Convention n° 102 (1952) qui contient neuf catégories correspondant aux différents risques sociaux dont peuvent être victimes les personnes protégées. Ces neuf « branches » sont : les soins médicaux à caractère curatif et préventif ; les indemnités de maladie en cas d’arrêt de travail résultant d’une maladie ; les prestations de chômage ; les prestations de vieillesse ; les prestations en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle ; les prestations aux familles ; les prestations de maternité ; les prestations d’invalidité ; les prestations de survivant.

16Si la prise de conscience de l’importance de la sécurité sociale comme droit fondamental de tout être humain a eu lieu au XXe siècle, les premières tentatives de mise en œuvre de la protection remontent au XIXe siècle en Allemagne et en Angleterre qui ont vu naître les premiers systèmes de protection sociale. En effet, les systèmes de protection sociale sont le plus souvent classés en deux typologies dénommées « bismarckien » ou « bévéridgien » par référence à leurs auteurs. En Afrique, la protection sociale est née avec la colonisation, qui a donné naissance aux premières institutions de sécurité sociale. Dans les États membres de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), la volonté de procéder à l’extension de la protection sociale s’est traduite par son inscription comme axe majeur dans les politiques nationales.

2. La protection sociale dans les politiques nationale et communautaire

17Conscientes du rôle positif de la protection sociale dans la protection de la dignité de la personne humaine, les autorités nationales des pays membres de l’UEMOA ont inscrit au cœur de leurs préoccupations ce droit qui figure en bonne place dans les Documents de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP). En effet, les DSRP sont des documents de politiques qui servent de référence à toutes les actions menées par les États dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, notamment les interventions en faveur des couches sociales vulnérables.

18C’est ainsi qu’au Bénin, le DSRP (2007-2009) s’est donné comme premier axe le renforcement de la protection sociale et la promotion des mutuelles de santé. Au Burkina Faso, « la Lettre d’intention de politique de développement humain durable (1995-2005) », est centrée sur le concept de sécurité humaine en permettant à chaque Burkinabè de bénéficier de la sécurité sanitaire, liée à l’accès à moindre coût à des soins médicaux préventifs ou curatifs. En Côte d’Ivoire, la Stratégie de Relance du développement et de Réduction de la Pauvreté (2009) vise à protéger les populations des risques sociaux et réduire leur vulnérabilité (y compris les personnes déplacées internes et les victimes de guerre et de violence physiques et sexuelles, les orphelins et démunis sociaux, suite à la crise). En Guinée Bissau, le Document de Stratégie Nationale de Réduction de la Pauvreté (DENARP) intègre une stratégie nationale de protection sociale des enfants destinée à réduire la vulnérabilité selon ses différentes causes. Le Mali a adopté un Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (2007 – 2011), avec comme axe prioritaire le renforcement des capacités des structures sociosanitaires (disponibilité des ressources humaines de qualité et des médicaments essentiels). Au Niger, la Stratégie de Développement Accéléré et de Réduction de la Pauvreté (2007) consacre un axe spécifique à la réduction des inégalités et au renforcement de la protection sociale des groupes vulnérables avec des mesures prioritaires, notamment le développement de la protection sociale pour les personnes défavorisées. Le Sénégal a adopté un Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (2007-2011) avec un axe dédié à la protection sociale en 4 composantes (renforcement du système formel de sécurité sociale ; extension de la couverture, protection des groupes vulnérables et prévention/gestion des risques de catastrophes). Le Togo a également adopté une Politique de Protection Sociale (PPS) dont l’un des multiples axes porte sur la mise en place des mécanismes de protection et de sécurité sociale au profit des travailleurs du secteur informel et des artisans.

19Au niveau communautaire, la problématique de l’extension de la protection sociale figure en bonne place dans les politiques mises en œuvre par l’UEMOA. Créée le 10 janvier 1994 à Dakar, l’UEMOA a pour objectif essentiel, l’édification, en Afrique de l’Ouest, d’un espace économique harmonisé et intégré, au sein duquel est assurée une totale liberté de circulation des personnes, des capitaux, des biens, des services et des facteurs de production, ainsi que la jouissance effective du droit d’exercice et d’établissement pour les professions libérales, de résidence pour les citoyens sur l’ensemble du territoire communautaire.

20Les objectifs poursuivis par l’Union sont énumérés dans l’article 4 du Traité révisé qui stipule que : « Sans préjudice des objectifs définis dans le Traité de l’UMEOA, l’Union poursuit, dans les conditions établies par le présent Traité, la réalisation des objectifs ci-après :

  • renforcer la compétitivité des activités économiques et financières des États membres dans le cadre d’un marché ouvert et concurrentiel et d’un environnement juridique rationalisé et harmonisé ;

  • assurer la convergence des performances et des politiques économiques des États membres par l’institution d’une procédure de surveillance multilatérale ;

  • créer entre les États membres un marché commun basé sur la librecirculation des personnes, des biens, des services, des capitaux et le droit d’établissement des personnes exerçant une activité indépendante ou salariée, ainsi que sur un tarif extérieur commun et une politique commerciale commune ;

  • instituer une coordination des politiques sectorielles nationales, par la mise en œuvre d’actions communes et éventuellement de politiques communes notamment dans les domaines suivants : ressources humaines, aménagement du territoire, transports et télécommunications, environnement, agriculture, énergie, industrie et mines ;

  • harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des États membres et particulièrement le régime de la fiscalité. »

21L’action de la Commission de l’UEMOA est multiforme. En ce qui concerne la mise en œuvre des initiatives pour lutter contre la pauvreté et améliorer la couverture sanitaire, la Commission de l’UEMOA et le Secrétariat Exécutif de la CEDEAO ont adopté en décembre 2006, à Ouagadougou, un DSRRP qui vise à offrir aux organisations régionales un cadre stratégique pour mieux prioriser les programmes régionaux et mieux les conjuguer avec les programmes nationaux, afin d’en maximiser les effets de croissance et de réduction de la pauvreté. L’axe 4 du DSRRP, intitulé « renforcement du capital humain et facilitation de sa mobilité à travers l’espace commun pour soutenir la croissance et la rendre aussi distributive », peut être considéré comme l’axe de référence de certains instruments juridiques adoptés par la suite en faveur du développement humain (DDH) et de la promotion du secteur informel (DDET).

22En ce qui concerne le développement humain, l’action de la Commission en matière d’extension de la couverture maladie s’est traduite par l’adoption, le 26 juin 2009, du Règlement n° 07/2009/CM/UEMOA portant réglementation de la Mutualité sociale au sein de l’UEMOA. Cet instrument traduit la volonté des autorités de l’Union de mettre en place une politique de gestion des risques sociaux en vue de favoriser l’accès aux services sociaux de base au profit des populations de l’Union. Le Règlement est un cadre qui vise à organiser ou encadrer les formes originales de solidarité, de redistribution et de mutualisation visant à étendre la protection sociale aux populations qui en sont traditionnellement exclues, notamment les artisans.

23L’article 57 du Règlement n° 07/2009/CM/UEMOA portant réglementation de la Mutualité sociale au sein de l’UEMOA rend obligatoire l’assurance des artisans salariés au régime général de sécurité sociale. Cette assurance est étendue également aux artisans non-salariés qui doivent obligatoirement être affiliés au régime social des indépendants ou des volontaires.

3 - Les difficultés

24Elles sont multiples et apparaissent presque à tous les niveaux et dans tous les pays de l’Union. D’abord, au niveau des organismes avec l’existence de plusieurs institutions chargées de la mise en œuvre de la sécurité sociale formelle au profit des salariés. Dans tous les pays de l’Union, il existe des institutions dédiées à la sécurité sociale des agents de l’État et des institutions dédiées à la protection des travailleurs du privé.

  • 7 Loi 61-33 du 15 juin 1961 portant statut général des fonctionnaires et le Décret 72-215 du 7 mars 1 (...)
  • 8 Loi 62-45 du 13 juin 1962 instituant un régime de retraite au profit des personnels non fonctionnai (...)

25Au Sénégal, les fonctionnaires de l’État7 (régis par la loi 61-33 du 15 juin 1961) sont gérés par le Fonds national de retraite (FNR) tandis que les agents non-fonctionnaires8 sont affiliés à l’Institution de Prévoyance et de Retraite du Sénégal (IPRES), qui est l’organisme qui gère la retraite des travailleurs salariés du secteur privé. Cette pluralité institutionnelle est souvent décriée par les travailleurs du secteur privé qui dénoncent la modicité des prestations de l’IPRES. Cette dénonciation est également amplifiée par la voix des agents non fonctionnaires qui considèrent leur affiliation par l’État à l’IPRES comme une discrimination.

  • 9 Décret n° 2008-156/PRES/PM/MFPRE/MEF portant approbation des statuts particuliers de la Caisse auto (...)
  • 10 Décret n° 2007-736/PRES/PM/MTSS/MEF portant statuts particuliers de la Caisse nationale de sécurité (...)
  • 11 Loi n° 91-11 du 23 mai 1991, fixant le régime des pensions civiles de militaires de la République d (...)
  • 12 Décret n° 2003-262/PR portant approbation des statuts de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale du (...)
  • 13 Loi n° 09-016 du 26 juin 2009 portant création de la Caisse Nationale d’assurance maladie (CANAM).
  • 14 ICAMO : Institut de Coordination de l’Assurance Maladie Obligatoire.
  • 15 Décret 75-895 du 14 août 1975 portant organisation Institutions de Prévoyance Maladie (IPM).

26Tous les pays de l’UEMOA connaissent ce phénomène de pluralité institutionnelle. Au Burkina Faso, on trouve la Caisse Autonome de Retraite des Fonctionnaires9 (CARFO) et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale pour les travailleurs régis par le Code du travail10. Au Togo, existent la Caisse de Retraite du Togo11 (CRT) et la Caisse Nationale de Sécurité sociale12 (CNSS). Au Mali, on rencontre le même paysage institutionnel, qui s’est enrichi en 2009 d’un autre organisme dénommé Caisse Nationale d’assurance maladie (CANAM)13. Le Sénégal est aussi dans la même situation avec la création de l’ICAMO14, organisme faîtier chargé d’assurer la coordination des Institutions de Prévoyance Maladie (IPM) du Sénégal15.

27L’extension de la protection sociale rencontre une autre difficulté importante : le déséquilibre entre la population salariée et la population non salariée. Dans tous les pays de l’UEMOA, la population salariée formelle représente un pourcentage très faible (à peine 10 %) de la population active. Elle représente également un pourcentage beaucoup plus faible (3 % à 5 %) lorsqu’on la compare à la population totale.

28L’extension de la protection sociale peut être envisagée à deux niveaux : une extension de la sécurité sociale à l’ensemble des personnes qui composent la population active, ou l’extension à l’ensemble de la population. L’une et l’autre option sont difficiles à réaliser car les prestations ont un coût qu’il faut supporter. Même les prestations « gratuites » sont toujours supportées par une source de financement connue ou anonyme.

B - État des lieux du secteur informel

29Dans un essai de description, l’OCDE précise que « le secteur informel présente une gamme variée d’activités ce qui fait qu’il est difficile de bien en définir les contours. On peut distinguer :

  • l’informel de production (agriculture périurbaine, menuiserie bois et métal, BTP, etc.) ;

  • l’informel d’art (bijouterie, sculpture, tissage, couture, broderie, maroquinerie, cordonnerie, peinture, etc.) ;

  • l’informel de services (restauration populaire, transports urbains, coiffure, couture, réparation mécanique ou électrique, etc.) ;

    • 16 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008, p. 5.

    l’informel d’échanges (distribution, commerce, change, etc.)16 ».

  • 17 Recommandation n°169 du BIT concernant la politique de l’emploi (dispositions complémentaires), 198 (...)
  • 18 Règlement n°01/2014/CM/UEMOA du 24 mars 2014 portant Code Communautaire de l’Artisanat de l’Union E (...)

30La particularité du secteur informel réside surtout dans le fait qu’il englobe une grande diversité « d’activités économiques qui s’exercent en dehors des structures économiques institutionnalisées »17. Au niveau communautaire, le secteur informel est diffus dans l’artisanat qui regroupe des personnes dénommées artisans réparties en trois classes18 : « l’artisan de survie », « l’artisan émergent » et « l’artisan structuré ». Seul ce dernier satisfait aux conditions de formalité : il exerce sur un marché avec un local aménagé bien identifiable et repérable. L’activité de production y est dirigée par un artisan qualifié qui prend part personnellement à l’exécution du travail. Les deux autres cas -» artisan de survie » et « artisan émergent »- présentent des caractéristiques qui les situent dans l’informalité. L’artisan de survie n’a pas une situation à la réputation établie et n’est ni présent sur un marché ni repérable. Il ne réunit pas les conditions de qualification et de structuration. L’artisan émergent est l’artisan exerçant sur un marché avec un local précaire mais identifiable et repérable. Ce type d’artisan, tout comme l’artisan de survie, présente les mêmes signes de vulnérabilité et de capacité contributive. Ils constituent donc les groupes informels de l’artisanat.

1 - Un secteur vulnérable

  • 19 BIT, Sécurité sociale un nouveau consensus, Genève, 2002.

31Les travailleurs de l’économie informelle n’ont pratiquement ni sécurité de l’emploi ni sécurité du revenu. Leurs revenus sont généralement très faibles et ont tendance à fluctuer plus que ceux des autres travailleurs. Ce qui caractérise les travailleurs de l’économie informelle, c’est le risque élevé de vulnérabilité face aux multiples évènements de la vie qui peuvent produire des chocs aux effets néfastes : « Il suffit d’une brève période d’incapacité de travail pour que le travailleur et sa famille aient du mal à survivre financièrement19 ».

  • 20 M. Irsch, « Protection sociale pour réduire les risques et promouvoir la solidarité incluant la san (...)
  • 21 BIT, Sécurité sociale un nouveau consensus, Genève, 2002.

32Cela veut que dire que ceux qui se meuvent dans le secteur informel et qui représentent aujourd’hui 80 % de la population mondiale20 sont obligés, pour faire face aux aléas de la vie, de ne compter que sur les seules solidarités, nécessairement limitées, qu’offrent les familles ou les communautés. Or, « il suffit qu’un membre de la famille soit malade pour que l’équilibre délicat du budget familial soit rompu. Le travail dans l’économie informelle comporte souvent des risques que l’environnement non réglementé dans lequel il se déroule ne fait qu’accroître21 ».

  • 22 Enquête 1-2-3 de 2001-2002 sur le secteur informel dans les principales agglomérations de sept État (...)

33La précarité et l’absence de protection sociale sont les caractéristiques principales des emplois du secteur informel. Les résultats de l’enquête 1-2-3 de 2001-2002 commanditée par l’UEMOA sur le secteur informel dans les principales agglomérations de sept États membres montrent que « seuls 5 % bénéficient d’un contrat écrit avec l’employeur. Si près de 60 % de la main-d’œuvre perçoit une rémunération (salaire, commissions, avantages en nature), la participation aux bénéfices ne concerne que 1,4 % de la main-d’œuvre, les congés payés 1,3 % et les primes de fin d’année 9,3 %. En contrepartie, l’importance des relations personnelles entre le chef d’établissement et ses salariés constitue un réel facteur d’amortissement face aux « forces brutes du marché »22.

34Le constat du Bureau International du Travail contenu dans le rapport VI de la 89e session de la Conférence Internationale du Travail renseigne largement sur la fragilité des travailleurs de l’informel qui peuvent sombrer facilement dans la précarité. Pourtant, à y voir de plus près, cette précarité jure avec le rôle stratégique et déterminant que joue le secteur informel dans la promotion des économies des pays en voie de développement.

2 - Un secteur à fort impact social et économique

  • 23 Enquête 1-2-3 de 2001-2002 sur le secteur informel dans les principales agglomérations de sept État (...)

35Le nombre des PME s’est fortement accru ces dernières années, notamment au niveau des micro et petites entreprises (MPE) évoluant souvent dans le secteur non structuré. Différentes études ont souligné le dynamisme de ce secteur qui occupe plus de 60 % de la population active. 90 % de la population active est rurale et évolue dans l’économie informelle. L’enquête 1-2-3 montre que « les Unités de Production Informelles (UPI) exerçant dans des activités marchandes des 7 agglomérations génèrent plus de 2,3 millions d’emplois, confirmant que le secteur informel est de loin le premier pourvoyeur d’emplois en milieu urbain, même s’il s’agit massivement de micro-unités »23.

  • 24 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008, p.02

36Le rapport24 de 2008 de l’OCDE, sur le poids de l’économie informelle dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest illustre bien la part du secteur informel total dans le PIB dans les huit pays membres de l’UEMOA.

Tableau : Poids de l’économie informelle dans quelques pays d’Afrique de l’Ouest

Année la plus récente

Part du secteur informel total dans le PIB

Part du secteur informel

(hors agriculture) dans le PIB (1999/2000)

Bénin

71,6

33,6

Burkina Faso

55,8

21,7

Côte d’Ivoire

43,4

24

Guinée- Bissau

58,8

17,5

Mali

61,6

24,2

Niger

76,6

37

Sénégal

51,5

35,1

Togo

72,5

32,2

Source : J. Charmes (2000).

37En dehors de la Côte d’Ivoire, on constate que dans tous les autres pays de l’UEMOA, la contribution du secteur informel dans le PIB dépasse 50 %. Ce tableau prouve donc que le secteur informel est bel et bien une réalité, même s’il est difficile de la cerner dans sa globalité en raison de la diversité des situations qui la caractérise. Ces activités, qu’elles soient qualifiées de « petits boulots » ou que le travail qui s’y déroule soit considéré comme non organisé, montrent que le secteur informel est, en quelque sorte, la réponse à sa propre cause : mener des activités de survie ou de subsistance pour vivre ou exister. À défaut, le risque est de sombrer dans la pauvreté contre laquelle ces travailleurs se battent en embrassant des activités qui, malheureusement, ne répondent à aucun des critères du travail décent. D’où la question de la négation des droits.

3 - La négation des droits sociaux et l’indifférence des administrations du travail

38L’abondance des expressions utilisées sporadiquement pour décrire les travailleurs qui évoluent dans l’économie informelle en dit long sur leur situation au regard du droit : « travailleurs en marge du marché du travail structuré », « salariés non soumis à une réglementation », « travailleurs à leurs comptes », « travailleurs à domicile », « travailleurs non déclarés », travailleurs non protégés » sont les différentes catégories utilisées pour désigner ceux dont les activités se déroulent à la périphérie de la sphère formelle.

39Comment un secteur aussi stratégique sur le plan économique, aussi significatif en matière de création d’emplois, aussi important dans le domaine social a-t-il pu, pendant de très longues années, se soustraire à l’intérêt des décideurs ?

40Cette attitude des autorités nationales à l’égard des travailleurs du secteur informel est presque incompréhensible alors que tous les travailleurs devraient jouir de la même dignité et des mêmes droits à la protection. Justement, c’est ce droit à la protection qui est le point de départ de tout le processus de négation. En vérité, ce droit a été toujours considéré comme le droit des capables. Il a toujours été mis au profit des travailleurs qui ont la capacité contributive, c’est-à-dire ceux qui reçoivent un salaire mensuel suffisant, qui disposent d’un contrat de travail en bonne et due forme et qui ont satisfait aux formalités administratives d’immatriculation au niveau des organismes de sécurité sociale.

41Or, la mise en œuvre de ce droit relève avant tout de la responsabilité de l’employeur. Peu importe sa situation juridique. « Pour la détermination de la qualité de travailleur, il ne sera tenu compte ni du statut juridique de l’employeur, ni de celui de salarié ». Peu importe aussi le contrat, car il peut être conclu par écrit ou oralement. Ce qui est important, c’est l’existence de critères qui servent de moyens pour qualifier une relation de travail : la prestation de travail, le salaire et la subordination juridique.

42Donc même si l’employeur, principal responsable tente de se « débiner », l’autorité chargée de veiller au respect de la réglementation sociale est là pour lui rappeler ses obligations. Dès lors, le défaut de protection constaté n’est rien d’autre qu’une négligence ou une indifférence de l’administration. La position de l’administration à l’égard du secteur informel a toujours été interprétée de deux manières différentes selon le niveau de développement économique du pays.

  • 25 J. L. Daza, Économie informelle, travail non déclaré et administration du travail, BIT, Genève, 200 (...)

43Monsieur José Luis Daza soutient que « dans les pays développés, informalité est quasiment synonyme d’illégalité, c’est pourquoi les ministères du travail se doivent de lutter contre ce phénomène, quels que soient la taille de l’entreprise et le secteur dans lequel elle opère. Dans les pays en développement, l’administration du travail tend à considérer les petites et microentreprises comme n’étant pas assujetties à la réglementation et elle feint de les ignorer en n’exerçant à leur encontre aucune forme de pression pour leur faire appliquer la législation »25.

44Les pays de l’UEMOA relevant de la deuxième catégorie, on peut considérer l’informalité comme étant un phénomène qui relève du refus de l’administration du travail de faire observer les normes légales régissant les conditions de travail. L’administration a donc tendance à ignorer un secteur qui concentre des personnes qui relèvent de règles sociales qui ne correspondent pas aux règles légales. Cette inadéquation peut être résolue par une approche novatrice qui s’appuie sur une stratégie pour étendre la protection sociale aux acteurs de l’économie informelle.

III - Extension de la protection sociale à l’économie informelle

45La transition vers la formalité nécessite une stratégie intégrée et des actions efficaces permettant de ramener les travailleurs et entrepreneurs informels dans des canaux formels de protection et de soutien, tout en préservant les potentiels dynamiques existants. Ces initiatives reposent sur le principe du volontarisme et ont un caractère non contraignant pour ceux qui en bénéficient.

A - La stratégie

46Une bonne stratégie destinée à corriger les disparités entre secteur formel et secteur informel doit nécessairement s’articuler autour des points suivants :

  • la mise en place de mutuelles de santé. Ce sont des associations de personnes volontaires qui, essentiellement par le biais des cotisations de leurs membres, mènent des actions de prévoyance, d’entraide et de solidarité, en direction d’elles-mêmes ou de leur famille en vue de prendre en charge les risques sociosanitaires liés à la personne et de réparer leurs conséquences ;

  • l’ouverture des systèmes par la mise en œuvre de mesures appropriées et adaptées en faveur des travailleurs qui évoluent dans l’économie informelle ;

    • 26 S’inspirer de l’approche de l’Union européenne. L’Union européenne s’est attaquée au travail non dé (...)

    le renforcement des capacités des services d’inspection du travail pour doter les agents de compétences spécifiques et de stratégies pertinentes, mais aussi de moyens pour conduire, avec efficacité, des actions de sensibilisation et autres initiatives destinées à accompagner l’économie informelle26 ;

  • la modification de la structure des ministères du travail afin de mieux répondre au défi posé par l’économie informelle en créant des divisions ou des unités consacrées à cette dernière ;

    • 27 Conformément à la Déclaration de l’OIT de 2008.

    la promotion du tripartisme et du dialogue social pour « rendre efficace le droit du travail et les institutions, y compris au niveau de la reconnaissance de la relation d’emploi, de la promotion des bonnes relations industrielles et la construction de systèmes d’inspection du travail efficaces »27 ;

  • l’implication des services de l’emploi, qui jouent un rôle essentiel sur le marché du travail dans le maintien de l’équilibre entre l’offre et la demande ;

  • l’accent mis sur les prestations de court terme, en élargissant la conception de la sécurité sociale aux besoins essentiels d’accès à la nourriture et à l’eau, aux soins de santé, au logement et à l’éducation qui sont des besoins à couvrir de façon prioritaire, particulièrement dans les pays pauvres où les capacités de l’État sont réduites,

    • 28 Ibidem, p.02.

    le développement des initiatives communautaires en veillant, cependant, à ne pas fragiliser les régimes légaux existants ni à organiser une solidarité séparée entre les pauvres. Il s’agit de « les intégrer dans une politique nationale cohérente d’extension de la protection sociale »28.

47Pour être efficace, la stratégie à mettre en œuvre doit s’appuyer, d’une part, sur les actions suivantes dont la réalisation pourrait paraître urgente, au regard de l’actualité de la question.

B - Les actions immédiates

1 - Recenser les petites et moyennes entreprises

48Il s’agit de mener des études qui seront le point de départ de toute action orientée vers la formalisation. Elles permettront de disposer des statistiques fiables pour mesurer l’ampleur des tâches ; de cadrer les démarches de formalisation avec le niveau des effectifs ; de s’appuyer sur les seuils d’effectifs pour faire les études de faisabilité nécessaires, établir les scénarii et réaliser des simulations.

49Le cas du Sénégal peut être cité en exemple. Les décideurs ont fait réaliser le premier Recensement général des Entreprises (RGE) dans le cadre du Projet de Rénovation des Comptes nationaux (PRCN) au cours de l’année 2016. Le RGE a permis de dénombrer 407 882 unités économiques sur l’ensemble du territoire national. La région de Dakar concentre plus du tiers des unités (160 963) soit une proportion de 39,5 %. Dans l’ensemble, 97,0 % des unités économiques recensées sont informelles. Le secteur informel domine dans toutes les branches sauf dans les services fournis aux entreprises (14,3 %), le transport et les télécommunications (12,3 %), les bâtiments et travaux publics (5,6 %) et les industries alimentaires (41,4 %).

2 - Sensibiliser sur les différents types de risques sociaux

50La sensibilisation est fondamentale. On ne peut pas faire le bonheur des gens à leur place et à leur insu. La sensibilisation permettra de créer les conditions nécessaires pour susciter l’intérêt des acteurs, qui constituent la population cible, sur les différents types de risques sociaux auxquels les travailleurs de l’économie informelle sont exposés.

  • Informer sur l’importance de la protection sociale par la mutualisation. L’intérêt de la sensibilisation sur les différents types de risques sociaux est d’amener les acteurs à prendre conscience de l’importance de la protection sociale dans la prévention des risques. Cette prise de conscience doit pousser les acteurs à exprimer ou à formuler, de manière pressante, une demande de protection dont la réponse passe d’abord et avant tout par des formations sur les différentes prestations de sécurité sociale (dispositif légal) et de protection sociale (incluant les initiatives communautaires, socio professionnelles etc.). Pour être efficace, l’information doit être conduite par des professionnels.

    • 29 Selon les données de l’étude gouvernementale de 1996 citée par Ahmed Galal, quelques 1,4 million d’ (...)

    Faire du benshmarking social. Cela consiste à identifier les bonnes pratiques en s’inspirant de l’exemple des pays qui ont expérimenté, avec succès, des politiques pour procéder à la formalisation de l’économie informelle. L’exemple de l’Égypte29 paraît digne d’intérêt. Ces exemples de bonnes pratiques pourront aider à convaincre les indécis en attirant leur attention sur les gains potentiels de la formalisation aussi bien sur les travailleurs que sur l’ensemble de l’économie.

51La mise en œuvre de cette stratégie et de cette méthode a permis à bien des pays de connaître des progrès considérables pour ce qui est de l’extension de la protection sociale. L’expérience du Sénégal est assez significative. L’extension de la protection sociale s’est traduite par la mise en place d’une mutuelle sociale au profit des travailleurs routiers. Cette mutuelle inédite a été l’aboutissement d’un long processus qui a commencé en 2003 pour s’achever en 2008 avec la tenue de l’Assemblée Générale constitutive, le 16 février 2008, au Stade Léopold Sédar SENGHOR.

52Une expérience similaire est en train d’être poursuivie par le Conseil National de Concertation des Ruraux (CNCR) au profit des personnes exerçant les métiers de l’agriculture. En effet, constatant la précarité et la vulnérabilité qui sévissent dans le monde rural, qui occupe 90 % de la population active, l’État a prévu, dans le cadre de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale n° 2004-12 du 02 juin 2004 d’instituer un système de protection sociale à leur profit, à l’instar des travailleurs des autres secteurs d’activité. Trois filières ont été ciblées : la filière Coton dans la région de Tambacounda (à l’Est du Sénégal) à travers les Communautés rurales de Bandafassy et de Missirah ; les filières Tomates et Riz pour les producteurs qui se situent dans les Communautés rurales de Ross Béthio et de Guédé village de la Région de Saint-Louis. Le dispositif juridique devant servir de base à la gouvernance du régime a été finalisé et le démarrage est imminent.

53En ce qui concerne les couches sociales vulnérables, l’État a mis en place une agence nationale chargée d’étendre la couverture du risque maladie. L’agence promeut le développement de la mutualité et réussit à mettre en place quelques 660 mutuelles de santé sur l’ensemble du territoire national pour une prise en charge effective des populations.

54Au niveau communautaire, outre les actions qui rentrent dans le cadre de la mise en œuvre du Règlement n° 01/2014/CM/UEMOA du 24 mars 2014 portant Code Communautaire de l’Artisanat de l’Union économique et Monétaire Ouest Africaine, la Commission a mis en place un important projet d’Appui à la Couverture du Risque Maladie (PACRM). Le PACRM est une initiative conjointement formulée par la Commission de l’UEMOA et l’Agence Française de Développement (AFD). Le coût total du PACRM est d’environ 6,7 millions d’euros dont 5,4 millions d’euros sont financés par l’AFD, à titre de subventions. La durée de la première phase du Projet était de cinq ans, de juin 2011 à mai 2016.

55L’objectif global du projet est de contribuer à l’amélioration de l’état de santé des populations de l’espace UEMOA, par un meilleur accès financier aux soins de santé. De manière spécifique, le projet vise les deux objectifs suivants : (1) augmenter le nombre de personnes disposant d’une assurance maladie volontaire dans les États membres ; et (2) accompagner les États membres de l’UEMOA dans la conception et/ou la mise en œuvre de leurs stratégies nationales d’extension de la couverture du risque maladie.

56La logique d’intervention du projet est articulée autour de trois composantes : la composante 1 « Appui au développement de l’assurance maladie volontaire », la composante 2 « Appui aux politiques nationales d’extension de la couverture du risque maladie » et la composante 3 « Renforcement des capacités de la Direction de la santé, de la protection sociale et de la mutualité (DSPSM) ».

57Enfin, intervenant sur le même registre, le Conseil du travail et du dialogue s’est intéressé cette année (2017) à la problématique de l’extension de la protection sociale et, notamment, de la couverture du risque maladie. La Commission Dialogue Social (CDS) du CTDS a consacré sa réunion des 26 et 27 juillet 2017 à une réflexion sur la question. Un projet d’avis a été élaboré. Il sera soumis aux membres du Conseil pour validation lors des travaux de la 8e Assemblée Générale du Conseil qui se tiendra à Ouagadougou du 6 au 8 décembre 2017.

Conclusion

58La question de la protection sociale est devenue, de nos jours, une préoccupation majeure qui interpelle à la fois les décideurs politiques au niveau national et les acteurs du développement, au niveau international. Les constats alarmants qui ont été faits en matière de déficit de couverture sociale, particulièrement pour les travailleurs de l’économie informelle, appellent à la mobilisation de tous. Cette mobilisation se fait, au niveau international, grâce à l’action remarquable des Organisations internationales et, notamment, du Bureau International du Travail (BIT). Au niveau régional, pour l’Ouest africain, elle se traduit par diverses initiatives de l’UEMOA. Et enfin, au niveau national, elle est l’œuvre de politiques destinées à promouvoir la protection sociale pour protéger, d’une part, les travailleurs salariés du secteur formel et, d’autre part, ceux qui évoluent dans l’économie informelle.

Haut de page

Notes

1 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008.

2 Les relations de travail ne sont pas basées sur des principes objectifs mais plutôt affectifs, voire subjectifs.

3 BIT, La transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, Rapport V (1) du Directeur général soumis à la Conférence internationale du Travail, 103e session, Genève 2004, p. 06.

4 D’ailleurs l’OIT a utilisé en 1972 l’expression « secteur non structuré » pour décrire ces activités qui relèvent du secteur informel, voir J. L. Daza, Économie informelle, travail non déclaré et administration du travail, juin 2005, p. 4.

5 Au Sommet sur le développement durable le 25 septembre 2015, les États membres de l’ONU ont adopté un nouveau programme de développement durable, qui comprend un ensemble de 17 objectifs mondiaux pour mettre fin à la pauvreté, lutter contre les inégalités et l’injustice, et faire face au changement climatique d’ici à 2030.

6 Citons encore l’article 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 : les États parties reconnaissent « le droit de toute personne à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales ».

7 Loi 61-33 du 15 juin 1961 portant statut général des fonctionnaires et le Décret 72-215 du 7 mars 1972 relatif à la Sécurité sociale des fonctionnaires.

8 Loi 62-45 du 13 juin 1962 instituant un régime de retraite au profit des personnels non fonctionnaires de l’État, des collectivités locales, des établissements publics, des sociétés d’État et des sociétés d’économie mixte.

9 Décret n° 2008-156/PRES/PM/MFPRE/MEF portant approbation des statuts particuliers de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (CARFO).

10 Décret n° 2007-736/PRES/PM/MTSS/MEF portant statuts particuliers de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).

11 Loi n° 91-11 du 23 mai 1991, fixant le régime des pensions civiles de militaires de la République du Togo.

12 Décret n° 2003-262/PR portant approbation des statuts de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale du Togo.

13 Loi n° 09-016 du 26 juin 2009 portant création de la Caisse Nationale d’assurance maladie (CANAM).

14 ICAMO : Institut de Coordination de l’Assurance Maladie Obligatoire.

15 Décret 75-895 du 14 août 1975 portant organisation Institutions de Prévoyance Maladie (IPM).

16 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008, p. 5.

17 Recommandation n°169 du BIT concernant la politique de l’emploi (dispositions complémentaires), 1984 paragraphe 27.

18 Règlement n°01/2014/CM/UEMOA du 24 mars 2014 portant Code Communautaire de l’Artisanat de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine, article 12.

19 BIT, Sécurité sociale un nouveau consensus, Genève, 2002.

20 M. Irsch, « Protection sociale pour réduire les risques et promouvoir la solidarité incluant la santé et la sécurité sociale », Discours prononcé à l’occasion du Forum Union Européenne – Amérique Latine et Caraïbes sur la Cohésion sociale, p. 1.

21 BIT, Sécurité sociale un nouveau consensus, Genève, 2002.

22 Enquête 1-2-3 de 2001-2002 sur le secteur informel dans les principales agglomérations de sept États membres de l’UEMOA : Performances, insertion, perspectives, p.04

23 Enquête 1-2-3 de 2001-2002 sur le secteur informel dans les principales agglomérations de sept États membres de l’UEMOA : Performances, insertion, perspectives, p.03

24 OCDE, Rapport Afrique de l’Ouest 2007-2008, décembre 2008, p.02

25 J. L. Daza, Économie informelle, travail non déclaré et administration du travail, BIT, Genève, 2005 p.16-17.

26 S’inspirer de l’approche de l’Union européenne. L’Union européenne s’est attaquée au travail non déclaré dès 2001 et, en 2003, a publié les lignes directrices pour l’emploi n°9 intitulées « Transformer le travail non déclaré en emploi régulier ». Elle encourage les mesures préventives et curatives plutôt que la simple dissuasion.

27 Conformément à la Déclaration de l’OIT de 2008.

28 Ibidem, p.02.

29 Selon les données de l’étude gouvernementale de 1996 citée par Ahmed Galal, quelques 1,4 million d’entrepreneurs, représentant 82% de l’ensemble des entrepreneurs en Égypte, travaillaient dans le secteur informel. Ce secteur employait 8,2 millions de travailleurs, c’est-à-dire plus que les 6,8 millions de salariés de secteur privé formel ou les 5,9 millions de fonctionnaires de l’État. L’introduction des programmes de réforme a permis de réduire le coût de constitution et d’exploitation des entreprises de 90%, le coût des prêts hypothécaires de 91% et le coût de l’exécution des nantissements de 77%. La formalisation a permis d’accroître la valeur sociale de l’entreprise de 23% ce qui équivaut à une fois et demie le revenu par habitant. La formalisation contribuerait à une hausse du PIB de 1,3%. Les entrepreneurs gagneraient 1% du PIB et les salariés 0,7% du PIB grâce à l’amélioration de la productivité et à l’expansion. Le Trésor gagnerait 1,3% du PIB en raison de l’augmentation des profits. Seul le groupe de consommateurs perdrait 1,7% du PIB parce qu’il devrait alors payer la TVA. Mais en contrepartie les consommateurs sont assurés d’une meilleure qualité de produit parce que les entreprises font l’objet d’inspections.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Birane Thiam, « L’extension de la protection sociale aux salariés de l’économie informelle »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 3 | 2017, 64-77.

Référence électronique

Birane Thiam, « L’extension de la protection sociale aux salariés de l’économie informelle »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 3 | 2017, mis en ligne le 01 novembre 2018, consulté le 17 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/350 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.350

Haut de page

Auteur

Birane Thiam

Inspecteur Principal du Travail et de la Sécurité sociale, Secrétaire Permanent du Conseil du Travail et du Dialogue Social (CTDS) de l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA). Thèmes de recherche : dialogue social, protection sociale et migration.

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search