1Les différentes contributions de cet ouvrage dirigé par Paul Devin, inspecteur de l’Éducation nationale, militant syndical et président de l’Institut de recherches de la Fédération syndicale unitaire (FSU), proposent une réflexion sur la place qu’occupe la laïcité aujourd’hui à l’école. L’ambition de cet ouvrage est de confronter des réalités de terrain, notamment dans la deuxième partie, en faisant intervenir des enseignantes et enseignants, des inspecteurs de l’Éducation nationale ou encore des professeurs d’Université. D’autres contributions se veulent plus théoriques et proposent des réflexions sur les racines et les implications du principe de laïcité. L’objectif est de croiser les regards, comme l’indiquent les titres des première et dernière parties de l’ouvrage, pour inviter « à réaffirmer, en toutes circonstances, la primauté de l’éducation » (p. 263). Cet objectif permet la cohérence de l’ouvrage qui regroupe une pluralité de thèmes alliant pratique et théorie. La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État en est le fil conducteur.

2Dans un contexte où la question religieuse peut être vue comme source de tensions en milieu scolaire, notamment à la suite de l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, le principe de laïcité à l’école est au cœur des débats : il pourrait même sembler en difficulté et les enseignants prendraient alors de la distance avec lui. Toutefois, le constat dressé au long de l’ouvrage est autre. Selon Paul Devin, dans le discours et les pratiques des enseignantes et enseignants, « le principe de laïcité ne fait l’objet ni de discussions majeures ni de renoncement généralisé » (p. 12). Les publications sur la place du religieux à l’école se multiplient, mais ces dernières sont souvent issues d’enquêtes peu robustes ou alors ne sont fondées que sur des paroles d’élèves et leur « tonalité est majoritairement alarmiste » (p. 30). Dès lors, cet ouvrage répond à un besoin de clarification de la part d’acteurs du terrain sur la place qu’occupe le principe de laïcité au sein de l’école ainsi que son lien avec les principes et les libertés qui en découlent.

3Certains relèvent à ce titre que l’école est « confrontée aux questions vives dans la société » (p. 85). Le lien entre la question de la laïcité et la question sociale est étroit (p. 45), puisque le principe d’égalité qui joint ces questionnements est celui qui guide en partie l’action des services publics et particulièrement le service public éducatif. En effet, cette égalité est celle des citoyens devant la loi. À ce titre, l’État, en ne reconnaissant aucun culte, fait preuve d’une neutralité active qui offre l’égalité aux citoyens quelles que soient leurs options religieuses (p. 163). Le retour à la loi de 1905 permet d’en déduire qu’elle constitue « une loi d’apaisement » (p. 160). Le principe de laïcité qui y est contenu, bien que non défini, constitue « un compromis » (p. 29).

4Toutefois, il importe de rappeler que la construction de cette loi ne s’est pas faite sans douleur. En effet, la IIIe République a été marquée par une laïcité dite « de combat » dont l’objectif était justement en grande partie de sortir l’école de l’influence de l’Église. De plus, même après l’adoption de la loi de 1905, les querelles ne se sont pas arrêtées. En effet, le pape Pie X a condamné ce texte jugé injurieux et offensant. Si la loi de Séparation aboutit à terme à un texte offrant l’assurance d’une égalité des citoyens devant la loi sans considération de religion, le processus de son adoption a relevé d’une lutte menée par les fondateurs de la laïcité. Ainsi, « présenter l’école laïque comme fille de la Révolution » (p. 152), comme a pu le faire Léon Gambetta dans un discours du 23 avril 1875, permet de « poursuivre le dessin du roman national : dépasser les identités multiples pour former du commun » (p. 152). Il semblerait d’ailleurs que l’individu recherche aujourd’hui davantage ces identités multiples que la similitude. La religion joue ici un rôle important, puisqu’elle semble être un « moyen de développer un sentiment d’appartenance et de fierté lorsque les autres sphères de la vie personnelle […] ne le permettent pas » (p. 34). Devenue parfois un « refuge » lorsque le principe de laïcité ou l’école « n’offrent pas le sentiment d’être à égalité avec les autres », la religion semble alors prendre le pas sur le principe de laïcité (p. 50). Il peut être intéressant de noter que si la laïcité est « une norme juridique », elle est aussi « un concept mobilisateur et un principe émancipateur dans les luttes sociales » (p. 193). À ce titre, l’absence de définition et de mention de celle-ci, par la loi qui la consacre, joue en la faveur de ses appropriations politiques. Alors que son principe pouvait être vu « comme un pilier des valeurs républicaines » (p. 59), il semble désormais être source de clivage plus que de rassemblement autour de valeurs communes.

5Cet ouvrage se veut, en définitive, l’occasion d’amorcer une réflexion dédramatisée et apaisée autour du principe de laïcité dans les établissements scolaires. Une telle démarche permettrait, sinon de lui redonner « sa » place, du moins de définir comment, dans les nouvelles quêtes identitaires individuelles, il demeure d’actualité pour définir les contours de la liberté religieuse, de la liberté de conscience et de leur pratique.