1Gwénaële Calvès propose d’appréhender la laïcité sous la forme d’un kaléidoscope de normes et de valeurs en constante mutation. Abandonnant la définition initiale conçue par les promoteurs de la loi de 1905, elle la regarde sous le prisme des grands principes de la construction laïque que sont la liberté, la séparation des Églises et de l’État, l’égalité et la neutralité. Ses propos sont accompagnés de focus normatifs et déclaratifs illustrant habilement ses démonstrations et offrant au lecteur un exemple précis de la logique de l’époque.

2Il ressort de l’analyse que la liberté de conscience serait la « clé de voûte de la construction laïque » (p. 27). Une vision complète accompagne chaque exemple et retrace aussi bien les aspirations premières de la laïcité que son évolution. À l’instar de la formule de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale en 1936, pour qui l’école doit « rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas » (p. 34), le débat relatif à l’école laïque, conçue sous la III^e République comme une école areligieuse – et non sans Dieu –, a laissé place à des protections contemporaines comme l’interdiction du prosélytisme au sein du service public. L’auteure dénonce l’instrumentalisation politique du libre exercice du culte devenu une liberté sous surveillance renforcée en affirmant, à propos des règles relatives aux associations cultuelles de 1905 : « cette identification du religieux au cultuel, lui-même ramené, peu ou prou, au cérémoniel, marque sans doute l’aboutissement d’une construction laïque qui s’est attachée à dépouiller les religions de toute fonction sociale, pour les cantonner à l’intérieur des temples » (p. 40).

3Lorsque l’on s’interroge ensuite sur la séparation des Églises et de l’État, la religion devient une affaire privée. Il s’agit d’un « principe social nouveau » selon les promoteurs de la loi de 1905 (p. 49). La séparation financière est une question plus délicate, puisqu’elle est constituée de niches comme l’avantage catholique de disposer d’édifices protégés par le domaine public culturel mais qui pèsent sur les finances publiques locales, les baux emphytéotiques cultuels qui permettent à une collectivité de mettre à la disposition d’un culte un terrain sur lequel elle construira un lieu de culte assorti d’un loyer dérisoire ou encore les divers avantages fiscaux consentis à l’immobilier cultuel.

4Tout en rappelant que « d’un point de vue historique, la laïcité s’est imposée au nom de la liberté de conscience et indissociablement de l’égalité de tous devant la loi, “sans distinction de religion” » (p. 65), le chapitre sur l’égalité offre une approche comparatiste et décline les spécificités d’une laïcité française marquée par l’indifférenciation et par un État aveugle à la religion de ses citoyens qui n’oublie pas les dérogations relatives à l’objection de conscience. Gwénaële Calvès oppose à cette spécificité les mutations contemporaines de l’exigence d’égalité avec l’extension des demandes de dérogation à la règle commune – abondantes dans le débat anglo-saxon – et la particularité québécoise de l’accommodement raisonnable.

5Finalement, c’est autour de la neutralité que l’évolution est la plus parlante, puisqu’elle concerne même la sphère privée. Sous la III^e République, la neutralité libérale était synonyme de laïcité, néologisme qui n’était pas d’usage courant et consistait en l’éviction des cultes de son domaine. Un premier tournant d’après-guerre va apparaître, qui réduira la laïcité en une neutralité confessionnelle de l’État en évacuant toutes les autres composantes, notamment la défense étatique de la liberté de conscience de tous les citoyens. Le thème d’une neutralité respectueuse des croyances apparaît dans le contexte très conflictuel de la laïcisation de l’école publique. La neutralité qui s’impose à la personne publique va s’étendre aux usagers des services publics. Cependant des incertitudes subsistent vis-à-vis de leurs gestionnaires privés et la loi 24 août 2021 ne vient pas clarifier la situation. Depuis les années 2000, la règle de neutralité migrerait vers les entreprises privées au point que la loi « Travail » du 8 août 2016 prévoit une disposition qui autorise expressément ces dernières à « inscrire le principe de neutralité » dans leur règlement intérieur (p. 110). Au fil des pages, le lecteur est donc convié à revisiter, à travers une réflexion riche et objectivée par de nombreux exemples, les composantes d’une laïcité qui a évolué au rythme de son époque et de ses acteurs.