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- 2 Notamment le no 76 (2017/2) : « Éducation populaire : politisation et pratiques d’émancipation ».
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- 4 Réseau international de l’animation, en 2013, colloque : « Animation, vie associative, des acteurs (...)
1Le lien entre l’animation et l’éducation populaire fait l’objet de nombreux événements et productions scientifiques depuis le début des années 1950 (par exemple, Les cahiers de l’animation1, Agora débats/jeunesse2, les colloques ISIAT3 ou encore le RIA4). Les acteurs de l’éducation populaire sont à l’origine de l’animation qui est parfois vue comme sa fille professionnelle (Besnard, 1980 ; Lebon, 2020). Raymond Labourie (1981) avance que l’animation est « héritière de cette même éducation populaire, mais ignorante de son héritage » (p. 3). Pour Guy Saez (1994) et Jean-Luc Richelle (2005), l’animation se construit en rupture avec l’éducation populaire. Même s’il fait objet de débats, un lien existe bien entre l’animation et l’éducation populaire.
- 5 Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active.
2Le tournant professionnel de l’animation a lieu durant les années 1960 avec la création de nombreux équipements socioculturels et le soutien du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (FONJEP) (Besse, 2014). Toutefois, la professionnalisation reste inachevée (Lebon, 2009) bien que des formations professionnelles complètent celles de moniteurs et directeurs de colonie de vacances à partir de 1967. En effet, les universités proposent des diplômes universitaires de technologie (DUT) carrières sociales option animation sociale et socio-culturelle (ASSC) à travers les instituts universitaires de technologie (IUT) (Mignon, 1998) et participent à l’universitarisation des formations d’animateur (Bourdoncle, 2007). Les mouvements d’éducation populaire créent leurs diplômes durant la décennie suivante. Ces derniers intègrent ainsi l’éducation populaire dans une perspective d’émancipation, de conscientisation, d’augmentation du pouvoir d’agir et de transformations sociales et politiques (Maurel, 2010). Des militants forment ainsi des animateurs avec une certaine approche de l’éducation populaire (en référence à leur mouvement comme c’est le cas pour les Ceméa5) pour que les participants deviennent militants à leur tour. Or, d’autres acteurs que les mouvements historiques investissent le marché de la formation d’animateur.
- 6 Célèbre maxime qui définit l’éducation populaire en faisant référence au discours de Gettysburg du (...)
3À partir des années 2000, les entreprises font une entrée progressive sur le marché de la formation, tantôt dirigées par d’anciens salariés de mouvements d’éducation populaire, tantôt par des personnes issues d’un autre secteur d’activité. L’augmentation du nombre d’acteurs est corrélée à une libéralisation de l’offre. À ce titre, les organismes proposent leurs formations dans un marché régulé par différentes dynamiques (soit la régulation externalisée, l’autorégulation ou la régulation chaotique) (Bock, 2022b). L’arrivée d’acteurs allogènes au monde de l’animation favorise la porosité du secteur avec d’autres comme le sport, la santé ou le travail social. D’autant plus que, depuis une dizaine d’années, les métamorphoses du monde associatif se traduisent par un fonctionnement « d’association-entreprise » (Hély, 2009). L’un des leviers marchands est la professionnalisation (Cottin-Marx, 2016) qui se manifeste dans les formations par l’emploi de la notion de compétence et par le découpage en unités de compétences (UC) qui sont vendues aux participants. Par conséquent, les acteurs de la formation d’animateur se retrouvent à proposer différents diplômes et à s’organiser dans un marché régulé par les appels d’offres. Jérôme Camus et Frédéric Chateigner (2018) soulignent d’ailleurs l’influence de la libéralisation sur les politiques publiques qui favorisent la mise en concurrence et affectent finalement la qualité du travail. Toutefois, l’éducation populaire vouée à éduquer le peuple, par le peuple, pour le peuple6 est le plus souvent en rupture avec un modèle capitaliste et se caractérise par un ensemble de mouvements avec leur écosystème propre, des pratiques et des discours spécifiques. Cet article, en s’intéressant à la place accordée à l’éducation populaire dans le marché de la formation d’animateur, propose d’analyser dans quelle mesure les directives européennes et nationales ont une influence sur les diplômes à l’échelle locale.
Terrain de recherche
Les données présentées sont issues de 57 entretiens semi-directifs réalisés entre 2018 et 2020 avec les acteurs de la formation : formateurs, responsables de formation, directeurs de structure et conseillers d’éducation populaire et de jeunesse (CEPJ). Les marchés locaux représentent 46 entretiens (22 réalisés à Paris, 11 à Grenoble et 13 à Toulouse).
Le terrain parisien est constitué d’entretiens avec une inspectrice DRJSCSa, 5 enseignants-chercheurs, 7 associations (2 directeurs, 2 directeurs de formation, 6 responsables de formation et 1 coordinateur de formation), 1 Greta (responsable de formation), 1 entreprise (le fondateur, 3 responsables de formation).
Le terrain grenoblois est constitué de 3 CEPJb dont 1 retraité, de 2 enseignants-chercheurs, 2 associations (1 directeur régional, 1 coordonnatrice de formation, le président et 1 formateur) et 2 entreprises.
Le terrain toulousain est constitué d’entretiens avec 1 CEPJ, 3 enseignants-chercheurs, 8 associations où 1 entretien a été réalisé par structure (2 coordonnatrices et 6 responsables de formation ont été interrogés) et 1 entreprise représentée par la responsable de la gestion et du développement.
a. Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale.
b. Conseillers d’éducation populaire et de jeunesse.
4Afin d’appréhender le rapport entre l’animation et l’éducation populaire à travers la formation d’animateur professionnel, l’analyse est composée de trois niveaux : 1) supranational, en considérant les directives de l’Union européenne, 2) national, avec les décisions de l’État en matière d’animation et de formation et 3) local, par les injonctions que subissent les acteurs de la formation.
5L’Union européenne montre, à travers les accords de Bologne, une volonté d’uniformiser les formations de l’ensemble des pays membres. Ce processus transforme également la formation professionnelle et touche directement l’animation socioculturelle. Cette partie appréhende la normalisation des formations par la compétence – induite par ce processus – qui s’applique à la formation d’animateur.
6Les accords de Bologne de 1999 visent à normaliser les diplômes proposés au sein de l’Union européenne. Les universités subissent en premier ces transformations. Le processus de Bologne entraîne donc la refonte des diplômes avec le programme supérieur des universités françaises qui organise le cursus en trois niveaux, « LMD » : licence (niveau bac + 3), master (niveau bac + 5) et doctorat (niveau bac + 8). Or, le DUT subsiste au niveau bac + 2 jusqu’à l’arrêté du 6 décembre 2019 portant « réforme de la licence professionnelle » qui transforme le DUT en bachelor universitaire de technologie (BUT)7 (niveau bac + 3). Outre la transformation des universités, le processus de Bologne influence également les formations d’autres types d’acteurs à l’instar des instituts de formations de kinésithérapie (Gedda, 2014), d’éducation physique et sportive (Marsault, 2004) ou encore du travail social (Besnard, 2015).
7Musselin et al. (2007, p. 99) identifient deux étapes de ce processus. La première vise à harmoniser les structures d’enseignement afin qu’elles soient similaires d’un pays à l’autre. C’est par exemple le cas des formations en assistanat social en France et en Italie (Iori, 2017). La seconde étape de ce processus concerne la mise en place « d’assurance qualité » traduite par des agréments à l’instar de DataDock8 et Qualiopi9 qui visent à référencer et à reconnaître les certifications qualité des prestataires de formation.
8Les directives de l’Union européenne autour de la formation induisent des conditions favorables à l’expansion du marché en facilitant la marchandisation des diplômes d’animateur (plus courts, plus fractionnés et équivalents à d’autres formations). Les dynamiques de marché percutent alors les formations historiques d’éducation populaire qui sont ressaisies et proposées par des acteurs allogènes à ce monde. La partie suivante vise à interroger le positionnement de l’État à l’aune des directives de l’Union européenne et son rôle dans le marché de la formation d’animateur afin d’analyser la place de l’éducation populaire dans les nouveaux diplômes.
9L’État s’inscrit dans une dynamique d’institutionnalisation de l’animation depuis le début du siècle dernier (Bock, 2022a). Durant les dernières décennies, les directives européennes, en particulier celles du processus de Bologne, ont participé au remaniement des diplômes. Cette partie aborde trois points principaux : 1) les directives et les réformes de la formation professionnelle, 2) la transformation de diplômes par la compétence et 3) l’organisation des appels d’offres.
- 10 Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.
10Premièrement, les directives et les réformes influencent la formation professionnelle. Depuis la loi no 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, les organismes qui forment aux compétences doivent être certifiés pour bénéficier de fonds publics ou mutualisés (État, régions, Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi ou Agefiph10). Les acteurs agréés bénéficient ainsi de financement pour leurs participants à travers les opérateurs de compétence (OPCO) – qui remplacent les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) et témoignent du regroupement des domaines d’activités avec le passage de vingt OPCA à onze OPCO. À travers ce financement, les objectifs sont de recenser les organismes de formation et de les auditer pour assurer leur bon fonctionnement. Par ailleurs, le coût en ressources humaines est considérable pour les acteurs qui doivent justifier des compétences que les participants acquièrent durant les formations. La managérialisation (Alcaras et al., 2011) de la formation professionnelle par les appels d’offres conduit donc à une épuration « naturelle » du nombre d’acteurs de la formation. Le suivi des acteurs par les inspecteurs et CEPJ démontre d’ailleurs la faible capacité des plus modestes en taille à se positionner sur ces dispositifs.
Ceux qui ne répondent pas, soit c’est parce qu’ils ne sont pas concernés par l’appel d’offres, parce que les formations ne correspondent pas. Soit parce que tout l’administratif est trop compliqué et ils n’ont pas la structure pour faire ça. La réforme va être la passoire qui va laisser les petits dehors, ça va être un révélateur sur l’état de santé. Même pour les gros c’est compliqué. (Inspecteur Jeunesse et Sports, DRJSCS, Paris)
11Le compte personnel de formation (CPF) complète cette loi en visant à faciliter la démarche individuelle d’entrée en formation pour les participants. Un autre élément, conjoncturel, qui a restructuré l’offre est la pandémie de Covid-19. Les acteurs ont proposé leurs formations à distance pour pallier les confinements imposés par le gouvernement. Cette contrainte a conduit certains acteurs à accélérer leur transition numérique en formation et à la conserver post-confinement. Alors que d’autres proposaient déjà les diplômes Jeunesse et éducation populaire (JEP) en ligne ayant pour effet de réduire considérablement les échanges informels des participants (Bock, 2021).
12Deuxièmement, la création des diplômes JEPS fait suite à une volonté d’unifier les diplômes JEP et les diplômes du sport. Cette refonte s’effectue dans le cadre qu’impose le processus de Bologne, permettant ainsi l’importation dans le monde de l’animation des logiques de formation par compétence. Au début des années 2000, Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, impulse la transformation des diplômes d’animateur par la compétence et dans une logique rectiligne de filière (Mignon, 2007). Une vingtaine d’années seront nécessaires à sa structuration en quatre unités de compétences (UC) et à un calibrage d’une durée d’environ un an par diplôme.
- 11 Répertoire national de la certification professionnelle.
13En parallèle, les diplômes de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur (déjà structurés en unités d’enseignement proches de la dynamique qu’impose le processus de Bologne) proposent également une filière animation : baccalauréat professionnel animation-enfance et personnes âgées, le BUT carrières sociales option animation sociale et socio-culturelle, les licences et masters en sciences de l’éducation et de la formation. La formation initiale est supérieure dans la classification RNCP11 et entre donc en concurrence avec les diplômes JEP. En effet, un animateur BPJEPS valide un niveau bac alors qu’un animateur BUT justifie d’un niveau bac + 3.
14La conception des diplômes fondée sur une approche par compétence conduit les acteurs à repenser les formations et accentue la porosité entre les diplômes. La logique de formation par compétences reconnaît celles validées durant les formations antérieures des participants. Lorsqu'un diplômé d'un brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (BPJEPS) souhaite obtenir une nouvelle option, il bénéficie d'une validation systématique de la moitié de la formation. À titre d’exemple, les participants diplômés d’un BPJEPS dans le domaine du sport valideront automatiquement les deux premières unités de compétence – sur quatre – d’un nouveau BPJEPS dans le domaine du sport ou de l’animation. Par conséquent, les parcours tendent vers une réduction du temps passé en formation (300 h au lieu de 600 h). L’acculturation au métier durant la formation avec les savoirs induits qui en découlent tend à en être réduite (Bock, 2021). Cet allègement du temps de formation constitue un manque à gagner pour les organismes de formation.
- 12 Diplôme d’État de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport.
- 13 Diplôme d’État supérieur de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport.
15La création de double cursus représente un second effet de l’approche par compétence. Les diplômes d’animateur sont réévalués d’un niveau au Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) afin d’organiser la double formation (par exemple : DEJEPS12 niveau 5 et licence niveau 6 ou DESJEPS13 niveau 6 et master niveau 7). Les animateurs suivent simultanément deux diplômes avec des unités de compétences mutualisées et validées par deux ministères différents (Sports et Enseignement supérieur). Les participants sont ainsi doublement diplômés. Pour les organismes de formation, ce montage pédagogique fastidieux représente un avantage concurrentiel, car ils vendent deux diplômes pour un montant quasiment similaire. Les universités étendent leur offre, se rapprochent du terrain et participent à l’universitarisation des formations. Par ailleurs, la filière JEP est organisée sans diplôme de niveau 7 (comme le master). Les acteurs privés de la formation peuvent néanmoins le proposer à travers les doubles diplômes. De plus, il correspond dans de nombreux secteurs (par exemple : travail social, sport, santé) aux fonctions de direction alors que les directeurs du monde de l’animation sont généralement diplômés au niveau 6 (DESJEPS).
16Troisièmement, l’État joue un rôle dans la gestion du marché de la formation d’animateur. L’approche contemporaine dite « néolibérale » promeut l’ouverture des marchés à la concurrence au niveau des services publics (par exemple : les services administratifs classiques comme l’enseignement, l’administration pénitentiaire, les services sociaux ou ceux qui présentent un caractère industriel et commercial) (Dardot et Laval, 2010). Dans le cas de la formation d’animateur, l’État est bien présent sur le marché. Cependant, son rôle a évolué en passant du subventionnement des acteurs à l’organisation de marchés publics (Bordes, 2015). Ces derniers représentent un mode de régulation des acteurs et des fonds publics à destination de la formation. Les conseils régionaux ou Pôle emploi commanditent des appels d’offres qui entraînent une mise en concurrence des acteurs au moment de proposer leur réponse. Par ailleurs, Ansaloni et Smith (2017) soutiennent que l’État n’a pas pour objectif de libéraliser le marché de la formation, mais que la succession des actions y contribue.
17Pour conclure, trois éléments caractérisent le positionnement de l’État dans le monde de l’animation :
- L’approche par compétence technicise l’animation et favorise les porosités avec l’université ;
- Les réformes autour de la formation professionnelle favorisent des entrées individuelles en formation ;
- L’État organise le marché de la formation par les appels d’offres.
18La partie suivante s’intéresse à l’application des directives nationales et supranationales à l’échelle locale.
19Les deux parties précédentes ont démontré les transformations auxquelles les acteurs de la formation d’animateur font face en matière de diplômes (telles que l’approche par compétence et la porosité avec d’autres formations). Les réformes impulsées par l’Union européenne comme par l’État s’inscrivent dans un contexte économique qui a tendance à orienter les priorités des acteurs vers une rentabilité financière afin d’assurer leur survie sur un marché concurrentiel ouvert à des organismes de formation provenant d’autres secteurs que celui de l’éducation populaire.
C’est un marché qui est concurrentiel après c’est soit des gens qui n’ont pas forcément une référence à un projet d’éducation populaire ou la référence c’est du commerce, mais en même temps c’est comme ça. (Responsable régional formation, Association 1, Toulouse)
20Contraints d’assurer un équilibre budgétaire, les organismes de formation continuent d’exercer une activité dans un contexte concurrentiel interrogeant leur posture militante. De plus, la facilitation des équivalences entre les diplômes (par exemple UC 1 et 2 de tous les BPJEPS) et la logique libérale conduisent certains acteurs de la formation à se positionner sur de nouveaux marchés.
L’association est en train de se déployer sur tous les territoires, on est à Tarbes maintenant. On va aller à Foix, Béziers, Perpignan, Montpellier, Carcassonne, Meuray. On a gagné tous les appels d’offres de la région, on est en train de se déployer. (Responsable de formation, Association 2, Toulouse)
21L’analyse des trois marchés a pour objectif de mettre en lumière des modes de régulation différenciés : externalisé (Paris), autorégulé (Grenoble) et chaotique (Toulouse) (Bock, 2022b). La place que jouent les politiques publiques caractérise les marchés et influence leur organisation. Les conseils régionaux détiennent un rôle déterminant dans la mise en place d’appel d’offres. Les territoires ne sont pas soumis à la même intensité de déploiement de ce dispositif. Les acteurs construisent quant à eux le marché, parfois sous l’impulsion de politiques publiques et contraints par les réponses groupées aux appels d’offres, parfois de manière informelle. Leurs interactions caractérisent l’intensité de la concurrence et de la coopération à l’échelle locale. Enfin, une offre spécifique distingue chaque marché. Cette dernière démontre la volonté des structures de se distinguer de leurs concurrents.
- 14 Association régionale pour la formation d’animateurs.
22Le marché parisien témoigne d’une régulation externalisée. De nombreux acteurs le composent et agissent aussi bien localement que nationalement. Face à l’importance du marché, les instances des pouvoirs publics enjoignent les acteurs à se regrouper et à organiser le mode de régulation par la création d’une association : l’ARFA14 rassemble depuis les principaux acteurs de la formation d’animateur du marché parisien.
On a développé l’ARFA pour offrir une structure juridique à un CFA. Il y a plus de 20 ans, à la création, il n’y avait aucun organisme de formation qui pouvait avoir la capacité juridique et économique pour être un CFA. Les pouvoirs publics de l’époque ont refusé à tout le monde et ils ont dit : « regroupez-vous, créez une association régionale pour pouvoir offrir un support juridique au CFA ». (Directeur, Association 3, Paris)
23Cette association créée par une pluralité d’associations est un outil de régulation du marché où les acteurs se retrouvent pour échanger sur leurs pratiques et en mutualiser certaines. L’objet principal de cette structure tête de réseau est avant tout de faciliter et de centraliser la répartition des réponses aux appels d’offres.
L’ARFA nous permet de nous retrouver, partager nos préoccupations, être en lien avec les pouvoirs publics notamment la DRJSCS, on a parfois des projets partagés sur des réponses à des appels d’offres pour des stages de préqualification. L’ARFA a validé un statu quo avec des organismes de formation qui possédaient déjà des conventions. L’ARFA nous permet d’ouvrir des sessions d’apprentissage. Le fait d’être dans l’ARFA nous permet d’avoir huit apprentis par an. (Responsable formation professionnelle, Association 4, Paris)
24Cette coalition d’acteurs limite la concurrence entre eux. Toutefois, de nouveaux organismes de formation investissent le marché. Ces nouveaux arrivants ne partagent pas la conception pédagogique et le rapport à l’éducation populaire que peuvent avoir les mouvements historiques d’éducation populaire. À titre d’exemple, des entreprises proposent depuis 2018 des formations d’animateur à distance. Le dispositif dématérialisé représente un avantage concurrentiel considérable pour les organismes de formation. En effet, les charges fixes (par exemple les locaux) sont réduites et les prix des formations sont plus faibles que ceux des concurrents. L’entreprise Blue Up Formation propose par exemple des BPJEPS à 4950 euros15 alors que les concurrents sur le marché parisien sont aux alentours de 6000 euros.
25En outre, des acteurs publics, à l’instar des groupements d’établissements (Greta), cherchent à accroître leur offre en se positionnant sur de nouveaux marchés. C’est le cas d’un Greta qui propose initialement des diplômes dans les métiers de la santé et du social et augmente son offre avec des formations d’animateur. C’est le cas de certains acteurs du secteur sportif qui investissent également ce marché. La porosité entre les unités de compétences à valider pour obtenir les diplômes facilite l’entrée de ces nouveaux acteurs dans la formation d’animateur. La logique de formation par compétence conduit des universités comme Nanterre, l’UPEC et Paris 13 à proposer des doubles formations licence-DEJEPS et master-DESJEPS avec des associations et entreprises locales.
- 16 Restructurée depuis 2021 en deux entités : la DRAJES (délégations régionales académiques à la jeun (...)
26Le marché grenoblois montre une autorégulation par les acteurs. Délaissés par la DRJSCS16, qui s’est recentralisée à Lyon, les acteurs adoptent des conventions d’autorégulation de la concurrence par une répartition de l’offre sur le territoire. En effet, les acteurs optent pour des concertations informelles, des collaborations sur des projets annexes à la formation et adoptent une distinction dans leur offre. La plupart des acteurs historiques ont quitté le territoire, mais les anciens salariés s’organisent désormais à travers de nouvelles structures pour proposer des formations. Seule une association présente localement depuis le siècle dernier s’appuie sur le programme Erasmus + dans son offre de formation.
Si on n’avait pas l’Erasmus, on ne mettrait pas les formations dans les mobilités européennes. Les gens viennent pour ça, c’est un avantage concurrentiel hyper important. Je fais toujours un sondage en début de formation et les deux semaines au Portugal en Erasmus + ça intéresse aussi les gens : aller voir ailleurs ce qu’il se passe sur des questions de jeunesse… Si on le perd c’est dramatique, mais ils doublent les budgets sur les prochains programmes, il y a un développement phénoménal. (Directeur régional, Association 5, Grenoble)
27Le dispositif européen offre un avantage concurrentiel considérable à cette association qui organise de réelles sélections des participants alors que les autres acteurs du territoire se voient contraints par une logique économique qui les force à retenir tous les candidats solvables afin d’ouvrir leur session de formation.
28Le marché toulousain connaît, pour sa part, une régulation chaotique caractérisée par une multitude d’acteurs de statuts et d’ancrages différents. En effet, plusieurs éléments perturbent ce marché : les réformes territoriales et le passage de vingt-deux à treize régions (en 201517) ; l’arrivée de nouveaux acteurs bousculant les associations historiques ; les injonctions au regroupement dans le cadre des appels d’offres régionaux pour l’organisation des formations. De plus, le retrait de l’État, marqué par la diminution du nombre de CEPJ, facilite l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché de la formation.
S’il y a autant d’acteurs, c’est parce que c’est un marché, tout simplement. Un marché ouvert à la concurrence, la tutelle ne fait pas son boulot de régulation. (Responsable formation professionnelle, Association 6, Toulouse)
29Ces nouveaux acteurs agissent individuellement et dérégulent l’offre sur ce marché. En conséquence, une concurrence règne dans les interactions. De plus, des tensions entre les acteurs rendent complexe une uniformisation globale de l’offre. Le prix des formations représente d’ailleurs un avantage concurrentiel pour les acteurs qui proposent des prix nettement inférieurs à leurs concurrents (8,5 euros de l’heure par stagiaire pour l’association 2 contre 12,5 euros de l’heure par stagiaire pour l’association 6).
Il y a une concurrence réelle, n’importe qui peut ouvrir un centre de formation et se proclamer formateur, s’il est agréé, habilité et s’il a les moyens. C’est un marché juteux pour certains. Ce n’est pas trop le cas chez nous, si on gagnait des milliards ça se saurait, mais on est bien sur un marché. Sur le terrain et localement on ne se fait pas de cadeau. Ce n’est pas du tout serein. (Responsable formation professionnelle, Association 6, Toulouse)
30Le retrait de l’État de ce marché démontre des tensions politiques locales à travers l’attribution des marchés en fonction du positionnement politique des acteurs.
Il suffit de regarder les organismes de formation qui ont été financés cette année, notamment pour se rendre compte qu’il y a une corrélation entre la montée exponentielle de certains organismes de formation en nombre de formations et l’attribution des marchés, c’est les mêmes. L’association 2 qui a obtenu des bons de commande, des marchés pratiquement dans tout le département de l’Occitanie. (CEPJ, Toulouse)
31La réforme territoriale ouvre les marchés régionaux à de nouveaux acteurs et alimente ainsi le climat concurrentiel. La réduction du nombre de CEPJ complexifie la régulation du marché. Enfin, l’attribution des appels d’offres en fonction de la proximité politique des structures accroît les tensions entre des acteurs qui peinent à travailler ensemble.
32L’analyse de ces trois marchés met en évidence l’importance des acteurs au niveau local. La libéralisation des marchés est similaire dans les trois cas. L’État ne soutient plus les acteurs historiques qui se retrouvent en concurrence avec les organismes de formation émergents. Toutefois, la démonstration souligne qu’une part importante de la configuration s’explique par le rôle des pouvoirs locaux (principalement la région), à partir desquels les structures s’organisent et s’adaptent, allant de la régulation externalisée à la dérégulation en passant par l’autorégulation. Les mouvements d’éducation populaire semblent perdre leur place et de la présence lorsque le marché est moins régulé. Les acteurs locaux se saisissent différemment des directives nationales et européennes.
33Les formations étudiées témoignent du rapport entre l’animation et l’éducation populaire et cette recherche souligne trois éléments principaux : 1) la place de l’éducation populaire dans la formation d’animateur, 2) la place de l’État dans l’animation et dans l’éducation populaire et 3) la place de l’éducation populaire dans le marché de la formation d’animateur.
- 18 Union française des colonies de vacances.
34Premièrement, la place de l’éducation populaire dans la formation d’animateur est présente à plusieurs niveaux. Tout d’abord, d’un point de vue historique, les mouvements d’éducation populaire qui ont participé à la création et à l’expansion de l’animation sont – pour la plupart – toujours présents à l’instar des Ceméa, des Francas ou de l’UFCV18. Ensuite, les contenus des formations représentent également des apports théoriques à ce sujet. Les protagonistes revendiquent l’utilisation des pédagogies actives en rupture avec les « pédagogies descendantes ». Enfin, l’éducation populaire persiste de manière endogamique par le biais des formateurs initiés au préalable durant leurs activités militantes.
35Deuxièmement, la place de l’État dans l’animation et dans l’éducation populaire est moins évidente à appréhender. En effet, depuis le début du siècle dernier, l’État a toujours été à la fois régulateur, contrôleur, prescripteur et accompagnateur de l’animation et, dans une moindre mesure, de l’éducation populaire. Actuellement, son retrait se dessine à travers la délégation des évaluations aux organismes eux-mêmes, la réduction du nombre de conseillers d’éducation populaire et de jeunesse et la réduction des subventions à destination des associations pour privilégier une logique de marché par appels d’offres (Bordes, 2015). De plus, les DRJSCS confient les évaluations des participants aux organisateurs des formations. Toutefois, l’État conserve la délivrance des diplômes.
- 19 Référence au personnage de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles.
36Troisièmement, la place de l’éducation populaire dans le marché de la formation est différente selon les territoires. Le « syndrome de la Reine rouge19 » (Bordes, 2015 ; Bock 2022b) caractérise le comportement des acteurs sur les marchés locaux. À des rythmes différents, les structures s’inscrivent dans une course (à la croissance) sur place où ceux qui ne participent pas sont éliminés à l’instar de mouvements historiques qui abandonnent les territoires (les Francas ont quitté le marché grenoblois). Cette compétition contraint les acteurs à faire preuve d’originalité en (ré)inventant leurs formations (doubles diplômes sur le marché parisien) ou à adopter une politique de prix agressive (à Toulouse, certains acteurs proposent des formations 30 % moins coûteuses que leurs concurrents).
37L’analyse des trois marchés locaux démontre que le rôle de l’État a évolué en passant de l’octroi systématique de subventions à une intervention orientée qui favorise la constitution du marché (Bordes, 2015). La volonté uniformisatrice des diplômes conduit à une ouverture du marché à de nouveaux acteurs. L’État est ainsi moins présent dans la régulation et l’organisation des diplômes est accessible à des structures allogènes au monde de l’animation. Par conséquent, la libéralisation des marchés met les acteurs de l’animation en concurrence et rend donc le travail coopératif et collaboratif complexe. La formation s’inscrit ainsi dans un marché qui écarte les structures les plus faibles aux dépens de celles plus stables financièrement.
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