1Suite à un tome premier qui retraçait la conception du projet de loi de séparation des Églises et de l’État porté par Émile Combes, Jean Baubérot entend, dans ce deuxième volet, rétablir la vérité politique sur la construction de cette loi en s’appuyant habilement sur des quotidiens de l’époque.

2Loin d’être l’expression du combat contre les congrégations d’Émile Combes – le « Petit Père » dont le projet de loi sera par ailleurs refusé –, la Séparation est l’aboutissement d’un compromis entre l’Église et la République. La loi de Séparation s’inscrit ainsi dans un contexte doublement conflictuel : d’un côté, l’opposition de deux Frances – l’une « fille aînée de l’Église » et l’autre issue de la Révolution et de la République – et d’un autre côté, l’antagonisme grandissant au sein d’une gauche affaiblie par des dissensions latentes. C’est ainsi que vont s’opposer les radicaux républicains, pour lesquels la liberté de conscience est individuelle et les socialistes, pour lesquels la liberté de conscience de l’individu se réalise au sein d’un ensemble collectif. La loi devient donc le fruit d’un difficile « équilibre des frustrations » entre Georges Clemenceau et Jean Jaurès, les deux « chefs de guerre », mêlant idées et egos affirmés. Ainsi, lorsque Georges Clemenceau dénoncera « l’accord socialo-papalin » qui allie le sectarisme révolutionnaire et le dogmatisme catholique, en accusant Aristide Briand d’exercer « une pression […] sur les consciences » et Jean Jaurès de faire « du Delcassé » (p. 191), la réponse ne se fera pas attendre. Jean Jaurès menacera « de rompre toute relation personnelle avec l’homme qui, un jour, plaisante amicalement avec [lui] et le lendemain essaie […] de l’avilir » (p. 225).

3Par ailleurs le climat international, à savoir la guerre russo-japonaise, n’est pas étranger aux dissensions qui sous-tendent les débats autour de la loi de Séparation entre les deux gauches. Lors de la séance d’investiture du gouvernement Rouvier, la vive altercation à propos de la répression intérieure en Russie – alliée de la France – attise des tensions déjà palpables. Aristide Briand dira que cette « attitude empêche les “socialistes et les démocrates sincères” de soutenir le ministère » (p. 42). George Clemenceau craindra, quant à lui, « l’équivalent d’une déclaration de guerre » (p. 217) qui pourrait avoir une portée mondiale, puisque le Royaume-Uni est l’allié du Japon.

4« [Le] refus d’utiliser l’État au service de la libre-pensée », c’est-à-dire la « séparation libérale » (p. 55), finira par s’imposer. L’article premier sera ainsi rédigé : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. » L’auteur dépeint alors un consensus laïc qui se révèle fort d’une intégration des catholiques dans la sphère républicaine.

5C’est avec finesse que l’auteur entraîne le lecteur dans un paradoxe entre la messe comme rituel religieux d’un seul officiant, du silence et de l’absence de débat, et les valeurs républicaines qui privilégient le débat en amont de tout conflit. Ce paradoxe se verra renforcé par le « libre exercice des cultes » qui oblige la République à respecter le mode spécifique de transmission des convictions religieuses (p. 304-305). Ainsi, les articles 31 et 32 (devenu 34 et 35) sont adoptés et condamnent « tout ministre de culte, qui dans un édifice religieux aura publiquement […] outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public » et à une peine d’emprisonnement le ministre de culte qui se livrerait à « une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique » (p. 305-306). À travers les débats qui les ont institués, Jean Baubérot met en lumière plusieurs articles de la loi de Séparation méconnus. C’est aussi l’égalité que la loi va porter. Une égale liberté de conscience sera proclamée au regard de ses articles 28 et 31. L’idée est lancée, les mots sont écrits : « l’instauration de peines identiques frappant les pressions incitant à la pratique d’un culte et celles visant à s’en abstenir est un symbole fort de l’égalité entre convictions établie par la loi de 1905. Aristide Briand l’affirme : les “différents actes procédant d’une égale intolérance sont à bon droit punis des mêmes peines”. » (p. 303). Jean Baubérot souligne également les nombreux jeux de dupes qui ont prévalu lors de l’élaboration de cette loi, tel le rôle des épouses, influencées par les ministres du culte lors des messes, au travers de « la grève du ventre » (p. 70).

6Ce récit de voyage au cœur d’une loi faisant encore débat, parsemé d’anecdotes sagaces et riche par ses sources, a donc de quoi séduire le lecteur. Le tome III, qui s’attellera à l’application de la loi, devrait permettre d’en éclairer l’interprétation au regard de l’actualité.