• 1  V. not. L. Leveneur, « Les droits des personnes », RFDA 2021, p. 831 ; adde H. Fulchiron et S. Fer (...)
• 2  Il sera revenu plus loin, en détail, sur ces dispositions, mais l’on peut d’ores et déjà préciser (...)
• 3  V. pour l’effet de la loi sur l’instruction en famille et donc, sur les modalités d’exercice de l’ (...)

1Traiter des effets de la loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021 sur le droit civil1 peut a priori surprendre, tant la loi confortant le respect des principes de la République semble à première vue concerner le droit pénal, ou encore la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État, ainsi que le droit public. À bien y regarder pourtant, le Code civil se trouve directement modifié par les articles 24, 35 et 78 de la loi nouvelle2. À côté de ces dispositions qui concernent le Code civil lui-même, si l’on considère que le droit civil peut se trouver aussi hors les murs du Code civil3, d’autres dispositions intéressent cette matière. L’article 29 modifie ainsi le Code de la sécurité sociale s’agissant de la pension de réversion dans le cadre d’un mariage polygamique. Quant à l’article 79 de la loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021, il porte sur l’aliénation d’un local servant habituellement à l’exercice public d’un culte, et intéresse donc le droit des contrats spéciaux. Ladite aliénation étant subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable auprès de l’autorité administrative.

• 4  V. not. H. Fulchiron et S. Ferré-André, art. cit. ; A. Tani, art. cit.
• 5  H. Péroz, « Le droit de prélèvement compensatoire : tout nouveau, tout faux ? », Dr. famille 2021, (...)
• 6  V. H. Péroz, art. cit.

2D’un point de vue technique, ces différentes dispositions ont été dans l’ensemble reçues avec une certaine tiédeur4 par la doctrine, voire avec une franche hostilité5. Il fut dénoncé ainsi le caractère inutile de ces textes, et les commentateurs rivalisèrent d’ingéniosité pour démonter à quel point leur mise en œuvre serait difficile. Certains suggérèrent6 de former des questions prioritaires de constitutionnalité, dès lors que les dispositions en question n’ont pas fait l’objet du contrôle a priori, voire de former des questions préjudicielles devant la Cour de justice de l’Union européenne.

• 7  V. L. Leveneur, art. cit., selon qui « le raffermissement de la réserve héréditaire réalisé par l’ (...)

3Quelques auteurs, assez rares, ont cependant approuvé les textes dont il est ici question, en particulier en ce qui concerne le droit de prélèvement compensatoire7. La pratique et les premières mises en œuvre contentieuses vont assurément constituer des révélateurs de l’opportunité ou de l’inopportunité de telle ou telle disposition. Pour l’heure, et puisqu’il s’agit de mesurer l’impact de cette loi sur le droit civil, on peut tout de même partir du postulat selon lequel le législateur a jugé nécessaire de modifier certaines normes en cette matière (dans le Code et hors les murs de celui-ci) dans le but de conforter les valeurs de la République.

• 8  J. Carbonnier, « Regard d’ensemble sur la codification de la procédure civile », in Jean Carbonnie (...)

9Ces préalables étant posés et quelles que soient les limites et imperfections des textes, l’idée d’un a priori surprenant mérite d’être relativisée. Il n’est en effet pas incongru que certains symboles du droit civil et que des mécanismes de cette matière soient mobilisés afin de conforter le respect des principes de la République, dès lors que pour reprendre la formule de Carbonnier, ce qui se trouve au cœur du droit civil est la civilité, c’est-à-dire le « vivre ensemble8 ».

• 9  V. en dernier lieu le débat relatif à la nécessité de rédiger un nouveau Code civil : B. Beignier, (...)
• 10  Sur l’origine et le destin de l’expression « constitution civile de la France », V. Y. Gaudemet, « (...)

10Quoi de plus logique, ce faisant, que ce soit au cœur de ce texte qui revêt une importance particulière dans l’imaginaire collectif français9, le Code civil, véritable constitution civile de la France, selon l’expression de Demolombe reprise par Carbonnier10, que se trouvent certaines modifications faites.

• 11  Cass. 1^re civ., 3 févr. 2004 : Rev. crit. DIP 2004, p. 395, obs. B. Ancel ; D. 2004, p. 2963, obs. (...)

17A priori, la disposition pourrait surprendre, tant il paraît acquis que le mariage célébré en France nécessite que le précédent mariage soit préalablement dissous. La célébration d’un second mariage demeure en effet impossible avant la dissolution de la première union, y compris lorsqu’il est question de célébrer le second mariage entre les deux mêmes époux11. L’article 147 du Code civil dispose en effet qu’« on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ».

• 12  Tel serait le cas par exemple du mariage de deux Comoriens célébrés aux Comores.

18Apprécier l’effet de la loi nouvelle sur le problème du versement de la pension de réversion dans les couples polygames en France implique de revenir vers quelques notions de droit international privé. La formation du mariage se trouve en effet soumise à deux règles de conflits différentes, en droit français. Alors que les conditions de forme du mariage relèvent de la loi du lieu de célébration du mariage, les conditions de fond se trouvent quant à elle soumises à la loi nationale des intéressés, de manière distributive. Ainsi, le mariage célébré à l’étranger, en respectant les formes locales, entre deux ressortissants étrangers, conformément à leurs lois nationales, demeure en principe valable au regard du droit international privé français12. On considère ici que l’ordre juridique français est peu concerné par cette situation, ce que désigne l’expression d’effet atténué de l’exception d’ordre public. En revanche, si l’on prend l’exemple du mariage d’un époux comorien, marié une première fois aux Comores qui souhaite en revanche se marier une seconde fois en France, alors que son premier mariage n’est pas dissous, l’exception d’ordre public va jouer. Il est alors question dans cet exemple de créer en France un effet juridique. De même si un Français souhaite se marier aux Comores, alors qu’il est encore marié, sa loi nationale s’y oppose.

• 13  Cass. 2^e civ., 2 mai 2007, n^o 06-11.418 : « l’ordre public français ne fait pas obstacle à l’acqui (...)
• 14  Cass. 1^re civ., 17 nov. 2021, n^o 20-19-420.

19En raison de l’effet atténué de l’exception d’ordre public, il existe donc des mariages polygamiques qui traditionnellement sont valables au regard du droit international privé français. Ainsi, avant que les conditions d’accès au territoire pour les familles polygames ne soient durcies, des familles purent s’installer valablement en France, leur mariage, quoique polygamique, ayant été célébré précédemment à l’étranger, conformément aux formes locales et en respectant les lois nationales des intéressés13. L’effet atténué de l’ordre public permet alors de faire prévaloir le principe de permanence du statut personnel. La jurisprudence a fréquemment l’occasion de le rappeler et la Cour de cassation le fit encore dans un arrêt du 17 novembre 202114, en cassant un arrêt d’appel ayant déclaré irrecevable une requête en divorce introduite en France par une épouse aux motifs que le droit français ne reconnaît pas la bigamie. La première chambre civile rappelle que le juge français doit, en présence d’un élément d’extranéité, vérifier si la loi personnelle des époux autorise la bigamie, et ce, afin de se prononcer, sur la dissolution du second mariage.

• 15  Cass. 1^re civ., 6 juill. 1988 : Rev. crit. DIP 1989, p. 71, note Y. Lequette.
• 16  Adde plus récemment Cass. 2^e civ., 20 déc. 2018, n^o 17-27.987 ; 5 nov. 2015, n^o 14-25.565 ; 9 oct. (...)

20Cet exemple jurisprudentiel signifie donc qu’il convient d’admettre ici que, potentiellement, dans certaines hypothèses où le mariage bigamique sera célébré à l’étranger sans fraude, conformément aux formes locales et en respectant les lois nationales des intéressés, il pourra être reconnu en France. D’anciens exemples jurisprudentiels démontrent15 que, par le passé, une pension alimentaire put être reconnue à la seconde épouse ou encore qu’elle pût se voir reconnaître une pension de réversion16 lorsque le mari défunt a cotisé en France, alors même que le mariage était nul, en raison de la théorie de la putativité. Les caisses de retraite pratiquaient généralement un partage par moitié de la pension de réversion entre les deux épouses, voire instillaient une distinction au prorata des durées de mariage respectives. En tout état de cause, les caisses de retraite n’accordaient ladite pension que pour le montant nominal global d’une seule pension de réversion.

• 17  V. L. Leveneur, art. cit.
• 18  En ce qui concerne les documents de séjour, V. la contribution de Serge Slama dans ce numéro, p. 1 (...)
• 19  V. supra pour le texte du nouvel article L. 161-23-1 A du Code de la sécurité sociale.
• 20  L’on songe ici aux conventions bilatérales.
• 21  V. pour la prise en compte de la bonne foi de la seconde épouse : Cass. soc., 9 nov. 1995 : Bull.  (...)

21Avec la loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021, le législateur a affiché précisément une volonté de revenir sur cette solution, en érigeant deux barrières face à ces conséquences d’un mariage polygamique régulièrement célébré à l’étranger17, qui concernent les documents de séjour18 et les pensions de réversion. En ce qui concerne ces pensions de réversion, l’article L. 161-23-1 A du Code de la sécurité sociale pose expressément un principe d’unicité du versement19. Le texte prévoit toutefois deux exceptions tirées du respect des engagements internationaux de la France20 et de la théorie du mariage putatif. Aussi, si le deuxième conjoint est de bonne foi et que le mariage est annulé, alors un partage de la pension entre les deux conjoints survivants devrait demeurer possible. Sur ce point, le texte nouveau fait naître une certaine perplexité dès lors que la jurisprudence put déjà par le passé soumettre de la sorte le bénéfice de la pension de réversion au jeu de la putativité. Le véritable apport du texte suscite alors des interrogations et l’on peut raisonnablement considérer que, la solution technique fondée sur la putativité ayant déjà été dégagée par la jurisprudence21, le texte poursuit avant tout une finalité symbolique, en écartant le juge de l’effet atténué de l’exception d’ordre public pour affirmer ce faisant la prégnance du principe de monogamie, y compris dans ces situations marquées par des liens forts avec les ordres juridiques étrangers.

• 22  Sur la réserve héréditaire, V. not. C. Pérès et Ch. Vernières, Droit des successions, Paris, PUF, (...)
• 23  Ce point sera étudié infra.

25Institution de droit successoral22, la réserve héréditaire est une part de la succession dont on ne peut pas, selon le Code civil, disposer par libéralité, dans le but de garantir une forme d’égalité entre les héritiers, de lutter contre l’exhérédation et qui peut participer d’une protection d’ordre alimentaire. Aussi, à suivre les intentions législatives, les finalités poursuivies par la réserve héréditaire seraient donc préservées grâce à la consécration du nouveau mécanisme, de deux manières. L’article 24 de la loi institue tout d’abord un droit de prélèvement compensatoire de biens successoraux situés en France. La même disposition détaille ensuite le rôle que le notaire23 doit désormais jouer à l’égard des héritiers réservataires. En ce qui concerne le droit de prélèvement compensatoire, pour les successions ouvertes depuis le 1^er novembre 2021, un nouvel article 913 alinéa 3 a été consacré.

• 24  Règl. (UE) n^o 650/2012 du PE et du Cons., 4 juill. 2012, relatif à la compétence, la loi applicabl (...)
• 25  Comp. C. Deneuville et S. Godechot-Patris, « Le choix d’une loi étrangère ignorant la réserve héré (...)
• 26  Cons. const., 5 août 2011, n^o 2011-159 QPC : D. 2012, p. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. (...)

28La question posée est simple et consiste à déterminer si une loi étrangère qui ne prévoit pas la réserve héréditaire s’avère contraire à l’ordre public au sens du droit international. La Cour de cassation ne fut jamais saisie de cette question, mais le débat a été relancé au début des années 2010 pour deux raisons différentes. D’une part, le règlement n^o 650/2012, dit règlement « Successions24 », qui met fin à la solution prétorienne du morcellement des successions internationales, au profit d’une quête d’unité, marque une nette faveur pour les pactes successoraux. Par ailleurs, pour les successions ouvertes à compter du 17 août 2015, la loi applicable est la loi du dernier domicile du défunt, mais ce dernier peut, de son vivant, choisir sa loi nationale pour régir la succession. Ainsi, un Irlandais qui passe sa retraite dans le sud de la France peut choisir la loi irlandaise comme loi applicable à sa succession, même pour des biens immobiliers situés en France. Or, il n’existe pas de réserve héréditaire en droit irlandais et paraît donc possible une atteinte à la réserve héréditaire25 de ses héritiers, alors même que des biens se situeraient en France. D’autre part, si la question n’avait jamais été posée à la Cour de cassation, c’est parce qu’il existait un mécanisme protecteur du droit de prélèvement de l’héritier français pour les biens situés en France. Le droit de prélèvement était issu d’une loi du 14 juillet 1819 relative à l’abolition du droit d’aubaine et de détraction, qui visait précisément à protéger l’institution de la réserve héréditaire. Le mécanisme permettait à un héritier français de prélever en priorité sur des biens situés en France sa part de réserve héréditaire, lui évitant de subir les conséquences de l’application d’une loi étrangère méconnaissant la réserve. Le droit de prélèvement ne concernait cependant que l’héritier de nationalité française et, pour cette raison, le Conseil constitutionnel26, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé le dispositif contraire au principe de non-discrimination en raison de la nationalité.

• 27  Cass. 1^re civ., 27 sept. 2017, n^o 16-17.198 et n^o 16-13.151 : Rev. crit. DIP 2018, p. 87, note B. (...)
• 28  V. H. Fulchiron, « Ordre public successoral et réserve héréditaire : réflexion sur les notions de (...)

29La question du caractère d’ordre public de la réserve héréditaire va finalement être tranchée par deux arrêts importants rendus le 27 septembre 2017, dits arrêts Jarre et Colombier27, au sujet de musiciens de nationalité française, installés durablement en Californie et qui organisent là-bas leur succession et ceci aboutit à priver leurs héritiers de biens successoraux auxquels ils auraient eu droit selon la loi française. La Cour de cassation28 juge que la loi étrangère qui méconnaît la réserve n’est pas, en elle-même, contraire à l’ordre public. Il faut veiller à ce que sa mise en œuvre ne porte pas atteinte à un principe jugé essentiel par l’ordre juridique français. Tel serait assurément le cas d’une loi étrangère qui consacrerait ouvertement une distinction successorale entre les hommes et les femmes ; ou bien une loi étrangère réservant la succession aux héritiers de certaines confessions seulement ; voire encore qui réserverait la succession aux seuls enfants dits « légitimes »…

• 29  C. Pérès et Ph. Potentier (dir.), Rapport du groupe de travail sur la réserve héréditaire, DACS, 1 (...)

30Les arrêts du 27 septembre 2017 suscitèrent beaucoup d’émotion dans les rangs des juristes civilistes attachés à la réserve. Un rapport officiel conclut à la nécessité de conserver le caractère d’ordre public de la réserve29. La loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021 semble répondre à cette proposition, de manière singulièrement maladroite sans doute d’un point de vue technique. Sur la place de ce mécanisme dans la loi, on peine a priori à déterminer la manière dont il concerne le séparatisme religieux. Pour cette raison sans doute, les travaux préparatoires insistent sur le traitement différencié entre la sœur et le frère dans certains États de droit musulman, la fille héritant de la moitié de la part de son frère. Par exemple, si un Marocain qui réside habituellement en France choisit sa loi nationale pour régir sa succession, sa fille aura la moitié de ce à quoi a droit son frère. Le dispositif est censé lutter contre l’application d’une telle loi étrangère.

• 30  Sur ce point, V. J.-P. Decorps, « La réserve héréditaire en droit comparé », in V. Egéa (dir.), «  (...)

31Deux remarques méritent d’emblée d’être formulées. La première remarque consiste à rappeler que la réserve formulée dans les arrêts Jarre et Colombier, tirée de l’atteinte concrète que causerait l’application d’une loi étrangère à un principe essentiel du droit français, permettait sans doute d’atteindre le même objectif. Surtout, le nouvel article 913 alinéa 3 du Code civil revêt un champ à la fois trop large et trop restreint puisqu’il concerne en effet les lois étrangères qui « ne permettent aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants ». Or, ne pas prévoir de mécanisme protecteur est une chose différente que d’organiser des mécanismes protecteurs, mais de manière inégalitaire, comme le font la plupart des droits d’inspiration musulmane, en comportant des formes de réserve30, mais selon des taux différents entre hommes et femmes.

• 31  C. civ., art. 180 : « Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou (...)

39La première modalité de lutte contre les mariages forcés relève de l’ordre de la prévention. En amont, on tente soit d’empêcher le mariage forcé, par exemple en érigeant l’âge nuptial de la femme de 15 à 18 ans, avec la loi du 4 avril 2006. Il en va de même en accordant plus de pouvoirs à l’officier de l’état civil, afin de lui permettre de signaler au parquet un risque de mariage forcé pour qu’il exerce sa faculté d’opposition au mariage. La deuxième modalité est d’ordre curatif et intervient en aval. Une fois le mariage forcé célébré, sa nullité peut être judiciairement prononcée, pour défaut de consentement ou consentement qui n’est pas libre31.

• 32  Circ. CIV/09/10, 22 juin 2010, relative à la lutte contre les mariages simulés ; adde Rép. min. n^o(...)

40La loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021 mise très clairement sur le volet préventif de la lutte contre les mariages forcés. Pour ce faire, il convient de rappeler qu’en vue de la publication des bans, l’officier de l’état civil recueille toute une série de pièces qui permettent de justifier l’identité des époux et il procède à l’audition commune des époux. L’article 63 du Code civil, tel que modifié par la loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021 intéresse précisément l’audition commune des époux, en prévoyant la faculté d’auditions séparées des conjoints. Le système diffère assez peu de ce qui existait précédemment, en ce qui concerne la possibilité d’un entretien individuel. Avant la rédaction issue de la loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021, l’article 63 du Code civil disposait que « L’officier de l’état civil, s’il l’estime nécessaire, demande à s’entretenir séparément avec l’un ou l’autre des futurs époux ». Initialement, il semble que le dispositif fut avant tout conçu pour prévenir la célébration des mariages dits « blancs », c’est dire dans lesquels les époux poursuivent un but étranger à l’institution matrimoniale, en termes de droit de la nationalité par exemple. Si cet objectif n’était pas textuellement érigé en but de l’audition séparée ni, a fortiori, comme l’unique but poursuivi, le pouvoir exécutif interprétait cependant en ce sens les dispositions du Code civil32.

• 33  A. Tani, « Action en réduction et devoir notarial renforcé : la loi doit-elle énoncer des évidence (...)
• 34  V. H. Fulchiron et S. Ferré-André, art. cit., spéc. n^o 29 et s.

47Les travaux préparatoires à la loi du 24 août 2021 laissent entendre que l’obligation de conseil expressément mentionnée désormais à l’article 913 alinéa 2 du Code civil constitue une obligation de moyens et non de résultat. Autrement dit, la loi codifie ici ce que la pratique effectuait déjà, en se fondant, sur le fond, sur le droit des libéralités et, en ce qui concerne le rôle de rédacteur d’acte de l’officier public et ministériel, en appliquant les règles et principes classiques du droit de la responsabilité du rédacteur. Un auteur33 a pu considérer à juste titre que la loi rappelle ici des évidences. Pour autant, le choix du notaire n’est pas anodin quand il s’agit d’afficher un but politique qui est l’exaltation du mécanisme de la réserve. Statutairement, le notaire est en effet un officier public et ministériel. D’ailleurs, d’autres professionnels qui peuvent avoir à planifier certaines successions internationales – comme des cabinets d’avocats spécialisés en patrimoine familial ; voire des services de banque-assurances – ne sont pas concernés par le texte. Des critiques ont pu être adressées par certains commentateurs contre cette différence de traitement34. Elle s’explique sans doute par la dimension symbolique et non technique de la loi mise en place, dès lors que le notaire n’est pas un professionnel comme un autre, mais qu’il remplit une mission de service public. À l’instar de l’officier de l’état civil, le choix a donc été fait, non sans imperfections techniques il est vrai, de s’appuyer sur ces rédacteurs d’actes authentiques (l’acte notarié, l’acte d’état civil) pour mettre en évidence les principes considérés comme essentiels par l’ordre juridique.

• 35  A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. 1, Paris, Pagnerre, 1848, p. 74-75.

51La loi n^o 2021-1109 du 24 août 2021 présente au moins le mérite, en dépit de ces scories techniques, de mettre l’accent sur ces mécanismes clefs de la liquidation d’une succession. En ceci elle constitue peut-être en elle-même un texte qui pour Tocqueville avait une importance capitale, lorsqu’il notait que les lois sur les successions « devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques, car elles influencent incroyablement sur l’état social des peuples, dont les lois politiques ne sont que l’expression35 ».