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2021

Bérengère Kolly (2018)
Montessori, l’esprit et la lettre

Camille Roelens
Référence(s) :

Montessori, l’esprit et la lettre
Bérengère Kolly
Vanves : Hachette éducation, 240 p.

Texte intégral

1Il est permis de penser que la présence accrue du nom d’un.e penseur.e et/ou d’un.e pédagogue dans la conversation publique se paye souvent de l’amputation d’une part conséquente de ce qui constitue la cohérence intellectuelle et pratique de ses propositions. Chercheurs et chercheuses spécialistes du domaine n’y trouvent alors pas leur compte, tandis que les néophytes et les praticiens en quête de ressources concrètes mobilisables dans leur quotidien n’accèdent qu’à l’écume de ce que les vagues successives de travail réflexif sur l’éducation ont produites. Le premier et le plus fondamental mérite de l’ouvrage de Bérengère Kolly est de chercher (et à notre sens, de parvenir) à rompre ce cercle vicieux (de la moindre compréhension à mesure de la forte publicité) s’agissant de l’œuvre de Maria Montessori.
L’auteure a de plus le mérite d’exposer d’emblée avec vigueur son programme de recherche et de rédaction dans une très utile note d’intention et de méthode (p. 16-19). Kolly refuse de réduire l’adjectif montessorien.ne à la qualification d’un type de matériel ou d’organisation de temps de classe, c’est donc, dans son livre « de la philosophie de l’éducation montessorienne dont il sera question » (p. 17). Cela n’exclut pas, bien entendu, les pratiques – en une mise en abime efficace de son sujet, Kolly reprend d’ailleurs de Montessori l’exigence de rythmer son propos de descriptions de cas pratiques réels (p. 19) - mais conduit à se concentrer sur les pratiques « correctes » (p. 16), celles où l’esprit et la lettre de cette pédagogie peuvent être saisis de concert. Bref, « pour pouvoir adapter ou mixer une pédagogie, il est nécessaire de connaitre (et peut-être même de pratiquer) ce que l’on entendu adapter ou mixer » (p. 17).
L’ouvrage se déploie ensuite en quatre parties, avec une volonté explicite de suivre « la logique qui est celle de Maria Montessori : partir de l’enfant, de son déploiement intérieur, de sa régulation et de sa "guérison" (I), pour mener à la société, à la vie avec autrui (IV) ; ce par le truchement du matériel et de la pédagogie (II) et l’intervention délicate de l’adulte (III) » (p. 236).
La première partie s’intitule « Trois notions pour comprendre l’enfant : esprit absorbant, périodes sensibles et normalisation » (p.21-62), et aborde ces dernières – qui structurent la puissance de l’enfant - successivement. L’esprit absorbant est une « disposition psychique [qui] rend l’enfant extrêmement adaptable à son milieu » (p. 34) et fonde tout à la fois la possibilité anthropologique de la transmission culturelle, la responsabilité éducative de l’adulte et la spécificité – dont la pédagogie doit partir - de l’apprentissage enfantin, lequel passe « en premier lieu par l’expérimentation et par les sens » (p. 35). Une période sensible est un « temps, propre à chacun, s’étalant parfois sur plusieurs années, pendant lequel l’enfant est "sensible à certaines choses", avec ardeur, énergie et intensité, et "indifférent à d’autres" » (p. 37). Ainsi, la succession de ces périodes permet l’apprentissage le plus riche possible en « pierre de touche » (p. 49) dont chacune marque une acquisition définitive et singulière. Le « matériel montessorien » (p. 48) est pensé et conçu à cette aune. La normalisation - qui est à comprendre dans une logique d’accès de l’enfant à la santé (p. 51) – permet à l’enfant de s’apaiser et d’être en harmonie avec son milieu tout en apaisant ses propres besoins. Cela passe par un travail intéressant, épanouissant et librement choisi (p. 55). La normalisation est à distinguer à la fois de la normation et de la standardisation (p. 57) car elle vise l’expression libérée de l’unicité. Elle porte en cela une éthique de maitrise de soi et du monde (p. 58-59). Ainsi, l’enfant est le « guide de sa propre normalisation » (p. 60) et, une fois normalisé, le révélateur de ce que l’espère humain a de meilleur. La pédagogie montessorienne vise donc à « libérer l’enfant » (p. 61-62) au triple sens où ce dernier doit tout à la fois pouvoir accéder aux droits humains fondamentaux, se voir reconnaitre une puissance initiale qui a à s’exprimer, et pouvoir trouver dans la sociétés des ressources pour valoriser et déployer ladite puissance vers un horizon qui se rapprocherait de l’« éthique spinoziste » (p. 62) de la liberté et de la joie.
La deuxième partie, « Libérer l’enfant : éducation sensorielle, "matériel" et discipline de soi » (p. 63-122), tend ainsi toute entière vers la mise en lumière de la centralité, pour comprendre l’esprit du matériel montessorien, d’une valorisation de son élan vital et de sa joie. La liberté de l’enfant dans et par son éducation (p. 65-67) vaut alors par sa capacité à permettre « le plaisir d’agir, la joie de faire, et de faire par soi-même » (p. 119). Le matériel doit ainsi : permettre une riche exploration sensorielle du monde soutenue par un certaine formalisme (p. 68-83) et favoriser la puissance de l’enfant (p. 84-92) en multipliant les occasions qu’il rencontrera de l’expérimenter ; envisager le mouvement de l’enfant (p. 93-102) comme le lieu d’un « aller-retour constant entre physique et psychique » (p. 102) permettant la maitrise de ses gestes et de sa volonté ; faire place à l’imagination et au jeu comme mode privilégié d’accès de l’enfant à la conscience du réel (p. 130-109) et ce en se mettant à son rythme propre (p. 110-118). Ainsi, si « toute aide inutile est une entrave » (p. 116) c’est avant tout parce qu’elle advient à contretemps des besoins naturels de l’enfant.
La troisième partie, « Le maitre ou la maitresse montessorienne » (p. 125-182) est traversée et structurée par deux lignes de forces complémentaires. Premièrement, cette pensée de l’éducation implique un « "déplacement radical" pour l’enseignant » (p. (p. 125-133) quant à sa conception de son rôle et à l’exigence qui lui est faite de se construire lui-même au contact et au prisme de l’enfant (p. 181-182). Deuxièmement, si le rôle de l’enseignant.e n’est plus conçu comme central (p. 133) – en faisant « un trait d’union entre le matériel et l’enfant » (p. 132) - il n’en est pas moins essentiel et indispensable. Il y a donc bien un agir montessorien (p. 134-180), conçu comme un art personnel de l’intervention à-propos. Les maitres-mots en sont le refus de la soumission de l’enfant aux besoins et représentations spontanées de l’adulte (p. 134-143), qui doit donc lui-même s’adapter. Le fameux triangle pédagogique, ici rebaptisé « topogénétique » (p. 144-166), y trouve une déclinaison propre : le maitre ou la maitresse « présente et initie l’enfant à l’usage du matériel » (p. 147), l’observe et le suit dans ces tâches. La base des pratiques montessoriennes (p. 167-180) correctes en découlent : travail avec « un matériel spécifique et cadré » (p. 167) : « individualisation totale du travail » (ibid.) ; liberté du cadre.
La quatrième partie, « La vie éthique » (p. 185-233), renoue le fil de la référence spinoziste. Kolly montre ensuite comment l’appréhension par Montessori de la nature et du rôle des sociabilités enfantines (p. 189-206) vise à « replacer l’individu dans une responsabilité morale vis-à-vis de lui-même, des autres et de son environnement » (p. 206). La voie vers le perfectionnement de soi (p. 207-220) passe alors pour l’enfant par sa libération du « contrôle des adultes » (p. 207) et par la « maitrise de son corps et de ses gestes » (ibid.), qui en retour lui permettent d’enclencher son « cycle de l’activité constructrice » (p. 219), dont en particulier dans le rapport aux autres. L’obéissance montessorienne (p. 221-230) ne peut ainsi provenir que de la « volonté et la liberté de l’enfant » (p. 221) et non de quelque modèle coercitif. Le degré le plus élevé de cette obéissance est pour Montessori celui où l’enfant « va rechercher l’obéissance auprès des personnes qui sont susceptibles de le faire grandir » (p. 226), perfectionnement de soi et capacité « d’œuvrer pour "plus grand que soi" » se mêlant alors. Considérer ensemble, comme le fit Montessori, l’éducation à la paix (p. 231-233), c’est alors prendre acte de ce que la première est un art de la fortification de l’humain (p. 232) et la seconde la conséquence qu’on peut en espérer.
Le fait que l’ouvrage se close par un « envoi » (p. 234-237) est, enfin, signifiant du fond comme de la forme de l’ouvrage de Kolly. Rappelons que ce petit couplet final qu’est l’envoi peut servir à la fois en poésie à dédier un texte ou à inviter à le relire d’un autre point de vue, et qu’il sert dans la liturgie à donner congé à l’assistance. Kolly restitue ainsi l’importance de l’oeuvre de philosophe de l’éducation de Montessori (dédicace), en donne une lecture propre (point de vue) et invite pour finir celui ou celle qui l’aura suivi au fil de ses pages à n’accepter de partir de ce propos et de cette œuvre que pour ne pas y rester (congé) et cheminer soi-même – et l’enfant est bien ici « le modèle pour l’adulte » (p. 236) - une voie personnelle et résolue bien que non assurée face à aux enjeux éducatifs soulevés.
On ne saurait donc que recommander chaudement la lecture de cet ouvrage à toute personne non seulement curieuse de l’œuvre de Montessori, mais aussi soucieuse de la saisir comme un tout cohérent. Plus spécifiquement, trois types de lectorat en feront tout particulièrement leur miel. Les chercheurs et chercheuses et sciences de l’éducation et de la formation en apprécieront la qualité et la rigueur. Les étudiant.e.s en sciences humaines et sociales s’y plongeront avec d’autant plus de profit que le style de rédaction de l’ouvrage est à la fois précis, clair et pédagogique, et que les synthèses comme les questions de méthode et de médiation y sont explicitement mises en relief. Les éducateurs et éducatrices en formation, en particulier dans le domaine scolaire, disposeront enfin avec ce livre d’une boussole précieuse pour réussir leur transition vers la pratique et pour ne pas faire – selon une célèbre boutade – du montessorisme l’ensemble des contresens et/ou raccourcis fait et écrits sur l’œuvre de Montessori.
Notons enfin que l’ouvrage fait naitre chez le lecteur un souhait qu’il n’exauce pas essentiellement en lui-même : celui d’une mobilisation de l’érudition déployée pour une connexion plus serrée de chaque étape de la trajectoire de Montessori avec l’histoire de la pensée (p. 186) et de la pratique politique de la première moitié du XXème siècle. Plus qu’un regret, cette dernière remarque nous semble faire signe vers un futur prolongement potentiel en ce sens, sous la plume de Kolly ou d’une personne soucieuse d’approfondir scientifique ce sujet depuis le très sûr « camp de base » que constitue le présent ouvrage.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Camille Roelens, « Bérengère Kolly (2018)
Montessori, l’esprit et la lettre »
Recherches & éducations [En ligne], Recensions, mis en ligne le , consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/10807 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheseducations.10807

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Auteur

Camille Roelens

Centre Interdisciplinaire de Recherche en Éducation de Lille (CIREL)
Équipe RECIFES
INSPE HDF - Université de Lille

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