• 1  R. Tabard, « Religions et cultures traditionnelles africaines. Un défi à la formation théologique  (...)
• 2  M. Lasseur, « Cameroun : Les nouveaux territoires de Dieu », Afrique contemporaine, n^o 215, 2005/3 (...)
• 3  O. Abdoul-Bagui, « Conflits inter-religieux, associations confessionnelles et construction de la p (...)
• 4  R. S. Appleby, M. E. Marty, « Le fondamentalisme Réponses à quelques questions », Le Débat, n^o 120 (...)
• 5  M.-A. Pérouse de Montclos, « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection relig (...)
• 6  C. Olivier, « Sortir des guerres de Religion », ASSR, n^o 116-117, Histoire de l’État, 1997, p. 24- (...)

1Le pluralisme religieux est une réalité inhérente à la plupart des sociétés africaines fort imprégnées par le sacré1. Entendu comme la situation dans laquelle diverses religions coexistent et, éventuellement, se concurrencent à la faveur de l’émergence d’un « marché national des religions2 », celui-ci, du fait des risques de discriminations qu’il recèle, a parfois généré et entretenu des conflits interreligieux voire socio-politiques en Afrique3. Cela est notamment dû à l’exacerbation des fondamentalismes religieux4 et à leur mutation en extrémismes religieux violents5. Or, à la différence de nombreux États africains, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal semblent, jusqu’à présent, épargnés par ces dérives religieuses6. Ce constat et le fait que ces États partagent une même langue officielle, le français précisément, et une même culture juridique héritée de la France, justifient leur choix comme cadre de cette étude comparée.

• 7  M. Lasseur, « Islam et christianisme en mouvement. Mobilités géographiques et changement religieux (...)
• 8  A. Kory Dione, La question religieuse dans les écoles publiques élémentaires et la modernisation d (...)
• 9  M.-A. Pérouse de Montclos, art. cit. ; M.-P. Ba, « La diversité du fondamentalisme sénégalais. Élé (...)
• 10  M. Samb, « Médias, Religions et Dialogue islamo-chrétien en Afrique de l’Ouest : exemple pilote de (...)

2En effet, ces États africains multiconfessionnels7 ou biconfessionnels, un biconfessionnalisme déséquilibré au profit de l’islam pour ce qui est notamment du Sénégal8, ne sont point confrontés à des conflits interreligieux9. Les différentes traditions religieuses y prospèrent de manière intelligente et y collaborent, de surcroît, à la faveur des mouvements œcuméniques10, et ce sous l’égide du principe de la laïcité.

• 11  P. F. Gonidec, « De la dépendance à l’autonomie : l’État sous tutelle du Cameroun », AFDI, vol. 3, (...)
• 12  Le Gabon, la Côte d’Ivoire et le Sénégal furent naguère des colonies françaises. Pour le Sénégal, (...)
• 13  B. Momo, « La laïcité de l’État dans l’espace camerounais », Les Cahiers de droit 1999, p. 827-828
• 14  Art. 30 de la loi n^o 2000-513 du 1^er août 2000 portant Constitution de la Côte d’Ivoire.
• 15  Art. 2 de la loi n^o 3/91 du 26 mars 1991 portant Constitution du Gabon.
• 16  A. Dieye, « La laïcité à l’épreuve des faits au Sénégal », in M. Badji, O. Devaux et B. Gueye (dir (...)

3Hérité de la France, naguère puissance tutrice pour l’un11 et puissance coloniale pour les autres12, le principe de la laïcité fut successivement reconduit par les différentes Constitutions camerounaises13, ivoiriennes14, gabonaises15 et sénégalaises16. Il s’entend de l’obligation de l’État de ne pas s’immiscer dans les affaires religieuses et de garantir l’égalité entre toutes les religions, sous réserve du respect de l’ordre public.

• 17  Ph. Portier, « L’Église catholique face au modèle français de laïcité », ASSR, n^o 129, 2005, p. 11 (...)
• 18  A. Cabanis, « De la laïcité à la française à la laïcité proclamée par les constitutions de l’Afriq (...)
• 19  J. Lalouette, « Laïcité, anticléricalismes et antichristianisme », Transversalités, n^o 108, 2008/4 (...)
• 20  J.-M. Woehrling, « Le principe de neutralité confessionnelle de l’État », Société, droit et religi (...)
• 21  B. Momo, art. cit., p. 865 ; A. Dieye, art. cit., p. 46-47.
• 22  A. Dieye, art. cit., p. 35.
• 23  A. Glazzard et al., « L’extrémisme islamiste violent. Nouveauté ou continuité des conflits ? », AS (...)

4À la différence de la France17, la laïcité dans ces États ne naquit pas sous des auspices de crise18, elle y a plutôt connu une réception paisible19. Elle y repose ainsi sur un triptyque : la neutralité de l’État, la liberté de religion et le respect du pluralisme confessionnel20. Parce qu’astreints à une attitude de neutralité religieuse, une neutralité certes relative mais maîtrisée21, ceux-ci se veulent areligieux et s’obligent à ne discriminer aucune religion. À cet effet, ils s’efforcent d’organiser une cohabitation entre les différentes religions existantes22. Cette cohabitation contraste avec l’enfer religieux dans lequel incline à s’enliser le continent africain23. Au regard de cette situation, il apparaît que la laïcité n’est point un vœu pieux dans ces États, mais une réalité agissante adossée sur un régime juridique plus ou moins favorable au pluralisme religieux. Décliné comme l’ensemble des normes juridiques qui objectivent le principe de la laïcité, ce régime entend, en effet, garantir, dans une logique égalitaire et non discriminatoire, le pluralisme religieux dans ces différents États de sorte à y favoriser une coexistence interreligieuse apaisée et stable. Cette stabilité, au regard de sa pérennité, incline à entretenir une impression d’évidence.

• 24  Rares en effet sont les études juridiques qui s’y intéressent. À ce propos, on peut citer M Badji, (...)

5L’impression d’évidence de cette coexistence interreligieuse apaisée et stable pourrait expliquer le modeste intérêt porté par la doctrine juridique à l’endroit des rapports étroits et dynamiques entre la laïcité et le pluralisme religieux dans ces États africains24. Or cette coexistence devrait aiguiser la curiosité dans la mesure où son constat invite à une réflexion sur les spécificités du régime juridique de la laïcité. Ce qui porte à se poser la question suivante : qu’est-ce qui caractérise le régime juridique de la laïcité saisi sous le prisme du pluralisme religieux au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal ?

• 25  M. Kaag et M. Saint-Lary, « Nouvelles visibilités de la religion dans l’arène du développement. L’ (...)
• 26  N. S. Tchandeu, W. Kengne et W.-Y. Fokam Noule, « Autels en pierre des “lieux de Dieu” tsu’Ssi à B (...)

8Le fait religieux rythme les sociétés sénégalaise, ivoirienne, gabonaise et camerounaise25. Au vu de ce contexte social particulièrement imprégné par la conscience religieuse et le sacré26, il fut conséquent pour le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal de consolider les normes favorables à la liberté de religion. Cependant, cette consolidation s’avère limitée car bien que cette liberté de religion bénéficie d’une consécration normative affirmée (1.1), sa protection normative est, quant à elle, fragilisée (1.2).

• 27  D. Avon, « Liberté de conscience : histoire d’une notion et d’un droit », Annuaire de l’École prat (...)
• 28  G. Koubi, « La liberté de religion entre liberté individuelle et revendication collective », Les C (...)

9Dans les États dits laïques, à l’instar du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon et du Sénégal, les rapports entre le droit et la religion sont plus ou moins déterminés. Ici le droit ne prétend point se substituer à la religion. En fait, il l’accompagne en affirmant la consécration normative de la liberté de religion à travers précisément la constitutionnalisation des libertés de conscience27 et de culte. Car ces deux libertés structurent fondamentalement la liberté de religion28. Cependant, leurs trajectoires constitutionnelles ne seront pas identiques dans les États ci-dessus invoqués.

• 29  V. à cet effet les préambules des Constitutions du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Gabon et du S (...)
• 30  Les différentes Constitutions du Cameroun n’ont pas toujours comporté de préambule. C’est ainsi qu (...)
• 31  Il s’agit précisément de la loi n^o 59-003 du 24 janvier 1959 portant Constitution de la République (...)
• 32  Art. 15 de la Constitution du 24 janvier 1959.
• 33  A. D. Olinga, « Réflexions sur le droit international, la hiérarchie des normes et l’office du jug (...)
• 34  Il s’agit entre autres du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Chart (...)

10En effet, ces États vont, dès leur indépendance, traiter différemment les libertés de conscience et de culte bien qu’ils aient, ensemble, adhéré aux conventions internationales relatives aux droits de l’homme29. Le Cameroun ne va point les constitutionnaliser en raison soit de l’absence erratique du préambule30 dans la Constitution, soit de l’incertitude sur la valeur constitutionnelle dudit préambule. Ce sera également le cas de la Côte d’Ivoire qui n’amorcera leur constitutionnalisation qu’à la faveur de la loi n^o 2000-513 du 1^er août 2000 portant Constitution de la Côte d’Ivoire. Or cette voie fut très tôt empruntée par le Gabon et le Sénégal. C’est donc dire que les libertés de conscience et de culte y incarnent respectivement, depuis la Constitution du 14 novembre 1960 et de celle du 24 janvier 195931, des libertés constitutionnelles32. Au Cameroun et en Côte d’Ivoire par contre, pays ayant adhéré au monisme juridique33, ces libertés avaient, au plus, une valeur supra-légale en ce qu’elles étaient énoncées dans les conventions internationales relatives aux droits de l’homme34, conventions ayant connu l’adhésion ou la ratification de ces deux États.

• 35  P. Rolland, « Qu’est-ce qu’un culte aux yeux de la République ? », ASSR, n^o 129, janv.-mars 2005, (...)

11Aussi fallut-il attendre, au Cameroun, la constitutionnalisation du préambule consacrée à l’article 67 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 pour que les libertés de conscience et de culte revêtent une valeur constitutionnelle. En consacrant ces libertés, ces quatre États dénient le caractère officiel à une religion spécifique, et affirment, à ce propos, la « sortie des religions de l’espace public au sens où elles n’occupent plus une place officielle […]35 ».

• 36  E. Picard, « L’émergence des droits fondamentaux en France », AJDA, 20 juill.-20 août 1998, p. 7-2 (...)

12À l’aune de cette reconnaissance constitutionnelle, ces États affirment la fondamentalité36 des libertés de conscience et de culte et, de ce fait, celle de religion de sorte à en justifier la protection normative. Cependant, cette protection normative s’avère fragilisée.

• 37  Ibid.

13Auréolée des dignités constitutionnelle et conventionnelle qui lui confèrent ainsi le statut de droit fondamental37, la liberté de religion requiert une protection normative au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal. Bien qu’elle soit effective, cette protection normative y est toutefois fragilisée au regard de l’existence et de la rémanence de certaines difficultés de fait et de droit.

• 38  O. Le Bot, « Contrôles de constitutionnalité a priori et a posteriori en Europe », Les Nouveaux Ca (...)
• 39  S. Mouton, « Les contrôles de constitutionnalité “à la française” : les raisons d’une continuité » (...)

15En tant que liberté constitutionnelle, la liberté de religion exige une protection constitutionnelle à travers un contrôle de constitutionnalité des lois avant leur promulgation, et des conventions internationales avant leur ratification ou approbation. Il s’agit précisément d’un contrôle a priori38 et par voie d’action39.

• 40  P. Hayat, « La laïcité républicaine. Déterminations, implications et enjeux », Le Philosophoire, n(...)

17Certes, on pourrait logiquement supputer sur le caractère intangible du principe de laïcité en ce que celui-ci participe à l’objectivation de la forme républicaine40 de ces États, laquelle forme est, par ailleurs, non révisable aux termes de l’article 64 de la Constitution du Cameroun, de l’article 127 de la Constitution de la Côte d’Ivoire, de l’article 117 de celle du Gabon et de l’article 89 de celle du Sénégal.

• 41  V. N. Ofuji, « Tradition constitutionnelle et supra-constitutionnalité : y a-t-il une limite à la (...)
• 42  Sur cette notion, V. T. Touonang Tekendo, Les obligations objectives en droit international, thèse (...)
• 43  V. à ce propos art. 5 PIDCP.

18En raison de la possibilité d’une abrogation constitutionnelle du principe de la laïcité, il existe des garanties normatives41 prévues par les conventions internationales relatives aux droits de l’homme. L’avantage de ces garanties réside dans le fait qu’elles se soustraient aux vicissitudes de l’ordre juridique interne. De surcroît, leur application ne dépend pas du principe de réciprocité qui structure le droit international conventionnel classique. De la sorte, elles participent des obligations objectives42. Cette qualité leur confère plus de stabilité et de prévisibilité normatives43.

• 44  S. Lussier, « La primauté du droit, l’égalité devant la loi et autres “principes non écrits de not (...)
• 45  Au Sénégal ces conditions sont prévues aux art. 20 et 21 de la loi n^o 61-33 du 15 juin 1961 relati (...)
• 46  V. à ce sujet la loi n^o 76 du 8 juill. 1976 modifiant et complétant certaines dispositions de la l (...)
• 47  S. Evain, « Liberté religieuse et respect de la dignité humaine : l’exemple de la question du port (...)
• 48  Le laïcisme est un terme péjoratif, utilisé pour marquer l’intolérance de certains fervents défens (...)

20En proscrivant toute contrainte portant atteinte à la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou conviction de son choix, l’article 18 alinéa 2 du PIDCP participe, dans cette logique, à l’affirmation du principe constitutionnel de l’égalité44 ; lequel innerve la majorité des ordres juridiques nationaux et irrigue la laïcité. C’est dire que les principes de laïcité et d’égalité se rejoignent. Sous le prisme de l’égalité, la laïcité détermine notamment l’accès aux emplois publics. À cet effet, l’accès à ces derniers doit être ouvert à toute personne qui en remplit les conditions subjectives et objectives, précisément celles de moralité, de capacité, d’aptitude physique, de possession de titres universitaires ou diplômes. De la sorte, il est fait fi des appartenances religieuses45. En ce sens, les textes camerounais, ivoiriens, gabonais et sénégalais n’obligent point les candidats aux concours administratifs de justifier d’une appartenance à une religion spécifique ni aux fonctionnaires d’adhérer à une religion particulière. Cela signifie que leurs convictions religieuses doivent être respectées. À cet effet, il leur est reconnu la liberté de célébrer leurs fêtes religieuses qui bénéficient, d’ailleurs, d’une reconnaissance identique, du moins pour ce qui est du christianisme et de l’islam46. Pour preuve, les différentes fêtes musulmanes et chrétiennes donnent généralement lieu à des jours fériés décrétés soit par voie législative soit par voie réglementaire. Dans cette logique aussi, les fonctionnaires sont libres d’arborer leurs signes religieux dans les services publics, et ce sans que cela fasse l’objet de controverses47. C’est dire que la laïcité au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon et au Sénégal n’est point le laïcisme48, lequel exige l’exclusion totale de la religion et de ses dérivés des services publics.

• 49  Art. 241 et 242 du Code pénal camerounais et art. 220 du Code pénal gabonais.
• 50  Art. 269, 270 et 271 du Code pénal camerounais et art. 220, 221 et 222 du Code pénal gabonais.

21Par ailleurs, la liberté de religion est protégée par des garanties normatives légales dont le respect est assuré par les juges judiciaire et administratif. Ces dispositions normatives sont énoncées dans les codes pénaux du Cameroun et du Gabon, et se déclinent en termes d’interdictions dont les violations sont assorties de sanctions49. Des dispositions répressives y sanctionnent aussi les atteintes à la liberté de culte50 en ce qu’elle participe à l’exercice de la liberté de religion.

• 51  Art. 230 et 231 du Code pénal sénégalais et art. 195, 196 et 197 du Code pénal ivoirien. 

22Il convient, cependant, de noter que le Code pénal sénégalais et celui de la Côte d’Ivoire sont peu diserts sur la répression des violations de la liberté de religion. Aucune disposition y relative n’y figure. Par contre, on retrouve des dispositions concernant spécifiquement la liberté de culte51.

• 52  Il s’agit des espèces suivantes, CS, 6 juin 1973, n^o 71/S ; TPI, 8 août 1997, n^o 223/50, Hamadjan (...)

24En statuant en matière sociale, le juge judiciaire camerounais s’est prononcé, en ce sens, dans deux espèces52. Dans la première, il a jugé contraires à l’intention du législateur certaines prescriptions du règlement intérieur d’un hôpital confessionnel qui réservaient l’accès au travail exclusivement aux membres communiants. Il a, de la sorte, déclaré abusif le licenciement d’un travailleur au motif qu’il s’était exclu de l’Église en devenant polygame. Dans la seconde, un employé avait été licencié à cause de son appartenance religieuse. Constatant l’absence de l’employeur à l’audience et, conséquemment, son incapacité à apporter la preuve du contraire, le juge de céans a formulé sa décision en ces termes : « le tribunal ne peut que prendre en considération les seules déclarations du demandeur, aussi y a-t-il lieu de déclarer le licenciement intervenu abusif [au motif de discrimination religieuse] ».

• 53  I. Kane, État et minorités religieuses : les représentations des catholiques au Burkina Faso et au (...)
• 54  Y. Issekin, « Les champs de perceptions de la neutralité chrétienne des Témoins de Jéhovah au Came (...)
• 55  V. à cet effet le décret n^o 93/043 du 3 février 1993 ; V. Y. Issekin, art. cit., p. 24-25.

26Cependant, la protection de la liberté de religion fait face à certains obstacles de fait et de droit qui la fragilise. Ainsi, sur le plan empirique, les religions minoritaires éprouvent parfois des difficultés à s’exprimer. Au Sénégal par exemple, l’Église catholique rencontre quelques difficultés à construire des édifices cultuels dans des villes qualifiées de « saintes » de l’islam53. Au Cameroun, les membres de la secte chrétienne les témoins de Jéhovah subirent durant de nombreuses décennies des actes de persécution des autorités publiques54. Cependant, cela n’est plus le cas aujourd’hui où cette secte chrétienne est officiellement reconnue en tant qu’association religieuse55.

• 56  H. Adamou, « Pèlerinage musulman et stratégies d’accumulation au Cameroun », Afrique contemporaine(...)
• 57  Ce fut le cas avec la construction de la basilique de Yamoussoukro par Félix Houphouët Boigny. Au (...)
• 58  M. Miran-Guyon, « Gloire et déboires de la laïcité en Côte d’Ivoire au prisme de l’imaginaire soci (...)
• 59  A. Makougoum, « La laïcité au Cameroun : réflexion sur l’effectivité d’un principe constitutionnel (...)

27Par ailleurs, on relève le financement public des activités cultuelles de certaines religions monothéistes, notamment l’islam et le catholicisme. À ce propos, les États sus invoqués inclinent à financer le pèlerinage à la Mecque56, la construction ou la rénovation des églises57 et mosquées, au détriment de l’aménagement des sites sacrés des religions traditionnelles perçues comme un archaïsme du passé58. En fait, les activités cultuelles de celles-ci ne bénéficient pas souvent du même soutien des pouvoirs publics59.

• 60  L’Église n’est pas une association. Elle s’entend d’une communauté instituée et organisée de croya (...)
• 61  V. accord-cadre entre la République du Cameroun et le Saint-Siège, relatif au statut juridique de (...)
• 62  V. les art. 1 à 5 de l’accord-cadre camerounais et les art. 3 à 16 de l’accord-cadre gabonais.

31Le terme organisation confessionnelle est préféré ici à celui d’association religieuse en raison de la diversité des institutions confessionnelles que le second recouvre et qui ne correspondent point à la déclinaison qui en est fournie par l’article 22 de la loi n^o 90-53 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association au Cameroun. Il convient de se référer à cette loi car les législateurs ivoirien, sénégalais et gabonais ne définissent pas la notion d’association religieuse. Ainsi, au sens de cet article, « Est considérée comme association religieuse : – tout groupement de personnes physiques ou morales ayant pour vocation de rendre hommage à une divinité ; – tout groupement de personnes vivant en communauté conformément à une doctrine religieuse ». Au rang des organisations confessionnelles, on retrouve les Églises et confréries, notamment les confréries musulmanes et l’Église catholique60. Pour preuve, cette dernière fait l’objet d’un accord-cadre61 qui l’érige en personne morale soumise à un régime juridique particulier62.

• 63  V. la loi n^o 60-315 du 21 septembre 1960 relative aux associations en Côte d’Ivoire et la loi n^o 3 (...)
• 64  V. les art. 2 à 13 de la loi ivoirienne relative aux associations et les art. 8 à 14 de la loi gab (...)
• 65  V. les art. 24 à 33 de la loi ivoirienne relative aux associations et les art. 21 à 28 de la loi g (...)
• 66  I. Binaté et Y. Dao, « Organisations islamiques nigérianes en Côte d’Ivoire. Les trajectoires conc (...)

33La Côte d’Ivoire et le Gabon ne reconnaissent point les associations religieuses comme une catégorie juridique. Aussi les subsument-ils dans la catégorie générique des associations. Cela apparaît dans leurs lois respectives sur la liberté d’association63, lesquelles requièrent cependant une actualisation car elles datent des années 1960. À la lecture de ces lois, il ressort que, en tant qu’associations, celles à caractère religieux sont soumises à deux types de régime juridique : celui de la déclaration lorsqu’elles ont une origine nationale64, et celui de l’autorisation en tant qu’associations étrangères65. En Côte d’Ivoire, ce fut notamment le cas des associations islamiques nigérianes NASFAT et NAMFAT66.

• 67  L’art. 24 de la loi n^o 90-53 du 19 déc. 1990 portant sur la liberté d’association dispose que : «  (...)
• 68  B. Momo, art. cit., p. 832-834.

34Par contre au Cameroun et, dans une moindre mesure, au Sénégal, ces associations sont de façon systématique soumises au régime de l’autorisation. L’objectif étant de s’assurer du caractère religieux et apolitique de celles-ci. À cet effet, celles-ci, conformément à la législation en vigueur67, sont autorisées, au Cameroun, par le Président de la République, et ce sur avis motivé du ministre de l’Administration territoriale. En marge des associations religieuses légalisées, se déploient plusieurs autres qui sont clandestines et dont l’existence, au Cameroun, relève de la tolérance administrative68. Cela s’explique notamment par l’ancrage des religions au Cameroun et du rôle social rempli par ces associations.

• 69  B. Wane, op. cit.

35Au Sénégal, il existe plusieurs confréries musulmanes69 représentées par diverses associations religieuses dont la légalisation est autorisée par le ministère de l’Intérieur à travers la délivrance d’un récépissé.

• 70  Il s’agit des confréries suivantes : la Qadiriyya, la Tijâniyya, la Layêniyya et la Mouridiyya. À (...)
• 71  À l’origine, la dâhira était une organisation de culte et d’entraide réunissant les disciples d’un (...)
• 72  B. Wane, op. cit, p. 31-32.
• 73  Ibid., p. 35-36.
• 74  M. Idrissa, Les « Ibadou » du Sénégal. Logiques religieuses, logiques identitaires, thèse, ethnolo (...)

36L’islam au Sénégal est structuré autour de quatre principales confréries70 se rattachant au courant sunnite et organisées autour des dâhira71 se réclamant d’un Khalife72, Cheikh ou marabout73. Toutefois, depuis quelques décennies, on relève l’émergence de mouvements islamiques issus du courant wahhabite. Ces dynamiques réformistes sont appelés Ibadou74.

• 75  M. M. Dieye, L’islamisme au Sénégal. Crise de société et/ou dynamisme de l’Islam, thèse, Universit (...)

37Ces confréries soulèvent, cependant, la question de leur nature juridique et, par suite, celle de leur personnalité juridique. S’agit-il d’organisations religieuses qui s’inscrivent en marge du droit ? La question mérite d’être posée dans la mesure où leur existence précède celle de l’État sénégalais75. De fait, elles se sont autrefois déployées hors des frontières du droit positif, c’est-à-dire selon des rites, coutumes, pratiques et traditions déterminés par leurs fondateurs suivis de leurs disciples, de sorte que l’on pourrait alléguer qu’il s’agit, au plus, de simples courants ou de traditions religieuses. Cependant, une telle qualification ne sied pas. Du moins, on pourrait les ranger dans la catégorie de communautés religieuses consacrée aux articles 22 et 24 de la Constitution du Sénégal. À travers cette catégorie, la Constitution sénégalaise reconnaît une existence juridique aux confréries musulmanes. Il s’agit d’une existence en tant qu’institutions différentes des associations religieuses, et qui les soustraient au régime de l’autorisation.

• 76  Cet article dispose à ce sujet que : « Les associations s’administrent librement dans le respect d (...)
• 77  Art. 12 de la loi ivoirienne relative aux associations.
• 78  Art. 13 de la loi gabonaise relative aux associations.
• 79  Art. 819 de la loi n^o 68-08 du 26 mars 1968 modifiant le chapitre II relatif aux associations du l (...)

41Au regard de son effet de garantie de l’autonomie des organisations privées, le principe de la libre administration des associations a été reconduit et consacré à l’article 9 de la loi camerounaise sur la liberté d’association76. Il en est également ainsi en Côte d’Ivoire77, au Gabon78 et au Sénégal79 où ce principe s’applique à tout type d’associations, y compris les organisations confessionnelles revêtant la qualité d’associations religieuses.

• 80  V. art. 24 de la Constitution du Sénégal.
• 81  Ibid.
• 82  B. Wane, op.cit., p. 36-37.

42Au Sénégal, sans être qualifiées d’associations mais de communautés religieuses80, les confréries participent des organisations confessionnelles et bénéficient, à ce titre, de la libre administration de leurs activités et patrimoine, laquelle est garantie par la Constitution81 qui les soustrait ainsi à la tutelle de l’État. Parce que dotées de la personnalité juridique, elles possèdent donc un patrimoine géré par le Khalife général82.

• 83  V. à cet effet, art. 32 de la loi camerounaise relative à la liberté d’association ; art. 4 al. 2 (...)
• 84  Art. 821 de la loi n^o 68-08 du 26 mars 1968 modifiant le chapitre II relatif aux associations du l (...)
• 85  Art. 22 de la Constitution sénégalaise.

45Il est en outre permis aux organisations confessionnelles en tant qu’associations religieuses de solliciter la reconnaissance d’utilité publique de manière à bénéficier des subventions publiques83. Au Sénégal84, les communautés religieuses en sont bénéficiaires en raison de leur participation à l’éducation nationale85.

• 86  M. M. Dieye, op. cit., p. 46-48.

46Du fait de ces subventions publiques est entretenu un risque de collusion entre les gouvernants et les organisations confessionnelles. Ce risque de collusion pourrait emporter une instrumentalisation de ces organisations à des fins politiques, notamment électorales86.

• 87  V. art. 4 de la Constitution du Sénégal ; art. 3 de la Constitution du Cameroun ; art. 9 de la loi (...)

47Cependant, cette instrumentalisation n’autorise point d’ériger celles-ci en partis politiques. De tels partis politiques sont d’ailleurs proscrits dans les textes juridiques de ces États87. En tant qu’États laïques, ceux-ci ont opté pour la sécularisation de la sphère politique. À cet effet, il ne s’agit pas de faire l’apologie d’une république islamique ou chrétienne, de constitutionnaliser la Charia ou d’ériger le Coran ou la Bible à la dignité de textes constitutionnels ou constituants sur la base desquels doivent être élaborés la Constitution et les textes infraconstitutionnels. Une telle position a été affirmée par la Cour africaine des droits de l’homme dans son arrêt du 18 mai 2018 portant sur l’affaire Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes (APDF) et Institute for human rights and development in Africa (IHRDA) c. État du Mali.

• 88  A. Dieye, art. cit., p. 49-50.

49Au regard des limites du régime juridique de la laïcité dans les quatre États ci-dessus invoqués, il convient de renforcer celui-ci en instituant une veille juridique permanente, car ceux-ci ne sont pas irrémédiablement à l’abri des tentatives de remise en cause du principe de la laïcité, comme ce fut le cas au Sénégal du fait de l’émergence du fondamentalisme religieux88. À cet effet, il est nécessaire que ces États s’engagent résolument à consolider les pratiques de la gouvernance ainsi que celles en lien avec la démocratie et l’État de droit.