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Effets de la formation à l’enseignement sur les pratiques des nouveaux enseignants-chercheurs

The effects of teacher training on the practices of new teacher-researchers
Louise Ménard, Christian Hoffmann et Geneviève Lameul
p. 125-140

Résumés

La formation à l’enseignement a été mise en place par les universités pour inciter les nouveaux enseignants-chercheurs à se centrer davantage sur l’apprentissage étudiant. Ce dispositif favorise-t-il vraiment un tel changement de paradigme ? Les pratiques des enseignants formés se distinguent-elles de ceux sans formation ? Ce texte présente les données collectées par entretiens et observations auprès de huit nouveaux enseignants formés et de quinze sans formation. Il semble que les enseignants, dans leur ensemble, ont des pratiques qui dépassent la transmission de contenu et que les enseignants formés ne se distinguent pas de ceux sans formation.

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Texte intégral

Introduction

1En milieu universitaire, l’embauche et la carrière d’un enseignant-chercheur dépendent essentiellement de son parcours de publication dans des revues scientifiques reconnues (Dejean, 2006). Alors que la mission des universités et que sa population étudiante connaissent de profonds changements et que la France a pour objectif de faire diplômer 50 % de ses étudiants en licence et 25 % en master, l’enseignement devient une réelle préoccupation (Bertrand, 2014 ; Béjean et Monthubert, 2015). Les nouveaux mandats d’orientation et d’insertion professionnelle imposés aux universités, associés à l’augmentation importante du nombre d’étudiants, la diversité de leur profil scolaire, l’évolution de leurs attentes, ainsi que leur rapport à la société et au savoir, ont amené plusieurs universités françaises à revoir leurs pratiques d’enseignement (Romainville, 2006). Ces universités considèrent que les enseignants ne sont pas préparés à faire face à tous ces changements, particulièrement en début de carrière, car ils tendent à être centrés sur la transmission de la discipline enseignée (Romainville et Michaud, 2012). Pour favoriser le développement de pratiques d’enseignement plus adaptées, ces universités offrent aux nouveaux venus de suivre une formation à l’enseignement. Cette dernière vise généralement le développement d’un enseignement réflexif centré sur l’apprentissage (Frenay et al., 2010). Ces formations à l’enseignement permettent-elles vraiment aux enseignants d’effectuer un tel changement de paradigme ?

2Si la France s’intéresse depuis peu au développement pédagogique des enseignants universitaires, d’autres pays offrent des formations à l’enseignement depuis déjà plusieurs décennies. Les recherches concernant les effets sur les enseignants demeurent toutefois rares, elles émergent essentiellement des pays anglo-saxons et elles portent le plus souvent sur les conceptions et les approches pédagogiques des enseignants (Trigwell, Caballero Rodriguez et Han, 2012). Les conceptions et approches sont définies comme la manière dont les enseignants comprennent et considèrent leur enseignement. Ces études, auxquelles s’ajoutent d’autres publications (Gibbs et Coffey, 2004 ; Hanbury, Prosser et Rickinson, 2008 ; Postareff, Lindblom-Ylänne et Nevgi, 2007 et 2008 ; Stes et Van Petegem, 2011) sont basées sur l’utilisation d’échelles de mesure. Elles établissent généralement un lien positif entre une formation de longue durée s’échelonnant sur une année et l’évolution des conceptions et des approches ; les enseignants passent d’une approche centrée sur la transmission de contenu à une approche plus centrée sur l’apprentissage étudiant. Par contre, le lien s’avère négatif lorsque la formation est de courte durée. On explique que l’enseignant formé sur une courte période tend à se sentir moins confiant en fin de formation qu’au début. Ce sentiment semble toutefois évoluer postérieurement à la formation.

  • 1 Ces quatre indicateurs donnent lieu à quatre hypothèses concernant les enseignants formés : 1) leu (...)
  • 2 Ce texte rend compte des premiers résultats d’une recherche canado-française financée par le Conse (...)

3Trigwell et al. (2012) s’interrogent sur les résultats de ces études qui mesurent les effets de la formation à l’enseignement en s’appuyant sur un seul type d’indicateur : les approches et les conceptions. Entreprenant une recherche s’appuyant sur quatre indicateurs1 et s’échelonnant sur dix ans, ils révèlent, entre autres, qu’après une année de formation, les enseignants formés ont reçu plus souvent que ceux sans formation un prix d’excellence en enseignement et des bourses pour développer leurs pratiques. Ces prix étant attribués à partir d’un dossier déposé par l’enseignant, nous pouvons nous demander dans quelle mesure ceux qui sont formés ne sont pas tout simplement mieux outillés pour le rédiger. Cela dit, Barbier (2000), à l’instar de Kane, Sandretto et Heath (2002), considère que les conceptions des enseignants ne permettent pas d’inférer leurs actions concrètes, car elles ne traduisent qu’une partie de la réalité. La question des effets sur le nouvel enseignant, et plus précisément sur son enseignement, demeure donc : qu’en est-il des pratiques des nouveaux venus, à la suite d’une formation de courte durée telle qu’on l’offre généralement en France2 ? Ces pratiques sont-elles davantage centrées sur l’apprentissage ? Se distinguent-elles de celles des nouveaux venus qui n’ont pas été formés ?

4Dans ce texte, sont d’abord présentés les concepts abordés ainsi que le cadre théorique constituant notre toile de fond. Sont ensuite détaillés la méthodologie et les résultats aux entretiens et aux observations effectués auprès de nouveaux enseignants formés et sans formation.

Cadre théorique

5Nous définissons, dans cette section, les concepts de formation et de pratique, pour ensuite préciser l’approche théorique à partir de laquelle est définie la centration sur l’apprentissage.

La formation

6Les intervenants des centres de développement pédagogique considèrent les programmes de formation à l’enseignement offerts aux nouveaux enseignants comme étant particulièrement importants pour faire évoluer leurs conceptions et leurs pratiques (Parmentier, 2006). Ces programmes varient toutefois d’une université à l’autre. Devant la multiplicité des approches et des pratiques, une équipe de chercheurs propose un cadre de référence permettant de conceptualiser la pratique et la recherche en développement pédagogique. La perspective retenue « se centre sur le développement des capacités d’enseignement et d’apprentissage des enseignants, vu comme un processus de développement pédagogique » (Frenay et al., 2010, p. 66). Ce cadre de référence implique que l’enseignant prenne le temps de réfléchir à son développement pédagogique et que l’université fournisse « des conditions qui leur permettent de reconnaître les besoins de leurs étudiants, d’acquérir des connaissances et des compétences en matière d’enseignement et d’apprentissage, de partager celles-ci avec leurs collègues, d’être reconnus et valorisés pour leur travail » (Frenay et al., 2010, p. 66). C’est pour ces raisons que la formation offerte aux nouveaux venus dans le cadre de cette recherche vise le développement d’un enseignement réflexif centré sur l’apprentissage.

Les pratiques

7On constate que les chercheurs s’intéressent de plus en plus au concept de pratique en éducation. Cet intérêt est, entre autres, lié à la nécessité d’améliorer la compréhension de ce qui affecte la qualité des processus d’enseignement et les résultats d’apprentissage (Lenoir, 2012). Dans la présente recherche, les pratiques d’enseignement sont définies « comme la manière de faire singulière d’une personne, sa façon réelle, propre, d’exécuter une activité professionnelle : l’enseignement (Altet, 2002, p. 86) ». D’après Biggs (1999), les pratiques devraient s’appuyer sur une planification assurant une cohérence entre des objectifs centrés sur l’apprentissage, un enseignement favorisant ce dernier et une évaluation qui prend en compte non seulement les résultats, mais aussi les processus. L’auteur nomme cette cohérence d’ensemble l’alignement pédagogique.

Des pratiques centrées sur l’apprentissage étudiant

8Il faut préciser que les pratiques centrées sur l’apprentissage sont définies ici selon l’approche cognitive (Tardif, 1997). Les cognitivistes postulent que, pour apprendre, il faut traiter activement les nouvelles informations reçues en les reliant à celles qu’on possède déjà, ce qui entraîne une modification de notre structure cognitive. Lorsque la personne traite ainsi les informations et procède à la mise en application et au transfert des apprentissages pour produire de nouvelles connaissances, elle active son système cognitif. Pour apprendre, elle doit également s’appuyer sur son système métacognitif, lequel renvoie plutôt à un processus de régulation des apprentissages. L’évaluation joue un rôle dans ce processus, en ce sens qu’elle ne sert pas qu’à mesurer les résultats de l’apprentissage. Pour ce faire, elle doit être souvent formative, être accompagnée de nombreuses rétroactions pour guider l’apprentissage et s’appuyer sur des situations concrètes reliées à l’application et au transfert des apprentissages.

9Étant donné que la recherche vise à vérifier si la formation favorise, chez les nouveaux enseignants, le développement de pratiques plus centrées sur l’apprentissage, nous retenons les objectifs suivants : 1) comparer les pratiques déclarées et observées des enseignants formés et sans formation en prenant en compte leur centration sur l’apprentissage et 2) identifier les effets possibles liés à la formation à l’enseignement.

Méthodologie

10Cette section décrit les sujets, les outils de collecte qui ont permis d’accéder au discours et aux pratiques des enseignants, le déroulement des collectes et les modalités d’analyse.

Sujets

11Cette recherche concerne 23 nouveaux enseignants-chercheurs de cinq universités françaises appartenant à des disciplines diverses et ayant tous moins de trois ans d’expérience en tant qu’enseignants-chercheurs. Parmi ces 23 participants, 8 se sont inscrits volontairement à une formation à l’enseignement dans leur université et 15 ne l’ont pas fait. Les enseignants formés et la moitié des enseignants sans formation interviennent dans le domaine des sciences et sciences de la santé alors que l’autre moitié du groupe des non formés œuvre en administration, littérature ou sciences humaines. Au cours du semestre de collecte de données, trois enseignants-chercheurs formés et neuf sans formation répondent superviser des travaux pratiques (TP) ou des travaux dirigés (TD) ; trois d’entre eux combinent ce type de cours à des séances de cours magistraux (CM). Les autres dispensent uniquement des CM.

Formation

12La formation d’une quinzaine d’heures a eu lieu au début du semestre d’automne 2014. S’appuyant sur l’approche cognitive, elle a porté sur les caractéristiques des étudiants à l’université, les processus cognitifs de l’apprentissage, leur prise en compte dans l’enseignement, les bases de la réflexion pédagogique, une planification de l’enseignement cohérente dans la perspective de l’alignement pédagogique de Biggs (1999), les choix des méthodes et des stratégies, les modalités, outils et critères d’évaluation et la rétroaction. La formation a été ponctuée de moments de réflexion sur la pratique, de nombreux exercices d’application, de mises en situation et de discussions entre les participants. Les méthodes employées étaient en cohérence avec ce qui était enseigné et elles étaient source de discussion.

Collecte et analyse de données

13Les pratiques des enseignants-chercheurs ont été observées aux deux tiers du parcours, lors d’un des deux semestres de l’année universitaire 2014-2015, à l’occasion d’une séance de cours. Cette observation a été réalisée à partir d’une grille construite dans le but d’observer le niveau de centration des enseignants sur l’apprentissage étudiant. La grille s’inspire des travaux réalisés par St-Pierre, Bédard et Lefebvre (2014) et comporte trois niveaux de centration : au premier niveau, l’enseignant demeure le principal acteur (faire lui-même le rappel des connaissances antérieures) ; au deuxième, il demande aux étudiants de participer, et au troisième, il invite les étudiants à devenir les acteurs principaux de leur formation (amener les étudiants à échanger entre eux pour activer les connaissances antérieures). Les observateurs ont été formés à l’utilisation de la grille à partir des mêmes situations d’enseignement filmées, jusqu’à ce qu’ils aient acquis une compréhension commune des objets de la grille. Les grilles ont été traitées de manière à comptabiliser les fréquences de mise en œuvre de chacun des niveaux observés, ce qui a permis d’obtenir un portrait détaillé de chacun des groupes d’enseignants.

14Tous les enseignants ont été interviewés durant la semaine de l’observation, et ce à l’aide d’un guide d’entrevue préalablement validé. Chaque intervieweur a été familiarisé avec ce mode de collecte de données et avec ce guide. Les intervieweurs qui avaient réalisé l’observation des enseignants se sont occasionnellement reportés à ce qu’ils avaient observé lorsque l’enseignant semblait rencontrer des difficultés à se remettre en contexte. Nous souhaitions que les enseignants demeurent ancrés dans le contexte du cours pour décrire leurs pratiques d’enseignement et d’évaluation. Les entrevues se sont terminées par un bilan de l’expérience d’enseignement en tant qu’enseignants-chercheurs. Le contenu de ces entrevues a été analysé selon la méthode de l’analyse de contenu en utilisant le logiciel N’Vivo (Miles et Huberman, 2003). Les données ont été catégorisées à partir des thèmes abordés au moment de l’entrevue. Le consentement des enseignants a été obtenu avant la collecte de données.

Résultats

15La section présente une synthèse du discours des enseignants sur leurs pratiques ainsi que les résultats de l’observation.

Le discours sur leurs pratiques

  • 3 Le lecteur reconnaît ici la taxonomie de Bloom (Anderson, Krathwohl et Bloom, 2001).

16Lorsqu’il est question des apprentissages visés dans leur cours, l’ensemble des professeurs, qu’ils soient formés ou non formés, souhaite le plus souvent amener les étudiants à « connaître », « comprendre » et « appliquer »3. Quelques enseignants dispensant des CM et tous les enseignants responsables de TP ou TD visent le niveau « application ». Cinq enseignants, dont trois qui enseignent des TP et des TD, visent aussi le niveau « analyse ».

17En réponse aux questions concernant la manière dont les cours sont planifiés, il semble que la planification soit proportionnellement plus souvent pensée en fonction du contenu à transmettre chez les enseignants formés (n : 7) que chez ceux sans formation (n : 10). En effet, plusieurs répondent choisir les portions de contenu puis les lectures à faire en lien avec le sujet pour planifier leurs séances de cours. Quelques enseignants formés (n : 3) et plusieurs sans formation (n : 9) répondent vouloir rendre les étudiants actifs dans le processus d’apprentissage. Parmi les enseignants qui planifient leurs cours à la fois pour transmettre du contenu et pour rendre les étudiants intellectuellement actifs, nous rencontrons deux enseignants formés et quatre sans formation. Par exemple, un enseignant explique choisir une thématique qu’il présente sous la forme d’un exposé magistral et donner la responsabilité à deux étudiants d’approfondir celle-ci dans le cadre de présentations orales. Six enseignants disent essentiellement opter pour une planification visant à rendre leurs étudiants actifs, soit un enseignant formé et cinq sans formation. Il est à noter que trois enseignants formés et deux sans formation disent enseigner en partenariat avec d’autres enseignants souvent responsables des cours et ne pas avoir la pleine liberté de choisir leur planification de cours.

18En ce qui concerne les choix des méthodes et stratégies (tableau 1), plusieurs enseignants (six formés et dix sans formation) mentionnent présenter leur contenu en interagissant plus ou moins fréquemment avec les étudiants, ce que nous nommons l’exposé interactif. Parmi eux, un enseignant formé et trois enseignants sans formation semblent avoir exclusivement recours à cette méthode. Plusieurs expliquent que l’exposé interactif est privilégié, car il constitue la meilleure manière de transmettre une matière et de faire des liens avec la pratique. Selon les enseignants des deux groupes, l’exposé interactif a aussi l’avantage « de rompre le rythme et la monotonie du magistral », « d’éveiller les étudiants », « de les faire réfléchir » et de permettre de « connaître les difficultés des étudiants ».

Tableau 1 : Méthodes et stratégies d’enseignement

Enseignants formés
n : 8
Enseignants non formés
n : 15
Enseignement interactif 6 10
Mises en application et petites activités 5 12
Travail sur les textes 1 2
Satisfait de leurs choix 6 5
Plus ou moins 2 7
Insatisfait 0 3

19Cinq enseignants formés et douze sans formation disent prévoir d’autres méthodes et stratégies pour rendre les étudiants actifs en cours : des mises en application individuelles ou en groupe, qui peuvent occuper presque l’entièreté de la séance et de petites activités, comme la réalisation d’exercices ou de schémas et la proposition d’exemples concrets en lien avec la présentation de contenu. Parmi ceux-là, trois enseignants formés et sept sans formation, qui demandent aux étudiants des mises en application plus importantes, dispensent des TP et TD. Ce qui n’empêche pas la moitié de ces derniers de reconnaître consacrer une bonne partie des séances à la transmission de connaissances. Deux enseignants formés et cinq sans formation proposent, pour leur part, de petites activités à leurs étudiants. Par exemple, ils font réaliser des tableaux de synthèse et des exercices sur la matière vue précédemment. Trois enseignants demandent à leurs étudiants d’analyser des textes en séance. Quant aux motifs justifiant les mises en application et les activités en séance, plusieurs enseignants des deux groupes disent qu’ils favorisent la mise en pratique des connaissances acquises en séances théoriques. D’autres expliquent vouloir encourager la présence au cours des étudiants, leur motivation ou leur niveau d’attention, les aider ou les amener à développer leurs qualités d’orateurs. Deux enseignants formés et trois sans formation expliquent toutefois qu’ils préféreraient donner des cours magistraux, car ils ne se sentent pas suffisamment compétents lorsque les étudiants posent des questions et interviennent, ou parce que les étudiants qui font des exposés ne transmettent pas les contenus à leur manière, ou encore parce que les étudiants ont des comportements plus difficiles à gérer lorsqu’ils sont actifs.

20Il apparaît que les enseignants formés sont plus souvent satisfaits de leurs choix pédagogiques que les non formés, bien qu’on n’observe pas de différences notables quant à leurs pratiques. Quant aux enseignants sans formation, ils sont cinq sur quinze à se dire satisfaits, sept, plus ou moins satisfaits, et trois, insatisfaits. Ceux qui sont plus ou moins satisfaits se voient sur la bonne voie, mais désirent encore améliorer leurs méthodes, alors que les insatisfaits souhaitent tous revoir leurs méthodes et stratégies. Certains disent toutefois ne pas trop savoir enseigner ou être contraints d’emprunter les méthodes que leur département ou que l’enseignant responsable impose.

21En ce qui concerne l’évaluation des apprentissages, les enseignants répondent, en grande majorité, vouloir vérifier si les étudiants ont mémorisé les notions, les comprennent et peuvent les appliquer. Ce qui correspond aux visées des cours. Seulement deux enseignants formés et trois non formés mentionnent vouloir aussi évaluer la capacité d’analyse des étudiants. Deux enseignants, qui souhaitaient que leurs étudiants atteignent le niveau « analyse » dans leurs cours, le mentionnent ici.

22Pour évaluer leurs étudiants de manière certificative, dix-huit enseignants sur vingt-trois utilisent l’examen (six formés et douze sans formation) et parmi ces dix-huit, cinq (un formé et quatre non formés) y ont recours de manière exclusive. Neuf enseignants (trois formés et six sans formation) combinent l’examen à l’évaluation de travaux écrits (travail de recherche, synthèse, devoir), de travaux pratiques ou de présentations orales, alors que quatre ne proposent pas d’examen et recourent uniquement aux autres modalités d’évaluation. Un enseignant formé et un sans formation accordent également des points pour la participation au cours.

23Quatre enseignants (un formé et trois sans formation) proposent des rétroactions écrites ou orales individuelles. Cinq enseignants, dont deux formés et trois sans formation, fournissent des rétroactions orales aux équipes. Onze enseignants sur vingt-trois, c’est-à-dire près de la moitié, ne donnent toutefois aucune rétroaction aux étudiants, à moins que ces derniers n’en fassent la demande.

Les pratiques observées

24Nous remarquons, d’entrée de jeu, qu’il y a un faible écart entre les méthodes et stratégies déclarées et celles observées (tableau 2). Ainsi, seulement quelques enseignants ont adopté une approche magistrale durant la séance observée, bien qu’ils aient tous déclaré en entrevue donner un exposé interactif. L’exposé magistral désigne ici un exposé sans aucune interaction avec les étudiants. L’enseignant parle, les étudiants écoutent. Trois enseignants (Interactif – ) ont interagi, mais seulement à deux ou trois reprises. Plusieurs ont été très interactifs (Interactifs +) ou ont animé des TD et TP. Les TP et TD prennent souvent la forme d’ateliers, de travaux collaboratifs ou de projets à réaliser. Nous avons toutefois observé que trois enseignants formés et cinq sans formation dictaient souvent leur contenu de cours à partir de leurs notes manuscrites ou d’un diaporama.

Tableau 2 : Méthodes et stratégies observées

Enseignants formés
n : 8
Enseignants non formés
n : 15
Exposé magistral 1 3
Exposé interactif – 2 1
Exposé interactif + 2 3
TP 1 5
TD 2 3

25Nous notons qu’en début de séance, la grande majorité des enseignants formés et sans formation qui rendent les étudiants actifs prennent parfois ou souvent la parole pour que ces derniers se rappellent ce qu’ils ont déjà « appris » sur le sujet (les enseignants énumèrent, par exemple, les notions vues auparavant), alors que seulement le tiers d’entre eux amène les étudiants à faire eux-mêmes l’exercice de rappel ou à échanger entre eux pour activer leurs connaissances antérieures.

  • 4 Nous avons mis entre guillemets des extraits des items à cocher dans la grille d’observation.
  • 5 Une activité est définie comme un moment circonscrit où l’enseignant met en action les étudiants.

26La fréquence et les types de questions posées et d’activités proposées par les enseignants en cours sont diversifiés (tableau 3). Ainsi, environ deux tiers des formés et des non formés posent parfois ou souvent « des questions amenant les étudiants à réaliser des opérations peu complexes comme se rappeler, énumérer, identifier, préciser, etc. »4 ou qui proposent des activités peu complexes5. Nous observons la même chose pour les enseignants formés et non formés qui, dans la même proportion, posent des questions ou proposent des activités « amenant les étudiants à réaliser des opérations plus complexes comme comparer, expliquer, confronter, analyser, faire une synthèse, évaluer, modéliser, créer, etc. ». À deux occasions, cette logique ne tient pas. Ainsi, les deux tiers des enseignants sans formation ne proposent jamais d’activités invitant les étudiants à réaliser des opérations peu complexes et un seul en propose souvent. Nous rencontrons la même exception pour les enseignants formés à l’égard des activités complexes.

Tableau 3 : Types de questions et d’activités proposées

Questions peu complexes Activités peu complexes Questions complexes Activités complexes
Fréquence Formés Non formés Formés Non formés Formés Non formés Formés Non formés
Jamais 3 4 3 10 3 5 4 6
Parfois 3 7 1 4 2 6 3 5
Souvent 2 4 4 1 3 4 1 4

27Les observations en séance montrent que quelques enseignants pratiquent l’évaluation formative. C’est le cas de la moitié des enseignants formés et du tiers des enseignants non formés, qui « identifient les points que les étudiants doivent améliorer », ou qui « proposent des moyens précis pour que les étudiants puissent apporter des améliorations », à la suite d’exercices réalisés en séance ou d’un petit « quiz ».

28En fin de séance, nous observons que la moitié des enseignants formés et non formés amène parfois ou souvent les étudiants « à résumer eux-mêmes les idées, notions ou concepts essentiels vus en séance » alors que l’autre moitié l’assume elle-même. Pour l’organisation des connaissances, les enseignants formés et sans formation engagent davantage leurs étudiants, car les trois quarts font « participer un ou quelques étudiants ou l’ensemble des étudiants à la structuration et à l’organisation des connaissances », en demandant par exemple de faire un réseau de concepts.

29Pour favoriser l’application et le transfert des connaissances, la moitié des enseignants demande parfois ou souvent aux étudiants de faire des « liens entre les nouvelles connaissances et un contexte simple d’application en leur demandant des exemples, analogies ou anecdotes ».

Le bilan d’expérience

30La moitié des enseignants formés font un bilan positif de leur expérience à l’université, alors que l’autre moitié en fait un bilan mitigé. Aucun enseignant formé ne réalise de bilan négatif. Les enseignants sans formation se répartissent quant à eux en trois groupes presque équivalents. Ceux qui font un bilan positif disent avoir le sentiment d’avoir amélioré leur enseignement et grandi d’un point de vue professionnel ou relationnel. D’autres disent apprécier la dynamique du cours et les interactions avec les étudiants. La majorité qui fait un bilan mitigé dit aimer enseigner et apprécier les relations avec les étudiants, mais rencontre des difficultés de différentes natures. Par exemple, un enseignant formé dit : « J’adore travailler avec les étudiants, mais c’est frustrant de devoir motiver ceux qui n’en ont rien à faire ou qui veulent tout avoir sur un plateau ». Parmi les cinq insatisfaits, quatre aimeraient avoir plus d’interactions avec les étudiants et que ces derniers posent plus de questions, alors que trois souhaitent améliorer leurs dispositifs d’enseignement.

Discussion sur les effets de la formation

31Deux questions se posaient au départ et nous allons maintenant tenter d’y répondre.

Des pratiques semblables

32À court terme, il semble que les pratiques déclarées et observées des enseignants formés et sans formation ne se distinguent pas. Le seul écart se situe au niveau de la satisfaction à l’égard du choix des méthodes et stratégies et du bilan d’expérience.

33Ainsi, les enseignants formés répondent plus souvent que les enseignants sans formation faire la planification de leur cours en prenant en compte le contenu à traiter et les lectures à faire réaliser par les étudiants. Proportionnellement, les enseignants non formés sont plus nombreux à planifier leur cours de manière à rendre leurs étudiants intellectuellement actifs. Nous remarquons que les enseignants formés et sans formation qui planifient leur cours pour rendre leurs étudiants intellectuellement actifs sont majoritairement des enseignants dispensant des TP ou TD. Est-ce donc davantage le type de cours que la formation qui a influencé le choix des formés ? Il faut noter ici que tous les enseignants ont connu un moment de silence avant de répondre à la question. Ils ne savaient pas quoi répondre. Les enseignants formés avaient pourtant été invités à rédiger des objectifs d’apprentissage, à revoir leurs méthodes et stratégies et à planifier des activités pour rendre les étudiants intellectuellement actifs. Les enseignants ne paraissent pas avoir retenu cette approche quelques semaines après la formation.

34Les enseignants peinent aussi à expliquer leurs choix de méthodes et de stratégies. Les enseignants formés et sans formation répondent « pratiquer » majoritairement l’enseignement interactif. Des mises en application occupant un espace temps important sont prévues dans les TP et TD. Des activités de courte durée sont offertes par le tiers des enseignants. Quant aux motifs justifiant leurs choix, ils sont semblables chez les deux groupes d’enseignants. Il semble bien que les deux groupes entendent les mêmes discours concernant l’importance de mettre en action leurs étudiants. À savoir s’ils sont satisfaits de leurs choix, six des huit enseignants formés déclarent l’être, alors que le tiers de ceux sans formation répond en être satisfait. Peut-être que la formation leur a donné des indications sur l’utilisation de méthodes et de stratégies et qu’ils sont davantage en mesure d’en estimer la valeur, alors que les non formés demeurent hésitants devant leurs choix. Quatre enseignants sans formation disent d’ailleurs qu’ils sont plus ou moins insatisfaits ou insatisfaits, tout en reconnaissant manquer d’habiletés et de connaissances.

35La majorité des enseignants dit évaluer des apprentissages de niveau connaissance, compréhension et application. On ne renvoie jamais à l’atteinte de compétences. Les formés comme les non formés utilisent dans des proportions semblables les mêmes modalités, sauf pour les travaux d’application. L’usage de l’examen demeure important. On relève par ailleurs une diversité d’autres modalités qui peuvent permettre de mesurer le processus et le produit de l’apprentissage. Les enseignants formés n’évoquent cependant pas les principes d’alignement pédagogique vus au moment de la formation pour expliquer leurs pratiques d’évaluation, pas plus ici que pour leurs choix de méthodes et de stratégies.

36En ce qui concerne les rétroactions à la suite d’une épreuve certificative, une moitié des enseignants formés et sans formation ne fournit de rétroaction que si l’étudiant lui demande. Pourtant la rétroaction a été qualifiée par les formateurs, au moment de la formation, comme essentielle à l’apprentissage étudiant. Il semble ici que la moitié des enseignants formés n’ait pas retenu cette pratique.

37Le bilan d’expérience des enseignants est partagé. Les non formés sont les seuls à exprimer un bilan négatif de leur expérience. Il semble ici que les enseignants non formés perçoivent davantage de difficultés que les formés.

38Les enseignants répondent-ils en s’appuyant sur la formation reçue ? Un seul mentionne clairement la formation suivie. Il note qu’un collègue et lui-même ont suivi cette formation et qu’ils se préparent ensemble à donner leurs cours. Un autre ne nomme pas explicitement la formation, mais note qu’on lui a dit que l’interaction est une bonne stratégie.

39Si la formation courte qu’on offre généralement aux nouveaux enseignants ne semble pas avoir eu d’effet différencié au niveau des pratiques à court terme, elle n’a pas davantage marqué la logique d’action des enseignants formés, car ils ne s’y rapportent pratiquement pas pour expliquer ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Par contre, elle fournirait un certain sentiment de confiance en soi chez les enseignants formés, qui se disent plus souvent satisfaits de leur choix et s’expriment plus positivement quant à leur bilan d’expérience.

Le niveau de centration sur les apprentissages

40Force est de constater que les pratiques déclarées et observées dépassent généralement la simple transmission de contenu, bien que nous voyons encore quatre enseignants dicter leurs notes. Dans ce sens, un changement de paradigme semble s’être amorcé dans les universités participantes. Ainsi, la plupart des enseignants pratiquent l’exposé interactif et mettent les étudiants en action lors des TD et TP. Toutefois, ce changement demeure le plus souvent au premier niveau de centration sur l’apprentissage, si nous considérons les pratiques observées. Par exemple, l’ensemble des enseignants assume le rappel des connaissances et la moitié se charge de résumer ce qui a été vu en séance. De plus, seulement la moitié des enseignants formés et le tiers sans formation pratique l’évaluation formative pour soutenir l’apprentissage. Il faut également remarquer qu’une minorité d’enseignants pose souvent des questions ou propose souvent des activités en cours. Au deuxième niveau, les trois quarts font participer les étudiants à l’organisation des connaissances et leur demandent de faire des liens entre les nouvelles connaissances et un contexte simple d’application.

Conclusion

41À court terme, il apparaît donc que la formation offerte n’a pas eu d’effets marqués sur les pratiques des enseignants formés, lorsqu’on compare celles-ci aux pratiques des enseignants sans formation. Par contre, le niveau de confiance en soi des premiers semble plus élevé. Nous avons fait ce même constat auprès des enseignants canadiens formés (Ménard, 2015). Dans le contexte étudié, cela entre en contradiction avec les résultats de recherche cités en introduction voulant qu’une formation courte ait pour conséquence de réduire le sentiment de confiance des nouveaux enseignants. Il faut mentionner que ce constat est fait à partir des entrevues et non pas à partir d’instruments de mesure des perceptions des enseignants. La formation aurait donc, dans le temps court de notre observation, un effet positif sur les « perceptions », mais pas d’effet sur les pratiques.

42Cette recherche met également en exergue le fait que les nouveaux enseignants-chercheurs s’intéressent à l’apprentissage étudiant. Cette donnée est une surprise pour nous, car on pense généralement que les enseignants sont uniquement centrés sur la transmission de leur discipline. L’hypothèse peut être faite qu’ils ont conscience de l’importance de s’intéresser à l’apprentissage étudiant, mais qu’ils ne savent pas vraiment comment l’intégrer à leurs pratiques.

43Si nous reprenons le but de la formation, qui est aussi de favoriser le développement d’une réflexion sur la pratique (Frenay et al., 2010), l’analyse des entrevues ne met pas en relief le fait que les enseignants formés ont une réflexion sur leurs pratiques plus développée que celle des enseignants sans formation. L’entretien a toutefois semblé jouer un rôle pour déclencher cette réflexion, sans pour autant amener les enseignants formés à l’approfondir en se référant à leur formation : « Je ne m’étais pas posé cette question » ; « Je n’ai jamais pensé à ça ». Ceux qui ont semblé réfléchir davantage à leur pratique et être à la recherche de nouvelles façons de faire sont deux enseignants non formés. Un de ceux-là a affirmé : « Je suis nouveau à l’université et je suis en train de m’ajuster, de m’adapter » et il a ajouté avoir plusieurs projets pour améliorer son cours.

44Faut-il pour autant conclure que la formation à l’enseignement d’une durée de quinze heures n’a pas d’effet sur les pratiques ? Cette formation à l’enseignement a peut-être des effets, mais à plus long terme, lorsque les enseignants maîtrisent mieux leur contenu, qu’ils acquièrent un peu d’expérience et que leur posture d’enseignant est en voie d’affirmation (Lameul, 2008). Ou alors, faut-il repenser la formation ? Il est évident que les enseignants formés n’ont pas intégré le processus de planification de cours. Ils ne définissent pas d’objectifs d’apprentissage et, de ce fait, leurs choix de stratégies, de méthodes et de moyens d’évaluation ne s’arriment pas clairement à ces objectifs. Ils ne semblent pas davantage se poser de questions sur leurs pratiques ou chercher de solutions à leurs difficultés. Faudrait-il davantage mettre l’accent sur la pratique réflexive et s’y exercer au cours de la formation ? C’est peut-être le seul moyen d’assurer un développement professionnel continu chez les enseignants. Faire réfléchir demande toutefois du temps et il n’est pas certain que la formation courte le permette.

45Il faut peut-être aussi considérer l’accompagnement pédagogique pour que les enseignants intègrent de manière efficace ce qu’ils ont appris lors de la formation et s’engagent dans une pratique réflexive. Notre recherche longitudinale d’une durée de trois ans permettra d’observer et d’interviewer les mêmes enseignants alors que certains seront accompagnés par des conseillers pédagogiques en université et d’autres pas et, par conséquent, pourra fournir des réponses plus précises à un certain nombre de questions.

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Notes

1 Ces quatre indicateurs donnent lieu à quatre hypothèses concernant les enseignants formés : 1) leur taux de succès est plus élevé aux concours décernant un prix d’excellence en enseignement ; 2) leur taux d’obtention de bourses pour explorer différentes dimensions de leur enseignement est plus élevé ; 3) leurs étudiants ont un niveau de satisfaction à l’égard de la qualité de leurs cours plus élevé après la formation qu’avant la formation ; 4) les étudiants répondent vivre une expérience d’apprentissage de plus grande qualité dans les facultés où davantage d’enseignants ont été formés.

2 Ce texte rend compte des premiers résultats d’une recherche canado-française financée par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) : « Effets de la formation et de l’accompagnement pédagogiques sur les pratiques des nouveaux enseignants d’université et leurs étudiants ». Elle regroupe la chercheuse principale, Louise Ménard, les cochercheurs et collaborateurs Denis Bédard, Christian Hoffmann, Diane Leduc, Geneviève Lameul, Christian Bégin et France Gravelle.

3 Le lecteur reconnaît ici la taxonomie de Bloom (Anderson, Krathwohl et Bloom, 2001).

4 Nous avons mis entre guillemets des extraits des items à cocher dans la grille d’observation.

5 Une activité est définie comme un moment circonscrit où l’enseignant met en action les étudiants.

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Pour citer cet article

Référence papier

Louise Ménard, Christian Hoffmann et Geneviève Lameul, « Effets de la formation à l’enseignement sur les pratiques des nouveaux enseignants-chercheurs »Recherche et formation, 84 | 2017, 125-140.

Référence électronique

Louise Ménard, Christian Hoffmann et Geneviève Lameul, « Effets de la formation à l’enseignement sur les pratiques des nouveaux enseignants-chercheurs »Recherche et formation [En ligne], 84 | 2017, mis en ligne le 30 avril 2020, consulté le 20 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/2771 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheformation.2771

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Auteurs

Louise Ménard

Université du Québec à Montréal – menard.louise@uqam.ca

Christian Hoffmann

Université Grenoble-Alpes, CNRS, Grenoble INP, Institut Néel ; université Lumière-Lyon 2, Éducation, Cultures, Politiques (EA 4571) – christian.hoffmann@neel.cnrs.fr

Articles du même auteur

Geneviève Lameul

Université Rennes 2 – genevieve.lameul@uhb.fr

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