• 1  Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, Rapport au pr (...)
• 2  E. Macron, Discours du président de la République sur la lutte contre les séparatismes, tenu aux M (...)

1Par son ambition initialement définie – et durablement inscrite comme telle dans les esprits – de lutter contre les séparatismes, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (LCRPR) se situe, près de vingt ans plus tard, dans le prolongement des travaux de la commission Stasi1, traversés par la préoccupation du communautarisme. De même que le communautarisme devait alors être combattu comme source de l’échec de l’intégration sociale – des personnes de religion ou de culture musulmane – aujourd’hui, ce à quoi il faut « s’attaquer, c’est le séparatisme islamiste2 ». Alors que les travaux de la commission Stasi reflétaient la mission large qui lui avait été confiée de se pencher sur la question globale de l’application du principe de laïcité dans la République, ils sont demeurés connus avant tout pour avoir constitué l’antichambre de la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

• 3  E. Macron, Discours prononcé lors de la cérémonie nationale d’hommage aux victimes de l’attaque du (...)
• 4  Cl. Donnet, « Les signalements pour “risque de radicalisation” dans les établissements scolaires e (...)
• 5  Étude d’impact, projet de loi confortant le respect des principes de la République, 8 déc. 2020.
• 6  Ibid., p. 25.
• 7  Ibid.
• 8  Ibid., p. 26.
• 9  Ph. Portier, « Situation de la laïcité française », Cah. just. 2018, p. 399-413.

2Or, à cette inspiration commune de la problématique pérenne de l’intégration sociale s’est ajouté, particulièrement à partir de 2015, l’enjeu de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation, cette dernière ayant donné lieu à des politiques de prévention le plus en amont possible. Ce qui suppose d’« attaquer la racine, le terreau sur lequel prospère le terrorisme islamiste et ses vocations mortifères […]. Professeurs, fonctionnaires, médecins, bénévoles associatifs sont unis partout dans les lieux les plus sensibles de la République pour prévenir, détecter, agir contre la radicalisation3 ». Si l’École publique est donc mobilisée, la « société de vigilance » s’étend à l’ensemble des lieux d’éducation, au-delà du « cadre scolaire laïque de plus en plus sanctuarisé4 ». L’École publique, « porteuse de la promesse républicaine » et de ses principes, peut s’appuyer sur « la loi du 15 mars 2004 par laquelle le législateur, en interdisant aux élèves de porter des signes manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse, a entendu protéger ceux-ci de tout prosélytisme dans l’enceinte de l’École5 ». Toutefois, la remise en question de ces principes républicains aurait « de plus en plus pour objet de contourner l’institution scolaire, conduisant à des manifestations de séparatismes sociologiques ou religieux contraires aux valeurs de notre République6 », expliquant l’intérêt porté par la loi du 24 août 2021 à des structures et lieux qui participent de la mise en œuvre du droit à l’instruction : les écoles privées hors contrat et l’instruction en famille. Mû par la « perméabilité à l’embrigadement » dont les mineurs « peuvent être les cibles7 », le gouvernement a considéré que « l’instruction en famille et les établissements privés hors contrat peuvent faire l’objet d’un encadrement plus strict qui permettrait d’améliorer leur contrôle par les pouvoirs publics. La jeunesse, qui formera la société de demain, ne peut pas être laissée à la marge de la République ». La mobilisation du discours sur « la vocation émancipatrice et civique de l’École », permettant « à ses enfants de devenir des citoyens libres et éclairés, capables d’exercer cette souveraineté populaire qui fait notre fierté8 » est symptomatique d’une appropriation durable par la droite du registre laïque appartenant historiquement aux partis de gauche, mais qui, « à la faveur d’une réflexion sur l’intégration de l’Islam dans la République, elle-même activée par les tragédies des années 2000-2010 », considère la laïcité « de plus en plus comme un régime substantiel, noué autour d’un ensemble de valeurs lourdes » et qui donne lieu à « la mise en place de contrôles inédits destinés à protéger la culture partagée de la société »9.

• 10  N. Sild, « L’éducation », RFDA 2021, Dossier sur la loi du 24 août 2021 confortant le respect des (...)
• 11  Selon Nicolas Sild, art. cit., « s’agissant de l’instruction en famille, il n’est pas exagéré de d (...)
• 12  Étude d’impact, précit., p. 26.
• 13  N. Sild, art. cit.

3À travers « quatorze volumineux articles relatifs à l’éducation (art. 49 à 62)10 », la loi du 24 août 2021 ajoute au renforcement des contrôles tant de l’instruction en famille que des établissements scolaires hors contrat intervenu ces dernières années. Concernant la première, elle disparaît en tant que pilier, même symbolique d’un point de vue numérique, de la liberté de l’enseignement pour devenir une exception, soumise à autorisation, à l’obligation de scolarisation11 (1). Quant aux établissements privés hors contrat (2), comme le précisait l’étude d’impact, les mesures renforçant leur contrôle se situent « dans le prolongement de la loi Gatel du 13 avril 201812 ». Dans les deux cas, divers éléments invitent à s’interroger sur la logique à l’œuvre. L’absence de difficultés majeures, tant du point de vue de l’instruction en famille que des écoles hors contrat13, conduit à considérer ces modifications moins comme un développement d’un projet relatif à l’éducation, que comme une déclinaison, dans ce domaine, d’une politique globale d’encadrement du fait religieux visant hier les mouvements considérés comme « sectaires » et aujourd’hui concentrée sur le culte musulman, comme un élément du puzzle aux multiples pièces que constitue la loi du 24 août 2021.

• 14  CE, 19 juill. 2017, n^o 406150.
• 15  Cons. const., 23 nov. 1977, n^o 77-87 DC, Liberté de l’enseignement.
• 16  V. A. Desrameaux, « L’instruction à domicile : une survivance sous surveillance », AJDA 2009, p. 1 (...)

5Auparavant, l’article L. 131-2 du Code de l’éducation offrait une alternative pour la mise en œuvre de l’instruction obligatoire dans la mesure où elle pouvait « être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix ». Désormais, et plus précisément à compter de la rentrée scolaire 2022, « l’instruction obligatoire est donnée dans les établissements ou écoles publics ou privés. Elle peut également, par dérogation, être dispensée dans la famille, par les parents, par l’un d’entre eux ou par toute personne de leur choix, sur autorisation délivrée dans les conditions fixées à l’article L. 131-5 ». Par cette modification, la LCRPR entraîne un basculement, faisant de la scolarisation le principe et de l’instruction en famille l’exception, alors que celle-ci constituait jusqu’à présent une modalité de l’obligation d’instruction. Le Conseil d’État avait clairement affirmé, encore récemment, que « le principe de la liberté de l’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir, pour leurs enfants, des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille14 ». Pour autant, la protection offerte au droit des familles d’instruire leurs enfants à domicile par le principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement15 est devenue fragile du fait d’une déconsidération durable et d’une consécration « seulement » législative de ce choix éducatif (C. éduc., art. L. 131-2)16.

• 17  Ibid., p. 138.
• 18  Cons. const., 13 août 2021, n^o 2021-823 DC, Loi confortant le respect des principes de la Républiq (...)
• 19  Rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la radicalisation islamiste, n^o 595, 7 juill. 2020 (...)

6Au regard de cette dépréciation, que le droit français traduit par une inclination « à confondre instruction obligatoire et obligation scolaire17 », la décision du Conseil constitutionnel de ne pas faire de « l’instruction en famille une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l’enseignement » (§ 72) ne surprend guère. L’instruction en famille fait partie des rares – au regard du nombre de sujets traités – dispositions de la loi du 24 août 2021 dont le Conseil constitutionnel a été saisi préalablement à la promulgation du texte18. Les parlementaires auteurs de la saisine arguaient de la méconnaissance par le projet de loi du « principe fondamental reconnu par les lois de la République de liberté de l’enseignement, dont l’instruction en famille serait une composante depuis sa reconnaissance par la loi du 28 mars 1882 », dans la mesure où le projet de loi soumet « désormais la possibilité d’instruction en famille à un régime d’autorisation préalable en lieu et place d’un régime de simple déclaration ». Ce grief a été écarté par le Conseil constitutionnel qui a estimé que l’article 4 de la loi du 28 mars 1882 – qui donnait le choix entre la scolarisation et l’instruction en famille – « n’a fait de l’instruction en famille qu’une modalité de mise en œuvre de l’instruction obligatoire. Il n’a ainsi pas fait de l’instruction en famille une composante du principe fondamental reconnu par les lois de la République de la liberté de l’enseignement » (§ 72). Ce faisant, les juges de la rue de Montpensier relaient cet état d’esprit qui interprète ce qui relève de l’exercice de la liberté d’enseignement à travers le choix de ne pas scolariser ses enfants dans un établissement d’enseignement – public ou privé – comme une marque de « défiance croissante de la part de certains parents » à l’égard des enseignements et du fonctionnement de l’école de la République. Défiance qui ne serait pas « uniquement pédagogique » mais « également idéologique », le « rejet des contenus d’instruction » s’accompagnant alors « d’un rejet des valeurs19 ».

• 20  N. Sild, art. cit.
• 21  V. Étude d’impact, précit., p. 208.

8Les trois premiers motifs n’appellent pas particulièrement de remarques dans la mesure où ils se réfèrent à des situations objectives. En revanche, le quatrième motif de dérogation à l’obligation de scolarisation « pose une condition particulièrement restrictive qui n’est corrélée à aucune donnée factuelle tout à fait probante20 ». Ce projet éducatif est doublement verrouillé, par la condition applicable à l’ensemble des dérogations qu’est l’intérêt supérieur de l’enfant d’une part et par « l’existence d’une situation propre à l’enfant » d’autre part. Il s’agit en réalité de la formulation atténuée de l’interdiction expressément posée au départ par le projet gouvernemental21 de faire reposer ou d’inclure dans le projet éducatif des convictions politiques, religieuses ou philosophiques.

• 22  Ibid.
• 23  Ibid., p. 212. 
• 24  L’idée n’est pas totalement neuve : V. par ex. M. Huyette, « Les sectes et l’enfermement des mineu (...)
• 25  Sont à cet égard symptomatiques les difficultés rencontrées par certaines associations pour obteni (...)
• 26  Selon les chiffres issus d’une « Enquête sur l’instruction dans la famille, année scolaire 2018-20 (...)

9D’après l’étude d’impact de la loi, l’instruction en famille serait l’expression d’un « repli d’ordre communautaire ou sectaire22 » et sa croissance, en elle-même, traduirait « une forme de séparatisme social – que son ressort soit philosophique, religieux ou sociologique23 ». Des inspections auraient en outre « permis de détecter l’existence d’écoles de fait, ouvertes à l’initiative de familles préférant éviter de scolariser leurs enfants dès l’âge de trois ans ou permettre à ces derniers de suivre un enseignement à caractère confessionnel plus marqué voire exclusif d’autres enseignements fondamentaux, empêchant leurs enfants d’acquérir à l’âge de seize ans les connaissances du socle commun de connaissances, de compétences et de culture prévu à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation ». En inaugurant la vingtaine de pages consacrées à l’instruction en famille par l’interdiction de fonder le projet éducatif sur « les convictions politiques, philosophiques ou religieuses de la famille24 », l’étude d’impact affichait clairement l’intention du gouvernement de considérer la question de l’instruction à domicile sous l’angle confessionnel. Les chiffres disponibles permettent pourtant de conclure à l’évidente disproportion des nouvelles mesures25. L’instruction à domicile motivée par les convictions religieuses constitue en effet un phénomène dérisoire, ce choix d’instruire en famille demeurant lui-même très marginal en dépit de l’augmentation du nombre d’enfants concernés26.

• 27  Cette modification résulte d’un amendement (CS1840) de la rapporteure du texte devant l’Assemblée (...)
• 28  Sur ce point, l’avis du Conseil d’État est moins tranché. Il précise qu’au regard de « la diversit (...)

10La suppression d’une interdiction aussi explicite est intervenue par amendement dès l’examen du texte en commission à l’Assemblée nationale27, apparemment guidée par de possibles problèmes ultérieurs de conventionnalité que soulèverait une telle interdiction. Selon l’exposé des motifs de l’amendement, il s’agit en effet « également de garantir la conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont l’article 2 du protocole additionnel n^o 1 précise que “nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques”28 ».

• 29  Intervention du député Jean-Louis Bricout, Ass. nat., compte rendu intégral de la séance du 11 fév (...)
• 30  V. Rapp. AN, n^o 3797, t. I, 25 janv. 2021, p. 205 et s.
• 31  N. Sild, art. cit.

11L’impression que donne la loi de prendre « un marteau pour écraser une mouche29 » s’explique au moins en partie par le fait qu’elle vient à la suite de plusieurs initiatives législatives en la matière, toutes orientées vers davantage de contrôles et de contraintes imposés à l’instruction en famille, marquées par la question de la lutte contre les dérives sectaires et l’influence de certains nouveaux mouvements religieux sur les mineurs. Si, comme le montrent les travaux parlementaires, les préoccupations à l’égard des dérives sectaires sont loin d’avoir disparu30, s’y ajoutent aujourd’hui celles relatives à la prévention de la radicalisation, dans la mesure où l’instruction en famille serait devenue « un terrain d’élection pour les dérives séparatistes31 ».

• 32  A. Desrameaux, art. cit., p. 136. V. aussi dans ce sens L. Cytermann, « Contrôle des établissement (...)
• 33  Note sous Cass. crim., 17 oct. 2001, n^o 01-82.591 : AJ Famille 2002, p. 27.
• 34  A. Gouttenoire, « La loi n^o 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance », D. 200 (...)
• 35  Rapport au nom de la commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectai (...)

12Ainsi la doctrine s’accorde-t-elle à considérer que la loi n^o 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire « a eu principalement pour objet de lutter contre les dérives sectaires » et protéger les enfants « contre toute éducation sectaire32 ». Cette loi, qui aurait d’ailleurs été inspirée par une affaire concernant la scolarisation d’un enfant dans une secte indienne33, imposait un régime de déclaration préalable annuelle pour les parents souhaitant faire donner l’instruction à leur enfant en famille (C. éduc., art. L. 131-5). Par la suite, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait introduit des « dispositions diverses destinées à améliorer la lutte contre les maltraitances dont l’enfant peut être victime, particulièrement en le protégeant contre la pornographie et l’emprise des mouvements sectaires34 » et avait ainsi limité aux enfants d’une seule famille la possibilité de donner l’instruction à domicile (C. éduc., art. L. 131-10). Cette loi avait été précédée d’un rapport parlementaire relatif « à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs » qui proposait déjà d’aménager le Code de l’éducation en ce sens35. Enfin, la loi n^o 2019-791 pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 et le décret n^o 2019-823 du 2 août 2019 relatif au contrôle de l’instruction dispensée dans la famille ou dans les établissements d’enseignement privés hors contrat et aux sanctions des manquements aux obligations relatives au contrôle de l’inscription ou de l’assiduité dans les établissements d’enseignement privés prévoient la possibilité pour l’inspection d’académie d’effectuer des contrôles inopinés aux fins de vérifier, essentiellement, que l’instruction est dispensée au même domicile pour les enfants d’une seule famille et que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction tel que défini à l’article L. 131-1-1 du Code de l’éducation.

• 36  Cons. const., 13 août 2021, précit., cons. 67.

13Au regard de ce durcissement progressif, la marge d’action du projet gouvernemental en 2020 était réduite et c’est sans doute ce qui l’avait conduit à poser clairement une interdiction de justifier le recours à l’instruction en famille pour des raisons religieuses. En dépit du retrait de cette interdiction, il reste qu’en reliant exclusivement à l’intérêt supérieur de l’enfant les raisons qui peuvent être invoquées pour demander une autorisation d’instruction à domicile, et au regard de la suspicion jetée sur la dimension confessionnelle de cette question depuis plusieurs années, l’on peut raisonnablement douter qu’une telle demande sera accueillie et penser qu’il deviendra difficile sinon impossible pour les parents d’invoquer ce motif. D’autant que le Conseil constitutionnel avait écarté le grief selon lequel ces dispositions « méconnaissent la liberté d’opinion et la liberté de conscience » en ne prévoyant pas qu’une telle demande d’autorisation préalable « puisse être motivée par des convictions politiques, religieuses ou philosophiques36 ».

• 37  V. Étude d’impact, précit., p. 25. Pourtant, la protection de l’ordre public et la protection de l (...)
• 38  Rapp. AN, n^o 3797, précit., t. II., p. 215.

15La lutte contre le séparatisme et la prévention de la radicalisation n’apparaissent qu’en arrière-plan dans le projet gouvernemental qui mettait en avant la volonté de garantir le respect du droit à l’instruction des enfants37. Il n’en reste pas moins que la loi du 24 août 2021 ajoute aux contraintes pesant sur l’enseignement hors contrat qui, certes, « contribue à la diversité des choix éducatifs disponibles », mais peut « également être un support de radicalisation, d’endoctrinement ou de dérives sectaires38 ».

• 39  L. Cytermann, art. cit. p. 2221. Succédant à une proposition de loi en ce sens (Ass. nat., n^o 3704 (...)
• 40  L. Cytermann, art. cit., p. 2221.

16En vertu de l’article L. 441-1 du Code de l’éducation, « toute personne respectant les conditions de capacité et de nationalité fixées aux 1° et 2° du I de l’article L. 914-3 peut ouvrir un établissement d’enseignement scolaire privé à condition d’en déclarer son intention à l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation, qui transmet la déclaration au maire de la commune dans laquelle l’établissement est situé, au représentant de l’État dans le département et au procureur de la République ». Le rectorat, le maire de la commune, le préfet et le procureur peuvent former opposition à l’ouverture dans un délai de trois mois. La loi n^o 2018-266 du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat dite loi Gatel avait mis l’accent sur les conditions d’ouverture de ces établissements. En effet, « sans aller jusqu’à créer un régime d’autorisation », la loi avait « considérablement développé les motifs d’opposition à l’ouverture d’un établissement39 ». Alors que l’opposition à l’ouverture ne pouvait jusque-là être fondée que sur des motifs liés à « l’intérêt des bonnes mœurs ou de l’hygiène », la loi Gatel a prévu « quatre motifs (intérêt de l’ordre public ou de la protection de l’enfance et de la jeunesse ; non-respect des conditions légales s’agissant de la personne ouvrant l’établissement et du directeur de l’établissement ; projet d’établissement montrant que celui-ci n’a pas le caractère d’un établissement scolaire ou technique)40. » La loi du 24 août 2021 ajoute un motif d’opposition à l’ouverture : désormais, le préfet « peut également former opposition à une telle ouverture afin de prévenir toute forme d’ingérence étrangère ou de protéger les intérêts fondamentaux de la Nation ».

• 41  V. les cas évoqués par l’étude d’impact pour illustrer les carences du dispositif actuel à propos (...)

17La principale nouveauté de la loi du 24 août 2021 concerne la procédure de fermeture de ces établissements : elle substitue à une décision du juge judiciaire une intervention administrative afin d’accélérer un processus jugé trop lent (C. éduc., art. L. 441-3-1)41. Une telle fermeture peut être prononcée lorsque les formalités de déclaration de l’ouverture n’ont pas été observées ou quand des enfants sont accueillis avant la fin du délai de trois mois pendant lequel il peut être fait opposition (C. éduc., art. L. 441-3-1), en cas de « refus de se soumettre au contrôle des autorités compétentes ou d’obstacle au bon déroulement de celui-ci » ou s’il n’a pas été mis fin

• 42  Selon l’étude d’impact, p. 239, « il est proposé de préciser que le contrôle du respect du droit à (...)

18Le contrôle de l’État sur les enseignements est élargi (C. éduc., art. L. 442-2) : il se « limite » [sic] « aux titres exigés des directeurs et des enseignants, à l’obligation scolaire, à l’instruction obligatoire, au respect de l’ordre public, à la prévention sanitaire et sociale et à la protection de l’enfance et de la jeunesse », mais il est précisé dans la nouvelle version de l’article L. 442-2 que l’instruction obligatoire « implique l’acquisition progressive du socle commun défini à l’article L. 122-1-142 ».

• 43  Sur ces dispositions, V. Y. Mayaud, « Infractions contre les personnes », RSC 2018, p. 675-691.

21Sont ainsi devenus des délits le fait d’ouvrir un établissement d’enseignement scolaire privé en dépit d’une opposition formulée par les autorités compétentes (C. éduc., art. L. 441-4) et le fait de diriger un établissement privé d’enseignement scolaire en dépit d’une telle opposition (C. éduc., art. L. 914-5), une peine d’un an d’emprisonnement se substituant à la décision de fermeture de l’établissement. Ces peines s’ajoutent à celle introduite par la loi n^o 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l’obligation scolaire, qui avait inséré dans le Code pénal un article L. 227-17-1 selon lequel « le fait, pour un directeur d’établissement privé accueillant des classes hors contrat ou son représentant légal, de n’avoir pas pris, malgré la mise en demeure des autorités compétentes de l’État, les dispositions nécessaires pour remédier aux manquements relevés est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende43 ». Cet article lui-même a été modifié en août 2021 : les peines ont été doublées, en outre, « le tribunal peut prononcer à l’encontre de ce directeur ou de son représentant légal la peine complémentaire d’interdiction de diriger ou d’enseigner » et « le fait de ne pas procéder à la fermeture des classes ou de l’établissement faisant l’objet d’une mesure de fermeture prononcée en application des IV ou V de l’article L. 442-2 ou de l’article L. 441-3-1 du code de l’éducation ou de faire obstacle à l’exécution d’une telle mesure est puni d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

• 44  V. par ex. Avis présenté au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communicat (...)
• 45  J.-P. Camby, « Ouverture et fermeture des établissements d’enseignement privés », AJDA 2021, p. 21 (...)
• 46  « Les établissements hors contrat sont aujourd’hui au nombre de 1 872 environ, et accueillent 85 0 (...)

22Moins débattues et critiquées que celles visant l’instruction en famille44 – dont le régime juridique est, il est vrai, plus profondément bouleversé – les modifications apportées au régime déjà « largement balisé45 » des établissements scolaires hors contrat visent aussi à lutter contre la création d’écoles de fait et procèdent de la même démarche consistant à s’appuyer sur quelques cas problématiques, qui révèlent davantage le manque de moyens accordés aux contrôles déjà prévus par le droit existant qu’un problème général. En effet, à l’instar de l’instruction à domicile, les chiffres de la scolarisation dans des écoles hors contrat renvoient à une réalité bien marginale, même si elle est en nette augmentation46. Outre leur caractère disproportionné, les mesures adoptées sont susceptibles d’être inadaptées.

• 47  V. A. Fornerod, A. Jordan, S. Mauris-Demourioux, Écoles hors contrat : terreau de la radicalité ou (...)
• 48  Rapp. AN, n^o 3797, précit., t. I, p. 215.

23Il importe ici de préciser que le « hors contrat » recouvre essentiellement deux situations. La première correspond à la mise en œuvre de pédagogies alternatives s’appuyant sur ce cadre juridique qui permet une grande liberté d’organisation et de choix des enseignements, « à la condition que l’enseignement dispensé respecte le droit des élèves à l’instruction et les normes minimales de connaissances de l’article L. 131-1-1 du code de l’éducation ». Au-delà des pédagogies anciennes et connues (Montessori, Steiner…), le développement ces dernières années des écoles hors contrat a donné lieu à la formation d’un secteur éducatif hétérogène, d’une grande diversité, et encore mal connu47. Environ un quart de ces établissements procéderaient d’un choix éducatif fondé sur la religion48.

• 49  Y. Mayaud, « Deux réserves d’interprétation pour l’article 227-17-1 du code pénal relatif aux étab (...)
• 50  Selon le député Aurélien Taché, « depuis 2017, aucun agrément n’a été délivré, même quand les cond (...)
• 51  Cet ajout résulte d’un amendement adopté en commission à l’Assemblée nationale. Selon son auteure, (...)

24La seconde situation découle directement d’une exigence légale et concerne tous les établissements d’enseignement privés : la contractualisation ne peut être demandée qu’au terme d’un délai de cinq ans après l’ouverture de l’établissement, qu’il s’agisse du contrat simple (C. éduc., art. R. 442-49) ou du contrat d’association à l’enseignement public (C. éduc., art. R. 442-33). Or, la contractualisation n’étant pas automatique à l’issue de ce délai et exigeant que certains critères soient remplis, certains établissements, loin de vouloir faire « figure de rébellion49 », demeurent dans ce statut hors contrat, que l’on pourrait alors qualifier de « subi ». Telle est la situation de nombre d’écoles musulmanes qui aspirent à la contractualisation, renvoyant à un important décalage avec les réponses apportées par les textes récents en la matière50. Au contraire, la nouvelle exigence à laquelle la passation d’un contrat avec l’État est soumise par la loi d’août 2021 pourrait s’entendre comme un message d’intransigeance à l’attention des établissements encore hors contrat. Devant déjà répondre à un besoin scolaire reconnu, la passation d’un tel contrat, désormais, « est subordonnée à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public » (C. éduc., art. L. 442-5). Si cette exigence paraît en elle-même tout à fait raisonnable, elle fait partie d’un ensemble de mesures qui augurent plutôt d’une grande fermeté à l’égard de tout projet éducatif qui s’écarterait par trop des valeurs de l’École républicaine, voire réclament des manifestations d’allégeance. En témoigne la modification de l’article L. 111-1-1 du Code de l’éducation auquel il a été ajouté que « les établissements qui n’ont pas conclu de contrat avec l’État se voient proposer par l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation une charte des valeurs et principes républicains51 ».

• 52  JO Sénat, débats, 28 déc. 1906, p. 1229.

25La loi du 24 août 2021 déploie une large gamme de contraintes et d’interdictions dans les deux secteurs éducatifs susceptibles d’échapper encore aux valeurs et principes républicains. La formule est bien connue : le 28 décembre 1906, au sujet d’un des multiples projets visant à séparer l’État des cultes, Aristide Briand, alors ministre de l’Instruction publique et des Cultes, déclarait aux sénateurs que la future loi « aura pour effet de mettre – et c’est toute notre tactique – l’Église catholique dans l’impossibilité même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité52 ». La suite de son allocution est sans doute davantage éclairante : « ce qu’elle demande, c’est la seule chose que nous sommes bien décidés à lui refuser : la persécution. […] Nous lutterons contre elle à coup de libertés ». Aujourd’hui, dans son ambition – au demeurant légitime – de lutter contre les séparatismes et de prévenir la radicalisation religieuse chez les jeunes citoyens, la loi du 24 août 2021 s’est privée de la liberté de l’enseignement…