1Il y a plusieurs milliers d’années, le chemin des Hommes croisa celui des animaux. Cette cohabitation d’abord nécessaire à la survie donna progressivement lieu à une rencontre interspécifique. Le processus complexe de la domestication permit à l’homme de tirer profit des potentialités des animaux pour améliorer son quotidien et résoudre les problèmes inhérents à son environnement parfois hostile : c’est l’émergence de l’animal utilitaire, façonné en fonction de ce que l’homme attendait de lui (races). Le chien devient alors compagnon de chasse, chien de garde… Tandis que d’autres animaux comme les herbivores sont utilisés pour leur force (conquête, déplacement, traction, agriculture, etc.) ou pour leur viande.
2Parallèlement à l’évolution de la société humaine, l’animal domestique a progressivement perdu sa fonction utilitaire pour se limiter à une fonction de compagnie, c’est-à-dire être entièrement dévoué et disponible pour l’homme. L’animal de compagnie devient un agrément. Selon l'enquête menée par Kantar/FACCO en 2018, c’est plus d’un foyer français sur deux qui possède un animal familier. Les chats, chiens, poissons, animaux de basse-cour, rongeurs, oiseaux, animaux de terrarium et chevaux font partie de notre quotidien et sont même souvent considérés comme des membres de la famille à part entière.
3Pourquoi sont-ils si proches de nous ? Quels sont les bénéfices des interactions homme-animal ? Peut-on parler d’animal thérapeute ? Comment un cheval, symbole de force et de liberté, peut-il devenir un allié en rééducation ? Inspiré d’un précédent travail de mémoire de recherche (Elies, 2016), notre propos s’attachera à préciser l’histoire, l’épistémologie et les modalités de la médiation animale auprès de personnes en souffrance. Une attention sera enfin portée à la médiation équine et aux activités physiques adaptées avec le cheval.
4Si nous offrons une place de choix à nos animaux de compagnie au sein de nos foyers, c’est que nous tirons des bénéfices à leur contact. La littérature scientifique ne manque pas à ce sujet et répertorie des bénéfices physiologiques, sociaux, psychoaffectifs et psychologiques.
5De nombreuses études se sont intéressées aux bienfaits physiologiques apportés par les animaux de compagnie sur le système cardiovasculaire. Les marqueurs physiologiques du stress connaissent des variations au cours d’une interaction avec l’animal, telle qu’une baisse de la pression artérielle (Friedmann et al., 1983 ; Stasi et al., 2004) et de la fréquence cardiaque (Allen et al., 2002). Ces interactions induisent aussi des variations endocrinologiques : alors que les concentrations de bêta-endorphine (qui réduit la douleur et créer une sensation d'euphorie), d’ocytocine (favorise l'attachement), de prolactine (production de lait et le lien parental), de bêtaphényléthylamine (stimulant), et de dopamine (plaisir et désir) augmentent significativement chez les deux espèces après une interaction positive, le taux de cortisol (réponse au stress) baisse significativement chez l’humain (Odendaal et Meintjes, 2003 ; Viau et al., 2010). Un simple échange de regard entre un être humain et son animal peut provoquer une production d’ocytocine (Nagasawa et al., 2015), qui intervient dans le processus d’attachement interspécifique.
6Tel un caregiver, l’être humain vient répondre à la dépendance de l’animal de compagnie en lui offrant une base de sécurité (satisfaction des besoins physiologiques, sécurité affective, etc). Ainsi peut s’amorcer une relation d’attachement, qui se consolidera par divers liens émotionnels au cours de leur vie de compagnonnage. Cet attachement interspécifique entraine des effets affectifs et psychosociaux chez l’humain. Toujours disponible, l’animal de compagnie est une source d'attention et d’affection inépuisable, presque « à la demande » offrant à l’humain le sentiment d’un amour inconditionnel et sans limite. Être du présent, l’animal est dénué d’arrières pensées et de mauvaises intentions ; image d’une relation idéalisée que certains viennent opposer aux relations humaines, plus complexes. Il devient alors un soutien émotionnel qui apporte une sécurité affective dans un environnement de non-jugement, dénué d’arrières pensées et de mauvaises intentions. En favorisant la communication, l’animal peut aussi être un médiateur social et un catalyseur des interactions sociales et ainsi devenir un appui pour lutter contre la solitude et l'isolement. En effet, interagir avec un animal sollicite spontanément la communication, qu’elle soit verbale (ex : l’appeler par son prénom), paraverbale (ex : intonation) ou non verbale (ex : lancer une balle). Lui donner un ordre simple va inviter à des efforts d’élocution et de prononciation. De plus, dans les relations interpersonnelles, l’animal devient l’objet d’une attention conjointe qui va faciliter la rencontre puis la communication avec autrui (Servais, 2007) en suscitant les regards, salutations ou conversations à son propos. L’animal devient alors un catalyseur des relations sociales, puisque sa seule présence peut favoriser des échanges interpersonnels, en assouplissant des interactions parfois rigides (Beetz et al., 2012).
7La relation homme-animal apporte de surcroit des bénéfices psychologiques. Si le contact avec l’animal induit une réduction de certains indicateurs physiologiques imputables au stress ou à l’anxiété, il possède également une fonction apaisante et anxiolytique. Même si l’être humain a évolué, il reste enclin à fuir en situation de danger et sensible aux signaux de fuite chez d’autres animaux. Réciproquement, la proximité avec un animal calme et tranquille nous informe cognitivement de l’absence de danger et limite donc les réactions de peur (Servais, 2007). Le simple fait de caresser un animal pourrait faire baisser l’anxiété (état), en quelques minutes (Hoffman et al., 2009 ; Shiloh et al., 2003). Par son calme apparent, l'animal apporte du bien-être tout en sollicitant les capacités d'empathie de l’être humain, ce qui diminue les tensions et l’agressivité. Dans leur étude, Custance & Mayer (2012) ont par ailleurs constaté que des chiens étaient non seulement sensibles à la tristesse humaine, mais qu’en plus ils cherchaient à la faire cesser. Ce comportement pourrait s’apparenter à une forme rudimentaire d’empathie interspécifique.
8L’animal invite au lâcher-prise, à la libération contrôlée des émotions et peut donc intervenir dans l’acceptation et la régulation émotionnelle (Burger et al., 2011). Par ailleurs, en s’occupant de l’animal qui est dépendant de lui, l’homme devient responsable d’une vie, ce qui tend à le (re)valoriser et renforcer la confiance en soi. Ce prendre-soin constitue un levier motivationnel contre l’apathie, l’abattement voire la dépression (épreuve de réalité). Le contact avec l’animal augmente aussi le bien-être psychologique d’une personne en diminuant sa tristesse et en encourageant sa jovialité (Ellsworth et al., 2013). Affranchi des règles et des contraintes sociales, l'animal invite également à la régression dans son attitude décomplexée. Autant de qualités qui lui confèrent un effet antidépresseur auprès de l’humain. D’un point de vue psychodynamique, l’animal tend à devenir un support de projection et d’identification, notamment quand il s’agit d’aborder des questions existentielles ou de projeter le fonctionnement psychique d’une personne. Durant les longues années qu’elle a passées auprès des chevaux, Isabelle Claude (2010) a consigné des observations cliniques réalisées lors d'une rencontre interspécifique. Lorsqu’il faut choisir parmi plusieurs chevaux, la personne s’orienterait préférentiellement vers un animal qui lui ressemble par résonnance de l’histoire individuelle ou par projection d’un idéal de soi.
9Le développement de la médiation animale et de la thérapie par l’animal date du milieu du XXe siècle, telle que nous l’entendons aujourd’hui. Toutefois, le recours à l’animal dans le soin aux personnes en souffrance physique ou psychique est beaucoup plus ancien. Les prémices remontent au IXe siècle, à Geel (Belgique) où des animaux assistaient des personnes souffrant de pathologies mentales (Arenstein et Lessard, 2009). Nombreuses expériences ont suivi et se sont intensifiées au XXe siècle, notamment en période de guerre et post-guerre, auprès de soldats blessés ou traumatisés. Il faudra attendre les années 50 pour que des psychiatres posent un regard scientifique sur cette nouvelle thérapeutique : Boris Levinson, suivi du couple Samuel et Elisabeth Corson. Boris Levinson peut ainsi être considéré comme le père de la thérapie facilitée par l’animal.
10Bel exemple de sérendipité puisque ce fut par hasard que le chien du psychiatre (Jingle) assista à une consultation avec un enfant atteint d’autisme, que les parents avaient conduit en avance au rendez-vous. Lorsque le chien renifla et lécha l’enfant, celui-ci sortit de son repli. Face à cette avancée, le psychiatre laissa son chien participer aux consultations, au cours desquelles l’enfant noua une relation avec l’animal. Le thérapeute put progressivement prendre place dans cette relation et ainsi débuta la « Pet-Oriented Child Psychotherapy » (Levinson, 1962). À l'instar de Levinson, la découverte des Américains Corson, Corson, Gwynne et Arnold (1975) arriva fortuitement grâce à un espace canin (visée de recherche) installé au sein de l’hôpital psychiatrique dans lequel ils travaillaient. Certains patients se dirigèrent vers les aboiements des chiens et les auteurs décidèrent d’initier la « Pet facilited Therapy » auprès de patients réfractaires à d'autres thérapies plus conventionnelles.
11En France, c’est seulement dans les années 70 qu’un vétérinaire, Ange Condoret, met en avant les bénéfices du contact animal pour les enfants ayant des troubles du langage (Faure, 2018). Depuis, les travaux concernant les effets bénéfiques des animaux sur l'homme sain ou malade se sont multipliés et la thérapie facilitée par l’animal s’est progressivement étendue jusqu’en Europe. Cette thérapeutique novatrice a dû toutefois se heurter à des objections sanitaires et pratiques, fondées sur les rares risques des interactions homme-animal (zoonoses, allergies, morsures, griffures), avant de se faire une place parmi les thérapies non médicamenteuses proposées en établissements de soins.
12Le principe général de cette thérapeutique est d’introduire un animal dans le milieu du soin, auprès de personnes vulnérables, afin d’instaurer un tiers dans une relation duelle (= médiation) pour obtenir des bénéfices thérapeutiques directement liés aux spécificités de l’animal, et qui ne pourraient pas – ou très difficilement – être obtenus autrement. Autour de ce principe apparemment simple gravitent de nombreuses terminologies qui opacifient les limites de la pratique. Les différentes appellations déterminent la représentation de la place accordée à l’animal. Par exemple, zoothérapie signifie étymologiquement soigner avec l’animal. La zoothérapie est souvent assimilée à la médiation animale qui insiste davantage sur le rôle médiateur de l’animal, et non celui de thérapeute.
13Afin d’éviter toute forme d’anthropomorphisme et d’attribuer à l’animal des capacités qui ne lui appartiennent pas, il est nécessaire de voir l’animal comme un médiateur qui catalyse l'instauration d'une alliance thérapeutique entre le soignant et le soigné, tout en apportant une complémentarité dans le soin. Il n’est pas rare de croiser la terminologie d’interventions assistées par l’animal qui se rapproche de la représentation épistémologique de la médiation animale. C’est d’ailleurs à la définition élaborée par Pet Partners (s.d.) que nous avons choisi de nous référer : « interventions structurées et centrées sur des objectifs précis, intégrant intentionnellement des animaux dans le secteur de la santé, de l'éducation, et des services sociaux à des fins de bénéfices thérapeutiques et d'amélioration de la santé et du bien-être. » (Traduction personnelle). En fonction de leurs objectifs et de leurs modalités, ces interventions se déclinent en trois approches : la thérapie assistée (ou facilitée) par l’animal (TFA), les activités assistées par l’animal et l’éducation assistée par l’animal.
14La thérapie facilitée par l’animal se définit comme une « intervention thérapeutique centrée sur des objectifs précis, planifiée, structurée, documentée et dirigée par des professionnels de santé et de service à la personne dans le cadre de leur profession. Une grande variété de disciplines et de praticiens peut y avoir recours : des médecins, des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, des spécialistes de loisirs thérapeutiques, des infirmières, des travailleurs sociaux, des orthophonistes ou des professionnels de la santé mentale. » (Pet Partners, s.d., traduction personnelle). Son fonctionnement repose sur la relation triangulaire entre le professionnel, le bénéficiaire et l’animal. La notion de tiers interroge sur la place de chacun. Place du thérapeute, place du bénéficiaire, place de l’animal médiateur : qui médie quelle relation ? Ce triptyque se révèle plus complexe à appréhender qu’une relation duelle puisque chaque membre de la relation dispose de ses propres caractéristiques.
15Comme dans toute pratique de médiation thérapeutique, une double compétence est requise pour le professionnel. Tout d’abord, il doit disposer des compétences nécessaires à la prise en soin de personnes vulnérables grâce à sa formation initiale. La médiation animale peut être adressée à tous les âges de la vie (enfants, adolescents, adultes et personnes âgées) et pour pléthores de situations cliniques : pathologies somatiques, troubles psychiatriques, pathologies neurodégénératives et démences, troubles de la communication et du langage, troubles moteurs et praxiques, troubles psychiques et thymiques, carences affectives, douleurs et fin de vie. Le professionnel doit également posséder des connaissances sur le comportement animal et les interactions interspécifiques, et bien sûr, connaitre l’animal médiateur (comportements, signes d’inconfort, personnalité, histoire) qui doit idéalement être le sien.
16L’animal médiateur, quant à lui, est le plus souvent un animal domestique voire un animal de compagnie : chiens, chats, chevaux, animaux de la ferme, nouveaux animaux de compagnie (NAC : lapin, cobaye, etc.) et plus rarement le dauphin. Chaque espèce présente des spécificités dont il faudra tenir compte au moment du choix de l’animal, qui s’orientera en fonction des objectifs thérapeutiques recherchés. Ainsi, un cheval n’apportera pas les mêmes stimulations qu’un chien ; un chat sera plus difficile à éduquer qu’un chien, etc. Viennent ensuite des spécificités intra-espèces, c'est-à-dire en fonction des races qui présentent des caractéristiques physiques, comportementales et génétiques différentes. Enfin, il ne faut pas oublier les spécificités inter-individuelles puisque chaque animal est unique, telle une « personne non humaine » : sexe, tempérament, personnalité, histoire, etc.
- 1 Socialisation : processus d’apprentissage au cours duquel un animal va acquérir des connaissances, (...)
17Après avoir fait l’objet d’une sélection rigoureuse (génétique, antécédents, comportement), le futur animal de médiation recevra une éducation, une socialisation et une sociabilisation1 sérieuses qui tiendront compte de ses besoins et ses capacités, ainsi que du rôle thérapeutique auquel il est destiné. L’animal doit être en bonne santé physique et psychologique, ce qui nécessite un suivi vétérinaire strict et un encadrement par un comportementaliste. Ses besoins éthologiques doivent être respectés en amont et en aval des séances afin de prévenir la survenue d’un mal-être et un risque d’accident.
18L’association du thérapeute et de l’animal permet de renforcer et compléter l’action entreprise par le professionnel via les bénéfices inhérents au contact avec l’animal qui ouvrent à de nouvelles perspectives thérapeutiques. Comme nous l’avons vu plus haut, l’animal présente la faculté de ne pas juger. Il vit dans le présent, orienté vers la satisfaction de ses besoins. Si les personnes porteuses d’un handicap suscitent les plus souvent deux types de réactions chez autrui – le rejet ou la surprotection – l’animal, lui, n’accordera pas d’importance à un corps meurtri par la vie, à une mémoire effritée par l’âge ou à une parole incertaine. Il vivra l’instant avec une personne atteinte de déficience de la même façon qu’avec une personne valide. L’absence de jugement invite également à élever l’animal au rang de confident privilégié, à qui l’on peut tout dire, même sans parler.
19Il en découle une valorisation dans la communication pour les personnes ayant un trouble du langage puisque la communication avec un animal peut passer par un canal non verbal. En parallèle, le rôle de tiers de l’animal lui permet de répondre à des demandes affectives que le thérapeute ne pourrait satisfaire, notamment dans leur dimension tactile. Ce cadre relationnel facilite l’instauration et la préservation de la « bonne » distance thérapeutique. Il peut être difficile pour les professionnels d'accepter la proximité avec des corps souffrants, d'offrir son propre corps en tant que médium malléable et de franchir la barrière de l'intimité, ce qui ne pose aucune difficulté à l’animal, qui tend naturellement à la recherche de contacts corporels (Brun et al., 2013). Les contacts peau à peau sont d’autant plus investis avec le cheval, animal médiateur qui attirera notre attention dans ce propos, car il offre, comme nous le verrons, une plus grande diversité thérapeutique.
20Tandis que la plupart des animaux de médiation sont des animaux de compagnie, le cheval, lui, est toujours considéré juridiquement comme un animal de rente, d’après le Code rural. Ce statut rappelle également la spécificité de son mode de vie et d’hébergement, puisqu’il partage des moments communs avec l’être humain, parfois très intimes (relation de confiance par le portage, contact corps à corps), tout en étant exclu de sa maison. Sa grande taille l’oblige à vivre à l’extérieur, souvent loin de nos regards, ce qui lui offre une part de vie à laquelle, humains, nous n’avons pas accès, contrairement à celle de nos chiens et chats (d’intérieur), qui vivent constamment à nos côtés.
21Abordons maintenant cet animal par quelques bases éthologiques. Proie dans son milieu naturel, le cheval se doit d'être sensible à son environnement et vigilant à chaque stimulus pour survivre. Très grégaire, il est aussi sociable et réceptif aux signaux émis par ses congénères, puis par extension à notre langage corporel. Il a également la capacité de percevoir et de se souvenir des émotions humaines (Proops et al., 2018). Cette sensibilité émotionnelle du cheval est très utile en thérapie, sous la forme d’une fonction miroir : la lecture des comportements de l'équidé par le thérapeute permettra à ce dernier de recueillir des informations supplémentaires sur le bénéficiaire, et parfois d’identifier des intentions ou des problématiques inconscientes. De son côté, le bénéficiaire peut observer la conséquence de ses actions et comportements à travers les réactions du cheval. Par effet miroir, il pourra également recevoir une image, un feedback de ses propres émotions.
22La plus grande spécificité du cheval reste la capacité de portage, qu’il partage avec les autres équidés (ânes) et camélidés (lama, alpaga) utilisés en TFA, source de stimulations vestibulaire et thermique pour le bénéficiaire. Être porté par le cheval implique un contact corps à corps très étendu entre lui et le bénéficiaire, de nature régressive, une sensation de chaleur, auxquels s’ajoute un bercement (sensation archaïque) lorsqu’il se met en mouvement. Le cheval répond donc simultanément à quatre besoins primaires de l’enfant : porter, chauffer, bercer, toucher. Cette régression affective nous conduit aux fonctions réelles et symboliques du cheval. Ainsi, sa fonction réelle de portage rappelle le portage maternel et recouvre une fonction symbolique maternelle : cette mère qui porte, berce, cajole. Paradoxalement, dans l’inconscient collectif, le cheval est un symbole de force, de puissance, de grandeur. Parce qu’il pèse plusieurs centaines de kilos et qu’il est toujours aguets, il gagnera toujours au jeu du plus fort, pouvant même devenir dangereux pour celui qui ne connait pas ses codes et ses règles. A l’inverse, celui qui respecte le cheval et ses règles, se trouve dans une situation sécurisante. Sa fonction réelle de force et de puissance recouvre donc une fonction symbolique paternelle de protection et de loi (Claude, 2010).
23Le bercement perçu sur le dos d’un cheval au pas relève d’un mouvement hélicoïdal qui reproduit la marche humaine. Ce rapprochement fonctionnel s’avère très utile dans le cadre d’une rééducation et réadaptation neurologique : le cerveau reçoit l’information que la personne marche et la plasticité cérébrale permet une stimulation neurologique (postulat de l’hippothérapie, définie plus bas). De plus, maintenir une position assise sur le dos d’un cheval au pas fait contracter pas moins de 300 muscles et demande plus de 2000 ajustements pour compenser le déséquilibre permanent de l'allure (Proust et al., 2004). L’effet est visible sur la psychomotricité et les acquisitions motrices des bénéficiaires (Slim et al., 2007).
24Cependant, la taille imposante du cheval, qui lui conférait jusqu’alors un net avantage sur les autres animaux de médiation, devient une contrainte qui le limite à certains contextes thérapeutiques : il est plus difficile à transporter (van, camion) et il a besoin de beaucoup d’espace (carrière, manège ou pâture) pour que l’activité se déroule de façon optimale. L’exigence du respect de ses besoins fondamentaux (alimentation, coût de l’entretien, vie en pâture avec des congénères, etc.) peut également constituer un obstacle de taille pour les professionnels qui souhaiteraient s’orienter vers une pratique de médiation équine. Par ailleurs, le bénéficiaire doit être accompagné jusqu’au cheval, l’inverse étant beaucoup plus rare. Enfin, tout praticien se doit de considérer le risque de chute inhérent à l'équitation. Bien que le risque zéro n’existe pas, celui-ci reste minime si le cheval a été choisi et éduqué correctement au regard de ce qui est attendu de lui en médiation.
25En dehors de toutes ses spécificités propres à l’espèce cheval, il existe des particularités entre les différentes races de chevaux, qui offrent ainsi différentes possibilités thérapeutiques. Certains chevaux de selle sont considérés comme plus réactifs et plus sensibles à l’environnement et aux émotions, tandis que les chevaux de traits ont un tempérament plus calme et seront plus rassurants. Le petit cheval islandais permet de découvrir des sensations différentes à cheval grâce aux deux allures supplémentaires qu’il possède : l’amble et le tölt. Les poneys et leur petite taille sont idéaux pour des séances à pied, ou pour être à hauteur de personnes en fauteuil roulant.
26Les interactions homme-cheval peuvent s’établir à pied, à cheval et plus rarement en attelage. Pour Picon et al. (2019), ces interactions se regroupent sous plusieurs appellations déterminées par la finalité de la relation et selon la population bénéficiaire. Ils distinguent l’équitation adaptée et sa finalité sportive de la médiation équine qui vise des objectifs thérapeutiques ou éducatifs, auprès d’une population spécifique.
27L’objectif thérapeutique s’adresse à une population de tout âge en perte d’autonomie (handicap, vieillissement) et peut s’orienter vers de la rééducation motrice et/ou de la stimulation des capacités psychiques, cognitives et sensorielles. C’est le cas de l’équithérapie, l’équicie et l’hippothérapie.
- 2 L’équithérapie est une appellation partagée par la Société Française d’Équithérapie (SFE) et l’Inst (...)
28L'équithérapie ou la Thérapie Avec le Cheval2 est un soin psychique médiatisé par le cheval destiné à une personne dans ses dimensions psychique et corporelle (santé mentale et bien-être). Seuls des professionnels de la santé ou du médico-social peuvent devenir équithérapeutes (médecins, psychologues, infirmiers, éducateurs, etc.).
29L'hippothérapie est un soin somatique médiatisé par le cheval qui consiste en une rééducation fonctionnelle avec l’animal. La locomotion du cheval au pas (mouvement hélicoïdal) y est utilisée comme mobilisation corporelle. Cette thérapie peut s’adresser à des personnes lourdement handicapées (paralysie cérébrale, polyhandicap, paraplégie, etc.). Elle est pratiquée par les kinésithérapeutes et les professionnels de la rééducation fonctionnelle.
30L’équicie est une : « pratique de la relation d’aide à médiation avec le cheval, dispensée par des personnes formées, depuis 2011, au métier d’« équicien » […] professionnel de l’action sociale et médico-sociale. Il a une connaissance dans la relation humaine, la construction de l’individu, le comportement animal et la communication inter-espèce. Sa formation repose sur des connaissances en éthologie scientifique, en psychologie, en anatomie, en communication tant dans le domaine humain qu’animal. Il est également cavalier confirmé. Ce professionnel de la relation d’aide avec le cheval s’inscrit dans le cadre des actions à médiation animale et construit son accompagnement sur la méthodologie de projet de l’action sociale […] et qui répond à un prescripteur. Si ce prescripteur est issu du soin, l’équicien va lui rendre des comptes en évaluant des comportements, s’il est issu de l’éducatif, il va évaluer les apprentissages » (Handi Cheval, cité dans Bélair, 2014).
31L’objectif éducatif et pédagogique s’adresse aux personnes en difficulté sociale ou porteuses d’un handicap afin de les guider vers une insertion sociale ou professionnelle (équicie, équithérapie / Thérapie Avec le Cheval).
32Depuis peu se développe également un objectif managérial aux interactions homme-cheval. Destinée à des adultes, cette médiation s’oriente vers la cohésion d’équipe en entreprise ou le développement personnel (équicoaching).
33Enfin, les interactions avec le cheval peuvent viser un objectif sportif (loisir, compétition, haut-niveau) pour des personnes issues de la population générale, mais aussi des personnes porteuses d’un handicap. Dans ce dernier cas, il s’agit de sport adapté (équitation adaptée ou activités équestres adaptées) où l’objectif est de rendre l’équitation accessible (règles, matériel) à la personne et son handicap. C’est l’apprentissage des techniques équestres qui domine et cette pratique n’a pas d’objectif thérapeutique ou de soins, mais plutôt des objectifs de valorisation par le sport et d’inclusion sociale. Elle est spécifique d’un professionnel du sport, généralement moniteur d’équitation. L’équitation adaptée peut s’enseigner aussi bien à des personnes porteuses d’un handicap congénital ou acquis, n’ayant aucune connaissance antérieure de l’équitation, qu’à d’anciens cavaliers souhaitant reprendre l’équitation après un accident grave et à l’origine de séquelles (perte de la vue, paraplégie, etc.).
34Un point commun à toutes ces pratiques ? L’investissement affectif du cheval offre au bénéficiaire une motivation supplémentaire. Dans le cadre des activités physiques adaptées, le cheval initie la mobilité et la motricité. Intégrer un animal dans un programme de rééducation modifie le sens donné au soin. Un acte médical ou de rééducation avec des gestes standardisés (ex. : lever la main) devient un exercice ludique et source d’émotions positives (ex. : caresser le cheval, le brosser). Le soin avec un animal deviendrait-il paradoxalement plus humain ? Le cheval constitue une motivation intrinsèque à l’activité physique adaptée ou à la rééducation, ce qui la rend plus facilement accessible aux personnes peu motivées ou lassées par des soins répétitifs dont le sens fait défaut. Ainsi, la motivation affective à s’investir dans une activité thérapeutique augmente l’observance et l’efficience des bénéficiaires.
35Le rapport au corps et aux soins subis s’en voit également modifié. Sur le dos du cheval, le corps malade et souffrant peut devenir un objet de bien-être. De façon générale, l’animal présente un effet antalgique dans des situations de douleurs aiguës (Braun et al., 2009) et même chroniques (Martin et al., 2013) par distraction attentionnelle. Être sur le dos d’un cheval plonge le bénéficiaire dans un bain multisensoriel : stimulations visuelle, auditive, olfactive, tactile, thermique et vestibulaire. Le processus antalgique avec le cheval est plus complexe qu’une simple distraction puisque cette activité physique mobilise tout le corps et produit des contre-stimulations inhibitrices de la transmission du message nociceptif. En sus, le cheval participe à l’éveil sensoriel des bénéficiaires. Enfin, s'occuper de l’animal inverse la dynamique soignant-soigné : celui qui subit habituellement des soins corporels devient un acteur auprès du cheval en prenant soin de lui par l’étape indispensable du pansage.
36Les interactions homme-animal apportent des bienfaits physiologiques, psychologiques, affectifs, sociaux et sensoriels aux êtres humains. C’est sur ce constat que s’est développée la médiation animale. Cette pratique permet de concilier bien-être, plaisir, et bienfaits des contacts à l’animal avec des objectifs thérapeutiques et/ou éducatifs. En médiation animale, cet « être vivant doué de sensibilité » n’est ni un moyen, ni un outil thérapeutique, ni un thérapeute, mais un allié thérapeutique qui doit être respecté dans sa nature propre afin de devenir disponible et partenaire dans une relation d’aide. Depuis plusieurs années, la médiation animale occupe une place de choix parmi les thérapies non médicamenteuses et complémente, voire se substitue, à des traitements plus conventionnels.
37Au-delà de la motivation et de l’effet anxiolytique, antidépresseur et antalgique inhérents au contact avec n’importe quel animal de médiation, le cheval présente la capacité de portage mise à profit dans la rééducation et l’éveil sensoriel. Les différentes médiations s’articulant autour du cheval témoignent de son potentiel auprès d’un public fragilisé. Tandis que les activités équestres adaptées se développent dans le milieu sportif (sport adapté), leur place dans le milieu médical ou médico-social reste anecdotique. Quelques professionnels marginaux de l’APA font toutefois preuve de créativité et sollicitent les équidés pour les nombreuses qualités que connait désormais le lecteur, dans un but thérapeutique. La promesse de prévention et d’éducation en santé, de réadaptation, de réhabilitation, d’intégration et d’inclusion sociale au contact du cheval sera tenue dans les prochaines années. Le cheval ne sera alors plus seulement porteur d’un cavalier ou d’une personne malade, mais un porteur d’un espoir ouvrant le champ des possibles.