1Le premier apport de cette méticuleuse étude comparative menée sous la direction de Francis Messner est de mettre en lumière la singularité de l’absence de statut des ministres du culte musulman en France. L’état des lieux des droits internes aux religions est éloquent sur ce point. Les conditions de l’imamat dans la prière rituelle sont ainsi exposées en parallèle des statuts des personnels de la religion bouddhique et des ministres du culte catholique, juif, mais également des pasteurs protestants.

2Ce particularisme du culte musulman en France quant à la place et au rôle des cadres religieux implique de procéder à l’observation de l’organisation actuelle des imams. Or, traiter de la question du statut de l’imam, c’est avant tout aborder « le processus d’institutionnalisation de l’islam en France » (p. 114). L’idée est « brutalement » réapparue en 2015 à la suite des attentats qui ont frappé la France, afin de tenter de pallier de funestes dérives (p. 115). L’objectif poursuivi n’est alors autre que celui « de peser sur la production d’un islam légaliste et loyal envers les institutions républicaines » (p. 116).

3En outre, « il apparaît que les communautés musulmanes acceptent, souhaitent ou bien plus revendiquent l’érection d’un statut qui contribue à leur visibilité et à leur intégration » (p. 12). Tareq Oubrou, imam de la mosquée Al Houda de Bordeaux, mentionne en ce sens qu’« il est urgent de préciser le statut de l’imam, à l’instar du prêtre, du pasteur, du rabbin » (p. 115). Il semble qu’il y ait presque un consensus de l’ensemble des acteurs tant religieux, politiques, administratifs qu’associatifs quant à la nécessité de doter les imams, ou de manière plus générale les cadres religieux musulmans, d’un statut ou de créer une charte. S’« il n’existe […] pas dans les textes fondateurs de la religion musulmane de dispositions contraignantes relatives à l’instauration d’un statut des imams […], rien ne s’oppose à son instauration » (p. 13). L’absence de statut induit également des ressources aléatoires allouées par le secteur associatif ou des pays étrangers, et des conditions de formation disparates.

4Les pouvoirs publics seraient à même de créer une telle charte comme cela a pu être fait pour nombre de religions au cours de l’histoire. Toutefois, à l’époque contemporaine cette option doit être écartée au regard du principe de liberté de religion, qui suppose une autonomie des cultes, et du principe de neutralité de l’État (p. 273). Des pays européens dont le culte musulman était régi par ce biais ont pris ainsi en considération cet impératif. Le fait que l’État soit neutre et n’interfère pas dans le domaine de compétence du religieux ne signifie pas pour autant qu’il s’en départit. L’État intervient toujours dans le cadre du maintien de l’ordre public et d’une cohabitation pacifique. Les pouvoirs publics peuvent également apporter leur appui aux communautés religieuses dans l’élaboration d’une charte. Il en est allé ainsi des ministres du culte musulman en Autriche, en Espagne et en Belgique.

5L’imam endosse par ailleurs en France une mission qui ne se limite pas à l’aspect religieux. Il est « polyvalent, à la fois gestionnaire du culte et travailleur social » (p. 133). Tareq Oubrou décrit en ce sens l’imam comme « le couteau suisse de la communauté » (p. 132). Il peut ainsi être amené à jouer un rôle de médiateur comme on a pu le constater lors de « tensions dans les banlieues » (p. 133).

6La création d’un statut d’imam donnerait la possibilité de « nommer et professionnaliser la fonction d’imam », de mettre en œuvre une « bureaucratisation de l’imamat » (p. 134). Elle permettrait encore de conduire à la « production d’un islam religieusement et socialement sûr pour la société » (p. 134). Cependant, de nombreuses « divergences » se font jour quant aux modalités de son élaboration et de sa mise en pratique. Il en résulte qu’« un statut de l’imam n’est certes pas à écarter, mais les missions de l’imam ne peuvent être bornées par les murs étroits des mosquées » (p. 142). Il apparaît, en outre, une grande disparité « sociologique des profils d’imams ». Il semble alors « contre-productif de rechercher à tout prix à homogénéiser ce qui est en réalité profondément hétérogène » (p. 142).

7L’étude s’achève, au regard de ces diverses réflexions sur une proposition de charte et de statut pour les imams en France par le Conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Alsace et le Conseil français du culte musulman (CFCM).