1En France, un nouveau programme de physique-chimie pour la classe de seconde (élèves âgés de 15-16 ans) est entré en vigueur en 2019. Dès le préambule, les auteurs insistent sur la nécessité de mettre en avant la « pratique expérimentale » et « l’activité de modélisation » (MEN, 2019a), cette dernière étant régulièrement évoquée dans la suite du programme. Le rôle du modèle en sciences est également exposé dans les objectifs de formation. Cette présentation semble trancher avec le programme précédent introduit en 2010 qui réduisait, sans l’exploiter, la modélisation à une partie de la « démarche scientifique » (MEN, 2010).
2En chimie, ces changements se traduisent notamment par la réapparition de la distinction entre les notions de « transformation chimique » et « réaction chimique », visant à différencier les concepts du « monde » des objets et des expériences de ceux du « monde » des modèles et des théories (MEN, 2019a).
3Introduite pour la première fois dans le programme de seconde de 2000 (MEN, 1999), cette distinction n’a pas toujours été comprise par les enseignants (Kermen & Méheut, 2008). Dans l’enseignement des sciences, Justi et Gilbert (2003) pointent un manque de cohérence manifesté par certains enseignants à propos de la notion de modèle. Dans ce contexte, nous interrogeons les pratiques d’enseignants à propos de la modélisation des transformations chimiques.
4En prenant appui sur une étude épistémologique de la notion de modèle, appliquée aux concepts de transformation chimique et de réaction chimique, cet article vise d’abord à analyser la modélisation proposée dans la partie « Modélisation des transformations chimiques » du nouveau programme. Sa mise en place est ensuite analysée à travers une étude de cas de deux enseignantes expérimentées selon le cadre de la double approche didactique et ergonomique (Robert & Rogalski, 2002), afin de révéler ou inférer les raisons qui sous-tendent les choix des enseignantes.
5Après un rappel de ce qu’est le concept de modélisation en sciences et de son application en environnement scolaire, la réaction chimique, modèle des transformations chimiques de systèmes similaires, est présentée.
6Reprenant la vision de Varenne (2013), plutôt que de donner une définition du modèle qui ne saurait être exhaustive (Soler, 2013), il nous semble plus prudent de détailler quelques caractéristiques du modèle scientifique qui serviront de référence dans la suite.
- 1 Les termes en italique dans ce paragraphe seront repris dans la méthodologie.
7Le modèle est une « construction intellectuelle de quelque chose » (Soler, 2013, p. 183). En ce qu’il est « le modèle d’un certain “objet” » (ibid.), dont l’utilisation ne peut se faire qu’à partir d’une certaine interprétation intellectuelle, le modèle scientifique est « sciemment et délibérément infidèle à ce qu’il modélise » (ibid.). C’est justement cet écart avec la réalité qui va permettre au modèle de remplir sa fonction d’outil efficace pour résoudre des problèmes particuliers (ibid.). Il convient donc de bien identifier le phénomène modélisé1 (Justi & Gilbert, 2002) et de faire la distinction entre modèle et réalité qu’il étudie (Morge & Doly, 2013) en repérant notamment les aspects du réel mis de côté.
8Plusieurs modèles peuvent rendre compte d’un même phénomène (modèle ondulatoire et modèle corpusculaire pour la lumière) lorsque le but poursuivi diffère, ce que Soler appelle la pluralité des modèles. Inversement, plusieurs phénomènes peuvent être interprétés par un même modèle (compression et diffusion d’un gaz à partir du modèle particulaire), lui conférant un caractère unificateur.
9Le modèle peut être symbolisé, ce qui lui confère parfois un aspect plus concret (Méheut & Chomat, 1990), critère d’appréciabilité pour les enseignants qui privilégient les modes de représentation plus tangibles des phénomènes étudiés (Justi & Gilbert, 2002) mais avec le risque que ces représentations soient confondues avec le modèle lui-même.
10Un modèle sert à décrire, expliquer et prévoir (Robardet & Guillaud, 1997) et est considéré comme valide lorsque les prévisions qu’il permet de faire correspondent aux observations et aux mesures effectuées sur la portion de réalité modélisée (Morge & Doly, 2013).
11Des simplifications sont opérées sur la réalité pour construire le modèle. Il revêt alors un caractère pratique et devient un opérant efficace (Soler, 2013) apte à répondre à des questionnements liés à cette réalité (Méheut & Chomat, 1990 ; Talanquer, 2011). Mais ces questionnements sont spécifiques (Soler, 2013), en raison de la sélection des aspects modélisés qui lui confèrent toute sa praticité. Ainsi, le modèle a un domaine de validité (localité) restreint à l’ensemble des phénomènes qui le rendent efficace (ibid.).
12Les caractéristiques du modèle scientifique, en particulier son efficacité et sa praticité, témoignent de son caractère utilitaire. Il a pour but d’être utilisé, plutôt qu’enseigné, ce qui implique une adaptation lors de son enseignement en milieu scolaire (Chevallard, 1985). Adúriz-Bravo (2013) considère qu’un modèle scientifique scolaire est issu d’une « transposition didactique » d’un modèle scientifique, donc d’une reformulation des savoirs (Chevallard, 1985 ; Izquierdo-Aymerich & Adúriz-Bravo, 2003). Alors que les termes « réaction chimique » et « transformation chimique » sont indifférenciés par les scientifiques, l’introduction du modèle de la réaction chimique en lycée vise notamment à pallier une difficulté répandue parmi les élèves, à savoir la non-distinction entre modèle et réalité (Kermen, 2018) qui peut les amener à confondre nombres stœchiométriques et quantités initiales des réactifs (Kermen & Méheut, 2008).
13Afin de permettre aux élèves de saisir les enjeux de la notion de modèle, il semble nécessaire de les faire modéliser (Larcher, Chomat & Méheut, 1990 ; Schwarz et al., 2009). En chimie, dans le cas des propriétés physiques de la matière, deux exemples de modélisation où alternent des phases d’enrichissement du modèle et d’interprétation (du registre expérimental vers le modèle) et des phases prédictives (du modèle vers le registre expérimental) ont déjà été proposés en France (Chomat, Larcher & Meheut, 1988 ; Larcher, Chomat & Méheut, 1990). Pour Adúriz-Bravo (2013), le terme « modéliser » revêt quatre principaux sens, à savoir : construire un nouveau modèle, utiliser un modèle pour expliquer ou prendre en compte des faits scientifiques, améliorer des modèles déjà établis et apprendre à appliquer des modèles existants dans un contexte d’apprentissage.
14Au plan international plusieurs auteurs abordent la question des programmes d’enseignement en chimie (Landa et al., 2020 ; Sjöström, Eilks & Talanquer, 2020 ; Taber, 2020 ; Talanquer, 2016) et soulignent l’importance d’une approche thermodynamique pour traiter la transformation chimique des substances. Un focus sur une interprétation microscopique peut faire oublier que la chimie est avant tout une science de substances au niveau macroscopique (Talenquer, 2016), lequel est plus directement significatif pour les apprenants (Taber, 2020). Un programme devrait s’élaborer de façon spiralaire en recherchant le niveau optimal de simplification permettant aux élèves d’accéder aux idées et de s’engager dans la démarche proposée (ibid). Talenquer (2015) considère l’équilibre chimique comme un « threshold concept »2 dont la non-compréhension peut empêcher toute progression des apprenants dans le domaine de la chimie.
15Le modèle macroscopique de la réaction chimique tel que proposé par Kermen (2018, p. 52-57) à partir d’une analyse épistémologique et didactique du savoir peut être considéré comme la première étape simplificatrice d’une approche thermodynamique des transformations chimiques ayant pour objectif l’introduction du concept d’équilibre chimique dans le programme de terminale. Dans ce cadre (Kermen, 2018), la transformation chimique fait partie du registre expérimental et est décrite :
- d’abord à partir de la « réalité perçue », c’est-à-dire des phénomènes observés (changement de couleur, élévation de température, etc.) ;
- puis avec la « réalité idéalisée », bilan (qualitatif ou quantitatif) entre deux états (initial et final) en termes d’espèces chimiques, ce bilan constituant la première étape d’une approche thermodynamique.
- 3 Au moins une des espèces présentes à l’état initial n’est plus présente dans l’état final.
16La réaction chimique est le modèle des transformations chimiques totales3 de systèmes mettant en jeu les mêmes espèces (réactives, les autres peuvent être différentes) à l’état initial, mais introduites dans des proportions différentes (systèmes similaires). Le modèle permet d’interpréter et unifier les régularités observées. Ce sont en effet toujours les mêmes espèces dont les quantités diminuent (les réactifs) ou augmentent (les produits), dans des proportions toujours identiques.
17Considérant que ces régularités sont généralisables à toutes les transformations de systèmes similaires, ce qui définit le champ d’application de ce modèle, on peut prédire l’état final à partir de la connaissance d’un état initial donné. Ce modèle est symbolisé par une équation de réaction qui comporte toutes les informations données précédemment.
18Les apprenants ayant tendance à traiter les modèles comme des répliques de la réalité sans parvenir à comprendre la nature et le rôle de ces derniers, il revient à l’enseignant de souligner le rôle central des modèles en chimie, de spécifier que ce qui est enseigné est un modèle et non la réalité, d’en donner les limites et le champ d’application (Taber, 2015). Expliciter la distinction entre objets-événements et modèles d’une part et les choix opérés pour concevoir et modéliser une expérience d’autre part permettrait aux élèves de prendre conscience du fonctionnement de la physique (Gaidioz, Vince & Tiberghien, 2004) et, nous supposons, de la chimie. Pourtant la plupart des enseignants ne semblent pas se placer dans les meilleures conditions pour enseigner la différence entre modèle et réalité (Morge & Doly, 2013). Dans une étude menée au Brésil (Justi & Gilbert, 2003), la majorité des enseignants interrogés, du primaire à l’université, s’accorde pour dire qu’un modèle est une représentation et pour reconnaître son utilité. Pour autant, leurs résultats ne leur ont pas permis d’établir des profils associés à une compréhension de la notion de modèle, ce qui semble indiquer qu’il n’y a pas de cohérence entre les points de vue des enseignants, même s’ils occupent un poste similaire. Aux Pays-Bas (Van Driel & Verloop, 1999), des enseignants de biologie, chimie et physique interrogés souscrivent généralement à l’idée qu’un modèle est une représentation simple ou schématique de la réalité. Cependant, leurs points de vue concernant les autres aspects des modèles tels que le caractère explicatif ou prédictif sont plus divergents. Roy et Hasni (2014) retrouvent des résultats assez similaires dans une enquête réalisée auprès de cinq enseignants au Québec. En plus de la fonction de « représentation simplifiée d’une entité du monde réel » (Roy & Hasni, 2014, p. 365), le modèle permet d’expliquer les phénomènes. Cependant aucun enseignant ne mentionne qu’il permet de représenter plusieurs référents et la fonction de prédiction est peu mise en avant.
19Ces difficultés à appréhender les enjeux de la modélisation et l’importance de leur présentation en classe constatées à l’étranger peuvent expliquer celles qu’ont eues les enseignants français à effectuer la distinction entre transformation et réaction chimiques lors de son introduction dans les programmes. Certains déclaraient ne pas faire eux-mêmes la distinction et d’autres ne la considéraient pas comme un réel enjeu car n’intervenant pas dans la résolution d’exercices (Kermen & Méheut, 2008).
20Ces constats nous amènent à interroger la manière dont les enseignants s’emparent de la modélisation des transformations chimiques lors de son enseignement en classe de seconde. Pour ce faire, nous utilisons le cadre de la double approche didactique et ergonomique, dont nous présentons les fondements ci-dessous.
21Les pratiques enseignantes désignent tout ce que font les enseignants en classe et ce qui contribue à leurs actions dont la préparation des enseignements. Dans le cadre de la double approche didactique et ergonomique (DADE) (Robert & Rogalski, 2002 ; Vandebrouck, 2008), l’activité d’un élève ou d’un enseignant est ce qu’il met en œuvre lors de la réalisation d’une tâche (Rogalski, 2013). Elle regroupe aussi ce qui ne se voit pas (pensées, hypothèses, décisions), l’observateur n’a donc accès qu’aux actions, les traces de l’activité des élèves et des enseignants. Une hypothèse essentielle de la DADE est que l’activité développée par un élève pour résoudre une tâche prescrite par un enseignant contribue à son apprentissage (Robert & Rogalski, 2002). Les pratiques d’un enseignant (l’ensemble de ses activités) incluent la conception de l’environnement d’apprentissage et son pilotage en classe. Caractériser les tâches prescrites et l’activité possible des élèves permet de faire des hypothèses sur l’effet des pratiques sur les apprentissages (Molvinger, Chesnais & Munier, 2017).
22Les pratiques d’un enseignant forment un système complexe, modélisé par cinq composantes imbriquées qui permettent leur description. La composante cognitive concerne l’itinéraire cognitif (nature, contenu, ordre des tâches prescrites aux élèves) et la composante médiative sa mise en œuvre en classe (organisation et accompagnement). Les composantes cognitive et médiative reflètent les choix de l’enseignant qui sont influencés par trois déterminants regroupant chacun plusieurs facteurs relatifs au métier et à sa personne (figure 1). Ces choix peuvent résulter de compromis entre plusieurs intentions ou contraintes (Kermen & Colin, 2017). Ils illustrent la marge de manœuvre que l’enseignant s’octroie. Les raisons de ces choix sont recherchées dans l’influence de tel ou tel facteur d’un déterminant ou d’un autre.
23Le déterminant institutionnel regroupe les prescriptions officielles, les ressources (manuels, matériel) tandis que le déterminant social désigne les habitudes professionnelles des enseignants de la discipline, le travail en équipe mais aussi les élèves « qui interviennent non seulement comme groupe mais aussi comme appartenant à des groupes sociaux » (Robert, 2008, p. 59). Le déterminant personnel comporte les connaissances, l’expérience professionnelle, les conceptions sur l’enseignement et l’apprentissage de l’enseignant (figure 1).
Fig. 1 : les 5 composantes des pratiques enseignantes selon la DADE à partir de Kermen (2018)
24La méthodologie associée à la DADE comporte une analyse a priori des tâches prescrites aux élèves pour estimer les activités potentielles des élèves. L’analyse du déroulement (mise en œuvre en classe du projet de séance) caractérise l’organisation du travail (type, forme, durée), les aides, et vise à comparer les traces des activités effectives des élèves aux activités possibles déterminées a priori. En complément, des entretiens permettent de préciser les choix de l’enseignant, l’éventail de ses ressources et de ses contraintes et d’inférer certaines raisons de ses actions (Robert, 2008).
25Les nouveaux programmes de lycée accordent une « place essentielle » (MEN, 2019a, p. 4) à la modélisation. Celle-ci est notamment développée dans la partie traitant des transformations chimiques. On peut lire dans la ressource Éduscol (2019b, p. 2) en lien avec cette partie du programme que « la démarche proposée s’appuie sur une situation développée dans le cadre de travaux didactiques par Isabelle Kermen ». Cette démarche correspond à ce que Sjöström, Eilks et Talanquer, (2020) nomment un modèle « didaktik » de séquence qui doit permettre de guider la réflexion et les choix des enseignants avant et pendant les séances (Sjöström, Eilks & Talanquer, 2020). Notre objectif final consiste à étudier comment des enseignants s’emparent de ces nouvelles instructions et ressources. De nombreuses études indiquent les difficultés rencontrées par les enseignants dès qu’il s’agit d’enseigner les modèles. Le nouveau programme de seconde 2019 revient à certaines intentions du programme de seconde 2000 (MEN, 1999) qui avait alors posé des difficultés aux enseignants, notamment la distinction entre le registre expérimental (transformation chimique) et le registre des modèles (réaction chimique) (Kermen & Méheut, 2008). À partir d’une étude de cas, nous souhaitons analyser comment deux enseignantes comprennent et mettent en place les intentions du nouveau programme à propos de la distinction transformation chimique/réaction chimique et du rôle des modèles.
- 4 Nous n’avons pas étudié les manuels scolaires, autre facteur de ce déterminant.
26Dans le cadre de la DADE, il s’agit d’étudier en quoi les facteurs4 du déterminant institutionnel que sont le programme et la ressource (documents officiels) influent sur l’enseignement dispensé, ce qui nécessite d’en faire une analyse préalable en appui sur les considérations épistémologiques du § 1. Autrement dit, nous souhaitons savoir comment chaque enseignante compose avec les instructions officielles, son expérience (déterminant personnel) et les choix de l’équipe enseignante (déterminant social).
27Nos questions de recherche sont alors les suivantes :
- QR1. Quelles sont les caractéristiques du modèle réaction chimique proposées et quelle élaboration du modèle par les élèves est préconisée dans les documents officiels ?
- QR2. Quel itinéraire cognitif à propos de la modélisation des transformations chimiques et quel accompagnement les enseignantes proposent-elles aux élèves ? Quelle marge de manœuvre est investie par chaque enseignante ?
28Nous faisons l’hypothèse que l’étude de cas va montrer qu’enseigner la modélisation ne fait pas partie des objectifs des enseignantes dans la mesure où cela ne semble possible qu’avec des enseignants très sensibilisés (Pélissier & Venturini, 2016).
29La méthode de recherche comporte deux grandes étapes reposant sur des fondements différents. La première, constituée de l’analyse des documents institutionnels, repose sur des présupposés épistémologiques et didactiques (cf. § 1). La DADE étudie l’activité de sujets singuliers ce qui légitime d’user d’une étude de cas des pratiques, ici de deux enseignantes, qui constitue la deuxième étape. Celle-ci est considérée comme une méthode de découverte qualitative (Schneeberger & Lhoste, 2019 citant Dionne, 2009 et Alexandre, 2013) dont la validité interne provient de la confrontation de plusieurs types de données (Schneeberger & Lhoste, 2019) et la validité externe réside dans la rigueur du cadre méthodologique (Schneeberger & Lhoste, 2019 citant Dionne, 2009 et Alexandre, 2013). Nous présentons d’abord le recueil des données principalement effectué par le premier auteur, suivi ensuite de la méthode d’analyse des documents institutionnels et des séquences d’enseignement fruit du consensus entre les trois auteurs.
- 5 Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Cette information figure sur le s (...)
30Pour répondre à QR1, nous nous basons sur le programme de la classe de seconde (MEN, 2019a) et les deux ressources d’accompagnement Éduscol liées à cette partie du programme en chimie : le « glossaire d’accompagnement des programmes de chimie » (Éduscol, 2019a) que nous appellerons par la suite « le Glossaire », et « Modéliser, au niveau macroscopique, une transformation chimique par une réaction chimique » (Éduscol, 2019b) que nous appellerons par la suite « la Ressource ». En effet, les ressources présentes sur ce site sont « conçues et réalisées par des groupes d’experts en partenariat avec l’IGESR5 » et peuvent à ce titre être considérées comme des clarifications institutionnelles des programmes.
- 6 L’équipe de physique-chimie et les préparateurs sont identiques, mais pas les élèves.
- 7 Les prénoms ont été modifiés.
31En ce qui concerne QR2, nous avons mené une étude de cas au printemps 2020 auprès de deux enseignantes exerçant dans le même établissement. La composante sociale de leurs pratiques est alors proche dans la mesure où certains facteurs6 du déterminant social sont les mêmes, ce qui permet a priori de mieux mettre en évidence l’impact du déterminant personnel dans les différences que nous attendons, le déterminant institutionnel étant le même. Laure et Mélanie7 sont dans ce lycée général et technologique depuis 23 ans, où elles ont toujours enseigné à des élèves de seconde, dont les programmes 2000 et 2010. La progression est commune à l’ensemble de l’équipe pédagogique et beaucoup de manipulations effectuées en travaux pratiques sont similaires. Lors d’une réunion, les enseignants ont pris la décision de mêler le chapitre « Modélisation des transformations chimiques » à celui « Dénombrer des entités », partie du programme consacrée à l’enseignement de la grandeur quantité de matière et l’unité mole. Ainsi, la séquence issue de ce choix s’articule autour de trois TP pour les deux enseignantes. Nous les appellerons TP1, TP2 et TP3. Leur contenu est succinctement résumé dans le tableau 1. Notre analyse se restreint aux TP1 et TP3, le TP2 concernant l’enseignement de la quantité de matière. L’ensemble des documents fournis aux élèves, nommés « Cours » et « TP », ainsi que leur version professeur complétée a été récupéré. Enfin, nous avons enregistré et transcrit uniquement les séances correspondant au TP1 car il porte sur l’introduction de la réaction chimique.
Tableau 1 : succession des séances conçues par Laure et Mélanie
Séances |
TP1 puis Cours |
TP2 puis Cours |
TP3 puis Cours |
Laure |
Titre |
Transformations chimiques et équation-bilan |
Les entités chimiques et la notion de mole |
Réaction chimique et réactif limitant |
Contenu |
Écriture d’une équation de réaction à partir d’une transformation chimique |
Dénombrement des entités, quantité de matière, nombre d’Avogadro, mole |
Proportions stœchiométriques et notion de réactif limitant |
Mélanie |
Titre |
Modéliser une transformation chimique : de l’observation à l’équation équilibrée |
Dénombrer des entités chimiques |
Transformations chimiques et quantités de matière |
Contenu |
Écriture d’une équation de réaction à partir d’une transformation chimique |
Échelles microscopique et macroscopique de la matière. Dénombrement des entités, quantité de matière, nombre d’Avogadro, mole |
Lecture microscopique et macroscopique de l’équation de réaction. Proportions stœchiométriques, réactif limitant |
32De plus, nous avons réalisé et transcrit des entretiens menés avec les deux enseignantes pour les interroger sur leurs objectifs, leur compréhension du programme et la place qu’elles donnent à la modélisation dans leur enseignement.
33Pour comparer les séquences des deux enseignantes et leur adéquation avec le programme, nous construisons, à partir de l’analyse didactique et épistémologique du savoir, une liste d’indicateurs de la prise en compte de la modélisation de transformations chimiques par une réaction chimique. À partir de l’étude des fonctions d’un modèle (Soler, 2013) et de l’étude didactique du savoir (Kermen, 2018), nous transposons certaines caractéristiques générales d’un modèle (colonne gauche du tableau 2) à la réaction chimique (colonne droite du tableau 2) pour servir d’appui à la construction de la grille d’analyse.
Tableau 2 : application des caractéristiques générales d’un modèle au modèle de la réaction chimique
Caractéristiques générales d’un modèle
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Transposition à la réaction chimique (caractéristiques spécifiques)
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Lien modèle–phénomène modélisé
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Il est le modèle d’un phénomène.a.
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La réaction chimique modélise la/des transformation(s) chimique(s), ces deux concepts sont distincts.
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Il laisse certains aspects du réel de côté.
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Des aspects sont explicitement non pris en compte (variation des paramètres physiques, descriptions phénoménologiques, etc.).
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Pluralité
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Il modélise plusieurs phénomènes et possède un caractère unificateur.
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La réaction modélise les transformations de systèmes dont les états initiaux et finaux diffèrent mais dont le devenir de certaines espèces toujours présentes à l’état initial est similaire.
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Un phénomène peut être modélisé par plusieurs modèles.b
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Les modifications chimiques obtenues lors d’une expérience peuvent être modélisées autrement que par la réaction chimique (modèle cinétique submicroscopique).
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Efficacité
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Il peut être symbolisé.
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L’équation symbolise la réaction. Elle contient de nombreuses informations.
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Il a un caractère explicatif.
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La réaction permet d’expliquer des observations qualitatives à partir de la nature des espèces mises en jeu ou quantitatives à partir de la stœchiométrie.
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Il a un caractère prédictif.
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La réaction permet de prévoir des observations qualitatives à partir de la nature des espèces mises en jeu ou quantitatives à partir de la stœchiométrie.
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Localité
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Il a un domaine de validité.
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Une réaction ne modélise que des transformations où l’un des réactifs au moins disparaît et pour des systèmes de composition qualitative similaire.
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a. Le phénomène peut comporter des objets et des événements. b. Nous ne tiendrons pas compte de ce critère par la suite, l’étude portant sur l’introduction du seul modèle « réaction chimique » pour étudier le phénomène « transformation chimique ». |
- 8 Ce qui sera le cas pour la modélisation des transformations non totales en classe de terminale grâ (...)
34Nous élaborons des indicateurs a priori centrés sur la recherche d’actions possibles d’un enseignant abordant en classe une des caractéristiques du modèle réaction chimique (tableau 2). Nous les regroupons dans une grille prenant appui sur les caractéristiques du modèle du tableau 2 et sur les différentes acceptions d’Adúriz-Bravo (2013) concernant la modélisation en contexte scolaire que nous résumons en : construction, application, amélioration et apprentissage. Nous excluons la catégorie « amélioration », les modèles mis en jeu dans cette séquence d’apprentissage n’étant pas issus d’une amélioration d’un modèle déjà existant et ne faisant pas, en classe de seconde, l’objet d’améliorations8. Pour chaque catégorie, la liste des indicateurs est finalisée après accord entre les trois chercheurs. Nous présentons une liste (tableau 3) de l’ensemble des indicateurs et un code associé à chacun.
Tableau 3 : extrait du tableau des indicateurs
35Pour la catégorie « apprentissage » (voir tableau 3), les indicateurs visent à repérer une explicitation, de la part de l’enseignant, des possibilités offertes par le modèle en particulier à travers des exemples et un travail conjoint avec la classe comprenant un guidage fort de l’enseignant. Les indicateurs de la catégorie « application » correspondent aux situations où l’enseignant cherche à faire utiliser le modèle par les élèves qui mobilisent alors leurs connaissances disponibles (Robert, 1998). Enfin, au regard de son importance dans l’analyse du savoir, nous choisissons d’ajouter dans la phase de construction celle du bilan « transformation chimique » en proposant des indicateurs concernant sa caractérisation.
36Le tableau 3 comporte 44 indicateurs. La partie du programme étudiée correspondant à l’introduction du modèle des transformations chimiques, la grande majorité des indicateurs (75 %) est située dans la catégorie construction, à la fois du bilan « transformation chimique » (13 indicateurs) et du modèle « réaction chimique » (19 indicateurs). Il y a 6 indicateurs qui doivent permettre de repérer les actions des enseignantes dans chacune des catégories « apprentissage » et « application ».
37Chaque séquence enseignante fait l’objet d’une analyse a priori à partir des documents de TP et de cours fournis par les enseignantes pour reconstituer le scénario de la séquence et les tâches prescrites. Les transcriptions des séances du TP1 enregistrées sont découpées en épisodes, correspondant chacun à la réalisation d’une tâche. L’organisation du travail lors de la séance et l’accompagnement fourni sont relevés. Un tableau de résultats expose la liste des indicateurs repérés dans le programme et la Ressource ainsi que pour chaque enseignante dans l’analyse a priori (cours, TP1 et TP3) et dans celle du déroulement du TP1. Cela nous permet de caractériser l’adéquation entre la démarche proposée par les enseignantes et celle proposée par les prescriptions institutionnelles, afin d’identifier les choix effectués et la marge de manœuvre investie. Nous recherchons notamment dans les entretiens quelles raisons, en appui sur les déterminants des pratiques, peuvent expliquer certains choix.
38Nous commençons par l’analyse du programme et des ressources dans lesquels nous recherchons la présence des caractéristiques du modèle définies dans le tableau 2, en nous appuyant sur les indicateurs du tableau 3. Les résultats sont consignés dans le tableau 6 en annexe. Vient ensuite la liste des indicateurs repérés au cours des deux séquences pour situer les deux démarches et leur adéquation avec le programme. Enfin, nous détaillons l’analyse a priori du protocole de TP et celle du déroulement en classe dans une partie du TP1 de Laure qui concerne l’établissement de la liste des réactifs, des produits et des espèces spectatrices.
39Le préambule du nouveau programme de 2019 (MEN, 2019a) précise que « l’activité de modélisation » est particulièrement mise en avant puisqu’elle est au cœur de l’activité des physiciens et des chimistes. Les éléments constitutifs d’une démarche de modélisation sont précisés :
« Simplifier la situation initiale ; établir des relations entre grandeurs ; choisir un modèle adapté pour expliquer des faits ; effectuer des prévisions et les confronter aux faits ; recourir à une simulation pour expérimenter sur un modèle ; choisir, concevoir et mettre en œuvre un dispositif expérimental pour tester une loi. » (MEN, 2019a, p. 1)
40On y retrouve l’exploitation des caractéristiques générales des modèles explicitées précédemment (simplification, explication, prévision).
41Le titre de la partie du programme étudiée, « Modélisation des transformations de la matière et transfert d’énergie », met en avant l’importance de la notion de modélisation. Dans la partie introductive, la réaction est citée comme modèle de la transformation chimique. Les termes « transformation » et « réaction » sont différenciés mais les attendus concernant la transformation ne sont pas précisés. En effet, elle n’est pas définie, pas plus que la notion de système chimique. Par rapport au cycle 4, trois nouvelles notions sont introduites : la stœchiométrie, les espèces spectatrices et le réactif limitant. Elles complètent l’étude des transformations chimiques, sans lien indiqué avec le modèle réaction chimique. Il est proposé de modéliser une transformation chimique à partir d’une « analyse de l’évolution d’un système ». Pour cela sont décrites plusieurs étapes successives permettant de caractériser l’évolution expérimentale d’un système chimique afin d’arriver à l’équation de réaction qui semble alors induite de cette « démarche expérimentale ».
42Dans les notions à retenir et les capacités exigibles (tableau 4), nous retrouvons le fait de modéliser « une » transformation chimique associée à une démarche expérimentale en vue d’établir l’équation de réaction. Cette dernière semble être un outil permettant d’identifier le réactif limitant (tableau 4), ce qui correspondrait à la fonction prédictive du modèle. Elle pourrait aussi permettre d’identifier les espèces spectatrices mais le programme ne fait aucune remarque à ce sujet. À ce stade l’idée de proportions entre espèces réactives et espèces formées, permettant d’unifier plusieurs transformations par une caractéristique commune, n’est pas présente. Le programme n’indique jamais explicitement que la modélisation ne concerne que des transformations « totales ». Le terme « transformation totale » n’apparaît qu’une seule fois dans l’activité expérimentale faisant partie des capacités exigibles (en italique dans le tableau 4). La limitation du programme à ce type de transformations se perçoit avec la mention du réactif limitant dans l’introduction, ainsi que dans les notions à retenir (tableau 4). D’un point de vue sémiotique, « l’écriture symbolique d’une réaction chimique » figure dans les notions à retenir (tableau 4) mais aucune indication n’est apportée sur ce point. Il n’est pas précisé que l’équation doit se lire à un niveau macroscopique, alors qu’au collège l’équation chimique est présentée comme une redistribution des atomes.
Tableau 4 : extrait du programme de physique-chimie de la classe de seconde générale et technologique (2019)
B/ Transformation chimique |
Notions et contenus |
Capacités exigibles Activités expérimentales support de la formation |
Modélisation macroscopique d’une transformation par une réaction chimique Écriture symbolique d’une réaction chimique Notion d’espèce spectatrice Stœchiométrie, réactif limitant |
Modéliser, à partir de données expérimentales, une transformation par réaction, établir l’équation de réaction associée et l’ajuster Identifier le réactif limitant à partir des quantités de matière des réactifs et de l’équation de réaction Déterminer le réactif limitant lors d’une transformation chimique totale, à partir de l’identification des espèces chimiques présentes dans l’état final |
43Dans le programme, nous ne trouvons que 13 indicateurs parmi les 44 (tableau 6), majoritairement dans les parties « Construction du bilan transformation chimique » (7 indicateurs) et « Construction du modèle » (5 critères), puis un indicateur dans la catégorie « Application » et aucun dans « Apprentissage ». Est absent du programme tout ce qui correspond aux actions enseignantes laissant de côté certains aspects du réel, au caractère unificateur du modèle, de sa symbolique et de son domaine de validité, ainsi que ce qui est lié à l’aspect explicatif du modèle. Sont absents dans la partie « Construction » les actions en lien avec l’exploitation des mesures expérimentales, les allers-retours possibles entre le modèle et l’expérimental, ainsi que les appuis possibles sur la théorie. De même aucun indicateur en lien avec les espèces chimiques spectatrices n’est relevé.
- 9 « Modèle introduit pour rendre compte d’observations et de mesures effectuées lors de transformati (...)
44Les ressources d’accompagnement sont pour nous révélatrices des intentions des auteurs du programme. Elles nous permettent de préciser tout ou partie des points soulevés dans la partie précédente. Comme dans le programme, la transformation chimique n’est pas définie. Nous trouvons cependant le caractère unificateur du modèle, critère absent du programme, à la fois dans la définition de la réaction chimique du Glossaire9 et dans la démarche proposée dans la Ressource. Les conditions de réalisation, pression et température, sont indiquées dans la définition du Glossaire mais ne sont pas écartées dans la Ressource au moment de la modélisation. Cette dernière, inspirée des écrits de Kermen (2018), présente une démarche possible de construction de deux réactions chimiques en cinq étapes. Nous l’avons représentée dans la figure 2 pour l’une des deux réactions proposées, celle entre le cuivre et les ions argent.
Fig. 2 : schéma des étapes attendues dans la démarche de modélisation de plusieurs transformations chimiques selon notre analyse de la Ressource
45La première étape « décrire la réalité perçue » consiste à faire observer aux élèves, à partir des cinq sens, les changements perçus dans trois situations initiales différentes. Les situations sont à choisir par l’enseignant pour que le cuivre soit en défaut dans les situations 1 et 2, mais avec davantage de cuivre dans la 2, et que le cuivre soit en excès dans la situation 3. La deuxième étape vise à schématiser la transformation chimique dans les trois situations en faisant décrire les espèces chimiques présentes à l’état initial et en faisant rechercher expérimentalement celles présentes à l’état final. Dans l’étape 3, les élèves doivent déterminer les espèces réactives (celles dont les quantités diminuent) et les espèces produites (celles dont les quantités augmentent). Ils doivent dans l’étape 4 rechercher expérimentalement des relations de proportionnalité entre les quantités de matière des espèces formées et des espèces ayant réagi. L’étape 5 doit permettre d’écrire l’équation de la réaction en reprenant les relations trouvées à l’étape 4 et en « convoquant » les lois de conservation (élément chimique et charge électrique). Le mot « modéliser » apparaît pour la première fois dans cette étape. En fin de document, un encart « point d’attention » rappelle le caractère explicatif du modèle qui permet de rendre compte de la réalité perçue et idéalisée et le caractère prédictif du modèle. Mais aucune tâche autour du caractère explicatif ou prédictif du modèle n’est proposée.
46Le Glossaire ne proposant que la définition d’une réaction chimique, nous recherchons les indicateurs dans la Ressource. Nous repérons 26 des 44 indicateurs (tableau 6) dont les trois quarts dans la catégorie « Construction ». Sont présents les indicateurs portant sur le caractère unificateur, la symbolique du modèle et sont absents ceux portant sur le caractère explicatif et le caractère prédictif. Dans le cas du domaine de validité, la Ressource spécifie bien de ne pas utiliser le langage microscopique pour l’équation mais n’indique pas explicitement la limitation du modèle aux transformations totales, même si les seuls exemples proposés sont de ce type. Comme dans le programme, les indicateurs en lien avec allers-retours modèle-expérience n’apparaissent pas ni la possibilité de prendre appui sur la théorie pour la modélisation. Enfin, si la Ressource propose bien d’utiliser les variations des quantités des différentes espèces pour repérer les réactifs et les produits, ce n’est pas le cas pour les espèces spectatrices.
47Le tableau 5 ci-dessous regroupe le bilan des 7 critères du modèle recherchés dans le programme et la Ressource.
Tableau 5 : présence ou absence des critères du modèle dans le programme et dans la Ressource
Critères du modèle |
Programme |
Ressource |
Il est le modèle d’un phénomène |
X |
X |
Il laisse certains aspects du réel de côté |
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Il possède un caractère unificateur |
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X |
Il peut être symbolisé |
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X |
Il possède un caractère explicatif |
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Il possède un caractère prédictif |
X |
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Il a un domaine de validité |
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|
48Seuls deux critères sont présents dans le programme. La Ressource en comporte deux autres mais sa consultation par les enseignants n’est pas obligatoire. Trois critères sont absents de ces deux documents. Les aspects du réel laissés de côté ne sont pas évoqués, notamment la température et la pression. Le domaine de validité du modèle n’est pas explicitement indiqué, même si on comprend à la lecture du programme et de la Ressource que l’étude est restreinte aux transformations totales. Le caractère explicatif du modèle figure dans la Ressource mais aucune activité n’est proposée pour l’illustrer. De plus, peu d’indicateurs sont relevés dans les catégories « application » et « apprentissage ». Les caractères explicatif et prédictif, qui sont le cœur d’un travail de modélisation, sont absents ou peu explicités si présents.
49Un appui théorique dans la construction du modèle n’intervient que pour la phase finale de la modélisation : l’ajustement de l’équation de réaction (i22). Le programme et la Ressource mettent en avant l’établissement de l’équation de réaction à partir d’une démarche expérimentale inductive. La faisabilité de la mise en évidence expérimentale des proportions stœchiométriques et de la caractérisation des espèces réactives, produites et surtout spectatrices, nous interroge. Cette proposition pourrait faire penser qu’il est possible d’identifier les espèces spectatrices lors du bilan expérimental, autrement dit de valider expérimentalement l’absence de variation de quantité de matière d’une espèce. La mise en évidence d’espèces spectatrices nous paraît davantage accessible à partir d’un aller-retour entre registre des modèles et registre expérimental, considération absente de la démarche proposée.
50Afin de comparer les séquences des deux enseignantes, entre elles et avec le programme ou la Ressource, les indicateurs du tableau 3 ont été recherchés dans l’analyse des textes des TP et des cours, et dans les échanges au cours du TP1. Les résultats sont reportés dans le tableau 6 en annexe 1.
51Parmi les 44 indicateurs recherchés, 17 sont relevés chez Laure et 16 chez Mélanie (tableau 6). Ils sont plutôt similaires (12 sont communs), ce qui est révélateur d’itinéraires cognitifs assez proches. Toutes deux font identifier les réactifs et les produits (i17 et i18) en allant à l’essentiel comme le montre l’analyse détaillée d’une partie de la séance de Laure en 6.3.
52Les 13 indicateurs repérés dans le programme ne se retrouvent pas tous chez Laure (7 repérés sur 13) et Mélanie (9/13). Quatre de ces indicateurs sont absents chez les deux enseignantes dont « annoncer la construction du modèle » (i14) et « utiliser le terme “réaction” comme le modèle de la transformation chimique » (i16). La notion de modèle n’est pas évoquée par les enseignantes pendant le TP1, même si le terme peut être trouvé dans des titres ou des questions sans qu’une signification particulière lui soit accordée. Est absente également chez les deux enseignantes la prédiction du réactif limitant en tant qu’application du modèle (i44). Le dernier indicateur absent chez les deux enseignantes (et présent dans le programme) est la description en termes d’espèces chimiques dans la construction du bilan transformation chimique (i3).
53Peu d’indicateurs ne figurant ni dans le programme ni la ressource sont repérés chez les enseignantes : trois par enseignante, dont deux communs (i37 et i38). Le seul de ces indicateurs non commun, i20 chez Laure et i29 chez Mélanie, est relevé uniquement lors du déroulement du TP1.
54Elles n’abordent pas « une composition qualitative ou semi-quantitative différente du système entre les deux états pour définir une transformation chimique » (i10), indicateur aussi absent du programme. Cela semble cohérent avec le constat que nous avons fait pour le programme ou la Ressource qui ne précisent pas les attendus concernant la transformation chimique.
55Parmi les 14 indicateurs repérés dans la Ressource et absents du programme, seuls 6 sur 14 sont présents chez Laure et 4 sur 14 chez Mélanie, ce qui est compatible avec leur non connaissance de ce document.
56Trois critères caractéristiques du modèle, absents du programme et de la Ressource (tableau 5), le sont également chez les deux enseignantes : les aspects du réel mis de côté, le domaine de validité et le caractère explicatif. Si l’objectif des enseignantes est d’arriver à l’équation de réaction, ces critères ne sont effectivement pas nécessaires.
57Aucun indicateur de la catégorie « Application » n’est détecté chez Laure et Mélanie. Nous ne pouvons savoir si le choix des enseignantes de ne pas faire travailler les élèves en autonomie sur la modélisation est dû au manque de temps, à des considérations organisationnelles ou parce qu’elles considèrent que cela sera fait en classe de première. Dans tous les cas, ce choix est cohérent avec le programme pour lequel seul l’aspect prédictif du modèle pour la recherche du réactif limitant est indiqué.
58Enfin, en cohérence avec le programme, les deux enseignantes proposent une démarche expérimentale inductive pour arriver à l’équation chimique, comme l’indique l’absence de l’indicateur « Faire des allers et retours entre modèle en construction et bilans expérimentaux » (i15).
59Nous détaillons l’analyse a priori et celle du déroulement pour préciser comment Laure aborde notamment la question des réactifs, produits et espèces spectatrices (i17, i18 et i19), révélatrice de la démarche conduite.
60Laure a pour objectif que les élèves arrivent à écrire l’équation de la réaction à partir « d’observations expérimentales ». La fiche TP1 est constituée de 4 pages (voir annexe 2). Sur la première page figurent 4 « documents » indiquant le matériel à disposition, les règles de sécurité et des tests d’identification de gaz et ions. Sont ensuite proposées 4 parties constituées chacune d’instructions pour réaliser une brève série d’expériences et de 4 consignes ou questions suivies par l’espace pour y répondre. Pour une séance de 1 h 30, le nombre de tâches proposées paraît élevé. La partie 4 n’ayant pas été réalisée, nous n’en faisons plus mention. Les 3 premières parties obéissent à un même canevas : suivi du protocole détaillé fourni puis compte rendu à faire en répondant à 4 questions : observations, faire ou légender le schéma, identifier réactifs et produits, écriture de l’équation de réaction. Nous proposons l’analyse de la partie 2 « transformation chimique entre le zinc et l’acide chlorhydrique ».
61Tous les gestes à faire sont indiqués : placer un morceau de zinc dans un tube, auquel on ajoute de l’acide chlorhydrique (voir annexe). Le résultat de l’approche d’une allumette enflammée à l’extrémité du tube figure sur le schéma (« pop ») (test du gaz) qui ne mentionne pas l’ajout de gouttes d’une solution de soude (test des ions zinc). Cette dernière consigne du protocole peut conduire à un résultat non conforme à l’attente (formation d’un précipité blanc) si trop peu de gouttes sont versées. Aucune mesure de masse de solide n’est prévue, ni de pH. Il n’est donc pas possible de faire une étude quantitative. Les observations à noter figurent dans les documents 3 et 4, il s’agit de faire correspondre les expériences réalisées avec celles décrites dans ces documents. Pour légender le schéma, quatre flèches indiquent sur quoi porter l’attention, le solide et la solution introduits initialement et le gaz formé. Une autre flèche pointe sur la solution pour vraisemblablement désigner la formation d’ions zinc. Cependant, celle-ci n’étant pas liée à une modification perceptible dans le schéma représenté, cela risque de susciter des interrogations. En fait une succession de trois transformations chimiques est proposée, chacun des deux tests étant lui-même la réalisation d’une transformation chimique secondaire par rapport à celle qui est étudiée. Ce point n’étant pas mis en avant, il est possible que les élèves fassent des confusions et aient des difficultés à déterminer l’espèce produite dans la première transformation à l’image d’élèves de terminale dans le même cas (Kermen & Colin, 2017). La troisième question porte sur les espèces chimiques ayant « disparu » (les réactifs) et les espèces apparues (les produits). Le terme « disparu » peut surprendre les élèves car ils n’observeront pas de disparition. Aucun indice perceptif ne signale la consommation des ions hydrogène, celle du zinc peut éventuellement se noter mais au bout d’un temps très long. Il est possible que l’enseignante doive apporter des précisions. Concernant l’apparition de nouvelles espèces, bien que le mot réactif soit aussi utilisé dans le document 4 pour désigner les ions hydroxyde du test des ions zinc, il est vraisemblable que les élèves identifieront correctement le dihydrogène et les ions zinc, les tests conduits ne laissant place à aucun doute. Mais aucune liste des espèces présentes initialement, ni dans l’état final du système étudié n’est demandée. En outre les espèces chimiques spectatrices ne sont pas évoquées, l’acide chlorhydrique étant annoncé comme contenant des ions hydrogène sans mention des ions chlorure et de l’eau. Enfin l’ajustement de l’équation de réaction demandée repose sur une application des lois de conservation des éléments chimiques et de la charge, faute de mesures quantitatives.
62Au début de la séance, l’enseignante précise que les réactifs sont « les espèces chimiques que vous allez mettre en contact » ou « ce qu’il y a au début », ce qui nie l’existence d’espèces spectatrices. Elle indique aux élèves qu’ils devront rendre le compte rendu à la fin, et qu’il sera noté. Ensuite durant toute la séance, les élèves travaillent par binôme et l’enseignante passe les voir pour répondre à leur demande de précision lors de la réalisation des tâches, qu’elles soient expérimentales ou de réflexion.
63La question visant à identifier les réactifs et les produits pose effectivement des difficultés. Plusieurs élèves demandent de l’aide à l’enseignante qui la leur apporte. Ils sont troublés par le mot « disparu » présent dans la question (extrait no 1). Pour les aider, l’enseignante explique que cela n’a pas disparu mais s’est transformé, ce qui semble convenir aux élèves.
Extrait n° 1
84- E : comment on fait pour savoir ce qui a disparu
85- L : bah tu regardes ce qui te manque / qu’est-ce que t’as mis au début / c’est ce qui va avoir disparu / c’est pas disparu je t’ai mis disparu entre guillemets ça va s’être transformé
64Comme le zinc n’a pas disparu, il est parfois considéré par les élèves comme un produit (extrait no 2). L’enseignante utilise à nouveau le terme « transformé » pour orienter l’élève vers la consultation du document 4, sans préciser que la formation du précipité blanc correspond à une deuxième transformation chimique (difficulté de l’élève au tour 375 dans l’extrait no 2).
Extrait n° 2
373- E : le le la grenaille de zinc il a pas disparu c’est pas un réactif
374- L : si / le Zn c’est un réactif mais il s’est transformé en autre chose / qu’est-ce qu’il s’est passé dans le tube t’as mis du OH au moins
375- E : y’a eu une bah c’est là où y’a eu effervescence
376- L : non
377- E :ça a fait ça
378- L : oui ça fait un précipité blanc
379- E : précipité blanc ah oui
380- L : regarde dans ton document là quel ion s’est formé
381- E : d’accord
65L’enseignante n’évoque jamais les espèces chimiques spectatrices et elle réduit l’acide chlorhydrique à « H+ » (extrait no 3), pour être en accord avec ce qu’elle a affirmé en début de séance (les réactifs sont ce qu’on met initialement en contact).
Extrait n° 3
448- L : alors qu’est-ce qui était dans le tube au début ?
449- E : zinc et acide
450-L : du zinc et de l’acide donc on dit que le zinc c’est Zn et l’acide ce qui compte dedans c’est le H plus donc ça t’as déjà tes deux réactifs
451-E : OK
66La démarche proposée pour les trois parties traitées semble être systématiquement la suivante : les réactifs sont les « espèces » que l’on a mélangées, les produits sont issus des résultats des tests et observations (à l’exception de l’eau pour l’expérience craie et acide qui demande une aide particulière). Les réactifs sont déduits de la lecture de l’énoncé. Il s’agit plutôt d’un classement entre « disparition » et « apparition » même si ces termes ont posé question. Laure fait établir la liste des réactifs et des produits à partir de caractéristiques qui ne sont pas conformes à ce qui est attendu, puisque les élèves doivent rechercher des indices textuels et donner des réponses en accord avec les informations présentes dans l’énoncé. Une fois les formules des réactifs et des produits déterminées, les élèves écrivent une équation de réaction qu’ils ajustent à l’aide des principes de conservation des éléments chimiques et des charges. Nous constatons le même procédé et les mêmes difficultés chez les élèves dans la séance de Mélanie.
67Pour caractériser la présentation de la modélisation des transformations chimiques proposée dans le programme de seconde et ses ressources associées, nous avons construit une grille d’indicateurs issus de considérations épistémologique et didactique pour le modèle réaction chimique. Ces 44 indicateurs réfèrent aux actions possibles d’un enseignant abordant cette modélisation en classe. Notre analyse révèle 26 indicateurs dans les ressources, soit deux fois plus que dans le programme, mais les fonctions explicatives et prédictives du modèle ne sont pas mentionnées, ni son champ d’application. Pourtant, explorer les limites du modèle ou son champ d’application de façon explicite est nécessaire pour aider les élèves à voir dans le modèle un outil de réflexion (Taber, 2015). La démarche proposée lors de la phase de construction (transformation chimique et modèle) nous semble discutable à plusieurs égards. D’une part elle fournit une vision inductive de la construction, contestable dans la mesure où l’élaboration d’un modèle repose aussi sur des considérations théoriques (Justi & Gilbert, 2002) avec des allers-retours entre modèle et registre expérimental (Mathieu, 1999). D’autre part elle paraît difficilement réalisable en classe et pourrait mettre en difficulté les enseignants qui souhaiteraient la suivre. En effet se pose la faisabilité des mesures expérimentales pour proposer des relations entre quantités de matière et surtout la mise en évidence des espèces spectatrices qui, à notre avis, ne peut se faire qu’en faisant appel à la non-réactivité des espèces reposant sur des modèles. Par exemple les ions nitrate (oxydant puissant) sont inertes dans l’exemple présenté (cf. 6.1.2.) parce que le milieu n’est pas acide, ce qui est une prévision issue de la réaction d’oxydoréduction des ions nitrate avec le cuivre.
68L’itinéraire cognitif proposé par chacune des deux enseignantes observées suit les grandes lignes de la démarche indiquée par le programme pour écrire une équation de réaction à partir d’expériences. Questionnées sur l’intitulé du programme « Modélisation macroscopique d’une transformation chimique par une réaction chimique », elles le trouvent sans intérêt (Laure) ou confus (Mélanie), ce que nous interprétons comme l’influence du déterminant personnel. Elles ne définissent pas une transformation chimique et ne la distinguent pas de la réaction comme l’avaient constaté Kermen et Méheut (2008) malgré l’utilisation des deux termes. L’introduction du vocabulaire lié à la modélisation que l’on retrouve dans leurs documents peut s’interpréter comme une volonté de se conformer aux intitulés du programme mais sans que la signification des mots ne soit recherchée ni travaillée. Cela traduit pour nous une tension entre le déterminant institutionnel et le déterminant personnel, ces enseignantes n’ayant eu aucune formation sur la modélisation en physique-chimie. D’ailleurs Mélanie montre de l’agacement lorsqu’elle dit : « mais on fait que ça de la modélisation de toute façon on modélise tout / mais c’est pas la peine de leur dire tout le temps c’est de la modélisation » sans expliciter ce qu’est une modélisation, pourtant polysémique (Adúriz-Bravo, 2013), et en ajoutant qu’elle ne suivrait pas une formation sur ce thème. Laure affirme que parler de « modélisation » consisterait à faire une « longue introduction » de présentation à ce concept, ce qu’elle réserverait à des élèves qui auraient choisi la spécialité en classe de première ou de terminale. Elle considère cette notion trop difficile pour des élèves de seconde, et particulièrement pour ses élèves de cette année (facteur du déterminant social), sans expliciter ce qui se cache pour elle derrière les termes « modèle » ou « modélisation ».
69L’accompagnement fourni aux élèves par Laure vise à leur faire prendre conscience des indices textuels permettant d’identifier les réactifs et non à mener une démarche expérimentale. L’identification des produits s’effectue parfois avec des arguments d’autorité, aucune mesure quantitative n’est proposée. Ce dernier aspect est cohérent avec le fait qu’il ne figure que dans la Ressource inconnue des enseignantes.
70Les deux enseignantes ont pour priorité l’enseignement de l’ajustement des équations de réaction, qui cause des difficultés aux élèves, ce que Laure reconnaît : « la plupart du temps ils me mettent les coefficients stœchiométriques euh / soit à l’intérieur de la formule de la molécule soit derrière en indice soit ils me rajoutent des charges pour faire les ions / mais ils ont pas compris que euh enfin les chiffres étaient des chiffres multiplicatifs ». Ces erreurs classiques (Canac & Kermen, 2016 ; Sanger, 2005 ; Taskin & Bernholt, 2014) montrent que les élèves n’ont pas compris l’invariance des formules des espèces chimiques et que les nombres stœchiométriques traduisent des proportions (en quantité de matière entre espèces). Ce dernier aspect est d’autant moins accessible aux élèves dans le TP1 que les enseignantes ne peuvent qu’utiliser des termes microscopiques pour ajuster l’équation, se mettant alors en contradiction avec l’idée de modèle macroscopique proposée par le programme. Elles y sont contraintes car l’équipe pédagogique (déterminant social) a décidé de reporter l’introduction des quantités de matière après ce TP1, et que l’ajustement de l’équation est l’objectif ultime de cette séance. Ce but important pour les enseignantes pourrait correspondre à un glissement métacognitif au sens du contrat didactique de Brousseau (1986) qui survient lorsque l’étude n’est plus centrée sur le savoir à enseigner (la modélisation des transformations chimiques) mais sur un aspect technique de celui-ci (l’écriture d’une équation de réaction) (Rigaut, 2005). Leur référence lors des entretiens à ce qui se fait en première où les élèves doivent maîtriser cet aspect, montre l’influence du déterminant institutionnel sur les objectifs des enseignantes et un pilotage par ce qu’il est habituel d’évaluer (habitudes professionnelles, facteur du déterminant social). Les documents institutionnels ne donnent pas d’exemple d’évaluation de la notion de modèle ou de ses fonctions (explicatives et prédictives) : d’une part, pour des enseignants peu familiarisés avec ce savoir épistémologique, cela ne constitue pas une incitation à faire explicitement travailler les élèves avec des modèles et réfléchir sur leurs fonctions ; d’autre part les enseignantes semblent dans l’incapacité de mettre en œuvre ce point du programme au vu de leur leurs pratiques habituelles, et de fait aucune marge de manœuvre ne peut être mise en évidence. Pourtant le programme considère que la capacité « modéliser à partir de données expérimentales, une transformation par une réaction, établir l’équation de réaction associée et l’ajuster » est exigible (tableau 4), donc qu’elle devrait donner lieu à évaluation. Laure et Mélanie se concentrent sur l’enseignement et ensuite l’évaluation de la dernière partie de cette capacité concernant l’équation, ce qui correspond à une pratique ancrée dans les habitudes professionnelles. Les aspects figuratifs du modèle sont effectivement souvent mis en avant, éclipsant la complexité sous-jacente du modèle (Méheut & Chomat, 1990). Cela confirme le poids des habitudes professionnelles qui peuvent difficilement évoluer sur ces aspects peu connus des enseignantes faute de formation.
71Pour des raisons différentes, les deux enseignantes semblent ne pas vouloir enseigner ce qui relève du modèle et de ses fonctions, et se cantonnent à ce qu’elles ont l’habitude d’enseigner et d’évaluer. Des connaissances épistémologiques semblent favoriser la prise en charge de l’enseignement de la modélisation (Pélissier & Venturini, 2016). Sans formation apportant un regard critique sur ce que propose le programme, il nous paraît difficile qu’un enseignant ordinaire appréhende véritablement ce que signifie modéliser avec des élèves en classe. Certains, comme Mélanie, peuvent ne pas ressentir ce besoin. Cette étude de cas permet de pointer des manques de l’institution, des incompréhensions des enseignantes, ou encore l’impact d’habitudes professionnelles après un changement de programme (Couchouron, Viennot & Courdille, 1996). Tout en évitant de généraliser, ces éléments peuvent être pris en compte pour réfléchir à la diffusion effective des attendus institutionnels et à la conception de formations. Le rôle de modèle didactique que nous avons attribué à la Ressource en suivant Sjöström, Eilks et Talanquer (2020), n’est pas effectif puisqu’elle est inconnue de ces enseignantes, ce qui pose la question de la diffusion de ces documents officiels et de la formation à un nouveau programme de façon plus générale. Le défi pour les chercheurs consiste à proposer des ressources (exercices, séquence) qui soient acceptables par les enseignants par exemple en prenant appui sur les erreurs d’élèves qu’ils connaissent.
72Une perspective immédiate liée à cette étude serait de construire une démarche d’élaboration du modèle réaction chimique non inductive ou avec des éléments du modèle déjà fournis. Faire prendre conscience aux enseignants (puis aux élèves) que le modèle réaction chimique est fondé sur l’hypothèse que l’une des espèces chimiques initialement présentes disparaît (ce qui changera avec le champ des transformations non totales et nécessitera un autre modèle) constituerait un premier jalon vers une plus grande explicitation de ce qu’est ce modèle chimique.