Dissemblances et convergences des commissions d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église
Résumés
Cet article propose une analyse comparative des méthodologies, résultats et recommandations des commissions d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église. Il souligne l’hétérogénéité des méthodologies adoptées, des compositions et des périodes d’investigation distinctes selon les commissions, l’impact de l’environnement socio-culturel sur les travaux menés. À l’inverse, notre analyse montre que les résultats obtenus convergent pour l’essentiel : les abus sont massifs, les abuseurs sont majoritairement des hommes, les abusés sont, jusqu’aux années 1990-2000, principalement des victimes masculines ; les logiques abusives sont avant tout situationnelles. Enfin, ces travaux soulignent unanimement une gestion institutionnelle des violences sexuelles largement défaillante.
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- 1 V. les propos de Monique Baujard, tenus dans le cadre des travaux du « groupe 106 », groupe d’étud (...)
- 2 V. le rapport du groupe d’étude Child Abuse : Pastoral and Procedural Guidelines, a report from a (...)
- 3 V. National Conference of Catholic Bishops. Ad hoc Committee on Sexual Abuse (USA), Report on mand (...)
1Les commissions d’enquête sur les abus sexuels commis dans l’Église se multiplient depuis une trentaine d’années. Leur mise en place s’inscrit à l’évidence dans un contexte de libération de la parole victimaire et, cause ou conséquence, de publicisation accrue de scandales impliquant des ecclésiastiques. La Conférence des évêques de France le reconnaît : « La découverte de la souffrance des victimes et des effets à long terme de tels abus, le discrédit jeté sur toute l’Église alors que 1 à 2 % des prêtres sont impliqués (selon la Conférence américaine) et l’attitude très agressive des médias, reprochant à l’Église catholique un silence coupable, ont été autant de raisons de constituer des groupes de travail dès la fin des années 801. » Si ce constat est commun à l’ensemble du monde occidental, les premières investigations concernent surtout les pays anglo-saxons et sont menées à l’échelle diocésaine. C’est le cas de la commission pastorale concernant l’éthique sexuelle dans le diocèse de Gatineau-Hull nommée en 1986. Toujours au Canada, une deuxième commission est mise en place en 1989, cette fois dans le diocèse de Saint John. En 1992, l’archevêque de Chicago instaure une commission pour enquêter sur les abus commis au sein de son archidiocèse. Des enquêtes locales sont également diligentées par le gouvernement irlandais à partir des années 1990. Des groupes d’étude sont réunis à la même période, davantage pour réfléchir à la question des abus sexuels et à leur gestion par l’autorité ecclésiale que pour déterminer leur ampleur au sein de l’Église. Ces groupes sont constitués au Royaume-Uni au début des années 19902, aux États-Unis en 19933.
- 4 Une quarantaine d’affaires sont instruites en cinq ans, dont l’affaire très médiatisée de l’abbé A (...)
- 5 W. Langeland et al., « Childhood sexual abuse by representatives of the Roman Catholic Church: A p (...)
- 6 V. le compte rendu de l’Assemblée plénière de Lourdes : CNAEF, cote no 27CE125.
2Il faut attendre le début des années 2000 pour que des enquêtes systématiques soient entreprises. En 2000, la commission Laffoy est instaurée en Irlande afin d’enquêter sur l’ampleur et les effets des abus sur mineurs (elle devient en 2003 la commission Ryan). En 2000 également, la Belgique crée une commission interdiocésaine d’enquête, en réponse à la multiplication des instructions judiciaires impliquant des ecclésiastiques4. En 2002, c’est la commission américaine John Jay qui est chargée de faire toute la lumière sur les abus sexuels sur mineurs. Les résultats de cette étude, publiés dès 2004, favorisent la médiatisation de nouvelles affaires impliquant des prêtres, principalement, là encore, dans le monde anglo-saxon : c’est le cas aux Philippines, en Australie ou en Nouvelle-Zélande5. L’Europe continentale s’empare un peu plus tardivement du phénomène, même si la Conférence des évêques de France perçoit dès le début des années 2000 qu’elle n’échappera pas à la multiplication des révélations médiatiques. Ces propos tenus par Mgr Bruguès lors de l’Assemblée de Lourdes de 2000 l’attestent : « Il me semble que nous soyons au début d’un cycle long dans la révélation des faits et également dans la réflexion. Je me trouvais aux États-Unis en 1986-87 et j’avais été frappé de l’insistance quasi obsessionnelle avec laquelle les médias évoquaient tous les jours les violences faites aux enfants. Ce mouvement s’est produit chez nous avec un certain décalage. Ce que je puis dire, c’est que cela continue sur le continent nord-américain et que, probablement, cela durera chez nous longtemps6. »
- 7 Pour les États-Unis, V. John Jay College of Criminal Justice, The Nature and Scope of the Problem (...)
- 8 Précisons qu’il s’agit plus d’un groupe de travail que d’une réelle commission d’enquête.
3La nécessité d’enquêter sur les violences sexuelles au sein de l’Église s’impose finalement en Europe continentale à partir de la publication du rapport de la commission irlandaise Ryan en 2009. Les enquêtes se multiplient : rapport Adriaenssens (2010) puis rapport parlementaire (2011) en Belgique, rapport Deetman (2013) aux Pays-Bas, rapports allemands (2018 à l’échelle nationale, 2020 pour l’archidiocèse de Munich et Freisen, 2022 pour le diocèse de Münster), étude de l’épiscopat polonais (2019), rapport Sauvé (2021) en France, étude de l’épiscopat italien (2022). Hors Europe, la Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse est mandatée par le gouvernement australien pour enquêter en 2013 ; elle publie son rapport quatre ans plus tard. Des commissions poursuivent encore à l’heure actuelle leurs travaux : l’Unabhängige Opferschutzkommission instaurée en Autriche en 2010, l’Independent Inquiry into Child Sexual Abuses (IICSA) créée au Royaume-Uni en 2015, une étude universitaire suisse mandatée fin 2021 par l’Église7. Autre évolution : ces commissions ne sont plus circonscrites aux seuls États occidentaux. Une commission spéciale pour prévenir et combattre les abus sexuels dans l’Église contre les enfants, les adolescents et les personnes vulnérables a ainsi été mise en place en 2020 au Brésil8.
4Au-delà de cette rapide énumération des diverses commissions d’enquête sur les abus sexuels commis par des ecclésiastiques, le présent article vise à mettre en évidence les divergences et similitudes entre les travaux réalisés par ces groupes d’investigation. Ils éclairent certes un phénomène global, mais répondent également à des logiques internes, propres à chacun des États dans lesquels ils sont mobilisés.
- 9 V. par exemple le travail d’investigation réalisé par Marie Kennan en Irlande : M. Kennan, Child S (...)
- 10 V. notamment D. Gastaldi, M. Martiniere, M. Perisse, Église, la mécanique du silence, Paris, Hache (...)
5Notre étude s’articulera en deux parties. Nous exposerons d’abord les divergences méthodologiques des diverses commissions, avant de souligner les constantes qui s’observent dans les grandes tendances qu’elles mettent en lumière. Notre propos se concentrera sur les seules commissions mandatées par des institutions – l’État ou l’Église. Il n’intègre donc pas les études menées à l’initiative d’universitaires9 ou de journalistes10. Cela ne suppose pas qu’elles soient de moindre qualité ; elles divergent cependant trop des commissions d’investigation pour pouvoir intégrer cette comparaison.
1. Divergences méthodologiques et impact de l’ancrage socio-historique des commissions
6Au-delà de partager un même sujet d’analyse – les abus sexuels commis par des ecclésiastiques sur des mineurs – qu’ont en commun ces commissions sur le plan méthodologique ? Il semble qu’elles se caractérisent ici davantage par leurs divergences que par leurs traits communs.
- 11 Plus particulièrement, The Christian Brothers religious order (les Frères chrétiens, à ne pas conf (...)
- 12 Film qui retrace l’enquête réalisée par les journalistes du Boston Globe.
- 13 D. Gastaldi, M. Martiniere, M. Perisse, op.cit.
- 14 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., Les violences sexuelles dans l’Ég (...)
- 15 Nommé ainsi car se réunissant au 106, rue de Sèvre à Paris.
7Deux exceptions méritent néanmoins d’être mentionnées : d’une part, le contexte d’élaboration de ces groupes d’investigation tend à se répéter d’un État à l’autre. En effet, la création des commissions d’enquête est la résultante de trois facteurs : la libération de la parole victimaire et l’exigence de transparence qui traverse nos démocraties et à laquelle l’Église n’échappe pas sont deux premiers motifs qui expliquent que de nombreuses commissions soient créées à l’échelle internationale. Le calendrier précis de leur mise en place traduit des motivations plus nationales : leur création répond directement à la médiatisation d’affaires impliquant des ecclésiastiques coupables de violences sexuelles sur mineurs. La commission américaine John Jay est ainsi instaurée à la suite de l’enquête menée par le Boston Globe qui révéla les abus de prêtres catholiques, commis dans la région d’édition du journal, et faisant près de 200 victimes. En Irlande, la commission Ryan est instaurée en réponse aux révélations d’abus commis sur mineurs au sein d’écoles gérées entre autres par l’Église catholique11. La CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels commis dans l’Église ou commission Sauvé) est mise en place à la demande de la Conférence des évêques de France (CEF) et de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) en 2019 ; cette décision est indiscutablement liée à l’affaire Barbarin, archevêque de Lyon jugé pour non-dénonciation d’abus commis par l’un des prêtres de son diocèse, le père Preynat. Elle résulte plus globalement de la multiplication des enquêtes systématiques menées par les médias français sur le sujet, à la suite de la diffusion du film Spotlight12 en 2016 : Mediapart mène une large enquête pour dénoncer l’ampleur des abus commis en France et trois de ses journalistes publient un ouvrage en 2017 sur le sujet13. Le Monde réalise des investigations sur des cas précis : l’établissement jésuite Saint-Louis-de-Gonzague (2016), l’abbé Guiochet (2018, 2019). Deux documentaires télévisés renforcent la médiatisation de ces violences sexuelles : « Pédophilie, un silence de cathédrale » de Richard Puech (2018) et « Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église » de Marie-Pierre Raimbault et Éric Quintin (2019)14. De l’ampleur des domaines concernés par ces scandales découle celle des champs investigués par les commissions. Ainsi, en Australie comme en Irlande, ce ne sont pas les seules institutions cléricales qui sont dénoncées par les médias pour les abus commis en leur sein. En conséquence, les missions des deux commissions diligentées dans ces États s’étendent à l’ensemble des structures d’accueil des enfants. En France, comme aux États-Unis, seule l’Église est concernée par ces enquêtes. En outre, les commissions sont le plus souvent créées dans des États au sein desquels des groupes d’études sur les violences sexuelles dans le clergé ont préalablement été instaurés. De tels groupes de recherche existaient aux États-Unis et au Royaume-Uni dès les années 1990 ; en France, le « groupe 10615 » est créé au début des années 2000. Cependant, leurs travaux ne permettent pas d’éclairer l’ampleur des violences sexuelles commises, pour la simple raison que leur mission n’implique pas une telle investigation. Ils ne constituent le plus souvent qu’une première prise de conscience des autorités ecclésiastiques quant à la souffrance des victimes et à la nécessité d’agir pour lutter plus efficacement contre ces violences.
- 16 Ce fut par exemple le cas des deux commissions canadiennes réunies dans les années 1980 à l’échell (...)
- 17 En Australie, la commission était présidée par Peter McClellan, juge de la cour d’appel de la Nouv (...)
- 18 En Autriche, il s’agit de Brigitte Lueger Schuster ; en Allemagne, pour le rapport géré par l’univ (...)
- 19 Pour l’Allemagne, V. dans ce numéro l’article de K. Große Kracht, « Les abus sexuels dans l’Église (...)
8D’autre part, ces commissions d’enquête, qu’elles soient mobilisées à la demande de l’État ou de l’Église, sont le plus souvent présidées par des juges ou des universitaires. Si les premiers groupes d’investigation ont pu être dirigés par des clercs16, il est apparu rapidement que ce choix n’était guère satisfaisant, un même individu – ou une institution dans le cas présent – pouvant difficilement être juge et partie. Les commissions australienne et irlandaise sont ainsi présidées par des magistrats17. Jean-Marc Sauvé, nommé à la tête de la commission française, a été vice-président du Conseil d’État. Les équipes de recherche suisse, australienne, allemande et états-unienne sont dirigées par des universitaires : une professeure de psychologie en Autriche, des historiens en Suisse et en Allemagne (rapport universitaire de Münster), une juriste pour les États-Unis, un sociologue au Royaume-Uni18. Plus rarement, les groupes d’investigation ont pu été menés par des politiciens (cas de la commission Deetman aux Pays-Bas, de la commission parlementaire belge), des médecins (cas de la commission Adriaenssens en Belgique, du nom du pédopsychiatre qui en prend la direction, et de la commission allemande dirigée par le psychiatre Harald Raimund Dreßing19), un institut de statistiques (l’Institute for Catholic Church Statistics en Pologne) et même un cabinet d’avocat (le cabinet Westphahl Spilker Wastl pour l’enquête diligentée en 2018 par le diocèse de Munich).
- 20 La commission indépendante d’enquête sur les violences sexuelles commises contre des mineurs en An (...)
- 21 Notons que certains dossiers ont pu volontairement ne pas être communiqués aux chercheurs, même si (...)
9La méthodologie suivie par ces commissions et le déroulement de leur enquête divergent davantage. Est-ce vraiment surprenant ? Le travail de chacun des groupes d’investigation est teinté de la culture nationale au sein duquel il se développe ; il est également influencé par le profil de la personne nommée à la tête de ces commissions, de même que par la durée de l’enquête et par l’enveloppe budgétaire disponible20. Certes, les outils méthodologiques à disposition des commissions sont identiques : recherches sur archives, témoignages et entretiens avec les victimes, enquête en population générale, entretiens avec ecclésiastiques abuseurs ou non, etc. Cependant les déclinaisons de ces outils sont multiples. Prenons l’exemple des recherches sur archives ecclésiales. Leur consultation a été entreprise par la quasi-totalité des commissions, mais seulement de façon indirecte pour l’équipe du John Jay College, pour la commission australienne et pour celle dirigée en Allemagne par Harald Raimund Dreßing. Le personnel diocésain a réalisé le dépouillement et transmis ensuite les informations souhaitées. La commission Ryan ne s’est penchée sur les archives qu’indirectement et ponctuellement, pour vérifier certains points de témoignages de victimes. Leur analyse minutieuse a par contre été réalisée par des universitaires pour la commission Sauvé (une quarantaine de sites ont été visités) et la commission Deetman (les documents de sept diocèses et de deux tribunaux diocésains ont été exploités). L’analyse directe des archives par des historiens paraît plus rigoureuse et permet de relever des informations non identifiées par les équipes diocésaines : le dépouillement des archives par les chercheurs de la commission Sauvé a ainsi permis de réévaluer à la hausse le nombre de clercs coupables d’abus (en les multipliant par 1,3-1,5). Un différentiel s’observait régulièrement entre le nombre d’abuseurs indiqués par les diocèses et congrégations et ceux identifiés par les chercheurs lors de la consultation des archives ecclésiales. Cet écart s’explique par divers motifs : dépouillement systématique des dossiers de prêtres ou religieux non réalisé par les archivistes, identification d’abuseurs à partir de fonds archivistiques non dépouillés par les diocèses ou congrégations, entre autres exemples21.
10Afin de proposer une autre approche quantitative, des enquêtes en population générale ont pu être réalisées pour contourner cette difficulté. La CIASE et la commission Deetman ont entrepris de telles études. Sans surprise, elles proposent un nombre de victimes bien plus élevé que les rapports des autres groupes d’investigation (216 000 victimes estimées pour la commission française ; entre 0,3 et 0,9 % des Néerlandais de plus de 40 ans auraient subi avant leurs 18 ans des avances sexuelles non désirées de la part d’un membre du clergé ou d’un laïc de l’Église, d’après la commission Deetman). Ces enquêtes en population générale ont en outre permis de comparer la prévalence des abus sexuels commis par des ecclésiastiques avec celle des violences subies au sein d’autres structures ou institutions. Le travail des commissions française et néerlandaise, fondé sur la « seule » Église catholique, rendait initialement difficile une telle comparaison. Les commissions irlandaise, britannique (IICSAA) et australienne, travaillant à partir de l’ensemble des structures d’accueil d’enfants, religieuses ou laïques, pouvaient plus aisément réaliser une mise en perspective des abus commis au sein de l’Église au regard de ceux existant au sein d’autres organisations. Sans doute cela explique-t-il pour partie que ces dernières n’aient pas jugé nécessaire d’avoir recours à des enquêtes en population générale.
- 22 Jean-Marc Sauvé est ainsi reçu régulièrement dans les ministères pour évoquer le travail de la CIA (...)
- 23 V. à ce sujet les deux circulaires de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et du ministre (...)
- 24 Rappelons que Jean-Marc Sauvé a été vice-président du Conseil d’État. Il devient vice-président ho (...)
- 25 Nous entendons par « catho-laïcité » une laïcité qui entretient une relation particulière au catho (...)
- 26 Rappelons que Peter Adriaenssens est pédopsychiatre. Il déclara à la suite de la saisie des dossie (...)
11L’organisation du travail de ces commissions éclaire également les spécificités historiques et socio-culturelles de chacun des pays au sein desquels elles ont mené leurs investigations, en matière notamment de relations entre État et Église. La comparaison entre la commission Sauvé et la commission Adriaenssens l’illustre parfaitement. Dans le cadre de la première, la CEF et la CORREF ont mandaté Jean-Marc Sauvé pour mener une enquête sur les abus commis au sein de l’Église. L’État n’a pas souhaité s’immiscer dans les travaux de la CIASE, tout en restant informé de la progression de ceux-ci22. Il a favorisé l’ouverture de ses propres archives aux chercheurs de la commission et a exigé des juges qu’ils leur transmettent les dossiers clos récemment instruits et impliquant des ecclésiastiques23. Sans doute le profil du président de la commission a pu favoriser la confiance dans le sérieux de l’étude menée24. Plusieurs signalements ont d’ailleurs été faits à la justice par la CIASE au cours de son enquête. Il apparaît ainsi que l’État n’a pas douté de la démarche de transparence manifestée par l’Église, plus ou moins contrainte certes, mais réelle malgré tout. La situation est tout autre en Belgique. Les juges ont en effet saisi l’intégralité des dossiers réunis par la commission Adriaenssens, soupçonnant l’absence de signalement d’ecclésiastiques abuseurs à la justice. La sincérité de la démarche initiée par les évêques de Belgique peine à convaincre, la confiance que lui portent les institutions judiciaires et politiques est à l’évidence moindre qu’en France. La catho-laïcité25 qui se développe au sein de celle-ci n’a pas d’équivalent côté belge. À l’inverse de la commission Sauvé, le profil du président de la commission belge, médecin et non issu du milieu judiciaire, n’a sans doute pas aidé à lever les doutes sur la sincérité de la transparence affichée, malgré toutes les garanties que ce dernier s’est évertué à apporter en ce sens26.
- 27 V. les propos tenus par Olivier Échappé à l’Assemblée de Lourdes en 2000 (CNAEF, cote no 27CE125) (...)
- 28 V. à ce titre l’échange entre Olivier Échappé et Mgr Bruguès à l’Assemblée de Lourdes de 2000 (CNA (...)
12Au-delà du déroulement même du travail de ces commissions, ce sont les choix méthodologiques opérés qui semblent influencés par les spécificités tant socio-culturelles qu’historico-juridiques des États dans lesquels elles se sont déployées. La commission américaine insiste ainsi bien plus que d’autres sur les traitements psychologiques et médicaux qu’ont pu suivre les prêtres abuseurs lors de ses investigations. La commission australienne s’intéresse aux polices d’assurance souscrites par les institutions religieuses pour couvrir les dépenses liées aux indemnisations de victimes. Plusieurs volets du questionnaire de la commission John Jay portent également sur les montants des compensations versées aux victimes. Ces thèmes sont bien moins développés dans le rapport Sauvé. La révélation des abus commis au sein de l’Église antérieure dans le monde anglo-saxon peut vraisemblablement expliquer le développement plus important et plus ancien de l’indemnisation des victimes. Concernant les polices d’assurance, ce point s’explique pour partie par des traditions juridiques différentes entre droit français et droit anglo-saxon. Dans le droit anglo-saxon, la faute de l’individu est imputable au corps social auquel il appartient et par conséquent, toute faute appelle une réparation du corps social. D’où la disparition de congrégations religieuses incapables d’assumer financièrement les sanctions émises27. À l’inverse, dans le droit français, il n’est pas envisageable de demander à l’Église de supporter le poids financier de la faute commise par un prêtre28. Notons que ce poids financier peut être assumé par un employeur, relation qui n’est pas celle d’un évêque à l’égard d’un prêtre, mais qui par contre s’applique pour le cas d’un laïc envoyé en mission.
- 29 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., op. cit., p. 58.
- 30 V. par ex. Appendice A du rapport Deetman, op. cit., p. 23.
13Enfin, signe de la place centrale accordée à la parole victimaire depuis la fin des années 1990, une très large majorité des commissions a lancé un appel à témoignages et a mené des entretiens avec des abusés. La commission Ryan a ainsi reçu plus de 1 000 témoignages de victimes, la commission Deetman plus de 2 000, la commission Sauvé a réceptionné plus de 9 000 témoignages29 de victimes ou de « simples » témoins. À l’inverse, les groupes d’investigation n’ayant pas utilisé cet outil méthodologique ont pu être critiqués sur ce point30.
2. Convergence des résultats
- 31 Chiffres communiqués par Mgr Charles Scicluna, ancien promoteur de justice au sein de la Congrégat (...)
- 32 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., op. cit., p. 157 ; K. J. Terry & (...)
- 33 V. à ce titre le canon 230 § 1 du Code de droit canonique de 1983.
- 34 La question soumise fut la suivante : « Parmi les fonctions liturgiques que les laïcs, hommes ou f (...)
- 35 K. J. Terry & J. D. Freilich, art. cit., p. 447.
- 36 En 1964, les Scouts regroupaient 180 000 membres, les Guides de France environ 70 000 (source : D. (...)
- 37 Quelques dates de cette évolution, pour la France : la Jeunesse agricole catholique (JAC) devient (...)
14Si les commissions d’enquête se distinguent par la diversité des méthodologies suivies, les rapports qu’elles publient s’accordent quant aux particularités des pratiques abusives commises en contexte ecclésial. De nombreux points peuvent l’illustrer. Tout d’abord, les enquêtes menées montrent toutes que les abus concernent principalement des victimes masculines, à l’inverse de ce que l’on observe par ailleurs dans la société. Selon le rapport considéré, leur proportion varie entre 60 % et 85 % des victimes de violences sexuelles commises par des ecclésiastiques : le pourcentage est de 81 % pour la commission John Jay (États-Unis), il s’élève également à un peu plus de 80 % selon les analyses de la commission néerlandaise ; le rapport Murphy relatif à l’archidiocèse de Dublin évoque 70 % de victimes masculines ; le Ryan Report, également centré sur le cas irlandais, a recueilli les témoignages de 66,4 % d’hommes parmi les victimes d’abus ; l’étude menée par la Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse (Australie) fait état de 73,9 % de garçons parmi les abusés ; la Commission pour le traitement des plaintes pour abus sexuels dans une relation pastorale (Belgique) avance 64 % de victimes de sexe masculin. Le rapport allemand remis en 2018 mentionne 62,8 % de victimes masculines. L’enquête sur archives de la CIASE montre que 63 % des victimes sont des garçons. Le rapport polonais fait état d’un peu moins de 60 % d’abusés masculins. Notons que ces chiffres rejoignent également ceux avancés par la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui fait état de 4 000 cas d’abus sexuels traités par Rome depuis 1960, dont 60 % concernent des violences commises sur des adolescents, 30 % sur des adolescentes et 10 % sur des enfants31. La mise en perspective historique de ces données permet aux commissions française et états-unienne de constater une baisse de la proportion des hommes parmi les victimes d’abus. Les femmes sont majoritairement touchées en France depuis les années 2000, le rapport s’équilibre aux États-Unis durant la même décennie32. Cette évolution tend à confirmer l’hypothèse d’une logique situationnelle des abus, les auteurs de violences sexuelles ayant majoritairement abusé de jeunes garçons parce qu’ils ont été plus fréquemment en contact avec ce public (écoles de garçons ou internats gérés par des ordres religieux notamment). C’est la perspective retenue par la commission Sauvé, tout comme par les chercheurs du John Jay College. D’autres explications peuvent être avancées. La fonction exercée par l’abusé joue par exemple un rôle non négligeable dans cette prépondérance de victimes masculines : rappelons que le servant d’autel a été exclusivement masculin jusqu’aux années 1992-199433, dates auxquelles le Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs et la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements autorisèrent, selon le bon vouloir de l’évêque, les femmes à accéder à cette fonction34. Les chercheurs de la commission du John Jay College y voient la principale raison du retournement des années 1990 observé aux États-Unis concernant le genre des victimes35. Une autre explication relève de la non-mixité des mouvements de jeunesse, dans lesquels les effectifs masculins étaient supérieurs36. Les ecclésiastiques intervenaient en plus grand nombre dans les organisations de jeunesse de garçons (directeur de camp, aumônier, séminariste animateur, etc.). La mixité progresse dans ces mouvements à partir des années 195037. Dernier élément explicatif, mis en valeur par la commission française : les communautés nouvelles sont celles qui concentrent le plus d’abus ces dernières années. Or leurs victimes sont majoritairement des femmes, adolescentes ou majeures sous emprise.
- 38 Le graphique l’illustrant ne permet pas réellement de distinguer le pic qui s’observe en Suisse. I (...)
15La courbe d’évolution des abus est également très proche d’une commission à l’autre. Tous les travaux soulignent la baisse des violences sexuelles depuis les années 1960-1980. Le pic des pratiques abusives diverge cependant : si les commissions anglo-saxonnes observent une hausse des abus jusqu’à la fin des années 1970 / début des années 1980, les pays d’Europe continentale connaissent l’amorce du déclin à partir des années 1960 (dès les années 1950 pour la commission néerlandaise)38.
- 39 Outre les chiffres communiqués par chacun des rapports sur ce point, il est possible de consulter (...)
16Les commissions qui ont tenté de déterminer la proportion d’abuseurs parmi l’ensemble du clergé proposent une estimation proche d’une étude à l’autre : ils représentent 4,8 % du clergé pour la commission américaine, 4,4 % pour le rapport publié en 2018 en Allemagne, entre 2,5 et 2,8 % pour la CIASE. Les rapports se rejoignent également concernant le profil des auteurs d’abus. Ce sont pour l’essentiel des hommes (1 % de femmes auteures d’abus sexuels d’après le rapport français, 3 % selon le rapport australien), majoritairement ordonnés avant les années 1970 (57 % d’entre eux selon le rapport de la commission australienne, plus de 70 % des auteurs d’abus sexuels selon la CIASE, près de 70 % pour le rapport John Jay)39.
- 40 V. John Jay College of Criminal Justice, The Nature and Scope of the Problem of Sexual Abuse of Mi (...)
17D’autres comparaisons soulignent la proximité des résultats obtenus par les commissions malgré des méthodologies diverses. Le nombre de victimes par abuseur est par exemple singulièrement similaire entre le rapport de la commission Sauvé et celui du John Jay College40.
Nombre de victimes par abuseur dans les rapports des commissions Sauvé (France) et John Jay (États-Unis)

18Enfin, s’il est un constat unanimement partagé par l’ensemble des commissions, c’est celui d’une responsabilité systémique des pratiques abusives au sein de l’Église. En effet, quel que soit le rapport parcouru, toutes les études convergent pour souligner que la gestion des abus par les autorités ecclésiastiques a été largement défaillante. Il ne s’agit pas seulement d’une lacune en termes de formation ou d’accompagnement à la suite de comportements sexuels déviants. Cela renvoie à une gestion défaillante des pratiques abusives et de leurs auteurs, qui n’a pas permis d’éviter la reproduction de celles-ci, leur dénonciation auprès des autorités judiciaires, la libération de la parole des victimes et la prise en compte de leur souffrance. Les mutations au sein d’un même diocèse ou d’un diocèse à l’autre, le changement de fonction, ou tout simplement l’absence de sanction ont été des pratiques couramment appliquées par l’ensemble des responsables de l’Église catholique, quel que soit le pays considéré. Face à la libération de la parole et à la médiatisation accrue des scandales sexuels, ce type de pratique a décliné, particulièrement à partir des années 1990. À l’inverse, les signalements aux autorités judiciaires tendent à se multiplier selon une périodisation identique.
- 41 Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse, op. cit., recommandation 16.1 (...)
19Est-ce à dire que les conclusions des rapports ne sont que convergence ? Un tel constat est excessif. Il existe bien quelques divergences analytiques d’une commission à l’autre. La question du célibat l’illustre. La CIASE tout comme la commission John Jay, par exemple, ne retiennent pas le célibat comme source d’abus sexuels. Il peut certes accroître la solitude de l’ecclésiastique, il peut conférer au prêtre un statut « à part », renforçant son aura et les excès de pouvoir, ces deux facteurs pouvant favoriser des pratiques abusives ; cependant le célibat, à lui seul, n’explique pas la violence sexuelle. La CIASE, tout comme la commission Deetman, ne recommandent pas de renoncer à celui-ci. À l’inverse, la commission australienne conseille une remise en cause de ce statut spécifique du prêtre, dans sa recommandation 16.18 : « The Australian Catholic Bishops Conference should request the Holy See to consider introducing voluntary celibacy for diocesan clergy41. »
Conclusion
20Ce travail comparatif a montré que malgré des compositions divergentes, l’utilisation d’outils méthodologiques distincts et des spécificités socio-historiques qui se perçoivent dans la « coloration » prise par chacun des rapports, les conclusions des commissions d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église convergent largement. Toutes dénoncent le caractère massif, la gestion défaillante et la responsabilité systémique des abus. Les tendances et proportions relevées tant dans l’évolution des pratiques abusives, que dans le profil des victimes et des abuseurs se rejoignent. Au-delà des chiffres, ce sont les analyses qui se recoupent, notamment pour insister sur la logique situationnelle qui motive nombre d’abus. Sans surprise néanmoins, certaines des recommandations avancées diffèrent, traduisant sans doute les particularités socio-culturelles et le profil spécifique de chaque commission. La question du célibat, évoquée en fin de propos, l’illustre.
- 42 V. notamment, « L’Espagne se dirige vers la création d’une commission indépendante sur les abus se (...)
21Ce travail reste inabouti. Il devra être complété par une analyse comparative intégrant l’étude menée actuellement en Suisse, celle qui s’annonce en Espagne42 et celle qui semble se profiler au Brésil. Cette analyse gagnerait également à être prolongée par un travail comparatif de la réception sociétale, politique et ecclésiale de ces rapports et des suites données à leur publication.
Notes
1 V. les propos de Monique Baujard, tenus dans le cadre des travaux du « groupe 106 », groupe d’études de la Conférence des évêques de France sur les abus sexuels commis par des ecclésiastiques : archive conservée au Centre national des archives de l’Église de France (CNAEF), cote no 57CE121. À noter que sont évoqués ici des groupes de travail mis en place à l’étranger, non en France. Un tel comité consultatif, le groupe 106, est instauré par la Conférence des évêques français en mars 2000.
2 V. le rapport du groupe d’étude Child Abuse : Pastoral and Procedural Guidelines, a report from a Working Party to the Catholic Bishops’ Conference of England and Wales, 1994 : www.cbcew.org.uk/wp-content/uploads/sites/3/2022/02/Child-Abuse-Pastoral-and-Procedural-Guidelines-1994.pdf [consulté le 14 nov. 2022].
3 V. National Conference of Catholic Bishops. Ad hoc Committee on Sexual Abuse (USA), Report on mandate and objectives. June 1993 – November 1996 : www.usccb.org/resources/Restoring%20Trust%20Vol%20III.pdf [consulté le 14 nov. 2022].
4 Une quarantaine d’affaires sont instruites en cinq ans, dont l’affaire très médiatisée de l’abbé André Vanderlyn, ancien curé d’une paroisse de Bruxelles, condamné à six ans de prison ferme en 1998. L’affaire Dutroux n’est pas non plus étrangère à la formation de cette commission (commission Halsberghe). En neuf ans, elle traite 33 plaintes. En 2010, elle est remplacée par la commission Adriaenssens qui traite plus de 500 plaintes en quelques mois, à la suite, notamment, de la révélation des abus sexuels commis par l’évêque de Bruges et de l’appel d’une lettre pastorale aux victimes.
5 W. Langeland et al., « Childhood sexual abuse by representatives of the Roman Catholic Church: A prevalence estimate among the Dutch population », Child Abuse & Neglect, vol. 46, 2015, p. 67-77.
6 V. le compte rendu de l’Assemblée plénière de Lourdes : CNAEF, cote no 27CE125.
7 Pour les États-Unis, V. John Jay College of Criminal Justice, The Nature and Scope of the Problem of Sexual Abuse of Minors by Priests and Deacons in the United States. 1950-2002, Conference of Catholic Bishops, 2004 : www.bishop-accountability.org/reports/2004_02_27_JohnJay_revised/2004_02_27_John_Jay_Main_Report_Optimized.pdf ; également John Jay College of Criminal Justice, The Causes and Context of Sexual Abuse of Minors by Catholic Priests and Deacons in the United States, 1950-2002, 2013 : www.usccb.org/sites/default/files/issues-and-action/child-and-youth-protection/upload/The-Causes-and-Context-of-Sexual-Abuse-of-Minors-by-Catholic-Priests-in-the-United-States-1950-2010.pdf ; pour l’archidiocèse de Boston, Office of the Attorney General of the Commonwealth of Massachusetts, The Sexual Abuse of Children in the Roman Catholic Archdiocese of Boston: A Report by the Attorney General, 2003 : www.bishop-accountability.org/downloads/archdiocese.pdf ; pour la Pennsylvanie, rapport Shapiro : Office of the Attorney-General of the Commonwealth of Pennsylvania, Report I of the 40th Statewide Investigating Grand Jury, 2018 : www.attorneygeneral.gov/wp-content/uploads/2018/08/A-Report-of-the-Fortieth-Statewide-Investigating-Grand-Jury_Cleland-Redactions-8-12-08_Redacted.pdf. – Pour l’Irlande, rapport Ryan : Commission to Inquire on Child Abuse Report, vol. III, 2009 : childabusecommission.ie/?page_id=241 ; également le rapport Cloyne : Report by Commission of investigation into Catholic Diocese of Cloyne, 2011: www.gov.ie/en/publication/db146-report-by-commission-of-investigation-into-catholic-diocese-of-cloyne/. – Pour l’Australie, Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse, Analysis of Child Sexual Abuse Made with Respect to Catholic Church Institutions in Australia, 2017. – Dernièrement, plusieurs commissions ont également été constituées en Europe continentale. Pour les Pays-Bas, W. Deetman et al., Sexual Abuse of Minors in the Roman Catholic Church, 2013 : voormaligonderzoekrk.nl/onderzoek/eerste-onderzoek/ ; Pour l’Allemagne, H. Dreßing et al., Sexueller Missbrauch an Minderjährigen durch katholische Priester, Diakone und männliche Ordensangehörige im Bereich der Deutschen Bischofskonferenz, 2018 ; M. Westphal et al., Sexueller Missbrauch Minderjähriger und erwachsener Schutzbefohlener durch Kleriker sowie hauptamtliche Bedienstete im Bereich der Erzdiözese München und Freising von 1945 bis 2019, 2022 ; B. Frings et al., Macht und sexueller Missbrauch in der katholischen Kirche. Betroffene, Beschuldigte und Vertuscher im Bistum Münster seit 1945, 2022 ; Pour la Belgique, Chambre des représentants de Belgique, Le traitement d’abus sexuels et de faits de pédophilie dans une relation d’autorité, en particulier au sein de l’Église. Rapport… par S. De Wit et al., 30 mars 2011, Doc. 0520 (2010/2011) ; P. Adriaenssens (dir.), Verslag activiteiten Commissie voor de behandeling van klachten wegens seksueel misbruik in een pastorale relatie, 2010 : www.france-catholique.fr/IMG/pdf/EINDRAPPORT.pdf ; Pour l’Italie : Conferenza Episcopale Italianan, Proteggere, prevenire, formare primo report sulla rete territoriale per la tutela dei minori e delle persone vulnerabili, 2022 : www.chiesacattolica.it/wp-content/uploads/sites/31/2022/11/17/PrimoReport.pdf [consultés le 19 déc. 2022] ; Au Portugal, la Comissão Independente para o Estudo de Abusos Sexuais de Crianças na Igreja Católica est sur le point de rendre ses travaux publics au moment où cette contribution est écrite.
Cette liste n’est pas exhaustive.
8 Précisons qu’il s’agit plus d’un groupe de travail que d’une réelle commission d’enquête.
9 V. par exemple le travail d’investigation réalisé par Marie Kennan en Irlande : M. Kennan, Child Sexual Abuse and the Catholic Church: Gender, Power and Organisational Culture, New York, Oxford University Press, 2012. Également O. Bobineau, J. Merlet, C. Lalo, Le sacré incestueux. Les prêtres pédophiles, Paris, Desclée de Brouwer, 2017 ; C. Langlois, On savait, mais quoi ? La pédophilie dans l’Église de la Révolution à nos jours, Paris, Seuil, 2020 ; C. Béraud, Le catholicisme à l’épreuve des scandales sexuels, Paris, Seuil, 2021.
10 V. notamment D. Gastaldi, M. Martiniere, M. Perisse, Église, la mécanique du silence, Paris, Hachette, 2017.
11 Plus particulièrement, The Christian Brothers religious order (les Frères chrétiens, à ne pas confondre avec les Frères des écoles chrétiennes), congrégation connue pour son utilisation de châtiments corporels, fut l’objet d’une campagne médiatique de révélation de nombreux scandales à la fin des années 1990, conduisant à la publication d’excuses publiques à l’encontre des victimes en mars 1998. L’année suivante, le chef de l’État irlandais présentait ses excuses pour l’inaction des autorités publiques face aux abus subis par les mineurs au sein d’établissements scolaires.
12 Film qui retrace l’enquête réalisée par les journalistes du Boston Globe.
13 D. Gastaldi, M. Martiniere, M. Perisse, op.cit.
14 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., Les violences sexuelles dans l’Église catholique en France (1950-2020). Une analyse sociohistorique, Rapport du groupe de recherche de l’École pratique des hautes études pour la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, 2021, p. 65-66 : www.ciase.fr/medias/Ciase-Rapport-5-octobre-2021-Annexe-AN28-Rapport-EPHE.pdf [consulté le 14 nov. 2022].
15 Nommé ainsi car se réunissant au 106, rue de Sèvre à Paris.
16 Ce fut par exemple le cas des deux commissions canadiennes réunies dans les années 1980 à l’échelle diocésaine.
17 En Australie, la commission était présidée par Peter McClellan, juge de la cour d’appel de la Nouvelle-Galles-du-Sud ; en Irlande la commission est dirigée dans un premier temps par Mary Laffoy, juge à la Haute Cour lorsqu’elle est nommée, puis par Sean Ryan, également juge à la Haute Cour. Une seconde commission est instaurée au sein de l’archidiocèse de Dublin et également présidée par une juge, Yvonne Murphy. Ajoutons à cette liste la commission d’enquête instaurée en 2016 en Pennsylvanie et dirigée par le juge Josh Shapiro.
18 En Autriche, il s’agit de Brigitte Lueger Schuster ; en Allemagne, pour le rapport géré par l’université de Münster, de Thomas Großbölting ; en Suisse, de Monika Dommann et Marietta Meier ; aux États-Unis, l’enquête est dirigée par Karen J. Terry, professeure au département de justice pénale du John Jay College ; au Royaume-Uni, Stephen Bullivant, sociologue des religions et théologien, est chargé d’entreprendre une enquête dont il rend les conclusions en 2017.
19 Pour l’Allemagne, V. dans ce numéro l’article de K. Große Kracht, « Les abus sexuels dans l’Église catholique allemande : perspectives historiques et résultats ».
20 La commission indépendante d’enquête sur les violences sexuelles commises contre des mineurs en Angleterre et au Pays de Galles (IICSA) a été établie en 2014 et n’a pas encore rendu son rapport final ; la commission états-unienne a disposé de deux ans pour remettre son premier rapport. La commission australienne bénéficiait d’une enveloppe de 372,8 millions de dollars ; la commission allemande dirigée par Harald Raimund Dreßing disposait d’un million d’euros environ. La CIASE disposait initialement d’un budget d’un peu plus de 3,5 millions d’euros, pour un travail réalisé sur deux années.
21 Notons que certains dossiers ont pu volontairement ne pas être communiqués aux chercheurs, même si cette situation fut rarement rencontrée. Ces informations ont pu être révélées par des personnes travaillant dans ces diocèses ou/et congrégations. L’étude des dossiers concernés a pu confirmer ou infirmer les informations communiquées (V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., op. cit., p. 123). En outre, le dépouillement des archives par une même équipe favorise une cohérence analytique que ne permet pas l’étude de questionnaires complétés par autant d’individus qu’il y a de diocèses ou d’instituts. Les travaux menés par la ClASE le montrent : les diocèses ont interprété de façon divergente les mentions relatives aux victimes (« quelques », « au moins deux abusés », « plusieurs enfants », « cum pueris »), rendant difficile tout décompte et toute comparaison entre eux. Cette difficulté a pu être levée grâce aux investigations menées sur place par l’équipe de recherche.
22 Jean-Marc Sauvé est ainsi reçu régulièrement dans les ministères pour évoquer le travail de la CIASE. Le Premier ministre Jean Castex s’entretient personnellement avec lui à ce sujet. Pour un développement plus précis de ce point, V. dans ce numéro l’article de Ph. Portier, « La CIASE, l’Église et l’État. Une réflexion sur la pratique française de la laïcité ». V. également pour l’impact de la culture française sur l’analyse des abus sexuels, l’article de G. Marotta, « Child Sexual Abuse by Members of the Catholic Church in Italy and France: A Literature Review of the Last Two Decades », Journal of Child Sexual Abuse, 30(8), 2021, p. 911-931.
23 V. à ce sujet les deux circulaires de la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, qui précisent le souhait de ceux-ci de faciliter les dérogations permettant aux équipes de la CIASE d’accéder aux archives.
24 Rappelons que Jean-Marc Sauvé a été vice-président du Conseil d’État. Il devient vice-président honoraire de l’institution à partir de 2018.
25 Nous entendons par « catho-laïcité » une laïcité qui entretient une relation particulière au catholicisme, liée à l’histoire et à l’imaginaire national : visite des présidents de la République aux papes, jours fériés qui correspondent à des fêtes catholiques, héritage chrétien de la France souligné par Emmanuel Macron en 2018, entre autres exemples.
26 Rappelons que Peter Adriaenssens est pédopsychiatre. Il déclara à la suite de la saisie des dossiers de victimes par la justice : « Ils ne pouvaient opérer de la sorte qu’avec le sentiment que nous aussi fraudions ou tentions d’étouffer les affaires. Cela alors que je m’étais fait un point d’honneur à travailler en toute transparence. » : La libre Belgique, 28 juin 2010 : https://www.lalibre.be/belgique/2010/06/28/pedophilie-la-commission-adriaenssens-demissionne-RCGU5IUW25BXZDFCOLE34344HI/0 [consulté le 14 nov. 2022].
27 V. les propos tenus par Olivier Échappé à l’Assemblée de Lourdes en 2000 (CNAEF, cote no 27CE125) et la note de Mgr Bruguès au porte-parole de l’épiscopat, déc. 1999 (CNAEF, cote no 57CE124).
28 V. à ce titre l’échange entre Olivier Échappé et Mgr Bruguès à l’Assemblée de Lourdes de 2000 (CNAEF, cote no 27CE125).
29 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., op. cit., p. 58.
30 V. par ex. Appendice A du rapport Deetman, op. cit., p. 23.
31 Chiffres communiqués par Mgr Charles Scicluna, ancien promoteur de justice au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi, aujourd’hui secrétaire adjoint de celle-ci : www.internetpfarre.de/blog/archives/240-SEXUELLER-MISSBRAUCH-VATIKAN-TOPINTERVIEW-ITKIRCHENANWALT-SCICLUNA.html [consulté le 14 nov. 2022].
32 V. Ph. Portier (dir.), P. Airiau, Th. Boullu, A. Lancien et al., op. cit., p. 157 ; K. J. Terry & J. D. Freilich, « Understanding Child Sexual Abuse by Catholic Priests from a situational perspective », Journal of Child Sexual Abuse, 21(4), 2012, p. 448 (données tirées de l’enquête menée par le John Jay College).
33 V. à ce titre le canon 230 § 1 du Code de droit canonique de 1983.
34 La question soumise fut la suivante : « Parmi les fonctions liturgiques que les laïcs, hommes ou femmes, peuvent exercer, selon le can. 230 § 2, du Code de droit canonique, peut-on inclure également le service de l’autel ? » La réponse fut, comme indiqué, positive, tout en laissant la décision d’autoriser ou non les femmes à exercer cette fonction à l’évêque du diocèse concerné. En outre, la réponse de 1994 précise que « Le Saint-Siège rappelle qu’il sera toujours opportun de suivre la noble tradition du service de l’autel confié à de jeunes garçons. On sait que ce service a permis un développement encourageant des vocations sacerdotales. L’obligation de continuer à favoriser l’existence de ces groupes d’enfants de chœur demeurera donc toujours ». Notons qu’il y a aujourd’hui 30 000 servants d’autel en France (d’après www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/Enfants-choeur-dit-lEglise-mixite-2018-07-30-1200958633 [consulté le 19 déc. 2022]).
35 K. J. Terry & J. D. Freilich, art. cit., p. 447.
36 En 1964, les Scouts regroupaient 180 000 membres, les Guides de France environ 70 000 (source : D. Perrot, « Postface », in J. Despont Pionniers du scoutisme, Paris, France-Empire, 1964).
37 Quelques dates de cette évolution, pour la France : la Jeunesse agricole catholique (JAC) devient mixte en 1965 ; la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et la Jeunesse ouvrière chrétienne féminine (JOCF) ne fusionnent qu’en 1987.
38 Le graphique l’illustrant ne permet pas réellement de distinguer le pic qui s’observe en Suisse. Il est atteint au cours de la décennie 1960. Le nombre d’abus décline par la suite.
39 Outre les chiffres communiqués par chacun des rapports sur ce point, il est possible de consulter la synthèse proposée par B. Böhm, H. Zollner, J. M. Fegert et H. Liebhardt, « Child Sexual Abuse in the Context of the Roman Catholic Church: A Review of Literature from 1981-2013 », Journal of Child Sexual Abuse, 23(6), 2014, p. 635-656.
40 V. John Jay College of Criminal Justice, The Nature and Scope of the Problem of Sexual Abuse of Minors…, op.cit., 2004, p. 6.
41 Royal Commission into Institutional Responses to Child Sexual Abuse, op. cit., recommandation 16.18, p. 53.
42 V. notamment, « L’Espagne se dirige vers la création d’une commission indépendante sur les abus sexuels », La Croix, 8 févr. 2022.
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Titre | Nombre d’abus selon les commissions d’enquête |
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Titre | Nombre de victimes par abuseur dans les rapports des commissions Sauvé (France) et John Jay (États-Unis) |
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Pour citer cet article
Référence papier
Anne Lancien, « Dissemblances et convergences des commissions d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église », Revue du droit des religions, 15 | 2023, 93-108.
Référence électronique
Anne Lancien, « Dissemblances et convergences des commissions d’enquête sur les abus sexuels dans l’Église », Revue du droit des religions [En ligne], 15 | 2023, mis en ligne le 24 mai 2023, consulté le 29 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/rdr/2105 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdr.2105
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