- 1 STAPS : sciences et techniques des activités physiques et sportives.
- 2 Les effectifs entrant en première année sont passés de 10 759 étudiants en 2010 à 18 343 en 2021 ( (...)
- 3 Par exemple avec la loi du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, di (...)
1Avec la massification dans l’enseignement supérieur, les STAPS1 ont diversifié leurs filières de formation à partir des années 1990 et connu une inflation des effectifs2 concomitante de réformes de l’accès à l’enseignement supérieur3. Le mode de sélection à l’entrée en formation et le devenir des diplômés font débat. Comme pour d’autres diplômes professionnalisants (Sarfati, 2015), plusieurs acteurs prennent part à ces processus. Ainsi, dès l’entrée en formation, via des procédures de sélection plus ou moins formalisées et socialement sélectives dans un environnement concurrentiel (Blanchard et al., 2020), des acteurs académiques et non académiques (recruteurs et autres professionnels) collaborent souvent pour recruter les candidats. Dans ce contexte, quels rôles incombent aux responsables de diplôme (RD) ? En particulier, quelles sont leurs pratiques de sélection et comment se positionnent-ils en situation d’intermédiaire entre les diplômés candidats à l’emploi et les recruteurs ?
- 4 Ce constat a été souligné par Blanchard et al. (2020) en ce qui concerne la sélection à l’entrée e (...)
- 5 Plusieurs textes régissent l’organisation des diplômes en France, précisant les possibilités de fi (...)
2Ces interrogations sont d’autant plus importantes à l’entrée en formation que subsiste une forte variabilité4 des dispositifs de sélection avec une faible standardisation des procédures tant au niveau national que local. À l’échelle d’une faculté, le cadre imposé par les textes réglementaires5 laisse une forte latitude dans l’élaboration des procédures. Prenant appui sur ces marges de manœuvre, les RD sont les principaux artisans de la formalisation et de la mise en œuvre du recrutement des candidats. Peu étudié jusqu’ici, le rôle de ces acteurs est souvent abordé de manière indirecte (Sarfati, 2015). La focale est davantage centrée sur l’analyse des interactions au moment de l’entretien entre RD et candidats, considérant le positionnement du diplôme dans un marché concurrentiel (Blanchard et al., 2020). Les RD ne sont pas appréhendés comme des acteurs susceptibles d’endosser de manière différenciée cette fonction aux contours flous. Ces variabilités sont d’autant plus difficiles à distinguer que les études portent sur des diplômes de disciplines ou d’établissements différents. Qu’en est-il au sein d’une même faculté entre plusieurs diplômes ? Comment s’effectue la mise en pratique de la fonction de RD ?
3Les procédures de sélection à l’entrée en formation, mais aussi les pratiques d’accompagnement des étudiants vers l’emploi, qui représente l’objectif final du parcours de formation, sont des activités propices à l’analyse des manières de s’approprier le rôle de RD. La variabilité de l’appréciation des compétences potentielles et des aptitudes résulte de la circulation et de l’imbrication de jugements provenant d’acteurs, socialement et professionnellement situés. Sous un prisme d’analyse constructiviste et relationnelle (Demailly, 2008), ces jugements, cristallisés par une somme de projections, se structurent dans le temps et à partir de ce qui est évalué. En cours de formation, les RD s’appuient ainsi sur ce que l’étudiant a fait, sur ce qu’il semble être à leurs yeux et sur ce qu’il peut devenir, en vue d’adapter l’accompagnement pour favoriser son insertion professionnelle. Si les compétences accumulées au fil du temps résultent de la rencontre de qualités personnelles et d’expériences vécues (Stroobants, 1993), leur appréciation est fortement subjective.
- 6 Voir encadré ci-après pour le détail des diplômes concernés.
4Il nous intéresse, dans cette vision élargie, de comprendre les pratiques des RD concrètement mises en œuvre ainsi que les catégories de jugement et d’appréciation sur lesquelles ils prennent appui, à l’entrée en formation des étudiants et lors du passage à l’emploi des diplômés. De manière opérationnelle, nous avons réalisé trois focus groups avec les RD d’une faculté des sciences du sport en France (n = 14). Nos données empiriques concernent des diplômes en alternance avec une sélection à l’entrée en formation dans des secteurs d’activités relevant du management du sport, de l’accompagnement médico-sportif de publics spécifiques ou de l’entraînement sportif. Ainsi, nous avons réalisé un focus group avec les RD de DEUST et de la licence professionnelle6, et deux focus groups avec les RD des différents parcours de licence et de master. Parmi les quatorze RD présents, l’on dénombre quatre femmes et dix hommes, sept enseignants-chercheurs titulaires et sept enseignants du secondaire ou maîtres de conférences associés à mi-temps. L’objectif de ces échanges collectifs était d’identifier les représentations et les croyances des RD qui sont au principe de leurs pratiques de sélection et qui révèlent la part d’arbitraire de leurs choix. Les questions posées concernaient précisément la manière dont ils procèdent à la sélection des étudiants à l’entrée en formation, l’importance qu’ils accordent respectivement à des compétences scolaires et/ou universitaires spécifiques et aux savoir-être, mais aussi à la gestion effective des promotions d’étudiants retenus.
- 7 « Un intermédiaire désigne, dans mon vocabulaire, ce qui véhicule du sens ou de la force sans tran (...)
5La compréhension de la variabilité des procédures de sélection des candidats en formation et de suivi des étudiants en cours d’études, voire a posteriori, une fois diplômés, s’appuie sur le constat d’appropriations et de mises en pratique différenciées de la fonction de RD. Puisant dans le registre de la figure de l’entrepreneur mobilisée dans plusieurs travaux en sociologie (Bergeron et al., 2013), l’article s’appuie sur deux figures idéales-typiques (Weber, 1965) de RD : d’un côté l’entrepreneur, renvoyant à l’idée d’intermédiaire et/ou de médiateur (Latour, 1994, 2006)7 avec les acteurs du marché de l’emploi sportif, de l’autre côté le gestionnaire dont le rôle est circonscrit aux tâches pédagogiques et administratives inhérentes au fonctionnement universitaire. Bien qu’il existe des degrés intermédiaires d’appropriation et de mise en pratique du rôle de RD, la mise en perspective de ces deux figures permettra d’expliciter comment s’articulent des éléments qui engendrent les variabilités observées dans les procédures de sélection des candidats et dans leur suivi en étude : les caractéristiques professionnelles des RD, l’ancienneté des diplômes, les contraintes organisationnelles et temporelles de la sélection, et les enjeux proprement académiques ou professionnels.
6Afin de rendre compte des pratiques de sélection et des catégories de jugement mobilisées à différents moments dans le parcours de formation des étudiants, nous chercherons d’abord à préciser les procédures et les modalités opératoires mises en œuvre par les RD, dans un système à fortes contraintes institutionnelles. Leurs attentes seront appréciées au regard des caractéristiques du diplôme qu’ils dirigent, influençant pour partie la posture de RD observée.
7Dans un deuxième temps, nous montrerons que cette posture qui renvoie à la manière d’investir la fonction de RD, étroitement liée au statut professionnel, cadre son rôle d’interface entre les futurs diplômés et les recruteurs. Nous cherchons à savoir dans quelle mesure l’intensité de sa connexion au monde socio-économique, à savoir ses connaissances des secteurs d’emplois visés et ses réseaux de relations, impacte ses pratiques de sélection et d’accompagnement vers l’emploi. Au-delà des contraintes et attendus institutionnels, le degré de variabilité d’appropriation du rôle de RD entre nos deux figures idéales-typiques, à savoir entrepreneur et gestionnaire, s’explique par leurs propres socialisation et parcours professionnels.
- 8 Deux modalités principales en formation sont proposées : d’une part, le contrat d’apprentissage ou (...)
8Les diplômes pris en compte dans cette étude et présentés ci-après (voir l’encadré) sont majoritairement des diplômes en alternance8 combinant des périodes de cours et d’immersion en milieu professionnel (stage, contrat d’apprentissage, contrat de professionnalisation, etc.) :
Encadré – Diplômes pris en compte dans cette étude
DEUSTa (bac + 2) :
– métiers de la forme (MF)
– activités physiques et sportives adaptées (SPA)
– activités physiques et sportives et inadaptations sociales (SIS)
– pratique et gestion des activités physiques et sportives et de loisirs pour les publics seniors (APSL)
Licence professionnelle (bac + 3) :
– commercialisation des produits et services sportifs (CPSS)
Licence STAPS (bac + 3) :
– activités physiques adaptées et santé (APAS)
– entraînement sportif (ES)
– management du sport (MS)
Master STAPS (bac + 5) :
– activités physiques adaptées et santé, ingénierie et développement (APAS)
– entraînement et optimisation de la performance sportive (EOPS)
– marketing du sport (MS)
– wellness management (WM)
– sport et aménagement des territoires (SAT)
a. Diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques.
- 9 Voir l’arrêté du 17 novembre 1999.
- 10 Voir l’article 9 de l’arrêté du 22 janvier 2014 fixant le cadre national des formations conduisant (...)
9Le développement des diplômes professionnalisants comme les licences9 et les masters professionnels et du principe de l’alternance dans l’enseignement supérieur10 a accentué la sélection des étudiants. L’obligation est faite aux unités de formation de définir des prérequis dans un contexte de capacités d’accueil limitées, d’assurer un suivi des étudiants salariés dans leur structure employeuse pour les formations en alternance, etc.
10Les données chiffrées présentées ci-après (voir le tableau 1) pour chaque formation mettent en évidence une inégale attractivité et une sélectivité variable.
Tableau 1. Caractéristiques des diplômes – année universitaire 2019-2020
| Diplôme |
Capacité d’accueil |
Nombre de candidatures |
Effectifs retenus |
Modalités de sélection |
Membres du jury |
| DEUST MFa |
20 |
512 |
10 |
dossier, entretien et tests physiques |
enseignants et professionnels |
| DEUST APSL |
27 |
210 |
27 |
dossier et entretien |
enseignants |
| DEUST SPA |
25 |
470 |
25 |
dossier et entretien |
enseignants et professionnels |
| DEUST SIS |
20 |
399 |
20 |
dossier et entretien |
enseignants et professionnels |
| Licence professionnelle CPSS |
25 |
34 |
19 |
dossier et entretien |
enseignants |
| Master APAS |
25 |
// |
23 |
dossier |
enseignants |
| Master EOPS |
30 |
86 |
24 |
dossier |
enseignants |
| Master MS |
20 |
89 |
21 |
dossier et entretien |
enseignants et professionnels |
| Master WM |
20 |
38 |
15 |
dossier et entretien |
enseignants |
| Master SAT |
20 |
59 |
11 |
dossier |
enseignants |
| a. Pour le DEUST MF, les données correspondent à l’année universitaire 2018-2019. |
- 11 Arrêté du 30 juillet 2018 relatif au diplôme national de licence.
- 12 Selon la loi du 23 décembre 2016.
11Les directives ministérielles fixent les conditions d’accès aux études universitaires, pour le premier cycle (DEUST et licence) et le second cycle (master). Ainsi, l’entrée en première année de licence s’effectue de droit dans le système universitaire français11 pour tout titulaire du baccalauréat ou d’un diplôme équivalent. Par contre, l’entrée dans les formations dites « professionnalisantes », DEUST (bac + 2) et licence professionnelle (bac + 3), et en master (bac + 5)12 est soumise à sélection.
- 13 Sous couvert de la validation du conseil de faculté de la composante STAPS et de l’université.
- 14 Les arrêtés relatifs à la licence professionnelle (6 décembre 2019) et au DEUST (16 juillet 1984) (...)
12Le cadrage réglementaire laisse la liberté à chaque RD de décider de la capacité d’accueil du diplôme13 et des modalités de sélection14. Certains RD considèrent que la manière de gérer les flux d’étudiants participe aussi de la renommée du diplôme et de sa pérennité.
Le recrutement est un des enjeux majeurs de la formation ; parce que nos étudiants dès le départ ont un engagement avec leur employeur ; on doit faire attention aux candidats qu’on leur présente. La valeur de notre diplôme est étroitement liée à notre capacité à mettre dans ce diplôme des étudiants professionnels de qualité, vu que c’est une alternance. (RD master WM)
13Des RD jouent même les intermédiaires avec les recruteurs pour signer des contrats d’apprentissage indispensables pour suivre la formation. Chaque année, de février à août selon les formations, le processus de sélection débute par l’examen du dossier de candidature, comportant les relevés de notes des dernières années d’études, la copie des diplômes et l’exposé du projet professionnel pour argumenter les raisons de la candidature. Les critères d’appréciation pèsent variablement selon les diplômes et les examinateurs. Ainsi, les relevés de notes ne sont pas pris en compte de manière équivalente : « les notes, ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. C’est plutôt le projet pour savoir où je peux l’emmener » (RD licence professionnelle CPSS). D’autres responsables accordent une attention plus spécifique à certaines notes : « je regarde la note de français et de philo » (RD DEUST SPA). Ou encore : « la note d’EPS [éducation physique et sportive], parce qu’avec un public en difficulté sociale si c’est une quiche en sport, tu es mal » (RD DEUST SIS). Au-delà des notes, les appréciations sont également déterminantes : « C’est important les appréciations parce que c’est des petites promos, on a envie que ça se passe bien » (RD DEUST MF). Les RD de diplômes à bac + 2 ou bac + 3 professionnalisants paraissent moins centrés sur les seules compétences scolaires, et cherchent aussi à identifier des savoir-être indispensables aux métiers d’intervention en face-à-face visés par ces formations. Les examinateurs eux-mêmes sont majoritairement des professionnels hors du champ strictement académique.
14Des critères spécifiques aux formations visées s’ajoutent. Ainsi, des tests physiques sont obligatoires pour intégrer le DEUST MF. La maîtrise de l’anglais est requise pour intégrer les masters WM et MS. Des diplômes sportifs, fédéraux ou d’État, sont indispensables pour candidater au master EOPS. Pour l’entrée en master, les RD étudient les notes de mémoire, les stages et les éventuelles expériences professionnelles. Enfin, le statut de sportif de haut-niveau peut favoriser l’admission de certains candidats, au nom d’une politique institutionnelle d’accompagnement des étudiants dans un double projet sportif et universitaire.
15Contraints par un calendrier très chargé, certains RD se basent sur l’unique examen du dossier pour se prononcer et étudient spécifiquement la nature du projet professionnel du candidat. Considérant que la lettre de motivation ou la présentation écrite du projet professionnel sont souvent trop génériques, d’autres estiment l’entretien indispensable. Ainsi, la responsable du DEUST SPA, épaulée par une dizaine de jurys disposant d’une grille commune de questions, entendra environ 300 candidats : « C’est redonner une chance à des gens qui dans l’école n’ont pas pu explorer leur potentiel et qui d’un seul coup dans l’engagement vers un métier vont révéler leurs compétences ». Les jurys sont composés d’universitaires et de professionnels pour encourager des regards croisés. Quelle que soit la formation, les sélections mobilisent plusieurs collègues pour l’examen des dossiers et/ou les entretiens.
16Ces critères très diversifiés témoignent d’une hétérogénéité des attentes des RD en lien avec celles des futurs recruteurs, car l’enjeu est bien de permettre aux étudiants d’acquérir les compétences qui favorisent leur insertion. Difficile cependant de déceler le potentiel de réussite derrière chaque candidature tant l’appréciation des savoir-être concerne des qualités ou des aptitudes variablement perceptibles et difficilement mesurables. Les ressentis quant à la motivation des candidats, forcément subjectifs, influent aussi sur les décisions des RD qui s’accordent à dire qu’elle est complexe à objectiver. Lors des entretiens, les jurys tentent ainsi de percevoir la personnalité du candidat et de préjuger de savoir-être attendus par les professionnels : « Ce qu’on essaie d’identifier, c’est une espèce de souplesse d’esprit, une capacité à s’enrichir de ce qu’on ne connaît pas » (RD DEUST SPA). Les candidats qui ont déjà suivi une partie de leur cursus au sein de la faculté sont connus des RD, ce qui peut influencer leur décision : « on va donner un coup de pouce à un local, un peu moins bon du point de vue du dossier, mais dont on sait qu’on ne sera pas déçu en termes de comportement, d’implication […]. [À l’inverse] on peut être certain de ne pas vouloir tel étudiant » (RD master MS). « On peut aussi difficilement “éliminer” un candidat local avec un très bon dossier scolaire qui n’aurait pas bien réussi son entretien » (RD master MS). Tout porte à croire qu’un bon dossier scolaire protège encore de l’échec pour l’entrée en master. Pourtant, ce critère d’appréciation ne rend pas nécessairement compte de la valeur et de l’employabilité du candidat. L’obtention de notes toujours satisfaisantes au cours du parcours scolaire ne garantit pas un succès en termes d’insertion professionnelle : « celui qui a dans son parcours une dimension uniquement scolaire, ça va être très compliqué ; mais s’il a fait aussi du sport, des stages, qu’il sait se démerder, il est plus armé ; celui qui n’a que ses notes, il va être en difficulté » (RD licence MS).
17La capacité du candidat à exposer son projet professionnel, en adéquation avec la formation demandée, est aussi évaluée. Si certains étudiants ont un projet professionnel clair, pour d’autres « c’est compliqué, parce que certains peuvent inventer plein de projets » (RD DEUST SIS). Parfois, les contacts noués lors du dépôt de la candidature ou précocement dans le parcours de formation, peuvent être décisifs : « il y a quelques étudiants très motivés qui se renseignent dès la 2e année de licence… Même s’ils ont un dossier moyen, ils construisent sur le temps long, c’est un signe de quelqu’un qui tient à aller vers l’objectif » (RD master SAT). D’autres postulent en ayant déjà un lieu de stage ou d’alternance, témoignant a priori d’une grande motivation à intégrer la formation. La connaissance du secteur d’emploi, du public et des contraintes du métier sont des éléments qui éclairent également le jugement des RD. Cette connaissance acquise via les stages, les jobs d’été ou le bénévolat apparaît comme une preuve de la détermination du candidat à suivre la formation tout en limitant les erreurs d’orientation.
18À l’issue de ce processus de sélection, chronophage et souvent fastidieux vu le nombre de candidats, les résultats ne sont pas toujours ceux attendus. Postulant à plusieurs formations sélectives, certains étudiants retenus se désistent de celles qui les attirent moins. Et les RD constatent parfois : « on va chercher loin sur la liste complémentaire… donc stratégiquement il faut faire très attention aux gens qu’on met sur la liste car ils ont de fortes chances d’être acceptés ». « Au final, ce n’est pas toi qui as sélectionné, ce sont eux qui ont choisi » (RD master EOPS). Cette réalité n’est pas généralisable à l’ensemble des diplômes. Pour certains masters, avec 20 places pour 90 candidatures, les désistements sont très faibles.
19Les RD tendent, par les procédures de sélection, à optimiser leurs choix de recrutement, en prévision d’une insertion professionnelle réussie. Mais les RD ne conçoivent pas les conditions pour y parvenir de manière analogue. À la figure du RD empreint d’une vision académique et gestionnaire du diplôme fait face une figure du RD qui adopte une posture de médiateur voire d’entrepreneur (voir infra). Cette dernière figure est sensible à l’adéquation entre les besoins et attentes des employeurs et les aspirations des futurs diplômés.
20Dans le parcours de formation des étudiants, les RD assurent en partie la gestion du diplôme. Cette mission prescrite est variablement complétée, à leur initiative, par diverses formes d’accompagnement vers l’emploi : « à distance » pour les RD gestionnaires focalisés sur les prérogatives académiques, « de proximité » et au plus près du marché de l’emploi pour les RD entrepreneurs.
21Les RD adoptent des pratiques de sélection et d’accompagnement dépendantes de leur propre conception de la fonction qui est plurielle.
- 15 Maître de conférences ou professeur des universités.
22Les RD, ayant le statut d’enseignant-chercheur en STAPS, ont été formés dans différentes disciplines scientifiques (sociologie et physiologie principalement pour les RD concernés par cette étude). Les RD sont plus rarement enseignant du second degré (voir le tableau 2). Les fiches de poste d’enseignant-chercheur15 ne renseignent pas précisément la définition des tâches d’un RD. La manière d’investir la fonction et le rôle qu’il s’attribue dépendent de son rapport à l’objectif d’insertion professionnelle des étudiants, c’est-à-dire sa manière de penser l’insertion professionnelle d’une part et, à la place et au temps qu’il souhaite y consacrer comparativement à son activité de recherche et d’enseignement d’autre part. Pour certains RD, l’insertion professionnelle des étudiants est une priorité ; pour d’autres, elle relève avant tout du diplômé. Dès lors, ce sont ces divergences de conception qui différencient les RD gestionnaires des entrepreneurs, avec une incidence assez nette sur leur proximité avec les employeurs.
23Parmi les RD, les plus jeunes, en poste depuis moins de cinq ans, s’inscrivent souvent en matière de gestion dans la continuité de leurs prédécesseurs, en poste depuis une douzaine d’années. Notons que l’engagement personnel des RD est d’autant plus soutenu qu’ils ont eux-mêmes été à l’initiative de la création du diplôme et qu’ils en assurent son développement. Citons par exemple les RD des DEUST SPA et SIS, de la licence professionnelle CPSS et du master WM (voir le tableau 2).
Tableau 2. Responsabilités de diplôme (année universitaire 2019-2020)
| Diplôme (année de création) |
Nombre de personnes dirigeant le diplôme |
Statuta du (des) RD |
Nombre de RD depuis sa création |
| DEUST MF (2000) |
2 |
MCF MAST |
3 |
| DEUST seniors (2000) |
1 |
PRAG |
2 |
| DEUST SPA (2000) |
1 |
MAST |
1 |
| DEUST SIS (2000) |
1 |
PRAG |
1 |
| Licence professionnelle CPSS (2012) |
2 |
MCF MAST |
2 |
| Master APAS (2000) |
1 |
PR |
2 |
| Master EOPS (2001) |
2 |
MCF MCF |
5 |
| Master MS (1993) |
2 |
MCF MAST |
3 |
| Master WM (2018) |
1 |
MCF IGE |
1 |
| Master SAT (2013) |
2 |
PR PR |
2 |
| a. PR : professeur des universités ; MCF : maître de conférences ; PRAG : professeur agrégé ; MAST : maître de conférences associé à mi-temps ; IGE : ingénieur d’études. |
- 16 Sont concernés les diplômes proposant l’apprentissage ou le contrat de professionnalisation.
24Les modalités de formation orientent les missions des RD. Ainsi, les diplômes en alternance, reposant sur un modèle économique d’autofinancement16, impliquent un processus et des modalités de sélection singulières et souvent des arbitrages spécifiques : « je n’ai pas vraiment le choix, il faut que je sois rentable […]. Il y en a un qui vient avec un contrat [en entreprise], je l’accueille les bras ouverts, je suis ravi » (RD licence CPSS). Les RD, soumis à un impératif financier qui « desserre l’étau » de la sélection par rapport à d’autres prérequis, valident en règle générale un placement acquis du candidat chez un employeur. Par les liens tissés avec leurs partenaires socio-économiques, ils se distancient des prérequis et cèdent parfois à des pratiques discrétionnaires.
25Le format en apprentissage oblige aussi les RD à consacrer un temps supplémentaire à faire la promotion du diplôme dans un environnement de plus en plus concurrentiel : « on est obligé de fortement s’impliquer, de faire les VRP de service, de vendre la formation aux structures en amont pour décrocher une promesse de place ; on est à l’interface entre les candidats et l’employeur, les candidats qui sont bons doivent être capables de décrocher une alternance par eux-mêmes, mais pour la première année, un tiers seulement ont trouvé par eux-mêmes » (RD master WM). Par le tri des CV, le RD joue le rôle de filtre dans la mise en relation avec l’employeur.
26Les attendus relatifs aux formations en alternance et à l’apprentissage en particulier concernent les savoir-être et les savoir-faire en situation de travail, et la capacité à mener de front études et emploi : « je m’aperçois avec les années que les étudiants que je recrute qui ont déjà par ailleurs connu l’alternance, c’est quand même plus simple […]. On voit qu’ils rentrent plus facilement dans le moule et ils sont beaucoup plus opérationnels sur la partie entreprise. On sent qu’ils ont déjà l’expérience de l’entreprise » (RD licence CPSS).
27Pour les diplômes en formation initiale, les RD développent avec les entreprises des partenariats sous plusieurs formes : accueil des étudiants en stage sur des postes à responsabilité, journée thématique réunissant professionnels et étudiants, etc.
C’est un travail qu’on fait, d’avoir des clubs avec qui on travaille, avec des référents et où on sait qu’ils vont être chapeautés […]. Parce que pour professionnaliser au niveau master, il faudrait qu’ils soient sur des postes à responsabilité en stage. Ils sont en charge de l’équipe, ils ne sont pas adjoints. C’est indispensable pour montrer ce qu’ils savent faire. (RD master EOPS)
Notre journée d’études Grand Est annuelle réunit tous les professionnels sur une thématique. Et là ce sont les étudiants qui préparent la journée, qui rencontrent tous les futurs pourvoyeurs de stage et quelques professionnels. (RD master SAT)
28À certains niveaux de diplômes, les effectifs élevés conduisent les RD à adapter leur suivi :
Avec 65 étudiants, c’est dur de faire quoi que ce soit sur l’insertion professionnelle. [Là] où c’est important de faire attention, c’est sur les stages. Parce que c’est le tremplin vers la professionnalisation. Il n’y a pas une convention de stage que je vais signer où l’étudiant ne m’a pas parlé de son stage. Je veux qu’il me détaille exactement ce qu’il va faire. (RD licence ES)
On allait suivre les étudiants sur le terrain, et on avait des contacts avec les maîtres de stage, mais les effectifs ne le permettent plus, on a trop d’étudiants. (RD licence ES)
29Ce faisant, tout semble indiquer que les prérequis scolaires propres à l’orthodoxie universitaire sont davantage pris en compte par la figure du RD gestionnaire, à la différence de la figure du RD entrepreneur, plus attentif aux indices témoignant de l’engagement des candidats vers un secteur professionnel et/ou un métier identifié, et à leurs potentialités supposées.
30Le parcours professionnel et le statut du RD influencent sa conception de la professionnalisation des étudiants et son investissement variable dans leur accompagnement vers l’emploi.
31Un responsable de master, professeur des universités, qui a réalisé toute sa carrière professionnelle dans l’enseignement supérieur et la recherche, adopte une posture académique dépositaire des normes et des règles institutionnelles en vigueur : « pour les aider à se professionnaliser […] la première chose, c’est à l’entrée en master, leur ouvrir l’horizon [en présentant en cours] les secteurs d’emploi possibles » (RD master SAT). Titulaire d’une thèse en sociologie depuis le milieu des années 1990, il adopte davantage une posture de gestionnaire, à l’instar des RD avant l’essor de la professionnalisation des formations universitaires.
32D’autres RD, plus entrepreneurs et d’une génération plus récente, organisent des visites pédagogiques, des événements et des rencontres réunissant employeurs et étudiants. Le responsable du master WM, enseignant-chercheur menant des recherches dans les entreprises, apprécie les candidats à l’aune de sa connaissance experte du secteur professionnel. Ses relations régulières avec les employeurs l’autorisent à identifier des profils correspondant au besoin de main-d’œuvre :
On sait très bien qu’il faut qu’on valide un certain nombre d’expériences et de compétences qui vont être des atouts pour eux dans le monde professionnel ; on ne recrute que des gens dont on pense qu’ils ont des chances de décrocher une alternance. (RD master WM)
33Eu égard à l’importance de la professionnalisation, certains diplômes sont pilotés par des MAST qui ont la particularité d’occuper également un emploi principal en lien avec le secteur professionnel du diplôme concerné. Ces profils de MAST ont été recrutés pour leur expérience professionnelle et leur connaissance du secteur d’emplois visé par le diplôme. Ainsi, le MAST responsable de la licence professionnelle CPSS a un parcours professionnel significatif dans la vente et des expériences dans la formation qui influent sur sa manière de recruter les étudiants. Les réseaux de relations professionnelles des MAST et leur appartenance au secteur favorisent ensuite leur rôle d’intermédiation, de manière formelle et informelle, et encouragent une posture d’entrepreneur. Leurs contacts et échanges permanents facilitent l’accompagnement des étudiants et la prise en compte des attentes des recruteurs.
34Comme d’autres intermédiaires sur le marché du travail, les RD peuvent intervenir à différents niveaux dans la mise en relation entre étudiants et recruteurs (Bessy et Eymard-Duvernay, 1997 ; Pillon et al., 2019) :
Nous on les oriente un peu dans des structures où il y a des anciens [diplômés de] DEUST qui sont éducateurs sportifs ou chefs de service voire directeurs. Donc il y a un tuteur qui est très souvent passé par la filière DEUST. (RD DEUST SIS)
Il m’arrive d’échanger régulièrement avec les ressources humaines des grandes entreprises partenaires à propos des candidats. Les RH veulent en savoir plus sur leur savoir-être, leur capacité à travailler en équipe, leur potentiel, leur connaissance du marché. (RD master MS)
- 17 Le DEUST MF accueille une promotion tous les deux ans d’un effectif de 10 à 15 apprentis.
35Il faut dire aussi que certains RD incarnent la formation qu’ils dirigent depuis plusieurs années, voire qu’ils ont créée. Ils se préoccupent du devenir professionnel des diplômés et entretiennent des liens réguliers : « je suis en contact avec pas mal d’entre eux, c’est assez simple » (RD DEUST MF17). « Je maintiens le contact avec les anciens étudiants sur LinkedIn, par mail ou téléphone, par intérêt pour ce qu’ils sont devenus et ce qu’ils font » (RD master MS).
36Par-delà les attributions officielles de la fonction, les RD disposent d’une marge de liberté qui révèle des initiatives personnelles. Si le cadre institutionnel leur permet cette part d’autonomie, ils fixent leur degré d’engagement. Certains RD s’efforcent d’organiser des temps d’échanges entre les parties prenantes en sus du fonctionnement conventionnel de la formation : « je fais aussi une réunion avec étudiants, tuteurs institutionnels, tuteurs pédagogiques pour que tous les gens se rencontrent et comprennent ce qu’on attend du dispositif » (RD DEUST SPA).
37Ce type de pratique conduit à installer une proximité forte entre les personnes au sein du microcosme professionnel, favorisant le suivi des stagiaires :
C’est-à-dire que tout le monde est au courant de ce qui se passe, parce qu’il y a une grosse réactivité par rapport à ça. On a beaucoup d’anciens [diplômés de] DEUST qui sont aussi managers et tuteurs dans les salles, donc ça facilite le rapport. L’accompagnement il est quotidien. (RD DEUST MF)
38De même, certains RD sont sollicités en amont du recrutement pour donner leur avis sur un diplômé candidat à l’emploi. Dans cette direction, ils agissent comme « médiateurs » (Callon et Latour, 1991) :
Les anciens diplômés qui occupent un poste de manager et qui sont dans une phase de recrutement d’un collaborateur me transmettent l’offre d’emploi pour savoir si je ne vois pas un potentiel candidat qui ferait l’affaire. (RD master MS)
39Le rôle d’acteur intermédiaire tel que décrit concerne les RD entrepreneurs, attachés à tisser des relations professionnelles entre les diplômés et les employeurs. Les RD gestionnaires estiment que la fonction d’intermédiation ne relève pas de leurs prérogatives. Cette variation des engagements est révélatrice de l’intérêt que les RD attribuent aux effets positifs de la mise en relation des diplômés avec les employeurs, ainsi que de leur définition de la fonction et de leur engagement hors enseignement et recherche.
40L’extension de l’offre de formations au profit des diplômes en alternance conduit les RD à diversifier leurs missions et parfois à relativiser les seuls critères de réussite scolaire/universitaire pour apprécier et favoriser l’employabilité des diplômés. Par-delà ce mouvement de fond, les deux figures contrastées, le gestionnaire et l’entrepreneur, nous permettent d’identifier diverses manières d’investir la fonction de RD. Si le premier tend à sélectionner au regard des facultés et du potentiel de réussite académique des étudiants, le second privilégie leur savoir-être connu et projeté en situation professionnelle. Entre ces deux figures idéales-typiques sont repérables des degrés variables d’engagement. Pour comprendre cette variation, il faut retenir les facteurs structurant la nature et le degré d’engagement. La conjonction de plusieurs paramètres tels que les caractéristiques du diplôme, et le statut du RD, son implication dans la création et l’évolution du diplôme, ses liens avec le milieu professionnel voire son appétence pour rencontrer les acteurs, influence la manière de s’approprier, voire d’incarner la fonction de RD. Ainsi, l’activité d’intermédiation du RD oscille entre une posture d’agent, c’est-à-dire de relais d’informations entre le monde professionnel et l’institution, et une posture de médiateur, force de propositions pour favoriser la montée en compétences des étudiants.
- 18 Loi no2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.
41De par la volonté politique de favoriser l’insertion professionnelle des diplômés (depuis la loi LRU18 de 2007), les missions des RD se diversifient et s’éloignent progressivement du périmètre strictement gestionnaire de la fonction. Il faut voir ici une distinction traduisant une évolution nette de notre siècle entre gestion et management déjà mise en exergue (Ughetto, 2012). La première renvoie à une activité routinière préservant les équilibres institutionnels quand le second signifie une manière plus volontariste d’atteindre des objectifs en mobilisant de nouvelles ressources pour y parvenir.
42Dans un contexte de forte pression politique et économique, la figure de l’entrepreneur tend à s’imposer dans l’enseignement supérieur. Elle vise à concilier les objectifs de l’établissement, les attentes des employeurs et les aspirations des étudiants, au risque d’entraîner une « sur-sélectivité » (Sarfati, 2014). Cette figure semble pourtant difficile à tenir pour des enseignants-chercheurs peu préparés à répondre à ces nouveaux enjeux. Prioritairement recrutés pour les activités d’enseignement et de recherche, et parfois peu en relation avec le monde socio-économique, ils ne sont pas nécessairement formés pour assurer les missions de développement des diplômes et de professionnalisation des étudiants. Les notes de cadrage concernant l’accréditation des offres de formations à venir accentuent l’impératif pour les RD de préparer à l’insertion professionnelle et, partant, de devoir endosser ce rôle de développeur-entrepreneur.
Flux RSS
