1L’éclectisme des auteurs de cet ouvrage en fait sa richesse puisque vont se côtoyer ici représentants de l’État, universitaires et praticiens religieux. Il en découle une approche comparatiste de la laïcité, nourrissant une vision internationale enrichie du sujet.

2Deux conceptions antagonistes de la définition de la laïcité s’illustrent ici : l’une, libérale, d’influence anglo-saxonne, où la liberté de religion prime sur toutes autres considérations (laïcité dite « ouverte » ou « tolérante ») et l’autre, française, qui organise des relations particulières entre les religions et l’État (laïcité « sans adjectif ») (p. 77). Il devient donc évident que la frontière semble de plus en plus étroite entre sécularisme et laïcité dans les débats actuels. Pourtant, Pierre Juston rappelle les mots de Valentine Zuber qui efface la confusion entre ces deux concepts : « la laïcisation serait un divorce inéluctable entre l’État moderne et les religions », tandis que la sécularisation serait « une acceptation du pluralisme doctrinal et du fonctionnement démocratique au sein même des instances religieuses et parallèlement à celle des États » (p. 79).

3Pointant du doigt la difficile définition de la laïcité, l’ouvrage se propose d’entendre la laïcité comme « moyen de garantir la paix entre les religions et la paix dans une société respectueuse des droits de l’Homme » (p. 253). C’est d’ailleurs ainsi que Joël Andriantsimbazovina clôt les débats. Selon lui, pour les deux conceptions, « la laïcité peut être exploitée pour promouvoir un modèle de la vie en société ». Ainsi, la définition de la laïcité est au service du « vivre ensemble » dans le respect de l’État de droit. Pour Thomas Pikandieu-Gomis, « dans une République qui se dit laïque, la Religion est reléguée au domaine privé. […] Et la République […] prédomine » (p. 164). Les individus sont donc organisés autour d’une liberté religieuse dans la sphère intime et l’État se doit de tolérer le pluralisme religieux. En ce sens, la laïcité devient « un gage de la paix civile ». Pourtant, héritage de la colonisation, la laïcité n’a pas toujours sa place dans les sociétés concernées. C’est le cas notamment au Sénégal, déclaré laïc malgré une majorité musulmane de la population. Cependant, cet état de fait ne nuit pas à une cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans (p. 167). Au Congo, la réalité démontre que l’implication religieuse a favorisé l’édification d’un État de droit (p. 47).

4La question de la laïcité est, en effet, au cœur de l’État de droit. D’une part, l’œuvre jurisprudentielle se veut « régulatrice » du principe de laïcité avec un juge qui se montre fervent protecteur de la liberté de culte et de la liberté de conscience en veillant néanmoins à ne pas atteindre d’autres libertés concurrentes. Une œuvre jurisprudentielle productive du Conseil d’État (CE, 16 févr. 2004, M. Ahmed B ; CE, 25 août 2005, Commune de Massat ; CE, 23 sept. 2015, Associations des musulmans de Mantes Sud) et du juge de l’Union (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions ; CJUE, 14 mars 2017, Bougnaoui et ADDDH) érige la liberté de culte et la liberté de religion au statut de liberté fondamentale (p. 151-152).

5D’autre part, le débat autour des signes religieux ostentatoires à l’école, au collège et au lycée offre une scène privilégiée pour observer la corrélation entre laïcité et État de droit. Selon Hiam Mouannès, les détracteurs de la loi du 15 mars 2004 brandissent le drapeau de la liberté de la femme et de la non-discrimination à son encontre. Ce sont deux instruments de l’État de droit qui vont intervenir dans ce débat sur la laïcité en milieu scolaire, à savoir le pouvoir judiciaire d’abord et le pouvoir législatif ensuite (p. 157). Cet exemple apparaît alors comme une réponse symbolique à la question des implications de la laïcité dans un État de droit.

6Enfin, l’ouvrage s’interroge sur le phénomène de politisation de la laïcité en ce qu’elle peut servir des prétentions politiques. Au Québec, les partis nationalistes incluent le concept de laïcité dans l’intitulé de leurs projets de loi alors que le parti libéral fait usage du concept de « neutralité religieuse ». Godfroy-Luther Gondje-Djanayang démontre quant à lui l’instrumentalisation religieuse dans les actes de rébellion au cœur du conflit centrafricain (p. 107). L’utilisation de la liberté de religion comme instrument politique peut heurter d’autres libertés. Néanmoins, en reprenant les mots de Frédérique de La Morena, la laïcité « permet le déploiement, dans la société, de toutes les libertés singulières, au-delà de toute appartenance confessionnelle, qui plus est de toute assignation, tout en fédérant, dans la sphère publique les membres de la communauté politique » (p. 261) et devient un instrument de fraternité et du « vivre ensemble ». Au fil des pages, le lecteur se voit ainsi convié à une réflexion nourrie sur les évolutions de l’interprétation de la laïcité, les nouveaux enjeux de cette dernière et son instrumentalisation politique et sociale.