Guy Bucumi, Religions et pouvoirs étatiques en Afrique centrale. Église catholique, églises évangéliques, laïcités : Cameroun, Congo, Gabon et République démocratique du Congo
Guy Bucumi, Religions et pouvoirs étatiques en Afrique centrale. Église catholique, églises évangéliques, laïcités : Cameroun, Congo, Gabon et République démocratique du Congo, Le Kremlin-Bicêtre, Mare & Martin, 2022 (Bibliothèque des thèses), 328 p.
Texte intégral
1L’ouvrage de Monsieur Guy Bucumi, professeur associé au Centre d’études du religieux contemporain (CERC) et chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, organisé autour de deux parties, revient sur les rapports entre la sphère politique et la sphère religieuse, sur les tensions entre société et religion. L’analyse de l’auteur se centre sur la situation de la région d’Afrique centrale en raison notamment de la montée « remarquable » (p. 19) du courant de l’église évangélique. À dire vrai, le choix de circonscrire l’étude à cette zone géographique particulière trouve une justification dans l’absence des travaux doctrinaux qui mesurent les effets sur la laïcité de l’expansion nouvelle des courants des églises évangéliques.
2Les États de l’Afrique centrale, tels que le Cameroun, le Congo, le Gabon et la République démocratique du Congo, au même titre que les autres États africains, constituent selon la formule de l’ancien président de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, « un immense réservoir de foi ». Ils présentent des « similitudes historiques et religieuses » (p. 19) et ont entretenu avec la religion des rapports ambigus marqués par une collaboration, une méfiance et une défiance réciproques. Cela n’a pas empêché l’Église catholique, dans cette partie de l’Afrique, d’incarner un rôle majeur dans les rapports entre la société et le monde politique, entre la sphère politique et la sphère religieuse. Elle « a marqué de son empreinte les relations religions-États » (p. 22). L’auteur constate que les églises évangéliques ont une influence pernicieuse sur le mouvement de laïcisation apparu avec « la grande marche de la démocratisation » (p. 23). Elles constituent parfois de « véritables forces politiques » (p. 260), au point que « les pouvoirs politiques ne peuvent plus se passer d’elles, ne [serait]-ce que dans une optique électorale » (ibid.).
3À l’aide d’une approche historique et comparatiste et sur le fondement des normes juridiques des pays concernés, l’auteur analyse la gestion de la sphère spirituelle par les institutions politiques, en révèle les particularités. Cette gestion s’opère à l’aune des règles constitutionnelles y afférentes, lesquelles étaient initialement calquées sur la conception constitutionnelle française de la laïcité. Cette influence des normes françaises dans la pratique de la laïcité (p. 174) n’a pas produit les effets escomptés (p. 222 et s.). Tout au plus, elle en a révélé l’inadaptation aux réalités de ces pays caractérisés par une « révolution spirituelle » (p. 24). « Cette laïcité importée » (p. 237) trouve ses sources historiques dans les liens qui unissaient ces États de l’Afrique-Équatoriale française (AEF) (p. 44) à leur ancienne puissance coloniale. Mais l’indépendance politique dont ils ont bénéficié dans les années soixante s’est accompagnée d’une forme d’indépendance, voire de révolution constitutionnelle. Il convenait « de couper le cordon ombilical en rejetant les dispositions issues de l’ancienne puissance, pour marquer une sorte de décolonisation institutionnelle » (p. 167) et de se lancer dans la conquête de l’État laïque. Les pays d’Afrique centrale ont entrepris un travail « d’appropriation de la laïcité » (p. 175), affiché une volonté de sécularisation afin d’instaurer un processus efficient de démocratisation des États. La religion est perçue de manière négative comme un potentiel instrument de division dont il faut se défaire alors même qu’elle a accompagné le processus de démocratisation de ces pays. L’auteur est parvenu à mettre en lumière le paradoxe saisissant entre d’une part, le désir d’instaurer une distance entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux et d’autre part, le maintien d’une forme de spiritualité, le souhait « de veiller de façon stricte au fonctionnement des confessions religieuses » (p. 178).
4Guy Bucumi présente de manière convaincante « la métamorphose du paysage religieux » (p. 80) et souligne les difficultés pour les États d’Afrique centrale à endiguer le phénomène et en réduire l’influence en promouvant souvent de manière rigide la laïcité. Cette difficulté est accentuée par l’absence de définition de la notion de laïcité. En effet, « malgré son importance et sa place dans l’arsenal juridique, le principe de laïcité n’a jamais fait l’objet d’une définition en droit africain » (p. 192). Cette circonstance entraîne des effets fâcheux sur les rapports entre la société civile et religieuse. « L’idée d’indépendance de la société civile à l’égard de la société religieuse et celle de la neutralité de l’État, pourtant voulues par le constituant africain, n’ont jamais triomphé » (ibid.). Ce résultat mitigé invite à revisiter la notion de laïcité et à construire une laïcité africaine (p. 259) qui prendrait ses distances avec la modernité occidentale afin de mieux favoriser la coopération des sphères sociale, politique et religieuse. L’analyse révèle que « les divers États d’Afrique centrale sont amenés, dans la pratique, à coopérer avec les confessions religieuses en général et les églises évangéliques en particulier, pour atteindre leurs objectifs économiques, politiques et sociaux » (p. 260). Il découle de son approche qu’une laïcisation adaptée permettrait de proposer « un modèle d’organisation des relations religions-État conforme à [l’]identité et aux réalités socio-religieuses » (p. 302) auxquelles les pays d’Afrique centrale sont aujourd’hui confrontés.
5En définitive, l’auteur entraîne le lecteur dans une réflexion approfondie mêlant le rôle public de la religion et sa place en Afrique centrale. En se proposant d’analyser la complexité des phénomènes religieux dans cette zone de l’Afrique à l’aide de plusieurs approches d’exploration des données existantes, il nous offre ici une incursion intellectuelle stimulante qui éveillera l’intérêt de toute personne sensible à ces questions essentielles.
Pour citer cet article
Référence papier
Thomas M’Saïdié, « Guy Bucumi, Religions et pouvoirs étatiques en Afrique centrale. Église catholique, églises évangéliques, laïcités : Cameroun, Congo, Gabon et République démocratique du Congo », Revue du droit des religions, 16 | 2023, 171-173.
Référence électronique
Thomas M’Saïdié, « Guy Bucumi, Religions et pouvoirs étatiques en Afrique centrale. Église catholique, églises évangéliques, laïcités : Cameroun, Congo, Gabon et République démocratique du Congo », Revue du droit des religions [En ligne], 16 | 2023, mis en ligne le 21 novembre 2023, consulté le 08 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rdr/2279 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdr.2279
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