Aurélie Zwang remercie Jana Traglova, maître de conférences HDR en didactique des mathématiques, pour les échanges fructueux au cours de l’unité d’enseignement « Cadres didactiques de l’intégration des ressources » du Master 1 didactique des sciences expérimentales et des mathématiques, lesquels ont largement contribué à nourrir cette étude.
- 1 Thibaut Giraud, ancien enseignant de philosophie, anime la chaîne « Monsieur Phi » (281 000 abonné (...)
1Créé en 2005, YouTube (YT) est à la fois un site internet de partage de vidéos, un réseau social et une marque. Le service propose que « n’importe qui » s’inscrive pour diffuser des contenus audiovisuels. Visibles gratuitement, les vidéos peuvent être commentées et évaluées par des internautes (les « likes »). En France, les utilisateurs de 18-34 ans seraient 6,4 millions, soit 92 % de la tranche d’âge avec un visionnage moyen de 50 minutes par jour, un chiffre en augmentation de 10 % depuis 2020 en partie à cause du confinement (Lechanteur, 2020). YT est donc un portail populaire, a priori aux antipodes de l’institution scolaire. Pour autant, à l’heure où les organismes scientifiques l’utilisent pour diffuser leurs contenus, où les vidéastes se professionnalisent et où des enseignants eux-mêmes deviennent YouTubeurs1 la question du choix de ces vidéos comme ressources dans l’enseignement se pose avec acuité. Or à notre connaissance, il n’existe pas de données sur la manière dont ces médias pénètrent l’espace scolaire.
- 2 La plus grosse chaîne YouTube de vulgarisation scientifique francophone « Dr Nozman » créé par Ger (...)
2Dans cet article, nous nous intéressons donc à la sélection des vidéos YT de vulgarisation scientifique (infra VYVS) par les enseignants de sciences de la vie et de la Terre (infra SVT). Ce genre audiovisuel, qui peut atteindre de fortes audiences2 et qui est plébiscité par les 15-25 ans (4 jeunes sur 10 en visionneraient au moins une fois par semaine [Vincent , Chaniot & Lapointe, 2020]), est a priori construit par et pour des rapports aux sciences extérieurs à la culture scolaire. De fait, la diffusion repose sur un modèle socio-économique géré par une société privée et le public scolaire constitue une sous-catégorie d’un public visé beaucoup plus large, celui des amateurs de sciences. Quant au dispositif communicationnel, il rend possibles les effets de montage, de rythme et de discours, dans un exercice qui peut justement consister à mettre à distance une forme classique de transmission des savoirs, laquelle est souvent associée aux représentations sociales sur l’école.
3La rencontre entre ces deux « mondes », celui de la production extrascolaire audiovisuelle de vulgarisation scientifique sur la plateforme YT et celui de l’enseignement scolaire en SVT interroge donc : pourquoi et comment des VYVS se voient-elles sélectionnées pour enseigner en SVT ?
- 3 Il serait trop long ici de dresser une généalogie des rapports de l’école avec les médias audiovis (...)
4La question de la place des « mass media », et en particulier de l’audiovisuel dans l’éducation des jeunes au regard de l’éducation scolaire a été posée sitôt que les téléviseurs ont largement équipé les foyers. Louis Porcher qualifiait d’école parallèle l’ensemble des « nouveaux canaux d’éducation, que les enseignants ne contrôlent pas, [qui] sont fréquentés massivement par les élèves » (1973, p. 4) et vis-à-vis de laquelle les enseignants pouvaient être dans l’ignorance, l’opposition ou l’alliance. L’alliance avec la technologie télévisuelle, davantage qu’avec les contenus existants en dehors de ses murs, a d’ailleurs été le chemin emprunté par le milieu scolaire, ce qu’ont montré l’expérience infructueuse de la Radiotélévision scolaire (RTS) (Jacquinot, 1984)3 et les liens étroits entre la Cinquième et le Centre national de documentation pédagogique qui en produisait certains contenus par et pour les enseignants (Larue, 1997).
5Avec l’avènement de l’internet, l’interactivité du numérique a permis d’accéder à des contenus éducatifs choisis, ce qui selon Frédéric Marty (2012) accroîtrait d’autant le rapprochement de l’audiovisuel éducatif « des pratiques médiatiques effectives des publics qu’il vise » (paragraphe 29). Les émissions réalisées pour le site éducatif Lumni4 et en particulier les cours proposés durant le confinement du printemps 2020, dans lesquels un ou des enseignant(s) délivre(nt) un discours devant un tableau interactif, démontrent néanmoins que le seul « canal » de diffusion audiovisuel ne suffit pas pour induire un tel rapprochement, tant l’analogie avec le milieu scolaire est manifeste. Autrement dit, pour penser la circulation de contenus entre l’extrascolaire et le scolaire, il semble non seulement pertinent de centrer l’analyse sur un type de contenu en particulier mais également de prendre en compte les enjeux associés aux dispositifs médiatiques sources de cette circulation (Zwang, 2019).
6La vulgarisation scientifique a pour objectif est de s’adresser à des publics plus larges que les publics scolaires pour « contribuer à l’appropriation de la culture scientifique et technique par des non-spécialistes » (Jacobi et al., 1990). Son présupposé est l’existence d’un fossé à combler entre sciences et publics (Bensaude-Vincent, 2010). Dans la mesure où nous préjugeons que l’enseignant sélectionne uniquement le média audiovisuel pour l’utiliser en contexte éducatif, nous excluons de notre étude la dimension interactionnelle permise par les commentaires sous les vidéos par la plateforme YT. La configuration communicationnelle retenue est donc celle d’une asymétrie entre le tenant du discours à propos de sciences et le spectateur, soit celle de la vulgarisation scientifique. L’exemple type est celui du YouTubeur, « créateur » de sa chaîne, qui s’adresse face caméra à un public d’abonnés.
7Plus largement, nous définissons une VYVS comme un média c’est-à-dire un contenu diffusé par une technologie d’information et de communication au sein d’une industrie culturelle (Flichy, 1991), composé d’images et de sons, et posté sur YT à destination du grand public avec le dessein explicite d’une communication de contenus scientifiques. Dans un contexte d’essor de la communication scientifique sur YT, les attributs de la plateforme cadrent d’emblée la diffusion de contenus scientifiques dans des logiques médiatiques extérieures aux logiques scolaires, ce que la reconnaissance par le nombre de vues illustre. Les raisons de la sélection de ces médias pour l’enseignement interrogent donc.
8La sélection de contenus par les enseignants de SVT pour contribuer à l’éducation scientifique des élèves est une problématique de didactique des sciences dans la mesure où elle met en jeu la « responsabilité vis-à-vis des contenus » (Martinand, 1994, p. 62). Cependant, à notre connaissance, les cadres théoriques classiques du champ relatifs à la scolarisation de contenus, ne permettent pas de penser spécifiquement les processus à l’œuvre de l’entrée de contenus issus de médias dans le milieu scolaire. Ceux-ci se sont vus attribuer par ailleurs des spécificités qui les différenciaient très clairement des contenus scolaires (Guichard & Martinand, 2000). D’une part, seule une entrée par l’éducation aux médias et à l’information serait en mesure d’ancrer le visionnage de VYVS dans le cadre didactique d’une pratique sociale de référence. D’autre part, on ne peut pas se référer à une transposition didactique de savoirs académiques puisque le contenu du média n’est ni la résultante d’une sélection par une noosphère ni son adaptation par l’enseignant, sauf dans le cas où des enseignants eux-mêmes sont producteurs de VYVS en lien avec les programmes. Enfin, penser a priori que le producteur de la VYVS procède seulement à la transposition d’un savoir académique occulterait la dimension médiatique de ces productions, lesquels répondent à d’autres logiques que de « traduire » si ce n’est de « trahir » un contenu scientifique en contenu compréhensible par les internautes. Ce caractère médiatique place l’enseignant face à des « productions culturelles autonomes » (Le Marec & Babou, 2006) dont l’enjeu ici est de déterminer sur quels critères repose le choix de leur intégration à l’enseignement.
9La circulation de médias d’espaces extrascolaires à l’espace scolaire nécessite que ceux-ci aient été sélectionnés par des acteurs de l’institution scolaire. Ce processus, qui consiste à les reconnaître comme éducatifs, revient à leur attribuer une légitimité pour l’enseignement et l’apprentissage. La légitimation éducative opérée par la scolarisation de ces médias est un processus qui change leur valeur symbolique (Zwang, 2016). Les savoirs, les valeurs et les représentations qu’ils véhiculent à travers les conditions propres de leur production deviennent dès lors des parts intégrantes de la culture scolaire, définie comme un ensemble de valeurs, de contenus et pratiques produits par l’école (Denizot, 2021). De fait, l’entrée de médias, en l’occurrence des vidéos déposées sur YT, dans l’enseignement, c’est-à-dire leur scolarisation au sens d’une appropriation pour l’usage scolaire (Fluckiger, 2018), ne se fait pas sans un travail pédagogique et de transformation qui font d’elles des ressources. C’est l’activité même de l’enseignant qui institue des entités matérielles ou numériques comme « ressources éducatives », c’est-à-dire comme moyens pour enseigner et apprendre (Loffreda, 2020).
10C’est pourquoi deux niveaux d’analyse sont à distinguer. Le premier est la sélection de ces entités de forme et d’origine variées : de la capsule vidéo à l’ouvrage numérique en passant par les images, les textes, etc. Le second est celui du travail de conception qui va de leur ordonnancement, lorsqu’il s’agit de matériaux insécables (une photo par exemple), à leur modification complète, comme la réécriture d’un texte. Plusieurs auteurs ont en effet distingué les « ressources brutes » issues d’un « gisement » des « ressources raffinées » (re)travaillées par les enseignants (Loffreda, 2017 ; Maitre, Huchette & Bruillard, 2018). Maitre, Huchette et Bruillard (2018) discriminent plus particulièrement la « source » c’est-à-dire l’origine (le lieu physique ou numérique où l’enseignant collecte l’entité) de la ressource.
11Nous considérerons donc YT comme une « source », c’est-à-dire un lieu numérique dans lequel les enseignants peuvent puiser des vidéos issues de producteurs différents au-delà de leurs identités car c’est le lien entre cette « source » et l’école qui nous intéresse. Quant à la notion de « ressource », nous la réservons au produit de l’activité enseignante qui va sélectionner le média dans la « source » c’est-à-dire que la ressource est le résultat de la légitimation éducative. En faisant cette distinction, nous insistons sur la dimension axiologique qui est à l’œuvre dans la circulation de contenus entre YT et l’école. De fait, bien plus qu’un hébergeur ou un lieu numérique, YT est un « outil-marque » soit, selon Yves Jeanneret, un « objet commercial qui remplit une fonction et l’incarne aux yeux du public tout en propageant une marque (Frigidaire, Sopalin, Post-it). Ces objets […] sont capables de représenter toute une conception de la communication (être sur Facebook, chercher sur Google, faire un Powerpoint) » (2014, p. 13). Le fait d’intégrer dans l’enseignement des vidéos issues de la plateforme charrie donc une forte charge symbolique (regarder une vidéo YouTube), même si elle n’est pas toujours conscientisée par les utilisateurs, mais dont les effets sont à prendre en compte dans les choix potentiels des enseignants.
12Nous cherchons en premier lieu à savoir selon quels critères les enseignants de SVT considèrent les VYVS légitimes pour devenir des ressources dans leur enseignement. Ce questionnement, qui place l’école au carrefour de la culture scolaire et des cultures médiatiques, soulève de multiples enjeux. En effet, s’il est tautologique d’affirmer que le propre d’une ressource est d’être un moyen pour l’enseignement et l’apprentissage, il n’est pas pour autant évident que tous les critères de légitimation éducative des VYVS par les enseignants de SVT soient uniquement tournés vers ces objectifs. Tout d’abord, car des études antérieures ont montré que l’institution scolaire pouvait légitimer des médias sur des critères indépendants des contenus et de ses propres objectifs (Zwang, 2016). Ensuite, car les VYVS, en prenant potentiellement appui sur les intérêts et les vécus du grand public, portent cette possibilité de construire des rapports aux sciences sans attributs scolaires. Elles peuvent ainsi contribuer à lever « l’obstacle scolastique » (Las Vergnas, 2016) opéré par la culture prescrite sur l’éveil d’un intérêt propre des individus vis-à-vis de la culture scientifique et technique.
13Ces ébauches de pistes ouvrent sur les nombreux critères possibles de légitimation éducative des VYVS. De façon à les expliciter, et compte tenu de la finalité éducative de l’usage de ces médias, nous nous appuyons sur trois dimensions évaluatives des environnements informatiques pour l’apprentissage humain (Tricot et al., 2003) :
- L’acceptabilité est la dimension liée aux représentations et aux valeurs associées au média ;
- L’utilisabilité renvoie aux possibilités et aux facilités d’usage du média ;
- L’utilité est la dimension évaluative de l’adéquation entre l’objectif d’enseignement ou d’apprentissage avec le contenu du média.
14Ces dimensions nous permettent de structurer un faisceau d’interrogation et d’hypothèses sur ce qui nous semble être en jeu dans les choix des enseignants.
15Les critères d’acceptabilité renvoient autant aux usages des enseignants qu’à ceux connus des élèves par les enseignants. Cette dimension évalue directement la valeur symbolique de la « source » YT et son effet potentiel en tant que ressource dans l’enseignement. Tout d’abord, la référence à l’univers extrascolaire serait-elle recherchée par les enseignants ? Dans ce cas, on peut supposer que ce qui gouverne au choix est l’accord avec l’univers culturel des élèves tant du point de vue de l’attractivité que de la dynamique créée lors du cours, faisant de ce moment un temps récréatif, alliant transmission de savoirs et légèreté de ton, la figure du YouTubeur étant emblématique de ce style médiatique. Pour autant, une étude récente (Vincent, Chaniot & Lapointe, 2020) a mis en évidence que les VYVS visionnés par le jeune public s’éloignent d’un format « face caméra » stéréotypé (reportages, documentaires, vidéos animées avec une voix off montrant des expériences, etc.) et que 27 % des élèves du secondaire se sont déjà fait conseiller des vidéos scientifiques par l’un de leurs professeurs.
16Cette recommandation, de faible fréquence, est-elle l’expression d’une pratique sociale liée à la culture personnelle de l’enseignant ou d’une reconnaissance de YT ancrée dans la profession enseignante ? Dans le premier cas, compte tenu du jeune public qui utilise YT quotidiennement et en particulier pour regarder des VYVS, on pourrait supposer a priori que les jeunes enseignants de SVT seraient plus enclins à y avoir recours. A contrario, dans le second cas, si les VYVS font partie de la culture professionnelle des enseignants, le recours aux VYVS devrait toucher l’ensemble des classes d’âges, cette hypothèse étant à mettre en lien avec les rapports de proximité que YT et l’espace scolaire semblent progressivement tisser.
17À l’échelle nationale, le ministère de la Culture a en effet produit un document intitulé « YouTube à l’école », faisant l’inventaire de plusieurs chaînes culturelles francophones spécifiquement adaptées pour l’enseignement (Hutin, 2018). Et même si du côté du ministère de l’Éducation nationale il n’existe pas de telles listes officielles, à des échelles académiques, et en SVT, des vidéos de la plateforme peuvent être recommandées. À titre d’exemple, l’académie de Versailles a récemment conseillé aux enseignants la chaîne « Zestes de science5 » émise pour le grand public par le CNRS. On peut donc aussi supposer que ces recommandations institutionnelles participent de plus en plus à l’acceptabilité des VYVS dans l’enseignement car des études antérieures ont déjà établi l’influence de ces recommandations, qu’elles soient dans les pratiques informationnelles en ligne des enseignants via les sites institutionnels (Aillerie & Rakotomalala Harisoa, 2020) ou dans le choix de ressources liées à ce critère (dont Gueudet & Trouche, 2008). Mais d’autres critères sont potentiellement à prendre en compte.
18L’utilisabilité désigne la possibilité d’utiliser la vidéo, la facilité avec laquelle l’enseignant peut la mobiliser pour éduquer. Cette dimension renvoie tout d’abord à la plateforme en tant qu’« offre ». Alors que les modalités de diffusion économico-industrielles des outils et médias disponibles pour l’éducation peuvent conditionner leur pénétration scolaire (Mœglin, 2005), on peut supposer que le modèle économique de YT basé depuis 2011 sur la diffusion de publicités et qui permet donc la gratuité n’est pas sans influence sur l’usage des vidéos qu’elle héberge dans l’enseignement. On peut en particulier s’interroger sur l’effet de la disponibilité de YT au moment du confinement, en cohérence avec l’accroissement du numérique en éducation qui a été mis en évidence durant de la période (Synlab & Banque des territoires, 2020 ; MEN, 2020). L’hypothèse d’un plus grand recours aux VYVS depuis cet événement peut donc être posée, sans que l’utilisabilité ne puisse être la seule dimension explicative.
19En revanche, l’utilisabilité concerne directement tous les critères liés à l’aspect fonctionnel de la plateforme et à la qualité formelle du contenu audiovisuel. Il a déjà été montré que l’ergonomie de l’interface YT (Majorek, 2015) et la facilité d’inclusion des vidéos aux présentations numériques (Burke & Snyder, 2008) jouent probablement un rôle non négligeable dans leur intégration scolaire. On peut supposer en complément qu’une image ou qu’un montage de mauvaise qualité entraîne le rejet de la vidéo au-delà de son contenu ; idem si l’énonciation ou la scénarisation nuit à la clarté du message. L’utilisabilité renvoie également à la praticité d’usage de point de vue de la durée d’intégration ; une étude étatsunienne ayant établi que pour favoriser l’engagement des étudiants, la durée « idéale » en classe serait de 1,5 à 3 minutes et de 3 à 7 minutes en dehors (Buzetto-More, 2014). Les enseignants pourraient ainsi privilégier des formats courts pour cibler sur des aspects pédagogiques et didactiques particuliers, ce qui nous amène à la troisième dimension évaluative.
20L’évaluation d’une VYVS en termes d’utilité renvoie à des critères qui mettent en lien les contenus des vidéos avec des objectifs didactiques et pédagogiques des enseignants. On peut tout d’abord supposer que l’utilité est fortement déterminée par un effet du programme : la ressource est donc strictement insérée pour contribuer à répondre aux objectifs du curriculum prescrit. Dans ce cas, les VYVS peuvent être en support de thématiques particulières ou d’objectifs y contribuant : la construction d’hypothèses, le résumé de notions, la présentation de méthodes, etc. Les médias audiovisuels ont en effet été plébiscités en SVT pour leur soutien à l’enseignement et l’apprentissage (Larue, 1997). De plus, des études spécifiquement centrées sur les vidéos YT ont recensé des bénéfices de ces médias pour l’apprentissage, notamment car les étudiants expriment le sentiment d’apprendre mieux via ces ressources (Garrigos-Simon et al., 2018). Mais les objectifs des enseignants peuvent aussi être plus larges, en relation avec une acculturation extrascolaire aux sciences et techniques. Pour celles et ceux qui connaîtraient très bien YT, l’intention éducative pourrait même aller jusqu’à vouloir infléchir les données d’usage de la plateforme par l’élève. Le visionnage de la VYVS constitue en effet une entrée dans l’algorithme de classement des informations à hiérarchiser et à proposer à l’utilisateur (Cardon, 2019) ce qui peut amener l’élève à visionner d’autres VYVS sur des sujets connexes. Dans tous les cas, il convient d’interroger l’importance des critères de justesse et d’exhaustivité du contenu scientifique dans les choix effectués ; l’exhaustivité étant également à relier à l’utilisabilité, dont la durée des vidéos.
21Les trois dimensions sont en effet à considérer dans leur complémentarité. Tricot et al. (2003) précisent à ce propos que les relations entre les trois dimensions peuvent exister a priori. Par exemple, on peut imaginer que l’acceptabilité d’une VYVS soit un prérequis à l’utilité et l’utilisabilité si un enseignant a d’emblée une image positive de YT. Mais l’utilité et l’utilisabilité peuvent aussi être des conditions sine qua non de l’acceptabilité : lorsqu’un enseignant juge le contenu adéquat, la plateforme ergonomique et la vidéo compréhensible, il lui attribue une valeur positive et il va donc accepter son usage pour son enseignement. C’est pourquoi une deuxième question de recherche complète notre analyse.
22Nous cherchons en second lieu à savoir dans quelle mesure les critères évalués au sein des trois dimensions varient selon l’expérience professionnelle des enseignants. Nous avons déjà pu interroger l’impact éventuel de la part relative entre les composantes personnelles et professionnelles pour le choix de ces supports médiatiques. Nous explorons ici, autant que l’enquête nous le permet c’est-à-dire via l’ancienneté professionnelle et les réponses des enseignants, si un lien peut être établi entre des compétences professionnelles et le choix de VYVS comme ressources éducatives. Pour cela, nous nous basons sur les travaux de Mike Horsley, repris par Bruillard (2013), qui ont permis d’établir une typologie correspondant à trois niveaux de compétences des enseignants :
- Le niveau 1 est celui des enseignants débutants qui choisiraient davantage en fonction de l’offre disponible, en particulier numérique, et moins selon les besoins des élèves ou les potentialités et les contraintes d’apprentissage permises par les ressources ;
- Le niveau 2 est relatif aux enseignants expérimentés qui sélectionnent des ressources adaptées aux niveaux et aux besoins des élèves, notamment car ils connaissent mieux les contenus à enseigner et les élèves ;
- Le niveau 3 concerne les enseignants concepteurs de ressources pour d’autres. Relativement au contexte de YT, il s’agirait d’enseignants YouTubeurs pourvoyeurs de contenus scolaires voire extrascolaires.
23Notre investigation repose sur une enquête par questionnaire dont la totalité est en annexe. Celui-ci comporte de 9 à 30 questions selon que les répondants légitiment les VYVS comme ressources ou non. Du point de vue formel, il contient des questions fermées et ouvertes. Dans les questions fermées à choix unique ou multiple, des critères de choix sont proposés par des affirmations. Par exemple, à « l’adéquation du contenu scientifique avec le programme est un critère de choix important », le répondant peut positionner son opinion sur une échelle de Likert à cinq niveaux. Des questions ouvertes directes permettent également de récolter des données qualitatives sur le positionnement par rapport aux critères : justesse des informations scientifiques, exhaustivité des informations, clarté, lien au programme, popularité du vidéaste, recommandations institutionnelles, qualité audiovisuelle. La correspondance entre les critères testés par les différentes hypothèses, les dimensions évaluatives et les questions posées, est présentée dans le tableau 1. Il comprend également les questions et hypothèses liées à l’usage des YYVS de façon générale et depuis la pandémie de COVID-19.
Tableau 1 : questions, hypothèses et dimensions évaluatives de l’enquête relative à la légitimation éducative des VYVS pour l’enseignement en SVT
|
Hypothèses testées |
Numéros des questions |
| Questions relatives à l’usage professionnel des VYVS |
L’usage des VYVS est une pratique professionnelle courante. |
7 et 31 |
| Le recours aux VYVS a augmenté par suite des confinements liés à la COVID-19. |
9 et 10 |
| Dimensions évaluatives |
Acceptabilité |
L’usage de YT dans la sphère privée influe sur le choix.
La vidéo est choisie sur des critères en lien avec la culture médiatique des élèves : popularité du vidéaste, attractivité et dynamisme de la vidéo... |
1, 3, 6 et 9
15, 16, 27 et 28
16, 25 et 26 |
| Utilisabilité |
Les qualités audiovisuelles (son, image, montage) sont importantes.
La scénarisation et la clarté du contenu jouent un rôle dans le choix.
La modularité d’usage à des moments précis oriente le choix. |
6, 29 et 30
16, 21 et 22
14 |
| Utilité |
L’adéquation de la vidéo avec des objectifs didactiques est recherchée.
L’adéquation de la vidéo avec les programmes oriente le choix.
La justesse et l’exhaustivité du contenu scientifique déterminent le choix.
Certaines thématiques sont privilégiées. |
11 et 13
16, 23 et 24
16, 17, 18, 19 et 20
12 |
24Notre enquête et ses résultats sont entièrement basés sur les déclarations des enseignants. Après une phase de test permettant de consolider et de corriger le questionnaire, celui-ci a été soumis entre le 18 février et le 30 mars 2021. Le groupe Facebook « SVT : partage, conseils, questions » de plus de 10 100 membres et le relais par l’association des professeurs de biologie et de géologie à ses adhérents ont permis une large diffusion au public cible : 321 enseignants de SVT ont répondu.
25La réalisation d’un test d’indépendance du Khi-2 (p value = 5,26.10-01) comparant les répartitions dans les différentes classes d’âge des répondants avec l’ensemble des enseignants en France (OCDE, 2020) ne permet pas de conclure que les distributions sont significativement distinctes. La représentativité de l’échantillon semble en effet satisfaisante pour les enseignants entre 30 et 50 ans. Néanmoins, nous supposons une légère sous-représentation des enseignants de plus de 50 ans et une surreprésentation des moins de 30 ans, qui constituent 16,5 % des répondants. La diffusion du questionnaire par voie numérique et sur la base du volontariat a également probablement favorisé l’obtention de réponses de personnes familières de ces technologies et/ou ayant un intérêt pour la thématique.
Fig. 1 : comparaison entre l’échantillon des répondants et les enseignants du secondaire en France selon les classes d’âge
26Des analyses statistiques ont été effectuées pour établir des liens entre les catégories de réponses ou entre les classes de répondants (âge, expérience, niveau d’enseignement, etc.). Selon la nature des données, un test statistique adapté a été mis en œuvre sur le logiciel R : pour les réponses binaires (oui/non, coché/non coché), un test du khi-2 de Pearson et pour les réponses discrètes (sur une échelle), un test de Kruskal-Wallis. Ce dernier est une analyse de variance non paramétrique : la moyenne d’une variable quantitative est comparée entre diverses catégories sans faire d’hypothèse sur la loi de probabilité suivie par cette variable quantitative (plus robuste, mais moins puissant qu’un test paramétrique). L’hypothèse nulle de ces tests (H0) est que les catégories de réponses comparées sont confondues. Le fait de rejeter l’hypothèse nulle revient à conclure qu’au moins une des catégories se distingue des autres. Ici, en considérant l’hypothèse nulle valide, si la probabilité d’obtenir les données observées est inférieure à 5 % (p value < 0,05) alors nous rejetons cette hypothèse. Ces tests sont suivis d’un second test statistique (non paramétrique également) comparant les différentes catégories deux à deux de manière à les regrouper et inférer une hiérarchie entre les groupes (ex : test de Wilcoxon-Mann-Whitney).
- 6 La textométrie, appelée également lexicométrie ou statistique lexicale est une analyse quantitativ (...)
27Les données qualitatives issues des questions ouvertes ont été d’abord traitées par textométrie6, avec le logiciel R également. Pour ce faire, elles ont été apprêtées en corrigeant l’orthographe, en complétant les abréviations, en rassemblant les mots de la même famille (lemmatisation) et en supprimant les mots de liaison ou de trop faible occurrence. Cela a permis de dégager des grands thèmes pour une analyse de contenu plus fine à l’aune des trois dimensions. Des extraits de ces réponses sont présentés ci-dessous de la façon suivante : R pour Répondant, suivi d’un numéro et Q pour question, suivi d’un numéro. Par exemple, R2Q4 pour un extrait de la réponse à la 4e question du 2e répondant à l’enquête.
28Le premier résultat de notre enquête est que la légitimation éducative de VYVS par les enseignants de SVT ayant répondu est massive puisque 94 % (n = 321) d’entre eux déclarent les utiliser comme ressources (Q7). Parmi ces utilisateurs de VYVS (n = 303), on remarque une nette prédominance (90,1 %) d’intégration au moment de la séance même (Q14). Leurs réponses indiquent que cela fait en moyenne 5 ans qu’elles sont intégrées en SVT (Q9). Or cette période coïncide voire succède à un essor des VYVS sur YouTube, notamment en biologie (Blanchard et al., 2018 ; Debove et al., 2021). Celui-ci aurait facilité sinon impulsé leur entrée en milieu scolaire. Cet effet « offre » serait confirmé par l’absence de différence significative entre leur intégration dans l’enseignement et l’ancienneté professionnelle des enseignants (Q3 et 9). L’hypothèse selon laquelle les jeunes enseignants y ont donc recours plus facilement est donc en partie rejetée.
29Selon leurs déclarations, le contexte lié à la Covid-19 a entraîné une augmentation de l’usage des VYVS pour 57,1 % des répondants (Q10). Cependant une proportion importante des répondants affirme ne pas avoir modifié ses pratiques (42,2 %). Un croisement de ces données avec l’ancienneté professionnelle des répondants (Q3) tend à montrer que ceux de plus de 10 ans d’expérience déclarent le plus avoir accru leur usage professionnel des VYVS (avec une augmentation maximale de 67,8 % pour les 10 à 20 ans d’ancienneté) tandis qu’une tendance contraire semble se dessiner chez les enseignants de moins de 10 ans d’expérience (tableau 2). Plusieurs hypothèses permettent d’éclairer ce résultat. En référence aux travaux de Mike Horsley, on peut tout d’abord conjecturer que les enseignants doivent avoir une certaine expérience professionnelle pour sélectionner parmi l’offre sur YT. Ceci expliquerait que les moins expérimentés ne sont pas une majorité à déclarer augmenter leur usage des VYVS. Mais il est possible que les plus jeunes enseignants utilisent déjà des VYVS en nombre, pour ne pas en accroître leur usage en classe. Pour les plus de 30 ans d’ancienneté, des études complémentaires seraient nécessaires pour savoir si le résultat obtenu n’est pas simplement expliqué par un faible échantillonnage dans cette catégorie d’ancienneté.
Tableau 2 : fréquences des effets déclarés du confinement sur l’intégration des VYVS en SVT selon l’ancienneté professionnelle des répondants
|
Sans effet |
Augmentation |
Effectif |
| Moins de 5 ans |
52,6 % |
47,4 % |
57 |
| Entre 5 et 10 ans |
56,5 % |
43,5 % |
46 |
| Entre 10 et 20 ans |
32,2 % |
67,8 % |
87 |
| Entre 20 et 30 ans |
37,5 % |
61,3 % |
80 |
| Plus de 30 ans |
42,4 % |
54,5 % |
33 |
306 % des répondants indiquent ne pas utiliser de VYVS. Ils évoquent majoritairement des raisons en lien avec leur positionnement par rapport à l’offre de YT en matière de VS. Soit ils ne la connaissent pas ou ne souhaitent pas perdre de temps en recherche et en évaluation des vidéos disponibles, soit ils ne l’acceptent pas pour l’enseignement. L’utilité est exclue car les contenus sont jugés inadaptés à leurs objectifs, à ceux des programmes ou aux besoins des élèves, quand ils ne sont pas jugés a priori entachés d’erreurs scientifiques. À cela s’ajoute une absence d’utilisabilité quand les contenus sont jugés complexes ou au contraire trop vulgarisés, ce qu’un répondant a exprimé par le « mode YouTubeur » (R67Q31). Aucun critère ne se dégage donc prioritairement. Qu’en est-il lorsque la scolarisation des VYVS en SVT est déclarée effective ?
31L’acceptabilité reflète la valeur attribuée par l’enseignant aux VYVS. Deux tests de Kruskal-Wallis ont permis de comparer le score de familiarité de l’usage privé de YT (Q6) et le nombre d’années d’usage professionnel des VYVS (Q9) entre chaque classe d’ancienneté professionnelle (Q3). Les hypothèses nulles de ces tests sont que le score de familiarité comme le nombre d’années d’usage professionnel de VYVS sont équivalents quelle que soit la classe d’ancienneté. Les résultats montrent que l’usage de YT dans le cadre privé est corrélé au nombre d’années d’expérience professionnelle (figure 2a comparée à la figure 2b) ce qui nous conduit à rejeter la première hypothèse nulle. Les données montrent une tendance similaire à celle issue des données de Médiamétrie (Lechanteur, 2020), c’est-à-dire que plus l’ancienneté est importante, moins YT est utilisé dans le cadre privé. En revanche, il n’y a pas de différence significative entre le nombre d’années de recours aux VYVS en SVT selon l’ancienneté de l’enseignant, nous ne rejetons donc pas la seconde hypothèse. L’usage pédagogique de la plateforme YT est donc très nettement à différencier de son usage privé. Sans pour autant avancer que l’expérience personnelle de YT soit sans effet, elle n’est pas déterminante.
Fig. 2a : ANOVA de l’usage privé de YT (n = 321) selon l’ancienneté des enseignants
Fig. 2b : ANOVA de l’expérience d’usage professionnel de YT (n = 303) selon l’ancienneté des enseignants
- 7 La proximité avec l’univers culturel des élèves est à nuancer car l’âge médian de visionnage de la (...)
32Interrogés sur la plus-value des VYVS en lien avec l’univers médiatique de YT (Q15), 80 % des enseignants la situent dans le gain d’attractivité ou dans la dynamique que ce genre de vidéos peut créer. En revanche, ils estiment très clairement qu’il n’y a pas de plus-value à en faire des ressources en réponse à l’univers culturel des élèves ou pour des raisons récréatives. Le lien entre la légitimation éducative des VYVS et la culture présupposée des élèves7 est donc négligeable. Aucun enseignant ne mentionne spontanément la popularité de la vidéo ou du vidéaste (Q16, figure 5) et ils ne sont pas d’accord (20,2 %) voire pas du tout d’accord (57,4 %) pour affirmer que ce critère est important (Q27). Les 70 réponses libres (Q28) permettent d’établir une gradation allant d’une indifférence : « la popularité n’a aucune importance pédagogique à mes yeux » (R136Q28), à sa mise à distance : « la popularité n’est pas un gage de qualité » (R98Q28), jusqu’à son rejet : « volontairement, je ne choisis pas en fonction de la popularité. » (R222Q28).
- 8 Squeezie est le plus cité spontanément par les 15-25 ans dans l’étude de Vincent, Chaniot et Lapoi (...)
33Mais de quelle popularité s’agit-il ? L’émission télévisée « C’est pas sorcier », devenue chaîne YT, est par ailleurs citée spontanément plusieurs fois, quand une seule référence est explicitement faite à un YouTubeur célèbre8. Autrement dit, même si les VYVS pénètrent l’enseignement, ce ne serait pas tant par la figure du YouTubeur que par la possibilité de prolonger une popularité existante. L’effet de sélection lié à l’identité du producteur est également probable du côté des institutions scientifiques qui ont leur chaîne YT, telles que le MNHN ou l’INSERM, cités à la marge par les répondants ; le « scientifique reconnu » (R323Q28) étant un gage de légitimation scientifique pouvant entraîner une sélection du média (Zwang, 2016).
34Pour continuer à explorer la part entre le rapport personnel et le rapport professionnel des enseignants aux VYVS, nous avons comparé la proportion d’entre eux en accord ou non avec l’importance des recommandations institutionnelles (Q25) selon les tranches d’âge (Q1). Les résultats montrent que, pour les répondants ayant plus de 30 ans, l’acceptabilité qui découle de recommandations institutionnelles des VYVS semble jouer un rôle avec plus de 60 % d’accord à chaque fois (tableau 3). Les raisons évoquées sont celles d’un cadre rassurant vis-à-vis des parents (R48Q25), d’une garantie sur la sûreté de la source (R162Q25) et le gain de temps (R170Q25), comme souci d’efficacité de l’enseignant dans son activité. En revanche, les moins de 30 ans semblent être plus distants vis-à-vis de ce critère. Au sein de cette classe d’âge, la fréquence des répondants en désaccord avec le fait que les recommandations institutionnelles soit un critère important est légèrement majoritaire (51,4 %). Cependant nos résultats ne permettent pas de déterminer si leur usage privé de YT leur permet d’explorer davantage par eux-mêmes l’offre de la plateforme ou s’ils méconnaissent les recommandations institutionnelles.
Tableau 3 : fréquences de l’accord aux recommandations institutionnelles selon la tranche d’âge des répondants
|
Désaccord |
Accord |
Effectif |
| Moins de 30 ans |
51,4 % |
48,6 % |
35 |
| Entre 30 et 40 ans |
37,8 % |
62,2 % |
45 |
| Entre 40 et 50 ans |
36,5 % |
63,5 % |
85 |
| Plus de 50 ans |
34,4 % |
65,6 % |
61 |
35Mais cette forte part déclarée du critère relative aux recommandations institutionnelles dans la légitimation éducative des VYVS est à nuancer car, dans les réponses libres, les enseignants de toutes classes d’âge déclarent également les choisir par eux-mêmes avant de se conformer à des sélections préalables, ce qui est cohérent avec un rapprochement de l’éducation nationale vis-à-vis de YT postérieur aux moments d’intégration scolaires déclarés. L’institution scolaire se voit d’ailleurs critiquée comme ayant un « train de retard » (R149Q26), pouvant mettre en avant des « ressources très bien, mais… un peu barbantes pour des élèves » (R11Q26). Ces enseignants revendiquent aussi une autonomie de jugement : « Je suis professionnel de l’éducation, je pense être tout à fait compétent pour juger du contenu, de sa validité et de son adéquation » (R112Q26). Ceci renvoie aux deux autres dimensions de la légitimation éducative.
36Nous venons d’établir un lien probable entre l’offre disponible des VYVS et leur légitimation éducative par les enseignants. Nous avançons que la facilité d’accès à YT est une condition sine qua non de son usage pédagogique. Lorsqu’il s’agit de s’intéresser à la manière dont les médias servent de ressources, le dispositif industriel qui permet la diffusion de contenus culturels ne peut être occulté dans la mesure où ils ne peuvent être sans influence sur les pédagogies et les didactiques mises en œuvre. La gratuité et le lien étroit avec le puissant moteur de recherche Google (qui a racheté YT en 2006) permet à YT d’avoir une très bonne visibilité de ses contenus. Dès lors, dans son activité de documentation, l’enseignant y a un accès facilité et est amené à se positionner par rapport à ces logiques socio-économiques de diffusion. Des répondants sont d’ailleurs conscients de l’impact des algorithmes sur la visibilité de certaines vidéos de la source : « comme le moteur de recherche les propose en fonction de la popularité, indirectement “la popularité impacte mes choix” ! » (R222Q28).
37L’utilisabilité en dehors de l’espace physique de la classe joue aussi un rôle important (Q14). Hors période de confinement, les répondants indiquent choisir ces vidéos pour des activités en aval (62,3 %) ou en amont (53,5 %) de la séance en classe, ce qui confirme que le média doit être un contenu informationnel autonome, utilisable tel quel. En revanche, ces modalités dépendent fortement des niveaux d’enseignement, en collège ou en lycée (tableau 4). Très clairement, le croisement de ces résultats avec les réponses libres, indique que pour le collège, le visionnage commenté en classe est fortement privilégié quand, pour le lycée, il s’agit davantage de regarder le média en autonomie. Dans les cas d’un visionnage en amont (Q14), la vidéo est déclarée servir de ressource dans le cadre d’une pédagogie de classe inversée par 6 % des enseignants. Cette modalité pédagogique étant relativement récente, il est probable d’y voir une cause pour laquelle les plus de 30 ans d’expérience demandent significativement moins aux élèves de regarder ces médias en amont des séances (24,2 %) que les moins de 30 ans d’ancienneté (57 %) (Khi-deux avec une p value = 4,71.10-7), confirmant ainsi le lien entre des pratiques professionnelles et la sélection de ressources.
Tableau 4 : comparaison des fréquences d’usage des VYVS selon le niveau d’enseignement et la chronologie par rapport à la séance en classe
|
Collège |
Lycée |
| Pendant |
94,7 % |
87,8 % |
| En aval |
46,1 % |
61,2 % |
| En amont |
55,2 % |
69,9 % |
| Effectif |
152 |
196 |
38Par ailleurs, l’usage de la vidéo comme capsule ou grain au sein d’un travail d’intégration didactique de la ressource semble prioritaire. Une des principales conditions d’utilisabilité des VYVS semble en effet être leur durée (15,1 % des réponses, figure 5, introduit ci-après). Les répondants indiquent spontanément dans leurs critères de choix (Q16) qu’elles doivent être courtes, ce qui explique que 41 % ont un avis neutre sur le critère d’exhaustivité et que seuls 14 % le plébiscitent fortement, en effet plus une vidéo est courte moins elle peut être exhaustive. À ce critère de durée, s’ajoute la qualité audiovisuelle (72,5 %). Il s’agit d’augmenter l’attractivité pour les élèves afin de susciter leur attention. Notant qu’ils « sont habitués à la plateforme et aux médias en général [et qu’ils] sont donc assez exigeants et très critiques sur ces points » (R11Q30), les répondants indiquent par-là que la mauvaise qualité a un impact didactique. Elle peut faire obstacle à la compréhension du contenu et constitue un distracteur si les élèves se focalisent sur les défauts formels de la vidéo.
- 9 L’hypothèse nulle de ce test, que les deux variables ne sont pas corrélées, étant rejetée (p value (...)
39La qualité énonciative et de scénarisation de la VYVS qui permet au contenu d’être clair et compréhensible pour les élèves est très important et important pour 46 % et 31 % des répondants : « Il faut que les élèves comprennent et accrochent, sinon aucun intérêt de la vidéo à mon sens » (R124Q22). Ce critère d’utilisabilité dépend du contexte dans lequel la vidéo sert de ressource (visualisée par l’élève seul ou dans la classe) et également des fonctions didactiques qui lui sont assignées : rappel, révision, découverte, soutien, aide ou approfondissement. Selon les cas, « le degré de vulgarisation peut varier » (R161Q22). C’est donc bien en relation avec un cadre que la VYVS devient une ressource (Diekema & Olsen, 2014). De fait, nous avons pu établir une corrélation entre les scores obtenus sur les critères de qualité audiovisuelle (Q29) et de justesse du contenu (Q17)9.
40Les critères d’utilité des VYVS correspondent à l’adéquation des contenus avec les objectifs d’enseignement et d’apprentissage. Ces objectifs sont prioritaires pour les répondants, car 60 % estiment la plus-value des VYVS dans l’apprentissage qu’elles permettent (Q15). La question d’évocation spontanée des objectifs pour l’intégration des VYVS dans leur enseignement (Q11) permet de mieux connaître les raisons de la plus-value évoquée. L’analyse du contenu des réponses a permis d’identifier, par induction à partir du sens des phrases et de termes pivots montrant une récurrence, 11 catégories d’objectifs déclarés. Par exemple, la catégorie « Introduire, initier, accrocher » regroupe les réponses comportant les termes « accroche » (31/298), « amorce » (6), « situation déclenchante » (11), « introduire » (24), « appel » (4) ; la catégorie « illustrer, visualiser, montrer », les termes « illustration » (42), « exemple », « visualisation [ou] visuel » (24), « montrer » (13), « exemple » (9). Les catégories ont été attribués à chaque réponse pour analyser les données.
41Les résultats montrent que les VYVS sont déclarées utilisées en premier lieu pour « illustrer, visualiser, montrer » (34,9 %), catégorie qui passe avant toutes les autres. Ce sont donc les propriétés du média pour favoriser l’apprentissage qui sont mises en avant par les répondants, ce que les fréquences de catégories « expliquer, expliciter » (19,8 %), « découvrir et collecter des informations » (14,4 %) en classe ou en dehors confortent. L’utilité des VYVS semble répondre à deux fonctions didactiques principales correspondant aux situations classiquement recommandées pour l’usage de l’audiovisuel en SVT (Larue, 1997) : introduire une séance à travers une situation d’appel (27,9 %) et construire un problème ou un questionnement scientifique (8,1 %). Selon 7,7 % des répondants, le média permet également de substituer toute manipulation ou observation qui ne pourrait être réalisée en classe. Cette faible valeur peut s’expliquer par les spécificités des VYVS qui sont davantage des constructions narratives que des démonstrations expérimentales. C’est certainement pourquoi elles sont jugées utiles pour des synthèses (23,8 %), des révisions (13,1 %) ou pour apporter des compléments (13,4 %).
Fig. 3 : fréquences des thèmes des réponses spontanées à la question sur les objectifs d’usage des VYVS en SVT (297 répondants, 11 thèmes identifiés)
42Les réponses à la question fermée sur les objectifs didactiques (Q13) permettent d’explorer davantage les raisons de l’intégration des VYVS selon des critères d’utilité. Les sept objectifs proposés représentent une importance notable pour le panel puisque le moins plébiscité est choisi par plus d’un tiers des répondants. Les résultats (figure 4) permettent de confirmer la plupart des analyses issues des réponses spontanées (figure 3). En priorité, l’objectif d’usage des VYVS est la transmission de notions (pour 86 % des répondants), en cohérence avec le format très unidirectionnel du média et en lien avec les fonctions d’illustration et d’explication évoquées (Q11). Au deuxième rang, les enseignants y ont recours avec les objectifs d’aller au-delà des contenus enseignés (60 %) et de proposer des synthèses, davantage d’un chapitre ou d’une séquence (58 %) que d’une séance (42 %), ce qui cohérent avec la fréquence mensuelle d’usage des VYVS déclarée par 50 % du panel (Q8). Au troisième rang, les objectifs choisis sont notamment la construction d’une problématique (47 %) et l’aide à la résolution d’un problème (38 %), ce qui montre une intégration fine de la vidéo en lien avec des consignes spécifiques. Il faut noter que les sept objectifs pédagogiques proposés suscitent le choix d’une VYVS chez plus d’un tiers des enseignants, alors que chaque enseignant individuellement n’utilise ces vidéos que pour trois de ces objectifs (2,7 à 3 selon un intervalle de confiance à 95 %). Autrement dit, la légitimation éducative des VYVS se ferait d’une façon privilégiée en relation avec des manières d’enseigner voire des routines professionnelles de mobilisation des ressources plutôt que pour un bouquet d’objectifs précis.
Fig. 4 : fréquences des objectifs didactiques à l’origine du choix des VYVS en SVT (n = 303)
43Nos tests montrent que ni l’âge, ni l’ancienneté professionnelle, ni le niveau d’enseignement (collège ou lycée) ne sont liés à des objectifs didactiques en particulier. Ce résultat tend à montrer l’existence de conceptions professionnelles convergentes liées aux disciplines expérimentales, ce qui est en lien avec l’utilité reconnue des VYVS comme moyen de mettre en œuvre les prescriptions institutionnelles. Celle-ci est importante car 78,9 % des enquêtés sont d’accord et tout à fait d’accord pour les choisir en adéquation avec le programme (Q23), même si étonnement seuls 11 enseignants (sur 279) indiquent spontanément les choisir selon ce critère (figure 5). Cette mission prioritaire conditionne la sélection de VYVS – « le contenu scientifique doit être en accord avec notre façon de parcourir le programme » (R281Q24) – et se justifie aussi par le manque de temps pour explorer hors de cette prescription institutionnelle – « le programme est assez dense pour ne pas faire de tourisme scientifique » (R107Q24).
44Pour autant, comme la place de l’objectif « aller plus loin » (figure 4) nous l’a déjà indiqué, le hors-programme n’est pas exclu. Les fréquences des enseignants déclarant utiliser les VYVS pour aller plus loin ou non (Q13) ont été comparées à leur familiarité déclarée à YT dans la sphère privée (Q6) : les plus familiers de la plateforme (score supérieur ou égal à 5) mobilisent davantage les VYVS avec cet objectif (tableau 5). Leur plus grande connaissance de l’offre les amènerait à sélectionner les VYVS pour leur contexte de production d’origine : la diffusion de la culture scientifique et technique auprès du grand public. Pour autant, le choix de VYVS selon l’objectifs de motiver ou d’attirer les élèves est très minoritaire dans les réponses spontanées (5,3 % Q11). De fait, pour devenir une ressource, les VYVS doivent en priorité répondre à un autre critère.
Tableau 5 : comparaison des fréquences des enseignants utilisant ou non des VYVS pour aller plus loin, selon leur familiarité avec YT
|
|
OUI |
NON |
| Score de familiarité à YT |
1 |
NA |
NA |
| 2 |
53,6 % |
46,4 % |
| 3 |
51,5 % |
48,5 % |
| 4 |
52,6 % |
47,4 % |
| 5 |
69,5 % |
30,5 % |
| 6 |
63,1 % |
36,9 % |
45Le critère principal de choix des enseignants a été mis en évidence par les critères de choix spontanés des VYVS par les enseignants (Q16). Quelle que soit l’expérience professionnelle ou l’âge des répondants (figure 5), le rapport de la VYVS à l’exactitude scientifique est essentiel pour qu’elle soit légitimée d’un point de vue éducatif en SVT. La rigueur scientifique est le thème évoqué le plus spontanément (54,7 %) et 87 % des répondants sont tout à fait d’accord avec l’assertion selon laquelle la justesse des informations scientifiques est très importante (Q17). Celle-ci est jugée « indispensable » (8 occurrences), « fondamentale » (6), « la moindre « erreur » dans la vidéo [étant] éliminatoire !!! » (R290Q16). Ce « 1er critère » (R12Q16) implique un travail de visionnage intégral et de tri préalable : « Je visionne entièrement la vidéo pour la valider scientifiquement » (R52Q16). Pour les répondants, c’est un enjeu didactique : « l’idée est que la vulgarisation reste une simplification et pas un apport de représentations incorrectes » (R14Q16). Il s’agit de « ne pas renforcer des représentations fausses dans l’esprit de l’élève » (R8Q16).
Fig. 5 : répartition des critères spontanés à la question sur le choix des VYVS en SVT (278 répondants, 7 thèmes identifiés)
46Par ailleurs, face aux inexactitudes scientifiques, les répondants ont déclaré adopter deux attitudes lorsqu’ils projettent des VYVS dans leur cours, ce qui est le contexte le plus fréquent d’intégration des VYVS comme nous l’avons déjà évoqué (Q14). La première est une intervention de l’enseignant qui reprend, corrige, commente et de ce fait masque ou rectifie : « [je peux faire] une pause au moment posant problème et signaler l’information « fausse » » (R8Q18) ; « Je peux couper le son et faire mes propres commentaires » (R193Q18). La seconde est de s’en servir comme support d’apprentissage : plusieurs répondants déclarent demander aux élèves de les repérer pour les corriger. Dans de rares réponses, elles sont recherchées comme supports de réflexion ou de débat, pour dégager une problématique, mais aussi comme moyen pour développer « l’esprit critique » (10 occurrences) ou le sens « critique » (6 occurrences) des élèves. Rechercher dans la source YT des « vidéos pseudo-scientifiques » (R113Q18) est alors un moyen de faire de ces médias des ressources pour travailler des compétences transversales en jaugeant de la fiabilité des contenus et des sources.
47Dans la grande majorité des témoignages recueillis, la VYVS doit pouvoir se suffire à elle-même : « remplacer une explication, un document plus ardu » (R309Q18). S’il ne semble pas y avoir de thématiques statistiquement prédominantes en lien avec leurs choix, 25 % des répondants indiquent spontanément y recourir pour toutes les thématiques du programme. Cette fonction explicative semble particulièrement pertinente pour des notions en lien avec des modèles : « visualisation de modèles de mécanismes moléculaire », « modélisation de la collision », « modélisation de phénomènes biologiques ou géologiques », « modèle de Hardy-Weinberg » (4 occurrences). Sans exclure que les VYVS peuvent constituer des substituts aux modélisations analogiques prioritairement utilisées en classe qui ne prennent pas en compte bien souvent les dimensions temporelles des modèles (Ravachol, 2016), il est possible que ces médias offrent la possibilité de cette profondeur temporelle. Pour résumer, les VYVS sont donc jaugées en premier lieu pour leur utilité. Mais, comme nous l’avons montré tout au long de l’exposition de ces résultats selon les différentes dimensions évaluatives, ce critère prédominant n’est pas suffisant pour rendre compte de la manière dont les VYVS pénètrent l’espace scolaire.
48Le cas des VYVS pour l’enseignement des SVT confirme la complémentarité des différentes dimensions qui permettent d’évaluer un média pour le reconnaître éducatif, ce que montre un dernier test réalisé sur l’ensemble des critères proposés aux répondants dans les questions fermées. Les corrélations entre l’importance de ces critères ont été testées deux à deux par des tests de corrélation de Kendall : l’hypothèse nulle est que les deux critères testés ne sont pas corrélés, c’est-à-dire qu’une orientation favorable d’un répondant sur le premier critère n’est pas associée à une orientation favorable sur le second. La figure 6 est un réseau présentant ces corrélations significatives (p-value < 0,05), chaque critère est représenté par un disque d’autant plus foncé qu’il est jugé important par le panel (trois nuances visibles). Tous les critères sont interconnectés, illustrant l’intrication qui existe entre utilité (justesse, exhaustivité et programme), utilisabilité (qualité audiovisuelle, clarté) et acceptabilité (recommandations institutionnelles, popularité). Bien qu’indissociables des autres, les critères d’utilité ont une position centrale, notamment le programme qui ne fait pas figure de critère le plus important mais compte un nombre record de cinq corrélations avec d’autres critères. Sans surprise, la popularité de la VYVS, qui est le critère déclaré comme le moins important par les répondants, est aussi le moins connecté à l’ensemble des autres critères.
Fig. 6 : réseau de corrélation entre les critères proposés aux enseignants
Les nuances de gris présentent l’importance relative des critères pour les enseignants (du plus foncé, important au plus clair, peu important).
49Ayant établi que l’intégration des VYVS comme ressources en SVT est une pratique professionnelle installée en l’espace de cinq ans, l’analyse des déclarations des enseignants montre donc également que cette évaluation de l’offre sur YT implique la prise en compte simultanée de ces différentes dimensions. Autrement dit, exercer des choix pour l’enseignant demande une expertise : celle de jauger de la pertinence de ces médias par rapport à ses objectifs didactiques et pédagogiques ; celle-ci s’exerçant plutôt de façon indépendante par rapport à des ressources présélectionnées via des recommandations institutionnelles. Or ce travail est largement sous-estimé : « Alors que d’aucuns auguraient le temps gagné par les enseignants grâce aux ressources disponibles sur Internet, on fait le constat qu’ils deviennent plus exigeants et passent beaucoup de temps à chercher les meilleurs documents, les informations les plus intéressantes et que cela augmente considérablement leur temps de préparation. » (Bruillard, 2013, p. 30).
50Et c’est probablement pourquoi nous montrons un lien entre l’expérience professionnelle (représenté dans nos données par l’âge et l’ancienneté) et la capacité à mobiliser des VYVS en SVT. Le confinement a probablement été en cela un espace-temps révélateur des capacités adaptatives des enseignants face à l’obligation de maintenir une relation éducative et une transmission de contenus à distance via des ressources. Les 10 à 30 ans d’expérience sembleraient donc avoir davantage mobilisé les VYVS grâce à leurs compétences (on peut les associer au niveau 2 de compétences selon la typologie de Mike Horsley) quand les jeunes enseignants ou au contraire les plus expérimentés ne semblent pas avoir fait évoluer leur usage des VYVS pour l’enseignement au cours de la période. Pour ces deux catégories, les raisons en sont probablement opposées. Les plus jeunes connaissant probablement plus l’offre de YT et les VYVS mais, si l’on suit le niveau 1 de la typologie de Mike Horsley, on pourrait supposer qu’ils ne savent pas encore y puiser des contenus pertinents pour leur enseignement. Les enseignants ayant le plus d’ancienneté sont probablement rompus à l’exercice de sélection de médias dans leurs pratiques professionnelles mais ils sont moins familiers de la « source » YT, comme nos croisements avec les déclarations sur les pratiques personnelles ont eu tendance à le montrer. Ces hypothèses demandent à être confirmées.
51Relativement à ces problématiques d’expertise, notre étude, centrée sur des ressources spécifiques, les médias audiovisuels, suggère un niveau de compétences intermédiaire entre le niveau 2 et le niveau 3 de la typologie de Mike Horsley dans le cas où l’enseignant choisit des extraits de VYVS puis réalise un montage avec un logiciel. Il s’agit d’une recomposition de média pour en faire une ressource éducative répondant totalement aux besoins de l’enseignant, sans que cette nouvelle vidéo ne devienne une ressource pour d’autres enseignants. Rares sont ces experts, puisqu’ils ne sont que trois parmi les répondants. Mais les raisons qu’ils évoquent sont révélatrices des préoccupations principales et des multiples dimensions en jeu pour l’usage de ces médias en SVT : supprimer les inexactitudes, sélectionner ce qui les intéresse, ou procéder à des réajustements entre l’image et le son.
52Les VYVS choisis répondent aux objectifs de l’enseignant qui construit sa séance, sa séquence, avec un souci d’efficacité compte tenu d’un investissement professionnel. Que cela soit à travers les réponses aux objectifs, aux critères et aux plus-values, nous montrons que toutes les dimensions évaluées sont orientées vers une priorité : répondre aux exigences de l’enseignement dans des conditions d’usages orientées vers un apprentissage. L’expertise vis-à-vis du contenu et la responsabilité vis-à-vis de celui-ci, soit des préoccupations proprement didactiques, guident en grande partie l’activité enseignante dans la légitimation éducative des VYVS. Le critère de justesse scientifique, prédominant, est en cela caractéristique d’un choix disciplinaire, en l’occurrence une discipline scientifique, dans la mesure où les pratiques documentaires des enseignants se voient très orientées par leurs spécificités disciplinaires (Aillerie & Rakotomalala Harisoa, 2020).
53Dans l’articulation entre le milieu scolaire et les savoirs, les valeurs et les représentations qui circulent en dehors de lui, en l’occurrence sur la plateforme YT par des vidéos de vulgarisation scientifique, les critères de légitimation éducative des enseignants conduisent à une scolarisation de contenus répondants à des exigences disciplinaires. La rencontre entre ces médias et l’école semble donc moins procéder d’une ouverture vers une culture extrascolaire que de l’extraction de contenus, combinée aux valeurs et aux pratiques propres de l’école, à savoir la culture scolaire. De fait les critères de légitimation que nous avons mis en évidence montrent que la sélection des VYVS repose sur leur capacité à s’intégrer dans la culture scolaire. In fine, les enseignants de SVT, et plus particulièrement les expérimentés, semblent se positionner comme des garants du maintien des murs symboliques culturels entre l’extérieur et l’intérieur de l’école ; exception faite de la minorité d’enseignants familière des VYVS dans un cadre privé qui semble plus encline à les utiliser pour une ouverture extrascolaire.
54Des études complémentaires avec des entretiens et des observations seraient néanmoins nécessaires pour éprouver les déclarations de notre enquête. Il serait plus particulièrement intéressant d’investiguer plus avant deux tendances portées par les marges enseignantes. La première, celle des jeunes enseignants de moins de 5 ans d’expérience qui sont entrés dans la profession en même temps que l’essor des VYVS. Ils semblent témoigner de rapports à la culture extrascolaire annonciateurs de possibles perméabilités à venir dans les missions que les enseignants s’auto-attribuent vis-à-vis de la culture scientifique et technique, au-delà de leur discipline. La seconde, à l’opposé, est représentée par les enseignants qui deviennent YouTubeurs pour un public scolaire en postant des vidéos dont les contenus sont conformes aux programmes. Cette pratique permet d’interroger deux processus potentiels à l’œuvre. Est-ce qu’en parant les contenus scolaires de la valeur symbolique de l’outil-marque YT, la « source » permet-elle, aux yeux des élèves, une mise à distance de la culture scolaire en mesure de donner plus d’attrait à des savoirs scolaires ? Ou au contraire, de proche en proche, l’investissement de YT par le monde enseignant conduit-il à un usage par les élèves guidé par la scolarisation de contenus de la plateforme, qui pourrait à terme changer son image auprès du jeune public ?
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