• 1 Il figure sous la rubrique « Grands entretiens » sur le site de la Société (https://societe-diderot (...)
• 2 Peu de temps avant sa mort, Jean Mayer a reçu des lettres d’un ancien élève qui se souvenait avec é (...)

Cet été, Jean Mayer nous a quittés sur la pointe des pieds dans sa maison de retraite près de Montpellier où j’avais l’habitude de lui rendre visite lorsque j’étais de passage. C’est là où, l’an dernier, j’ai réalisé le premier entretien pour la Société Diderot1, sans me douter que ce serait la dernière fois que j’aurais le plaisir de converser avec lui. Il me confia à cette occasion qu’il avait entrepris des études littéraires par tradition familiale, mettant provisoirement de côté sa véritable vocation, qui était d’ordre scientifique. Jean Mayer était féru de mathématiques, et heureusement pour Diderot, car il a commencé à travailler pour l’édition de ses Œuvres complètes (DPV) en assurant l’édition critique des écrits mathématiques du philosophe parue dans le tome II en 1975. Qui d’autres, parmi les diderotistes, aurait pu rectifier « certaines erreurs ou obscurités dans les calculs de Diderot » (p. 229) ? Qui d’autre aurait pu ajouter, par exemple, cette note explicative dans les « Premières notions de mathématiques » figurant parmi les textes inédits du fonds Vandeul : « La tierce, peu usitée, n’est pas reconnue comme unité d’arc ; en fait, la division sexagésimale s’arrête à la seconde » (p. 376, note 21) ? Ce n’est pas sans fierté qu’il m’avoua un jour avoir écrit plusieurs articles dans des revues mathématiques, ainsi qu’une contribution sur le problème des quatre couleurs pour l’Encyclopaedia universalis. Dès 1959, la vocation scientifique de Jean Mayer s’est brillamment manifestée dans sa thèse principale sur Diderot homme de science ainsi que dans sa thèse complémentaire, la première édition critique des Éléments de physiologie publiée en 1964 et reprise dans le tome XVII de DPV. Il fallait le courage et les compétences de Jean Mayer pour oser aborder l’œuvre scientifique de Diderot qui, rabaissée ou simplement ignorée, attendait la réhabilitation que sa thèse magistrale allait enfin apporter. Du courage parce que, ignorant tout de l’histoire de la physiologie, il a dû se plonger dans les huit volumes des Elementa physiologiae corporis humani de Haller en latin2, sans parler des autres physiologistes du temps ; de la compétence surtout, car son Diderot homme de science brasse tous les domaines de la recherche scientifique du 18^e siècle : non seulement les mathématiques et la physiologie, mais également la physique, la chimie, la biologie et la médecine. Ajoutons que le corpus étudié était tout sauf homogène : des œuvres bien identifiées comme les Pensées sur l’interprétation de la nature y côtoient les articles écrits pour l’Encyclopédie, les inédits du fonds Vandeul et les différentes copies du Cours de chimie de Rouelle dont il présenta des pages choisies dans le tome IX de DPV. Homme de science et homme de lettres accompli, Jean Mayer avait aussi la passion de la musique, et ceci dès avant l’âge de trois ans. C’est lui qui a assuré, presque tout seul, l’édition critique des écrits de Diderot sur la musique qui occupent la totalité du tome XIX de DPV paru en 1983. Qui d’autre que lui parmi les spécialistes de Diderot aurait pu relever et corriger plusieurs coquilles des Leçons de clavecin ? Je me souviens d’avoir suivi, au début des années 1980, le cours de musicologie qu’il dispensait aux étudiants de DEA et où il nous jouait des airs de Carmen et de Wagner sur son violon pour illustrer ses propos. Auteur d’un article dans Romantisme (6, 1973) sur « Les conflits de races dans “l’Anneau du Nibelung”, de R. Wagner », Jean Mayer nourrissait une telle passion pour Wagner qu’il écoutait une fois par semaine Les Maîtres chanteurs de Nuremberg dont il me citait des passages entiers en allemand quand je lui rendais visite. Pendant quarante ans, il a fait partie de différents orchestres d’amateur, que ce soit en Bretagne, en Côte-d’Ivoire où il a enseigné pendant plusieurs années, ou enfin à l’Université Paul-Valéry de Montpellier où Jean Mayer a effectué sa carrière de professeur de littérature française, toujours discret, et avec cette gentillesse exquise qui le caractérisait. Il s’est éteint, parfaitement lucide et heureux, à l’âge de 98 ans.