1Cet ouvrage collectif ambitieux entreprend de questionner sous divers angles – sociologique, historique, ecclésiologique, anthropologique – l’avenir du christianisme du point de vue tant de son adaptation que de son apport au monde contemporain. Si des contributions relatives à sa place dans la modernité européenne (Ph. Portier, J.-P. Willaime), à la liberté de religion vue du sein de l’Église catholique (H. Madelin) ou au gouvernement du religieux dans un État laïc (Th. Rambaud) enrichissent l’approche pluridisciplinaire du sujet, celle de Dominique Reynié retient ici plus particulièrement l’attention. Celui-ci consacre, en effet, un chapitre très dense et argumenté à la question de la séparation du politique et du religieux.

2Malgré le désenchantement évoqué par Weber, l’essor des croyances religieuses est aujourd’hui un fait objectif soutenu par des dynamiques économiques (ralentissement de la sécularisation liée au développement) et démographiques (taux de fécondité des croyants supérieur à celui des non-croyants). Or, la croissance de l’islam signe le retour d’« un religieux de type théologico-politique, porteur d’une conception moniste du pouvoir », puisqu’il ne reconnaît pas la séparation de la religion et de la politique (p. 29). Dans la société multiculturaliste européenne, seul l’islamisme radical pousse néanmoins cette conception au bout de sa logique en contestant par la violence terroriste le modèle d’une société démocratique et sécularisée. Ailleurs, en revanche, cette poussée fondamentaliste fait du christianisme la religion la plus persécutée dans le monde (augmentation de 60 % des chrétiens tués en raison de leur foi en 2020, 91 % d’entre eux sur le continent africain). Il s’y ajoute une répression systématique de ses rites et pratiques en Chine où le fait religieux est purement et simplement nié par un pouvoir de type totalitaire.

3Selon l’auteur, cette fragilisation de la religion chrétienne irait de pair avec la remise en cause de certains éléments déterminants des systèmes politiques occidentaux, car « comme pensée de l’universalisme et de l’égale dignité des individus, le christianisme porte des valeurs essentielles à l’idée démocratique » (p. 47). Il relève ainsi que la fragmentation du sujet par la multiplication des revendications identitaires (sexuelles, ethniques, culturelles, etc.) porte atteinte aux institutions collectives nécessaires pour forger l’unité démocratique (syndicats, partis politiques). Il observe, en outre, que la révolution anthropotechnique du transhumanisme vient battre en brèche l’idée même d’une nature humaine, notamment par la voie de l’eugénisme libéral et bientôt du children design. Un tel bouleversement menace alors le principe fondamental d’égalité que postule l’idée d’une nature humaine universelle héritée du christianisme. S’il s’agit, en effet, avec le séquençage génomique et les ciseaux moléculaires, d’obtenir une nature « augmentée » pour certains individus, elle induira pour d’autres des caractéristiques biologiques socialement dévalorisées. Cette évolution majeure participe de l’artificialisation continue des corps et des existences et celle-ci fait craindre que l’on finisse non seulement par soumettre les êtres humains à des machines, mais aussi à les traiter comme tels (p. 54). Là encore, la contestation du personnalisme chrétien met en péril, dans ses fondations les plus profondes, l’éthique même de la démocratie.

4Dans ce tableau plutôt sombre, Dominique Reynié note toutefois que l’inquiétude environnementale et la préoccupation pour la souffrance animale engendrent une considération nouvelle pour « la fragilité du vivant ». Dès lors, parce qu’elle est au cœur de la réflexion chrétienne, celle-ci offre un terrain de convergence pour l’engagement des croyants et des non-croyants et la voie d’une possible réconciliation de la société politique avec ses racines religieuses. Reste que, dans une société numérique en pleine mutation, un espace public totalement ouvert « n’est pas dimensionné pour permettre la séparation de la religion et de la politique » (p. 60) et, par conséquent, sa régulation efficace par l’État.