1Nombre de reconversions professionnelles sont involontaires parce qu’imposées par l’évolution des conditions économiques et des structures d’emploi. Elles sont subies lorsqu’elles succèdent à un licenciement économique ou à un plan social et que les salariés ne trouvent pas d’emploi similaire. Malgré les délais légaux d’informations des salariés, la perte d’emploi apparaît brutale et non anticipée pour nombre de salariés qui ont une ancienneté professionnelle (au-delà d’une dizaine d’années). Dans de telles conditions, la préparation à la rupture est faible et les incertitudes sont importantes.

2Cependant, les reconversions professionnelles peuvent être volontaires (Négroni, 2007). Dans ce cas, elles ne s’appréhendent pas comme un phénomène de mobilité dont il faudrait démonter les mécanismes. En effet, ni la mesure des flux de population au sein de la structure sociale, ni celle de la mobilité nette ou structurelle ou de la contre-mobilité (Gollac et Laulhé, 1987) ne permettent de comprendre les reconversions professionnelles volontaires. Or, le souhait de changer volontairement d’activité professionnelle pour se tourner vers un autre emploi a pris une place notable dans l’espace social dès les années 2000. Émergeant pourtant dans un contexte économique de chômage structurel, les reconversions volontaires répondent à une forte demande d’épanouissement au travail, à des aspirations fortes comme celle de rencontrer sa vocation au sens de Schlanger (1997), c’est-à-dire de trouver « le métier pour lequel je suis fait ». Elles ne s’apparentent pas à des sorties de la société salariale ou du secteur de production comme on a pu l’observer dans les années 1970 à travers des mouvements alternatifs ; au contraire, elles sont caractérisées par le choix de réorienter sa trajectoire professionnelle, de se former pour exercer dans un autre secteur d’emploi ou acquérir des compétences nouvelles pour s’orienter vers un autre métier.

3Dans les deux cas, qu’il s’agisse de reconversions subies ou de reconversions professionnelles volontaires, c’est un événement qui ouvre sur une « bifurcation » dans le parcours biographique et professionnel (Bessin, Bidart et Grossetti, 2010 ; Négroni, 2007 ; Denave, 2015).

4Dans cet article autour du mot de reconversion, nous proposons tout d’abord une genèse de la notion dans le domaine professionnel. Ensuite, nous analysons les liens étroits qui se sont noués entre la formation et la reconversion. La formation apparaît comme une des principales conditions de possibilité d’une reconversion, que celle-ci soit imposée ou volontaire. Dans les deux cas, la reconversion, parce qu’elle est un passage d’un emploi à un autre, pose la question de la « conversion subjective », c’est-à-dire la question du rapport entre le présent du changement de métier et l’expérience passée.

1. Genèse de la notion de reconversion

5La reconversion est l’action ou le fait de reconvertir, ce verbe étant composé du préfixe itératif re–, à nouveau, et de convertir, issu du latin convertere, tourner complètement, changer complètement, faire passer (d’un état dans un autre), convertir, c’est-à-dire adapter quelque chose ou former quelqu’un afin qu’il puisse répondre à des demandes ou attentes différentes. Elle peut s’appliquer à une entreprise, une industrie, une production, une installation technique, une région, une ville, ou à une personne. Dans le domaine religieux, la conversion signifie « renaissance et retour à soi » et exprime l’idée d’un nouveau départ par émergence d’une identité latente prête à être révélée.

7La reconversion professionnelle volontaire va rencontrer dès 2000 le courant de la formation tout au long de la vie, et de même la forte incitation à la mobilité professionnelle de la part des pouvoirs publics. Cependant, la possibilité offerte de se réorienter vers un tout autre domaine professionnel ne semble pas toujours réelle. En effet, la logique adéquationniste semble refaire surface de manière récurrente : offre d’emploi et formation doivent coïncider. Ce qui amène Claude Dubar à s’interroger dès 2003 sur le rôle de la formation continue en tant qu’ascenseur social.

2. Reconversion professionnelle et formation

8Dès les grands plans pour l’emploi et les restructurations dans les années 1970, la formation est apparue au centre de débats. Par principe, elle est l’outil par excellence de la reconversion professionnelle et de la « requalification » pour des salariés qui, plus ou moins spécialisés dans un domaine, souhaitent accéder à un autre métier. La formation apparaît comme l’un des principaux moyens, sinon l’unique, de « transformation », pouvant permettre éventuellement une bifurcation. Toutefois, de nombreuses difficultés sont apparues lors de la mise en place de ce principe de formation pour tous. Nous proposons ici de relater une expérience de reconversion originale qui interroge et fonde à la fois la place de la formation dans les réorientations professionnelles, qu’elles soient subies ou choisies.

9Dans ses travaux, Lucie Tanguy rend compte des reconversions minières en Lorraine à l’occasion de la fermeture des mines de fer. Son propos vise à montrer qu’à l’inverse de la mémoire commune diffusée, « la formation n’a pas été́, comme on la présente généralement, un bien universel désiré par tous, et en premier lieu par les mineurs privés d’emploi, mais un ensemble d’actions que certaines catégories ont promu à des fins de changement (allant d’une société́ plus égalitaire à une économie plus performante) et dont la mise en place a été longuement négociée au terme d’ajustements et de conversions de points de vue » (Tanguy, 1999, p. 43).

11D’emblée, l’entreprise de reclassement s’avère paradoxale. En effet, pour une partie des organisateurs, il s’agit de reconvertir cette population attachée à son métier. La tâche se révélera complexe et génératrice de conflits. Tanguy rapporte que le mot de reconversion lui-même est proscrit des échanges. On ne parle pas de reconversion, mais de formation. On peut penser que le mot reconversion renvoie à la dimension de refaire, de recommencer et qu’en ce sens il produit de l’inquiétude et est source d’angoisse pour les ouvriers des mines de Lorraine de Briey, site du lieu d’extraction où se tiendra l’expérience.

14Ce qu’il convient de retenir de cette expérience, c’est le traitement des personnes dans cette situation de réorientation professionnelle. Comme nous l’avons vu, cet exemple emblématique des reconversions industrielles se caractérise par une gestion des personnes qui prend en considération la globalité de leurs appartenances et ne les ramène pas uniquement à un rôle ou un statut, celui de mineurs et de mineurs désormais privés d’emploi et enfermés dans une compétence de métier qui n’est plus reconnue et qui n’existe plus. Il en ressort deux éléments fondamentaux dans les reconversions professionnelles : la prise en compte des personnes dans la totalité de leur parcours d’une part, et, d’autre part la dimension de choix dans la réorientation professionnelle. Les offres de formations faites aux mineurs introduisent une vision de la formation qui sort du cadre circonscrit d’un métier, ouvrant par là la possibilité d’un choix dans la reconversion, annonçant les reconversions qui seront dites « choisies » ou volontaires et émergeront dans l’espace social plus tardivement.

16On peut noter cependant que les politiques du « tout formation » ont rapidement connu des limites (bases scolaires insuffisantes, orientation rapide et massive, éloignement durable du marché du travail). Les évaluations ont mis en évidence le peu d’effets des programmes de formation longs dans le traitement des conséquences des restructurations (Evans-Plock et al., 1999) et ont souligné l’efficacité des programmes courts correspondant davantage aux acquis professionnels, mais offrant moins de possibilités de requalification. En fait, la formation apparaissait plutôt instrumentalisée au service du « traitement social du chômage ». À partir des années 1980, les « aides à l’emploi » et les formations courtes ont pris une part plus importante, avec le risque d’affaiblir les possibilités réelles d’accès aux formations longues et qualifiantes, et donc de changer de métier en cours de trajectoire.

17Dans des contextes tendus, la formation représente l’outil susceptible d’emporter le consensus des acteurs (directions d’entreprise, collectivités territoriales et représentants de salariés). Au cours de nos enquêtes (Mazade, 2010), dans les diverses réunions des parties prenantes autour de la gestion des reclassements (directions du travail, cabinets de consultants, collectivités territoriales), nous avons pu relever à quel point, faute de solutions d’insertion suffisantes et de garantie de résultats dans les actions des cellules de reclassement, la formation est vue comme une « solution » capable d’emporter l’adhésion de toutes les parties prenantes. « La malédiction du “Y a qu’à former” » (Allek, 2014, p. 31) sévit dans ce cas : la formation se substitue à tous les efforts fastidieux de la connaissance des parcours des personnes concernées, du repérage des compétences acquises, de la recherche de solutions individualisées, de la construction d’un projet et de la connaissance des réalités du marché du travail. Comme l’ont montré des travaux d’économistes, la formation est vue pour sa fonction occupationnelle, son rôle « redynamisant », sa probabilité de rencontre et d’ouverture de réseaux, et pas seulement pour ses aspects d’apprentissage en vue d’atteindre un métier (Stankiewicz, Foudi et Trelcat, 1996).

18Compte tenu de leur coût, mais également de leur probabilité de succès dans les processus de reclassement et de reconversion, les formations longues ne sont possibles que dans la mesure où elles représentent un « sens » pour les personnes concernées. Or ce travail est exigeant : il suppose de connaître leur parcours, de construire un projet et de les accompagner. Ce sont des pratiques plus « compréhensives », c’est-à-dire plus centrées sur les parcours, la connaissance des acquis, des organisations et des milieux de travail : elles reposent dès le départ sur une identification progressive au futur métier. De telles méthodes sont souvent difficiles à mettre en œuvre par les cabinets de reclassement et les plans de sauvetage de l’emploi (PSE), compte tenu du coût en investissement financier et humain.

19Dans le cadre de l’enquête sur les anciens salariés de l’usine Metaleurop (Mazade, 2010), les reconversions d’anciens fondeurs dans le métier d’aide-soignant ont demandé six mois de préparation au concours, des évaluations en milieu de travail (aujourd’hui période de mise en situation en milieu professionnel, PMSMP) et un an de formation. Au lieu d’une gestion quantitative, un travail sur l’identification au futur métier a été initié, en particulier un travail sur l’un de ses aspects, « l’aide à la personne », de façon à engendrer un processus de construction identitaire avant même l’entrée en formation : est-ce que « l’aide à la personne » est une catégorie attractive pour l’individu en reclassement ? Qu’est-ce que cela signifie pour lui ? Est-ce qu’il se projette dans ce métier compte tenu de toutes ses exigences et ses difficultés ? Certes, l’entrée en formation a été moins massive et plus sélective, mais les chances de succès d’une requalification ont été plus fortes. En effet, les visites et les évaluations en milieu de travail, les entretiens avec le personnel accompagnant ont conduit certaines personnes à changer d’orientation et donc à ne pas envisager ce parcours de reconversion. Mais pour celles qui ont passé « avec succès » ce processus sélectif, la chance de réaliser une reconversion a été plus forte.

20Malgré les différences entre les métiers, il existe toujours des éléments de continuité professionnelle à partir desquels il est possible de projeter des compétences. Dans l’exemple choisi, bien que les emplois de fondeurs de plomb et de zinc en usine et d’aide-soignant en milieu hospitalier soient éloignés, il a été possible d’établir une continuité à travers le « travail d’équipe ». Dans cette situation où aucun savoir technique ou savoir-faire n’est a priori « transférable », le « travail d’équipe » apparaît comme une passerelle entre les deux métiers. Dans les deux cas, l’organisation du travail repose sur une équipe polyvalente et relativement autonome. Il ne s’agit pas seulement de « rassurer » les personnes ou de les « illusionner » avec des « savoirs transférables » mais de leur permettre de se projeter et de pouvoir s’identifier à un emploi qu’elles exerceront une ou deux années plus tard.

3. Choisir de changer de métier, la reconversion professionnelle volontaire

22La reconversion professionnelle volontaire amène à considérer les différents moments qui constituent le parcours d’un individu. Elle offre la possibilité de mesurer tous les changements de position sociale à travers la biographie d’un individu et d’observer les positions qu’il a occupées au cours de sa vie en tant qu’actif et non-actif. Sont considérés les statuts d’actifs en emploi, actifs en formation, de chômeurs, de chômeurs en chômage partiel, d’intérimaires, mais aussi les temps d’activité, d’inactivité et les temps périphériques menés en parallèle de l’emploi. La reconversion professionnelle volontaire à travers la notion de parcours rassemble et fédère des expériences différentes vécues dans la vie professionnelle, mais aussi para-professionnelle, que ce soit dans les sphères familiales ou personnelles, et agrège des différences dans les parcours professionnels et de formation. C’est en ce sens que Bénédicte Zimmermann (2011) définit le parcours comme un « concept trait d’union ». « La tâche de la sociologie serait de rendre compte des liens ambivalents entre cette situation globale et l’injonction à devenir un individu. Cependant, un rôle majeur et inouï est dorénavant octroyé à l’individu lui–même » (Martuccelli, 2002, p. 30). La reconversion professionnelle volontaire s’avère être un objet privilégié pour l’étude de l’individu en action par le chercheur, mais également par l’acteur lui-même. La reconversion professionnelle volontaire s’avère être plus qu’une réorientation professionnelle : les personnes en reconversion s’engagent dans une analyse de leur biographie, ils sont totalement acteurs de la démarche entreprise, cette posture d’acteur réflexif s’apparentant à l’approche tourainienne (Touraine, 1984). Au-delà des déterminismes, l’individu est totalement l’initiateur de la démarche de reconversion : l’individu est acteur. Il apparaît que le processus de reconversion professionnelle volontaire est un processus de décision.

23La reconversion professionnelle volontaire ouvre sur l’expérience nouvelle d’« être soi », c’est une tentative d’atteindre ce que les personnes en reconversion appellent « la vocation de soi », mais tout au long de la démarche, la personne agit dans un contexte d’action contraint, celui de l’espace social qui est le sien, aux prises avec des espaces de tension tant sur le plan professionnel que personnel. Aussi, il convient de s’attarder sur trois éléments propres à la sphère professionnelle intrinsèques à la situation de travail, prépondérants dans la décision d’engager une reconversion : la satisfaction au travail, l’ambiance et le sens attribué à son travail.

25L’absence de reconnaissance professionnelle est en effet un facteur qui peut entraîner une reconversion. Certains interviewés rendent compte du fait que des conditions de travail difficiles peuvent être supportées, si l’ambiance de travail est bonne. Parfois, il suffit que l’arrivée d’un encadrant change l’organisation du travail sans prendre en compte le facteur humain, et l’atmosphère au travail devient pesante et délétère. Ce qui revient très souvent dans les verbatim, c’est l’absence de reconnaissance. Le manque de reconnaissance au travail a des incidences fortes sur l’image de soi et parfois même sur la santé mentale comme l’a montré Axel Honneth (1992/2000). Certains reconvertis ont changé d’emploi, après avoir parfois enduré, durant de nombreuses années, des situations de souffrance. Marie-France Hirigoyen (1998) fait état du harcèlement moral qui sévit à l’intérieur des organisations de travail, lorsque, notamment, la logique programmatique prépondérante tend à déshumaniser le travail. Pour Christophe Dejours (1998), l’absence de solidarité au travail et des collectifs de travail défaillants amènent désengagement et désir de reconversion.

26Se reconvertir pour donner un sens à sa vie : la question du sens est aussi très présente dans les discours des individus en situation de reconversion. On attend du travail qu’il fasse écho à ses valeurs, à un certain sens éthique. La question du sens et de la signification subjective semble être au centre des préoccupations des personnes qui engagent une reconversion et une formation pour changer de métier, quel que soit leur secteur d’activité ou leur statut d’emploi. Par la reconversion professionnelle, la personne se place dans une nouvelle trajectoire professionnelle, elle donne aussi dans cette quête de sens une nouvelle inflexion à son parcours biographique. Notons que si un projet n’est pas encore construit à l’entrée en formation, il doit devenir le choix de l’individu : c’est à ce titre que ce dernier pourra en tirer profit pour son parcours professionnel, mais aussi dans la construction de son identité et d’une conversion.

4. Reconversion professionnelle et conversion subjective

28Dans son étude pionnière menée dans les années 1960 sur la reconversion des ouvriers d’une chapellerie, Serge Moscovici avait perçu cette réalité du décalage entre l’inscription dans un nouvel environnement et le degré d’adhésion. Il évoquait le risque de déclassement professionnel :

… l’ouvrier estimant que son travail actuel exige moins d’habilité que son travail antérieur […] exprime une insatisfaction, un sentiment de dépréciation. Et même s’il fait ses huit heures comme tous ses camarades, il ne « colle » pas à son état actuel. Il estime qu’il n’a pas de métier. (Moscovici, 1961, p. 210)

29Il s’agit du problème central du passage d’un univers professionnel à un autre qui présente le risque d’une régression professionnelle et d’une absence d’adhésion au nouveau contexte.

30Sur la base de ces travaux, Olivier Mazade (2004) distingue deux temporalités à la suite d’une perte d’emploi : la première est celle des apprentissages professionnels pour s’adapter à un nouvel emploi (formation, accompagnement, intégration dans les collectifs de travail) ; la seconde est le temps de la conversion subjective, c’est-à-dire du deuil des anciennes conditions de travail et de vie, et d’une reconstruction d’une identité professionnelle. Ces deux temporalités sont liées, mais elles sont distinctes, donnant lieu à des configurations identitaires qui vont de la « conversion subjective » à l’« accommodation » (une intégration réussie sans véritable adhésion au nouvel emploi).

31Cette distinction explique pourquoi la notion de reconversion ne se fonde pas uniquement sur les différences réelles entre le métier d’origine et celui exercé. Encore faut-il que la personne se définisse comme telle, c’est-à-dire considère son nouvel emploi comme un espace d’identification, sinon ce sont les sentiments de déclassement professionnels qui prédominent.

32Dans certains cas, il est possible que les individus définissent leur situation comme une « reconversion » alors même qu’ils ont trouvé un emploi dans leur spécialité professionnelle. Par exemple, des anciens salariés en maintenance de l’usine ont retrouvé un emploi similaire dans d’autres entreprises. Cependant, les organisations du travail, les relations professionnelles, le management sont tellement différents qu’ils ont le sentiment de vivre un changement radical et une reconversion professionnelle. Ils s’identifient à leurs nouvelles missions et n’expriment aucun regret. Les compétences et les savoirs mobilisés comptent moins que les conditions générales de leur effectuation qui déterminent le « sens » de leur travail. Pendant la transition professionnelle, ils ont suivi des formations qui n’ont pas été « requalifiantes », mais de perfectionnement ou de remise à niveau. Ces cas sont à distinguer de ceux d’ouvriers devenus aides-soignants, qui ont changé de métier après des formations longues.

33Dans les deux cas, il s’agit de reconversions subies de personnes qui n’auraient pas quitté leur usine si elle n’avait pas fermé brutalement. Cependant, au terme du processus de reconversion, tout en valorisant leur activité professionnelle présente, elles tendent à critiquer leurs anciennes conditions de travail.

34La reconversion s’observe également à travers « les ruptures d’allégeance au passé » (Strauss, 1992), car la représentation qu’elles donnent de leur ancienne situation est ponctuée d’éléments négatifs qu’elles ne ressentaient pas quand elles s’y trouvaient, ce qui témoigne du processus de transformation et de reconstruction de leur identité professionnelle. Pour nombre de ceux qui ne sont pas parvenus à connaître une reconversion, les entretiens sont marqués par des regrets intenses et un sentiment de déclassement professionnel.

36La rupture professionnelle que peut causer la reconversion professionnelle volontaire et la transformation identitaire qu’elle engendre passent par une opération de contre-effectuation telle que la définit Zarifian (1995), par laquelle l’individu cherche à inscrire différents événements, des maux physiques ou une profonde lassitude dans un « plan de sens », qui s’élabore dans le temps de la latence. « Contre-effectuer l’événement, c’est trouver le sens de notre propre devenir par rapport à lui » (Deleuze, 1997). Le « plan de sens » est en quelque sorte la grille de lecture optimale que construit l’individu délimitant un espace d’anticipation qui ouvre de nouvelles perspectives d’action. Ce nouveau « plan de sens » est actualisé dans la phase de réengagement qui souvent se concrétise par l’inscription dans une formation ou l’entrée dans un nouvel emploi ; il est constamment révisable, il ne demeure que tant qu’il maintient une situation d’équilibre. D’autres événements viendront « provoquer » le sens et indiqueront d’autres voies (Négroni, 2007).

Conclusion

38La reconversion professionnelle peut susciter des stratégies collectives et individuelles. Une reconversion professionnelle peut s’opérer sous l’effet de l’introduction des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans un procès de production. Ainsi en va-t-il des ouvriers (manufacturiers) reconvertis en opérateurs (en ligne). Si cette reconversion peut générer des stratégies individuelles d’adaptation ou de résistances ouvrières (Monchatre, 2004), celle de certaines catégories de la population active peut être perçue comme relevant d’une « responsabilité collective » dès lors qu’elles constituent une population vulnérable peu armée pour affronter la reconversion professionnelle.

39Qu’il s’agisse de reconversions choisies ou subies, la formation est au centre des réorientations professionnelles. Qu’elle soit longue et qualifiante ou courte et visant une remise à niveau de savoirs acquis, la formation est considérée par les individus comme le passage nécessaire à une reconversion. Il convient de remarquer que, dans le cas des reconversions subies, les accompagnants (consultants, agents de l’emploi,…) tentent, à l’instar des reconversions volontaires, de faire en sorte que la formation soit davantage « voulue » grâce notamment à une stratégie d’identification préalable au métier visé.

40Dans les reconversions, plus particulièrement volontaires, tout l’enjeu est d’appréhender la complexité du parcours de vie en fonction de ses aléas, bifurcations, conversions et réorientations. Il convient pour le chercheur d’observer les formes prises par une bifurcation biographique ou professionnelle, afin de mieux identifier la volonté ou pas de reconversion, et les objectifs visés par la personne. Dans tous les cas, la reconversion professionnelle met au jour les contraintes et les ressources dont dispose un individu au moment du passage, qu’elles prennent leurs origines dans la famille, les acquis professionnels, le lieu d’habitation : la formation est l’une des principales ressources pour le changement professionnel. Dans le cas de reconversions professionnelles volontaires, il conviendrait de parler davantage de volition comme puissance d’agir (Jaquet, 2014) que de volonté ; c’est bien cette énergie du vouloir qui active le processus de changement et permet de mener à bien le projet de reconversion qui s’élabore entre contraintes et aléas. Quoi qu’il en soit, nous avons montré également l’importance de l’implication de la personne dans le processus de reconversion, qu’il s’agisse de reconversions subies ou volontaires : plus l’entrée en formation procède d’un choix de l’individu plus l’engagement sera prégnant, et propice au changement. C’est à cette seule condition que s’opérera la conversion subjective (Berger et Luckmann, 1986) qui place la personne en posture de devenir « plus tout à fait soi-même ni tout à fait un autre » (Ricœur, 1990).