1En s’intéressant à « l’engagement de l’adulte apprenant en formation obligatoire », Marie-Paule Maugis entend questionner le « paradoxe de l’apprenance ». L’ouvrage de 200 pages reprend le titre et les avancées de sa thèse, soutenue en 2019 à Paris Nanterre sous la direction de Philippe Carré. Dans la préface de l’ouvrage, ce dernier revient sur les enjeux d’un tel projet. En effet, suite à la loi de 1971 fondatrice de la formation professionnelle continue (FPC), la tension entre besoins de l’entreprise et besoins de l’individu a engagé de vifs débats. La loi de 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » repositionne « la place du sujet, doté de dispositions, de motivations et d’affects singuliers, et celle du contexte de travail et ses impératifs » (p. 11). Bien que l’initiative et la responsabilité du choix de la formation reviennent aux salariés, travailleurs indépendants ou demandeurs d’emploi, des formations sont par ailleurs imposées par les entreprises, questionnant de ce fait l’engagement des adultes en formation. Cet ouvrage, organisé en cinq chapitres, apporte des éléments de compréhension intéressants sur la tension entre contrainte et autonomie et sur les processus d’appropriation mis en œuvre par les sujets dans le cadre de formations qui leur sont imposées.

2Après une approche historique de la formation professionnelle, le premier chapitre s’intéresse au contexte de la FPC en France et à son évolution progressive vers un double processus aux logiques contradictoires. D’une part, le professionnel est invité à être acteur du processus de formation, à faire preuve d’autonomie dans les choix qu’il opère afin d’actualiser ou de développer des compétences professionnelles. Pour l’auteure, cette « exhortation à l’autonomie » (p. 29) constitue une première injonction paradoxale. D’autre part, le professionnel est contraint de suivre des formations obligatoires que l’employeur, sous l’effet de la loi, « doit » ou « peut » dispenser. Cette précision met en relief les deux pôles de la FPC : des obligations liées au Code du travail (adaptation au poste, hygiène et sécurité, habilitations) et la possibilité pour l’employeur de proposer des formations visant, par le développement de compétences, à accompagner le salarié vers une promotion professionnelle ou vers de nouvelles missions. Cette approche est étayée par des études statistiques et des rapports permettant d’appréhender l’ampleur de la FPC obligatoire en France et en Europe. Dans la mesure où le salarié ne peut refuser de participer à ces formations obligatoires, son autonomie de choix reste limitée. Le propos de Marie-Paule Maugis consiste alors, au-delà des théories de la motivation (Deci et Ryan, 1985), à éclairer les processus individuels en jeu quant à l’engagement dans la formation.

3En ce sens, le chapitre suivant revient sur les concepts d’engagement, de valeur perçue et de dispositions à apprendre, au sein de la théorie de l’autodétermination (Vallerand et al., 2009). L’auteure en montre certaines limites, en soulignant l’importance du processus d’internalisation de la contrainte. Dans une perspective de psychologie sociocognitive, l’intrication entre facteurs personnels (dispositions à apprendre), contexte (formation obligatoire) et comportement (Bandura, 1985) est mise en avant, tout en montrant que les processus d’engagement des adultes en formation « obligatoire » sont finalement peu explorés. Marie-Paule Maugis choisit de mobiliser le concept d’apprenance (Carré, 2005), considéré comme un ensemble de dispositions favorables à l’acte d’apprendre quelle que soit la situation, visant à « placer le sujet au centre du processus d’apprentissage de sorte qu’il reste un sujet agentique en dépit des dispositifs dans lesquels il est enserré » (p. 65).

4L’ouvrage reprend ensuite deux études réalisées dans le cadre de la thèse. La première, qualitative, tente de mettre à jour la manière dont le sujet « tisse ou non du sens au cœur de l’imposition de se former » (p. 73). L’étude mobilise 81 entretiens non directifs conduits sur deux terrains : un Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et la Fonction publique territoriale (FPT), permettant d’accéder à des formations plus ou moins longues s’adressant à des publics de catégories différentes. Quatre dimensions de la valeur perçue de la formation obligatoire sont mises en relief : l’utilité, l’importance, la valeur intrinsèque et le coût de la formation. Marie-Paule Maugis indique dans quelle mesure la valeur intrinsèque est reliée à l’intérêt thématique, fondé sur différents mobiles : mieux comprendre une situation professionnelle, combler des manques ressentis sur le poste de travail, répondre à un intérêt personnel. La valeur intrinsèque est également tributaire de l’intérêt situationnel (posture du formateur et méthodes pédagogiques, satisfaction à l’égard du groupe). Enfin, le coût des formations obligatoires concerne davantage les managers qui doivent laisser momentanément leur activité et évoquent un surcroît de travail à leur retour. Le processus d’engagement (en lien avec l’apprenance) est aussi investi et analysé : favorable ou relatif, il reste soumis à des variations entre engagement et désengagement, ou encore à un sous-engagement. Le chapitre éclaire le rapport à la légitimité perçue de l’obligation qui peut exister initialement ou s’inscrire dans un processus de légitimation au fil de la formation. Les résultats montrent dans quelle mesure le caractère obligatoire de la formation n’est pas une entrave à l’engagement qui reste davantage lié à la valeur perçue et aux dispositions à apprendre.

5L’approche quantitative, envisagée pour confirmer ou nuancer ces résultats repose sur 581 questionnaires diffusés dans les mêmes organismes (EPIC, FPT) et au sein d’un grand groupe privé. Elle s’intéresse aux « principaux facteurs qui accompagnent l’engagement du sujet obligé de se former » (p. 117). Cette partie, adossée à des traitements statistiques reste assez technique. Elle aurait gagné à être synthétisée autour des apports de ces analyses à la réflexion générale.

6La formation comme « porteuse d’espoirs et de défis à relever » (p. 161) constitue le dernier chapitre. Marie-Paule Maugis revient sur les modèles théoriques et conceptuels mobilisés et confirme que « la valeur perçue de la formation est bien le pivot majeur dans l’orientation des processus individuels » (p. 169). L’auteure souligne les incidences sur les pratiques et les politiques de formation, mais également les enjeux pour les entreprises qui organisent des formations obligatoires et souhaitent un engagement des salariés. Ainsi, la recherche ouvre des perspectives intéressantes quant au rôle et à l’influence possible de l’environnement de travail sur différents facteurs, notamment le coût de l’engagement (charge de travail, déplacements, organisation personnelle et professionnelle). L’ouvrage se termine sur des précautions pour éviter, autant que faire se peut, les solutions trop rapides face aux dilemmes et à la complexité de l’acte d’apprendre.

7On l’aura compris, cet ouvrage ouvre des perspectives intéressantes et des repères pour comprendre et agir en éducation et en formation. En effet, il aide à saisir les processus à l’œuvre lorsqu’une situation de formation n’est pas choisie préalablement par les apprenants. Cette approche complète celle déjà développée par Mokhtar Kaddouri (2011) sur les « motifs identitaires des formes d’engagement en formation » qui reste assez peu documentée dans l’ouvrage. D’autre part, même si le propos ne traite pas du champ scolaire et obligatoire, un certain nombre de résultats issus de cette enquête pourraient y être transposés, notamment ce qui relève des mobilisations relatives à la valeur intrinsèque qui s’appuie sur le couple intérêt thématique/intérêt situationnel. En prolongement de ces apports, plusieurs chantiers seraient à explorer, tant sur les processus d’appropriation des acteurs, que sur la création d’environnements d’apprentissage favorisant l’engagement, sans oublier les dynamiques collectives plus ou moins porteuses pour s’inscrire dans un projet de formation « en tension entre aliénation et émancipation » (p. 174).