1Le courant des epistemological beliefs s’intéresse à la manière dont les individus conçoivent la nature, les origines, la genèse et la validation des connaissances (Crahay et Fagnant, 2007). Certains auteurs conjecturent que les croyances épistémiques sont interreliées et convergent en théories tandis que d’autres supposent leur indépendance. Concernant les enseignants notamment, des chercheurs partagent l’idée qu’elles sont liées à leurs conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement.
2L’objectif de cet article est double. Nous cherchons tout d’abord à examiner la structure cognitive d’enseignants suisses et belges en formation au moyen d’un questionnaire papier-crayon recueillant leurs croyances épistémiques et leurs conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage. A posteriori, en examinant ainsi la formation initiale des enseignants, nous invitons nos lecteurs et lectrices à une prise de conscience des positionnements théoriques de ces jeunes praticiens qui entrent dans le métier et, par conséquent, à envisager les divers moyens de les déconstruire ou de les étayer tout au long de leur formation.
3Nous procédons en quatre temps dont le premier est consacré à une brève explication théorique. Avant tout, il s’agit de vérifier si les dimensions théoriques des croyances épistémiques et des conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage – telles qu’elles sont identifiées par la littérature – se retrouvent dans nos données. Ensuite, nous présentons la méthode utilisée pour analyser les croyances et conceptions recueillies. Puis nous proposons d’étudier leur correspondance ainsi que les profils cognitifs des enseignants interrogés. Enfin une discussion de nos résultats en termes de perspectives pour la recherche et la formation des enseignants clôt notre texte.
4Plusieurs orientations coexistent dans le courant des epistemological beliefs dont l’analyse de la structure de ces croyances. Précisément, deux perspectives s’opposent : pour l’une, ces croyances sont indépendantes, pour l’autre, elles constituent un système organisé en théories.
5Pour Schommer (1990), les croyances épistémiques comportent des facettes indépendantes mais liées. Cette chercheuse construit un questionnaire qu’elle soumet à 86 étudiants de l’enseignement supérieur. Elle identifie quatre facettes :
- Innéisme : l’intelligence est fixe ou incrémentale ;
- Rapidité : l’apprentissage est rapide ou graduel voire impossible ;
- Simplicité : les connaissances sont isolées ou hautement reliées ;
- Certitude : les connaissances sont absolues ou hypothétiques et évolutives.
6Elle les considère comme indépendantes mais reviendra plus tard sur cette conception (voir ci-dessous).
7À l’opposé, Hofer (2000, 2004b) considère que les croyances épistémiques ne sont pas une collection d’éléments disparates : elles sont plutôt multidimensionnelles et leurs dimensions interagissent pour se coordonner en théories. Cette auteure distingue deux axes de croyances, dont le premier porte sur la nature des connaissances :
- L’élaboration des connaissances : elles sont isolées et s’accumulent ou sont hautement reliées ;
- Leur certitude : elles sont fixes, absolues et certaines ou fluides, expérimentales, provisoires et évolutives.
8Le second axe intègre la nature de l’acte de connaître :
- L’origine des connaissances : elles sont extérieures à la personne et détenues par une figure d’autorité ou sont activement construites par l’individu ;
- Leur légitimation : elles se justifient par l’observation ou l’autorité ou par l’utilisation de recherches et l’évaluation experte.
9Cependant, Hofer (2000) peine à identifier ces dimensions, de même que Therriault, Harvey et Jonnaert (2010).
10Alors que les deux systèmes présentés éclairent la structure des croyances, force est de constater qu’ils ne permettent pas d’identifier les processus mêmes de coordination des croyances et de l’intégration des conceptions notamment sur la manière d’apprendre et d’enseigner. Le modèle théorique de Schommer-Aikins (2004) et Hofer (2004a) coordonne ces éléments. Par exemple, Hofer (2004a) associe les connaissances métacognitives – celles sur la connaissance et les stratégies d’apprentissage – aux croyances sur la nature des connaissances (certitude et élaboration). Elle articule les connaissances sur l’acte de connaître (origines et légitimation) aux jugements métacognitifs qui organisent la compréhension et les apprentissages. Elle ajoute l’autorégulation et le contrôle conscient des mécanismes cognitifs ainsi que les dimensions motivationnelles.
11Ce dernier modèle nous permet d’approfondir les dimensions théoriques des croyances épistémiques. Il s’agit maintenant de compléter ces apports en parcourant la littérature sur les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage.
12Pour Legendre (2007), le socio-constructivisme est une perspective épistémique qui insiste sur le rôle central des apprenants et de l’environnement social, interactionnel et culturel lors des apprentissages. Dans cette perspective, l’apprenant n’est pas un récepteur passif engloutissant les connaissances transmises par un enseignant, il est un constructeur de connaissances dans l’action. Celles-ci ne sont donc pas considérées comme des objets directement transmissibles, elles sont le produit de la culture, devant être adaptées par l’enseignant qui les rend accessibles et significatives, notamment en proposant des situations problèmes dans lesquelles les apprenants s’efforcent de comprendre et de réfléchir. L’élève s’approprie les connaissances nouvelles en les reliant à ses connaissances antérieures pour leur donner du sens à travers l’usage qu’il en fait (Legendre, 2007).
13En reprenant ces idées de Legendre, on peut considérer deux visions de l’apprentissage, l’une socio-constructiviste, l’autre behavioriste, et deux orientations différentes de l’enseignement, l’une socio-constructiviste ciblée sur la résolution (collaborative) de problèmes par les élèves et l’autre sur la transmission de savoirs par l’enseignant. Ces distinctions sont classiques dans la littérature (par exemple, Kirschner, Sweller et Clark, 2006). La logique voudrait que ces conceptions soient interreliées et associées aux croyances épistémiques correspondantes.
14Étudiant la structure des conceptions de l’apprentissage, Crahay, Issaieva et Monseur (2014) suggèrent des items structurés selon les sept orientations proposées par Crahay (2010) :
- L’apprentissage behavioriste, un processus graduel avec la répétition d’exercices ;
- Le déclic où l’apprentissage se déclenche soudainement ;
- La compréhension par des efforts délibérés et conscients pour créer du sens ;
- L’apprentissage implicite non intentionnel à la suite de l’expérience en situation ;
- La déséquilibration avec, face à un problème, une phase de perturbation appelant un rééquilibrage ;
- L’intégration des nouvelles connaissances dans les connaissances antérieures ;
- La transformation des anciennes conceptions erronées en connaissances valides (changement conceptuel).
15Si les deux, ou trois, premières dimensions renvoient, conceptuellement, plutôt à une conception néo-behavioriste de l’apprentissage (conceptions accumulées, fixes construites par l’observation), les trois dernières correspondent plutôt à une orientation socio-constructiviste (conceptions reliées, évolutives, construites activement par l’expérience) et les autres se situent à l’intersection de ces courants (comprendre et apprendre implicitement). Crahay et ses collègues explorent l’existence de ces dimensions et vérifient la structure de ces conceptions dans plusieurs études.
16Issaieva (2013) propose deux sous-études. Le sondage d’enseignants français en formation met six facteurs en évidence : répétition, déclic, apprentissage implicite, déséquilibration, intégration et changement conceptuel ; le facteur compréhension n’est pas identifié. L’élargissement à des enseignants français titularisés dévoile la même structure en six facteurs.
17En étudiant moins de dimensions (découverte constructiviste, répétition, apprentissage implicite et déclic), Crahay, Marbaise et Issaieva (2013) obtiennent la même structure factorielle chez des enseignants belges. Toutefois, ils montrent que ces dimensions sont indépendantes et que les profils des enseignants ne sont pas tranchés. Plus précisément, si on pouvait s’attendre à ce que les enseignants constructivistes rejettent les conceptions behavioristes et inversement, il n’en est rien : lorsqu’ils adoptent des conceptions fortes pour une orientation, ils en adoptent aussi de fortes pour l’autre. Ainsi, pour les enseignants, l’apprentissage est un processus multidimensionnel combinant plusieurs orientations. Crahay, Issaieva et Monseur (2014) confirment ces observations avec des enseignants du primaire titularisés à Genève.
18Wanlin et Crahay (2015) examinent des instruments de mesure des conceptions des approches pédagogiques. Ils montrent que ceux-ci opposent une vision constructiviste à une vision transmissive de l’enseignement.
19Ils valident une version, en français, d’un instrument composé de la traduction des items des instruments qu’ils ont examinés. Ils procèdent en deux étapes grâce à un échantillon d’enseignants en formation à Genève : une analyse factorielle exploratoire pour réduire le nombre d’items et une analyse factorielle confirmatoire pour quantifier les qualités psychométriques de l’instrument en français. Questionnant l’opposition entre behaviorisme et constructivisme sur un continuum unidimensionnel, ils montrent qu’on ne peut statistiquement estimer qu’il s’agisse de visions opposées ; elles cohabitent dans les cognitions des enseignants en formation.
20La noosphère de l’éducation fait l’hypothèse que les croyances épistémologiques et les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage se structurent selon un espace conceptuel bipolaire. D’un côté, le socio-constructivisme considéré comme la juste voie, de l’autre, le behaviorisme et la transmission, une perspective éducative obsolète et inférieure. La réflexion de Legendre (2007) illustre cette conceptualisation du débat. Ainsi, le socio-constructivisme correspond aux pôles les plus évolués des croyances épistémiques (par exemple, le caractère évolutif des connaissances légitimées par la recherche) alors que la transmission correspondrait à ceux qui le sont le moins (par exemple, les connaissances fixes et instruites par une figure d’autorité). Les croyances des enseignants devraient – si l’on suit cette réflexion – s’enchaîner selon le schéma théorique de la figure 1.
Figure 1 : Modèle théorique des liens entre croyances épistémiques et conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement
21Notre objectif est d’explorer ces relations. L’hypothèse générale est que les enseignants ont des croyances épistémiques qui influent sur leurs conceptions en matière d’apprentissage et d’enseignement. Cette conjecture implique l’examen des sous-hypothèses suivantes :
- Les croyances épistémiques se déploient selon les dimensions conceptualisées par Hofer (2004b) ;
- La structure des conceptions de l’apprentissage se déclinent en dimensions, identifiées par Crahay et al. (2014), renvoyant à deux ensembles de conceptions opposées ;
- Les conceptions de l’enseignement se structurent selon un schéma bipolaire : l’enseignement transmissif vs le socio-constructivisme.
22Travaillant selon le modèle de Crahay, on considère que l’hypothèse nulle corollaire est celle de polarité(s) complémentaire(s) et d’une potentielle absence de lien. Si cette hypothèse se vérifie, nous examinerons la possibilité de l’existence de structures de polarités et de liens différentes dans les cognitions enseignantes. En d’autres termes, nous étudions si des sous-groupes d’enseignants se distinguent par leurs croyances épistémiques et leurs conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement. Pour finir, ce travail de recherche espère réactiver et poursuivre les réflexions autour de la formation actuelle des enseignants.
23Nous sondons 189 participants dont 144 se forment à l’enseignement élémentaire à Genève et 45 sont enseignants en reprise d’études psychopédagogiques à Liège. Dans les deux cas, les participants suivent un cours de psychologie éducationnelle de l’un des auteurs de l’article. Les Genevois ont en moyenne 21 ans (de 19 à 24 ans) et les Liégeois environ 30 ans (de 21 à 50 ans). Notons que l’appartenance nationale n’a aucune incidence sur les données ; toutes les différences sont non significatives.
- 1 Ce questionnaire est disponible sur demande (contacter le premier auteur : philippe_wanlin@hotmail (...)
- 2 Des factorisations exploratoires, que nous ne présentons pas ici, permettent de raccourcir le ques (...)
24Nous avons utilisé un questionnaire papier-crayon1 comportant des affirmations issues des références susmentionnées. Elles sont organisées en trois ensembles : celles sur les croyances épistémiques (36 items : E01 à E36) et celles sur les conceptions de l’apprentissage (28 items : L37 à L64) et l’enseignement (28 items : L65 à L92)2. Les participants donnent leur avis grâce à une échelle de Likert en six positions allant de « tout à fait d’accord » (scoré 6) à « pas du tout d’accord » (scoré 1). Les questionnaires sont administrés lors d’une période de cours d’environ soixante minutes, durant laquelle l’enseignant s’est absenté de l’amphithéâtre. Les seules consignes étaient que les participants répondent en leur âme et conscience et en parfaite liberté d’opinion puisque l’anonymat est d’autant plus garanti qu’aucune identification du répondant n’est demandée. Les participants sont avertis des buts de la recherche (analyse de leurs conceptions sur les connaissances, l’apprentissage et l’enseignement) sans mention de l’étude de leurs liens afin de ne pas influencer la consistance ou l’inconsistance des réponses. Les données ont été encodées par l’un des auteurs de l’article n’intervenant ni dans le cours ni dans son évaluation.
- 3 Significativité du χ2 0,05, RMSEA 0,05, CFI 0,90, TLI 0,90, SRMR 0,06 ou WRMR +/– 1. Sur la b (...)
25Nous procédons à des factorisations (confirmatoires) à l’aide du programme MPlus (Muthén et Muthén, 2002) en appliquant les algorithmes les plus adaptés à nos données. Nous utilisons les critères de seuils classiques pour juger de la qualité psychométrique des modèles3.
26Ainsi, nous vérifions l’hypothèse de polarités opposées ou complémentaires : si les conceptions sont opposées, les affirmations témoignant d’une vision (par exemple, le behaviorisme) convergeront positivement dans un facteur unique avec les affirmations de la vision opposée (par exemple, le socio-constructivisme) qui y satureront négativement. À l’inverse, nous soulignons les bi- ou multipolarités complémentaires si plusieurs facteurs sont identifiés même lorsqu’ils corrèlent entre eux.
27Enfin, nous calculons, pour chaque répondant, les positionnements moyens pour chaque dimension de croyances et conceptions (facteurs) identifiée afin d’étudier les liens qu’elles entretiennent et établir des profils doxiques s’il y a lieu.
28Nous utilisons la méthode classique des modèles d’équations structurales (Wang et Wang, 2012). Cette méthode permet, grosso modo, d’étudier, par des régressions, si les données se structurent selon un modèle conceptuel. Autrement dit, elle calcule un modèle corrélationnel dans les données et détermine dans quelle mesure ce modèle corrélationnel correspond à un modèle théorique donné. Nous l’appliquons à nos données grâce à MPlus avec les algorithmes les mieux adaptés.
29Pour identifier des profils doxiques au sein de notre échantillon, nous utilisons une analyse en classes latentes (Collins et Lanza, 2010). Cette méthode comporte deux étapes : elle identifie si des patterns de réponses identiques existent dans les données (en estimant leur nombre) puis associe les répondants aux patterns et leur donne l’étiquette de celui auquel ils ont le plus de chances d’appartenir.
30Ainsi, nous appliquons, dans MPlus, une analyse en classes latentes avec les algorithmes les plus adaptés à nos données. Le choix du nombre de classes à retenir se fonde sur trois ensembles d’indices (Collins et Lanza, 2010) contenus dans le tableau 2. Lorsque le nombre de classes est identifié, il s’agit de définir chacune d’elles à l’aide d’une analyse de variances.
31Les valeurs psychométriques des modèles factoriels sont disponibles dans le tableau 1.
32Pour la composante certitude, nous obtenons un modèle à deux facteurs avec une très bonne valeur psychométrique :
- Caractère définitif des connaissances (certitude 1) regroupe trois items dont les saturations et la consistance interne sont excellentes ;
- Caractère probabiliste évolutif des savoirs (certitude 3) réunit trois items dont les saturations et la consistance interne sont bonnes.
33Ces deux facteurs corrèlent négativement entre eux (– 0,30). Cela signifie qu’ils ne peuvent pas être situés sur un même continuum les opposant (un modèle à un facteur étant exclu par MPlus), mais qu’il n’existe pas non plus une absence de lien entre eux : les individus tendent à avoir des positions plus en désaccord sur le premier facteur et des positions davantage en accord sur le deuxième facteur.
34Concernant la composante légitimation, nous avons deux facteurs avec d’excellentes qualités psychométriques :
- Multiplicité des points de vue et interventions de perceptions personnelles (justification 2) avec trois items à bonne consistance interne ;
- Multiplicité des critères d’évaluation passant par le jugement subjectif réfléchi et la preuve (justification 3) rassemblant cinq items dont la consistance interne est acceptable dans une étude d’exploration.
35À nouveau, les deux facteurs corrèlent négativement, faiblement quoique significativement entre eux. On avancera la même explication : la bipolarité est complémentaire.
36L’absence de variabilité dans les réponses des enseignants aux items relatifs à l’élaboration et à l’origine des connaissances ne permet pas d’aboutir à des indices psychométriques acceptables. En effet, nous interrogeons des adultes qui présentent des positions communes à ces items : pour eux les connaissances sont élaborées et construites activement.
Tableau 1 : Qualités psychométriques et structure des modèles factoriels
37Ces conceptions adoptent un modèle, ayant d’excellentes valeurs psychométriques, composé de six facteurs qui rassemblent généralement quatre (voire trois) items :
- Répétition ;
- Déséquilibration ;
- Compréhension ;
- Intégration ;
- Transformation ;
- Déclic.
38Ces conceptions adoptent un modèle à deux facteurs. Ses valeurs psychométriques sont quasi exceptionnelles :
- Transmission ;
- Constructivisme.
39Ces deux facteurs corrèlent entre eux de manière non significative ; on peut considérer qu’il s’agit de deux dimensions différentes (mais non opposées) dans les croyances sur la manière d’enseigner.
40Dans ce texte, nous examinons notamment si les croyances et conceptions se structurent sur des continuums à pôles opposés. Nos résultats sont clairs : les croyances et conceptions contiennent des catégories hétérogènes qui coexistent dans les cognitions enseignantes. Nous écartons donc la structure bi- ou multipolaire opposée des croyances et conceptions au profit de l’hypothèse de leur coexistence complémentaire. Ceci nous permet de faire l’hypothèse, que nous vérifions plus loin, de l’absence de liens entre les croyances épistémiques et les conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement pourtant conjecturés au sein des recherches effectuées dans ce champ.
41La théorie présume un lien entre des croyances épistémiques favorisant l’expérience et la transformation des connaissances avec des conceptions constructivistes de l’apprentissage et de l’enseignement. À l’inverse, les conceptions plus behavioristes de l’enseignement et de l’apprentissage s’associeraient à des croyances épistémiques considérant les connaissances comme fixes et détenues par des figures d’autorité.
42Le test du modèle théorique (voir figure 2) aboutit à des valeurs psychométriques bonnes (χ2(25) = 37,20 ; p = 0,06 ; RMSEA = 0,05 (90IC 0,00-0,08) ; CFI = 0,91 ; TLI = 0,78 ; SRMR = 0,05) mais aux indices de régression faibles et aux termes d’erreur élevés (indiqués en petits caractères et en italique dans la figure). De ce fait, les parts de variance expliquées sont faibles. Par conséquent, il est préférable de rejeter le modèle de cheminement (Brown, 2006).
43Ainsi, on ne peut pas raisonnablement estimer que les conceptions des enseignants en formation concernant l’enseignement, l’apprentissage et l’épistémologie sont fermement liées.
Figure 2 : Modèle de cheminement tenant compte des améliorations statistiques suggérées par MPlus
Attention : corrélations des termes d’erreur de déclic avec répétition (.282), déséquilibre (.311) et transformation (.169) ainsi que ceux de déséquilibre avec répétition (.256) et transformation (.169).
44À la suite de nos constats, nous identifions s’il existe un ou plusieurs patterns de réponses similaires dans nos données. Le tableau 2 présente les indices statistiques correspondant aux itérations des analyses en classes latentes.
45L’analyse du tableau 2 montre que le modèle à trois classes présente une classification pertinente des données de nos participants. La description des classes latentes est possible grâce à la figure 3 qui résume, graphiquement, les résultats des analyses de variances avec tests post hoc (Scheffé).
46La classe 1 renferme 78 enseignants ayant une forte probabilité d’adopter le pattern de réponses (0,90). Ils adhérent davantage au caractère évolutif des connaissances et à la légitimation par la preuve. Favorables à l’intégration des savoirs, ils se situent dans la moyenne pour les conceptions behavioristes de l’apprentissage (répétition et déclic) ainsi que pour le déséquilibre mais acceptent moins la compréhension et la transformation des connaissances. Leurs réponses s’accordent avec le socio-constructivisme et moins avec la notion de transmission.
Tableau 2 : Indices de qualité des regroupements établis par une analyse en classes latentes dans MPlus
| Nombre de classes latentes |
AIC |
BIC |
aBIC |
LMRT |
aLMRT |
BLRT |
Entropie |
Remarque |
| 1 |
5143 |
5234 |
5158 |
- |
- |
- |
- |
|
| 2 |
5043 |
5202 |
5046 |
.03 |
.03 |
.00 |
.68 |
88(.89) 101(.92) |
| 3 |
5014 |
5254 |
5016 |
.33 |
.33 |
.05 |
.80 |
78(.90) ; 93(.92) ; 18(.91) |
| 4 |
4991 |
5313 |
4999 |
.71 |
.71 |
.06 |
.86 |
MPlus prévient que cette solution est sujette à caution |
Pour les trois premiers indices (AIC, BIC, aBIC – le lecteur consultera Collins et Lanza, 2010, pour une explication des sigles), on choisit le nombre de classes correspondant à leur valeur la plus basse. Pour les trois indicateurs suivants (LMRT, aLMRT, BLRT), on choisit le nombre de classes dont la significativité reste en dessous de 0,05. Le dernier indice, l’entropie, varie entre 0 (indiquant le chaos) et 1 (qualifiant une classification parfaite). En cas de conclusions contradictoires, il faut considérer, dans l’ordre, le BLRT, l’aBIC puis le BIC (Nylund, Asparouhov et Muthén, 2007). Au-delà de ces indicateurs statistiques, le chercheur considère les critères de la parcimonie (un nombre restreint mais suffisant de classes) et de la significativité (les définitions des classes ont du sens en ce qu’elles expliquent bien les données et ont une résonance théorique).
47La classe 2 comporte 93 enseignants ayant une forte probabilité d’adopter ce pattern de réponse (0,93). Leurs positionnements face aux croyances épistémiques sont moyens mais ont tendance à être plus favorables aux visions les plus avancées. En apprentissage, ils sont les moins proches du behaviorisme et du constructivisme. Pour l’enseignement, ils sont aussi le moins en accord avec les deux orientations identifiées.
Figure 3 : Positionnements moyens des classes latentes par rapport aux croyances et conceptions
Légende : ° sig. < .10, * sig. < .05, ** sig. < .01 ; les traits horizontaux indiquent les différences suites aux tests post hoc de Scheffé.
48La classe 3 rassemble 18 enseignants fortement liés à ce pattern de réponses (0,91). Ce sont ceux qui adoptent des positionnements moyens pour toutes les dimensions des croyances épistémiques. Ils se caractérisent par un fort accord avec les conceptions behavioristes de l’apprentissage mais aussi avec les conceptions constructivistes. Leurs conceptions de l’enseignement adoptent la même configuration.
49Il ressort de ces résultats qu’aucun profil n’adopte les catégorisations manichéennes de la littérature. La règle est plutôt que les croyances et conceptions sont combinées dans les positionnements des répondants.
50Les croyances épistémiques portent sur la nature des connaissances et l’acte de connaître. Elles sont multidimensionnelles (Schommer-Aikins, 2004) ou se coordonnent en théories (Hofer, 2004b). Les conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage participeraient également de ces croyances. La littérature postule une logique en la matière : les croyances selon lesquelles les connaissances sont évolutives et construites par la preuve s’associent à des conceptions socio-constructivistes de l’enseignement et de l’apprentissage. De même, les conceptions behavioristes de l’enseignement et de l’apprentissage s’associent aux croyances épistémiques prônant la fixité des connaissances obtenues par expertise.
51Dans ce texte, nous vérifions si ces associations hypothétiques résistent à l’épreuve des faits. Ainsi, nous utilisons des questionnaires mesurant chacune des dimensions susmentionnées. Nous poursuivons deux objectifs sous-jacents : 1) étudier si les structures identifiées dans la littérature se vérifient pour nos données et si ces structures sont liées entre elles, et 2) favoriser la réflexivité par une prise de conscience des enseignants en formation quant aux différents positionnements théoriques possibles, leurs combinaisons ainsi que leurs adhésions personnelles face à ces positionnements.
52Les structures des croyances et conceptions correspondent grosso modo aux hypothèses de la littérature :
- Nous ne retrouvons que partiellement la structure théorique des croyances épistémiques. Si nous retrouvons leurs deux versants, nous n’avons qu’une dimension pour chacun d’eux au lieu de deux.
- Nous identifions six conceptions de l’apprentissage : deux plus behavioristes et trois autres plutôt socio-constructivistes. Elles coexistent dans les cognitions des enseignants en formation.
- Les conceptions de l’enseignement distinguent les composantes théoriques qui existent simultanément dans les cognitions des enseignants en formation.
53De ce qui précède, nous concluons que les croyances épistémiques et les conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement adoptent les structures conjecturées dans la littérature. Néanmoins, elles ne sont ni organisées en oppositions, ni liées ainsi que le suppose la littérature : elles se combinent. Bref, nous proposons de délaisser les hypothèses d’oppositions et de liens pour préférer les hypothèses de polarités complémentaires et d’absence de liens ou de combinaisons. Les enseignants en formation adoptent des positionnements pluriels face aux catégories de cognitions, qui peuvent se structurer en profils. Nous identifions trois profils qui ne combinent pas les cognitions comme le postule la littérature mais qui adoptent un positionnement hybride tel que le montrent Crahay et al. (2013). Ils mixent les croyances et conceptions et, surtout, l’acceptation à un niveau élevé d’une conception n’entraîne pas le rejet de l’autre.
54Que retenir ? Certainement que les dimensions des cognitions que nous étudions ici se structurent en leur sein comme l’établit la littérature : des composantes behavioristes et constructivistes des conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage s’accompagnent de croyances sur la nature des connaissances (leur certitude) et l’acte de connaître (leur validation-légitimation) de complexité croissante. En revanche, les associations entre dimensions n’adoptent pas la structure logique postulée. Enfin, des profils de croyances et conceptions existent : les enseignants en formation mixent les conceptions sans que ce panachage adopte le schéma de la littérature opposant les types de croyances et conceptions.
55Les limites de notre recherche sont sûrement multiples, mais nous n’en abordons que trois. Avec 189 participants, notre échantillon est de taille modeste, ce qui inscrit nos constats dans le registre de l’exploration. Par ailleurs, il est composé d’adultes s’accordant avec les degrés supérieurs des croyances épistémiques, ce qui n’a guère permis d’identifier les composantes moins élaborées de ces croyances. Enfin, le sondage de sujets d’horizons culturels différents peut s’avérer problématique. Ainsi, bien que les différences que nous observons soient statistiquement non significatives, des analyses factorielles confirmatoires à groupes multiples, nécessitant une taille d’échantillon plus importante et une distribution plus proportionnée des participants dans les groupes, devraient être menées afin de consolider nos observations.
56Les implications pour la recherche sont nombreuses, nous n’en considérons que deux : d’une part, l’étude du développement des conceptions sur l’épistémologie, l’apprentissage et l’enseignement et celle des liens que ces composantes entretiennent et, d’autre part, l’examen des répercussions que ces éléments ont sur les stratégies d’enseignement et d’apprentissage des enseignants et des élèves. La première implication vise à l’élargissement du public sondé : enseignants ayant différents niveaux d’ancienneté, adultes sans distinction de professions, enfants et adolescents (pour des coupes transversales et des suivis longitudinaux). Notre questionnaire est directement utilisable dans ce genre de projet. Une autre possibilité serait d’étudier les liaisons que les composantes et sous-composantes des croyances entretiennent avec les pratiques des personnes en matière d’enseignement, d’apprentissage, d’activités d’autorégulation et de métacognition. Dans une perspective développementale, l’évolution de ces liaisons pourrait faire l’objet d’une investigation.
57Enfin, les retombées pour la formation des enseignants sont intéressantes. Elles comprennent notamment l’idée que l’étude des liaisons entre croyances épistémiques et conceptions de l’enseignement et de l’apprentissage peuvent alimenter les réflexions pédagogiques des enseignants en formation et augmenter la qualité de leur enseignement par des pratiques favorables à l’apprentissage des élèves. La connaissance des liaisons logiques et illogiques peut jouer ce rôle. Mais au-delà de cet apport, les analyses fournies ici montrent que les conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement ainsi que les croyances sur les connaissances adoptent un caractère multidimensionnel combinatoire. Cela ouvre de nouvelles possibilités pédagogiques pour les enseignants et les formateurs d’enseignants : au lieu de favoriser un courant unique de pensée, les données fournies ici invitent à considérer que différentes options pédagogiques coexistent et peuvent être combinées pour favoriser les apprentissages des élèves.
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