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Actualités juridiques internationales
Amériques
Canada

Le régime canadien d’assurance-emploi sur la voie de la modernisation. Pour qui et comment ?*

Lucie Lamarche
p. 204-209

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Mots-clés :

Amériques, Canada
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Texte intégral

  • * Cette expression est celle utilisée par la loi. Précédemment à la dernière réforme, la loi parlait (...)
  • 1 Loi sur l’assurance-emploi, L.C.1996, c 23, telle qu’amendée.
  • 2 Gouvernement du Canada, Moderniser le régime d’assurance-emploi du Canada : Consultations - Le Rapp (...)
  • 3 L. Lamarche, « Le chômage au temps de la COVID : le régime canadien d’assurance-chômage survivra-t- (...)
  • 4 L. Lamarche, « Le droit humain à la protection sociale et le risque du chômage : doit-on capituler (...)

1Le gouvernement canadien, responsable de la Loi sur l’assurance-emploi1, a engagé en 2022 une consultation destinée à la modernisation de celle-ci2. Ceci n’est pas un hasard. Les mesures successives d’allégement des conditions d’accès aux bénéfices en temps de Covid (mars 2020 - septembre 2022)3 ont révélé avec fracas les problèmes d’un régime qui exclut4 plus qu’il n’inclut en temps de paix sanitaire. Quelles sont les lignes de force issues de cette consultation en vue d’une réforme qui demeure à ce jour un vague projet porté par un gouvernement libéral minoritaire ? Les lignes qui suivent tentent d’esquisser à grands traits une approche thématique qui révèle, d’une part, les inadéquations entre les exigences de la loi et les réalités du marché du travail, et d’autre part, les tensions idéologiques qui traversent les discussions. Ces discussions sont précédées d’un très bref rappel de l’architecture générale du régime canadien d’assurance-emploi (LAE).

I - Devenir chômeur : la loterie

2En vertu de la Partie I de la LAE, deux types de prestations sont disponibles : les prestations régulières et les prestations spéciales. Alors que les prestations régulières bénéficient aux personnes victimes d’une cessation d’emploi, les prestations spéciales servent les personnes qui quittent ou suspendent leur emploi en raison d’une situation personnelle (maternité ; maladie ; besoin d’agir à titre de proche aidant ; accompagnement de compassion). Dans le cas des prestations régulières, l’admissibilité aux prestations repose sur une norme dite « variable » car elle est fonction du taux de chômage régional du lieu de résidence. En vertu de cette norme il pourra être exigé la preuve d’un volume d’heures travaillées durant la période de référence d’une année précédant la fin ou la cessation de l’emploi, qui variera entre 420 et 700 heures. Lorsqu’il s’agit des prestations spéciales, une norme fixe de 600 heures est prévue.

3La durée de la période de prestations dépend également du taux régional de chômage et varie, dans le cas des prestations régulières, de 14 à 45 semaines. Les prestations spéciales sont pour leur part le résultat de bricolages successifs, et des durées distinctes (entre 15 et 35 semaines) sont attachées à chacune d’elle.

4Le taux des prestations hebdomadaires est établi à 55 % de la rémunération hebdomadaire, assurable pour un maximum de 61 500$ annuellement. Toutefois, la moyenne de la rémunération assurable est soumise au dénominateur des meilleures semaines, lui-même fixé en fonction du taux régional de chômage. Ce dénominateur varie entre 14 et 22 semaines. Finalement, un supplément familial sera versé aux ménages à faible revenu ayant charge d’enfants, ce qui permet à la prestation d’atteindre un taux de remplacement du revenu antérieur à hauteur de 80 %.

5Les prestations devront être partiellement remboursées lorsque le revenu annuel dépassera un montant correspondant à 1,25 le maximum de la rémunération assurable.

6Enfin, les gains de travail encaissés durant la période de prestations affectent à hauteur de 50 % de ceux-ci les prestations susceptibles d’être versées.

  • 5 Loi sur l’assurance-emploi, supra note 2.
  • 6 Loi sur l’assurance-chômage, L.C. 1970-71-72, c 48.

7Ce régime est le résultat de la réforme de 1996, dite Réforme de l’Austérité5. Elle s’oppose clairement à la réforme précédente entrée en vigueur en 19716. En vertu de celle-ci, et pour aller à l’essentiel, 10 semaines travaillées durant la période de référence d’une année donnaient droit à une année de prestations à un taux d’environ 66 % des gains antérieurs.

  • 7 Gouvernement du Canada, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi pour l’exercice f (...)

8En raison de la régionalisation des conditions d’éligibilité aux prestations de chômage, celles-ci prennent aujourd’hui des allures de loterie. Cependant, il faut garder à l’esprit les particularités du marché du travail canadien où le travail saisonnier domine dans plusieurs régions (par exemple les pêcheries ; le tourisme ; la sylviculture, etc.). Au final, les données pré-pandémiques révèlent que seuls 42 % des participants au régime ont pu bénéficier d’une période de prestations régulières ou spéciales7.

9C’est pourquoi les mesures dites de Covid ont opéré un virage majeur et rapide afin de répondre aux besoins de tous les Canadiens. Elles consistaient pour l’essentiel dans un premier temps, en une prestation hebdomadaire plancher de 500$ pour une durée de 28 semaines et ce, sur la seule preuve d’un revenu déclaré d’au moins 5000$ pour l’année fiscale précédente. À cette fin, la loi sur l’assurance-emploi a été suspendue. Puis, dans un second temps, on a réservé aux personnes ayant subi une chute de leurs revenus de travail d’au moins 50 % et qui n’étaient pas éligibles à une prestation régulière d’assurance-emploi le bénéfice des mesures Covid de première génération. Le cycle total des mesures Covid de remplacement de revenu s’est épuisé en septembre 2022.

II - Que faut-il réformer ?

A- La dé-régionalisation du régime d’assurance-emploi?

  • 8 Statistique Canada, Taux de chômage, taux d’activité et taux d’emploi selon le sexe, données annuel (...)

10Le taux de chômage national se chiffrait au Canada à 5,3 % pour l’année 20228. On voit ce chiffre d’un assez bon œil en sortie de pandémie. Il occulte toutefois des phénomènes troublants et intimement liés à la nature des emplois occupés. Les données pré pandémiques révèlent que l’emploi atypique représente 36,9 % des emplois ; que le cumul des emplois est en hausse de 12 % et concerne principalement les femmes faiblement rémunérées dans des secteurs tels les services ; et que la part de l’emploi autonome s’est accrue, passant de 12 à 17,2 %, tout comme le travail à la demande. Pour la même période, le travail saisonnier a diminué.

11La transformation et la précarisation du travail n’a donc que peu à voir avec les régions où le travail saisonnier est fréquent. Et ce phénomène global explique largement le problème d’accès aux bénéfices de l’assurance-emploi. Les consultations ont donc soulevé la question de savoir s’il faut se mettre à la recherche d’une norme d’accès plus inclusive. Celle-ci pourrait être la norme minimale actuelle de 400 heures travaillées au cours de la période de référence. Son universalité accroitrait les possibilités que les prestations d’assurance-emploi contribuent au revenu des ménages les plus vulnérables. Mais cette hypothèse soulève une autre question, à savoir celle de l’objectif premier du régime : aide au revenu ou remplacement du revenu ? Par ailleurs, les employeurs ripostent. Une norme trop généreuse complique la dynamique du marché du travail en période de pénurie de main-d’œuvre. Cette objection nous ramène à un vieux débat : l’assurance-emploi participe-t-elle d’une politique de l’emploi ?

B - Le taux des prestations et les gains de travail

12Selon les données 2018-2019, le montant moyen des prestations s’établissait alors à 469$ par semaine. Le montant maximum est de 650$. Le montant moyen destiné aux bénéficiaires féminines est plus bas d’environ 70$. Les mesures Covid ont déterminé un taux fixe de prestations à 500$. Rehausser le taux des prestations ne répond cependant pas à tous les enjeux. Comment traiter les gains de travail encaissés durant une période de prestations à l’heure où non seulement on cumule de petits emplois mais aussi, on répond aux emplois à la demande en même temps que l’on chôme ?

13Le laboratoire de la Covid a fourni à cette question une réponse accidentelle. Durant la Covid, l’Agence du revenu du Canada a joué un rôle déterminant dans l’administration des demandes de prestations. De plus, elle s’affaire aujourd’hui à récupérer les prestations versées en trop durant cette période d’exception. Les prestations d’assurance-emploi constituent un revenu imposable. Peut-on substituer à la comptabilité hebdomadaire des gains en cours de période de prestations une comptabilité annuelle issue de la production du rapport d’impôt ? Ainsi, l’effet des gains sur les prestations pourrait être pondéré selon différents facteurs aujourd’hui pris en compte par certains crédits d’impôt non remboursables destinés aux familles ou aux travailleurs.

14La question qui se pose ici est celle de savoir s’il faut préserver et surtout, respecter la nature contributive (employeurs et salariés) du régime d’assurance-emploi. Le maximum de la rémunération assurable est actuellement de 61 500$ et le revenu médian avant impôt des ménages canadiens se situait à 73,300$ en 2020. Le revenu augmente toutefois chez les moins nantis en raison d’importants transferts gouvernementaux. Faut-il assimiler l’assurance-emploi à un programme de lutte contre la pauvreté ou contre la précarité des ménages travailleurs ? Comment traiter alors les cotisations des employeurs soumises exclusivement à un calcul du coût d’indemnisation du risque chômage ?

C - Les prestations spéciales

15Les prestations spéciales d’assurance-emploi sont en quelque sorte « un régime dans le régime ». Elles font aussi figure d’incongruité dans le tableau de gestion par les pays de l’OCDE des risques sociaux. Pour plusieurs des événements visés par ces prestations, les législations provinciales ne prévoient aucune mesure de remplacement du revenu d’emploi. Par ailleurs, la disponibilité d’assurances privées complémentaires est confinée aux grandes entreprises qui emploient 11 % de la main-d’œuvre canadienne. Les prestations spéciales ont été introduites progressivement dans la Loi sur l’assurance-emploi : les prestations de maladie et de maternité en 1971 (maximum de 15 semaines) ; les prestations parentales en 1990 qui sont partageables entre les parents (35 semaines) ; les prestations de compassion en 2004 (maximum de 26 semaines) ; les prestations destinées aux parents d’enfants gravement malades en 2013 (35 semaines) ; les prestations pour proches aidants d’adultes gravement malades ou blessés en 2017 (15 semaines).

  • 9 Gouvernement du Canada, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2020-2021, p. 153 (...)

16Le versement des prestations spéciales était en hausse en 20219 et ce sont les femmes qui bénéficient largement de celles-ci (62,1 %). La combinaison la plus fréquente de ces prestations est celle des prestations de maternité et parentales. Les prestations spéciales sont essentielles pour les ménages canadiens et pour les femmes et tout porte à croire qu’elles survivront à la réforme projetée. Cependant, elles souffrent de la rigueur de la norme d’admissibilité fixée à 600 heures travaillées durant la période de référence. Faut-il désenclaver ces prestations spéciales et les soumettre à une norme d’admissibilité plus inclusive ? Encore une fois, les employeurs dénonceront dans ce cas la dénaturation du régime d’assurance-emploi. Faut-il alors recourir à un apport gouvernemental afin de supporter cette dépense qui se chiffrait en 2021 à 6 milliards de dollars ? Après tout, les prestations spéciales ont peu à voir avec le chômage. Mais le droit du travail et des normes du travail - une compétence largement provinciale - tardent à confier aux employeurs la responsabilité financière des congés personnels.

D - Les parcours de vie

17Le régime canadien d’assurance-emploi est en dissonance avec la réalité du marché du travail. Quelques exemples largement dénoncés l’illustrent. L’établissement d’une période de prestations de chômage dépend - dans le cas des prestations régulières - de la cessation de la relation d’emploi salarié. Or, les situations de cumuls d’emploi sont en hausse. Comment conclure que la perte d’un emploi occupé équivaut à une fin d’emploi alors que les gains tirés des autres emplois constitueront des gains susceptibles de diminuer la prestation issue de la fin d’un de ces emplois ? Certaines critiques dénoncent l’abus ainsi créé dans la mesure où le travailleur cotise jusqu’au maximum de la rémunération assurable pour tous les emplois occupés. Ces situations créent des effets refroidisseurs importants.

  • 10 L. Lamarche, « Le PIDESC, les femmes et le droit à la sécurité sociale : considérations et proposit (...)

18Le cas de ce qui est évoqué comme étant celui des parcours de vie est aussi inquiétant. Il concerne largement les passages entre les prestations régulières et spéciales (perdre son emploi durant un congé de parentalité ou de maladie) ou ceux entre les différents types de prestations spéciales (passer du congé pour proche aidant au congé de maladie). Tantôt la norme régionale d’admissibilité constituera un frein. Tantôt la durée de la période de prestations - chiffrée en moyenne à 18 semaines pour les prestations régulières - interdira le passage. Comment intégrer de manière inclusive les parcours différenciés dans un régime historiquement conçu - et subséquemment bricolé - au bénéfice du travailleur masculin d’industrie occupant sur le temps long un seul emploi qu’il perdrait pour des motifs économiques ?10

19Le gouvernement est conscient de ces décalages. C’est pourquoi l’expression « régime hybride » est fort utilisée actuellement. Faut-il garantir généralement un revenu décent – en recourant à la fiscalité, par exemple – ou élargir à forts coûts le régime actuel d’assurance-emploi afin d’indemniser les ruptures d’emploi en raison des parcours de vie ? Cette question touche spécifiquement les travailleuses qui sont non seulement des usagères des prestations spéciales d’assurance-emploi, mais aussi, des bénéficiaires importantes des mesures fiscales de soutien au revenu.

E - Les travailleurs autonomes

20Les travailleurs autonomes sont privés de l’accès aux prestations régulières d’assurance-emploi mais peuvent contribuer au régime afin d’encaisser éventuellement des prestations spéciales. Cette mesure est impopulaire en raison du coût important lié aux doubles cotisations (part de l’employeur et du salarié). On évoque au Canada le cas du régime québécois d’assurance parentale auquel le travailleur autonome doit cotiser. Une norme fixée à une réduction d’au moins 40 % du temps consacré aux activités d’entreprise donne accès à ces prestations. Cette obligation connait un certain succès. Seul le Québec prévoit du moins au Canada de rendre obligatoire un tel régime. Toutefois, tout est en place dans l’administration de la Loi sur l’assurance-emploi pour incorporer une telle obligation afin que les travailleurs autonomes aient accès à toutes les prestations.

F- Le financement de la Loi sur l’assurance-emploi

21Depuis 1996, le régime d’assurance-emploi est exclusivement financé par les cotisations des employeurs et des travailleurs. Pour l’exercice pré-pandémique 2018-2019, il a enregistré un surplus net de 2 milliards de dollars. Avec les dépenses spéciales de la Covid, il enregistre un déficit de 11 milliards alors que s’amorcent les consultations destinées à la réforme.

22Certains prétendent que le retour de l’État dans le financement des prestations d’assurance-emploi s’impose. Ce dernier ne s’en est d’ailleurs pas privé dans le contexte pandémique. Comme l’État canadien tend à se substituer aux solutions contributives en matière de protection sociale en multipliant les aides fiscales, un tel retour est probable.

23Reste à voir si une volonté d’universalisation de la protection contre le risque chômage aura pour effet de produire un pauvre régime… ou un régime bénéficiant surtout aux travailleurs les plus pauvres.

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Notes

* Cette expression est celle utilisée par la loi. Précédemment à la dernière réforme, la loi parlait plutôt d’assurance-chômage.

1 Loi sur l’assurance-emploi, L.C.1996, c 23, telle qu’amendée.

2 Gouvernement du Canada, Moderniser le régime d’assurance-emploi du Canada : Consultations - Le Rapport - Ce que nous avons entendu (Phases 1 et 2), 2022.

3 L. Lamarche, « Le chômage au temps de la COVID : le régime canadien d’assurance-chômage survivra-t-il à la pandémie ? » Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 2021/3, p. 128.

4 L. Lamarche, « Le droit humain à la protection sociale et le risque du chômage : doit-on capituler ? », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail, vol. 10/1, 2016, p. 108.

5 Loi sur l’assurance-emploi, supra note 2.

6 Loi sur l’assurance-chômage, L.C. 1970-71-72, c 48.

7 Gouvernement du Canada, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi pour l’exercice financier commençant le 1er avril 2018 et se terminant le 31 mars 2019, [Rapport de contrôle 2018-2019].

8 Statistique Canada, Taux de chômage, taux d’activité et taux d’emploi selon le sexe, données annuelles, Année?

9 Gouvernement du Canada, Rapport de contrôle et d’évaluation de l’assurance-emploi 2020-2021, p. 153.

10 L. Lamarche, « Le PIDESC, les femmes et le droit à la sécurité sociale : considérations et propositions pour un droit “universel” à la sécurité sociale », Revue Femme Droit, vol. 14/1, 2002, p. 53.

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Pour citer cet article

Référence papier

Lucie Lamarche, « Le régime canadien d’assurance-emploi sur la voie de la modernisation. Pour qui et comment ? »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale, 1 | 2023, 204-209.

Référence électronique

Lucie Lamarche, « Le régime canadien d’assurance-emploi sur la voie de la modernisation. Pour qui et comment ? »Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 01 avril 2023, consulté le 26 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/5544 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.5544

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Auteur

Lucie Lamarche

Université du Québec à Montréal

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