1Ce dossier hors-série dédié à la diversité du naturisme est lié à l’intérêt porté par la population à ces pratiques, au travail de conservation des archives du naturisme mené actuellement et aux études s’intéressant à ce phénomène social qui repose sur une remise en cause de la manière dont la nature et le corps sont parfois pensés par les institutions sociales.
2La nature et le corps constituent aujourd’hui des enjeux d’apprentissage, d’éducation et de formation qui traversent les différentes institutions de la société (Famille, École, etc.) au point de questionner les gestes et pratiques du quotidien. S’éduquer à la nature, à la nudité et à tous les corps est parfois même devenu, aux yeux de certains, une obligation morale et politique au nom de l’inclusivité, de l’intégrité corporelle et du respect des altérités, mais également de l’écologie et de ses enjeux sociaux, économiques et politiques.
3Aux yeux de certains auteurs, la philosophie constitue l’éducation des adultes, en tant que la philosophie cherche à répondre à la plus cruciale des questions (« comment vivre ? ») que nous pose « l’enfant en nous » (Hadot, 2010, p. 443), ce qui nécessite de se remettre en question, de recommencer à s’éduquer et de penser par soi-même. Or, si l’on considère le naturisme comme une véritable philosophie, il n’est pas illégitime de le considérer également comme une expérience éducative et formatrice. Ce dossier hors-série prolonge plusieurs publications et manifestations, notamment un numéro spécial de la revue Corps (« Quels naturismes ? Quelles nudités ? », 2021) et la manifestation Paradis naturistes (Mucem, Marseille, 2024), dont on pourrait dire qu’un des enjeux majeurs a constitué à cartographier les différents aspects de cette expérience et à collecter archives, imprimés et autres documents visuels et photographiques.
4C’est pour cette raison que ce dossier qui ne traite pas stricto sensu de contributions portant sur l’éducation et la formation, au sens classique que l’on peut donner à ces termes, est publié aujourd’hui dans la revue Recherches & Éducations, car ces contributions renvoient à cette expérience complexe du naturisme qui, elle, regroupe en son sein des réflexions diverses qui ne peuvent qu’intéresser les chercheurs travaillant sur l’éducation, la formation et la socialisation (éducation à la santé et à l’alimentation, réflexions sur la sexualité, initiation à la vie artistique, formation et co-formation à l’autoproduction, sensibilisation à des pratiques de consommation, etc.). Libre à chacun, chacune, de s’y intéresser, ou non.
5Il faut être réaliste ; il n’est pas évident, de prime abord, de considérer que ces questions relatives à la nature et le corps soient traversés par des enjeux éducatifs. Cependant, au quotidien, il faut reconnaître que l’on expérimente et que l’on apprend via son corps. La raison est simple : on ne sait pas toujours quoi faire avec son corps et au contact de la nature. L’homme moderne n’est pas d’emblée en immersion dans les divers milieux qui s’offrent à lui et il n’y évolue pas spontanément comme un poisson dans l’eau. Les expériences liées au corps et à la nature sont par conséquent multiples et elles renvoient parfois à des considérations éthiques différentes, plus ou moins acceptées selon les milieux sociaux, et plus ou moins valorisées selon les types de société. Ces moments sont l’occasion de nombreuses réflexions. Pour certains, l’expérience de la nudité (Andrieu, 2003) à travers ses pratiques collectives et ses images propose, d’une certaine manière, une réflexion sur le corps, sinon un apprentissage de son corps sans l’apparence des vêtements mais en confrontant les habitus à une socialisation hors des normes de la domination masculine, de la marchandisation érotique et pornographique (Lafargue 1999) et de l’exploitation de la nature.
6Pour autant, le consensus à l’égard de ces expériences et réflexions n’est pas acquis. Les avis divergent car les valeurs des uns ne sont pas celles des autres. De fait, l’interrogation est souvent preuve de scepticisme. Toute expérience corporelle, notamment lorsqu’elle est en lien avec la nature, peut-elle être considérée comme éducative et progressiste ? Être nu en pleine nature avec d’autres est-il éducatif, formateur et éventuellement important d’un point de vue politique ? L’éducation doit-elle inciter à manger végétarien et local en préservant le milieu et les autres ? Certains en sont convaincus, d’autres en doutent. De fait, ces considérations peuvent donner lieu à des chemins de vie différents dont la réception sociale reste toujours incertaine : mener une vie stricte d’ascète, développer une forme de vie adaptée aux logiques de décroissance, être tatoué de la tête aux pieds ou pratiquer l’échangisme dans des lieux libertins nudistes sont-ils exemplaires pour la morale sociale ?
7Cependant, par-delà les désaccords, la place du corps et du rapport à la nature dans la société ont considérablement évolué, soulevant de nombreux questionnements éthiques et politiques auxquels les contemporains ne peuvent déroger. Le souci du corps, et plus particulièrement celui de son corps mais également du corps des autres, est au cœur d’innombrables situations sociales et même au cœur de l’actualité médiatique contemporaine. Repenser le rapport à son corps et à celui des autres est donc une question vive. Les dilemmes ne manquent pas : cacher son corps ou au contraire le montrer ; mêler les corps ou à l’opposé, les séparer ; penser une croissance économique respectant la nature ou basculer dans la décroissance, etc. En creux de ces interrogations, l’actualité médiatique ne manque pas de complexifier les raisonnements en jeu. En ce qui concerne le corps et la sexualité, on peut faire référence aux procès pour viol sans consentement, pédophilie et inceste, harcèlement, revenge porn, et aux formes de résistance qui se sont développés (Metoo, etc.). Pour ce qui est du rapport à la nature, on peut faire référence à certaines formes de mobilisation (Extinction Rébellion, Soulèvement de la Terre), mais également à la criminalisation de certains activistes écologiques. En cela, s’intéresser à une éducation et une formation liée au naturisme, et vouloir réhabiliter ces processus, peut paraitre un défi moral sinon politique.
8Il convient néanmoins d’être lucide. Il est difficile de prétendre que ce souci du corps n’a pas intéressé les institutions sociales dans lesquelles on accueille l’enfance et plus largement les jeunes générations et dans lesquelles on est en charge de leur éducation. C’est évidemment tout le contraire. L’École et la Famille, comme l’a montré à de multiples reprises Michel Foucault (1999, 2013, 2024), se sont historiquement positionné sur ces questions par les processus de discipline et mais également de contrôle des corps, voire même de la sexualité.
9Depuis plusieurs décennies, la situation a évolué puisque l’École, par exemple, s’est distinguée dans sa forme contemporaine par des « éducation à » qui pouvaient, aborder plusieurs des thématiques qui nous intéressent ici : l’éducation à la citoyenneté, à la santé, à la sexualité, au développement durable, etc. Cependant, ces approches ne proposent pourtant qu’une entrée restreinte sur les questions en jeu et c’est parfois par d’autres socialisations spécifiques que ces questions sont abordées et parfois expérimentées par les individus. Il y a donc, d’un côté, ce que font les institutions sociales au sujet de l’éducation au corps et au rapport à la nature en fonction d’un type de société, et d’un autre côté, les tentatives collectives d’aborder ce qui est parfois resté sous le tapis.
10Comme nous allons le voir, la manière dont la philosophie peut s’intéresser au naturisme n’est pas sans lien avec la manière dont les philosophes eux-mêmes peuvent penser la philosophie. En effet, on peut estimer qu’une autre histoire de la philosophie pourrait être déployée que celle qui se matérialise dans les bibliothèques sous la forme de livres et de manuels se concentrant sur les grands auteurs et les grandes notions de la philosophie. A la fin de sa vie, Foucault avait envisagé un projet de ce type, consistant à travailler sur « une histoire de la philosophie qui ne serait une histoire des doctrines philosophiques, mais des formes, modes, styles de vie, une histoire de la vie philosophique comme problème philosophique, mais aussi comme mode d’être et comme forme à la fois d’éthique et d’héroïsme » (Foucault, 2009a, p. 196). Lorsque Foucault réfléchissait à la périodisation de cette histoire, il précisait que cette histoire s’arrête peut-être quand la philosophie devient « un métier de professeur ». Il faisait référence au XIXe siècle lorsque le terme de « philosophe » se restreint dorénavant à l’enseignant de philosophie, sinon à l’agrégé de philosophie (id.). Rien n’interdit, et nous allons le montrer, de considérer le naturisme comme une philosophie, voire même un corpus philosophique tout à fait spécifique, certes très ancien, mais qui aurait survécu au fil des décennies en tant que philosophie différente de la philosophie classique, scolaire et universitaire. Mais si l’on estime, reprenant une célèbre formule du philosophe américain Stanley Cavell, que la philosophie constitue l’éducation des adultes (Laugier, 2011), il est sans doute envisageable de considérer qu’il y a peut-être une éducation naturiste des adultes, en tant qu’expérience morale par laquelle les adultes peuvent tenter de se transformer.
11Depuis plusieurs décennies, de nombreuses réflexions sur le corps et le rapport à la nature ont été produites dans les réseaux naturistes. Au sein de ces réseaux, on éduque en tant que naturiste et on se forme au naturisme. Pour les néophytes, il est possible de s’initier au naturisme, de s’y former, d’y apprendre d’autres manières de concevoir le corps et son rapport à la nature, mais où il est possible d’en débattre et de se faire une idée ce que doit être une éducation et en formation que l’on pourrait qualifier de naturiste. Une plongée dans l’histoire de ces réseaux montre la pluralité des tendances qui cohabitent dans ce monde parfois méconnu du naturisme. On peut en effet percevoir historiquement des positionnements différents.
12Par exemple, la Fédération Française de Naturisme FFN avec sa campagne de body positivity, initiée par Julien-Claudé Pereny, Campagne contre la Honte du corps et de la nudité « aimons-nous comme nous sommes » #stopbodyshaming.fr1 a su maintenir l’objectif de l’égalité de tous et de toutes dans la définition même de l’éducation et de l’éthique naturiste. Quant à ce qu’on appelle le mouvement naturiste, issu d’une scission au sein de ces réseaux, il reprend davantage une éducation naturiste plus globale, « d’un mouvement véritablement éthique, pacifiste, écocitoyen, féministe et actif pour l’égalité des droits, la Culture du corps libre et l’émancipation humaine »2. Plus écologique et faisant face au changement climatique, le mouvement naturiste est notamment conscient « des conséquences au plan individuel et collectif qu’auront au final ces catastrophes écologiques liées à l’activité humaine, nous pensons qu’il y a urgence à faire société pour imaginer ensemble un nouveau monde, qui soit à la fois respectueux de la nature et de la nature humaine ».
- 3 Kienne de Mongeot (1926). Notre but, Vivre,1, p. 1.
- 4 Op. cit., p. 2.
13Au sein des archives du naturisme, on retrouve la trace de ces controverses qui ont eu lieu à l’intérieur de ces réseaux. Dès le premier numéro de Vivre le 15 mars 1926, le sous-titre mettait en avant la « culture physique et mentale, Hygiène-Sport, Arts & Sports », Kienne de Mongeot regrettait qu’il existe des revues de sports et de cultures physiques mais aucune de « culture de toutes nos facultés » ce qui « est indispensable pour le mieux-être »3. A cet égard, il convenait de faire à la manière de Georges Hébert, « une démarcation entre la culture physique, les sports… et une éducation virile des qualités morales »4. On peut également rencontrer des pensées spécifiques qui s’étaient positionné avec des subtilités sur certains débats.
- 5 Billard R. (1952). Naturisme réaliste ajiste. La vie au soleil, 21, p.7-8.
- 6 Op. cit., p. 7.
- 7 Op. cit., p. 8.
- 8 Idem.
- 9 Kienné de Mongeot (1960). Faire ce que l’on doit. Vivre d’abord, Série 4/70/401, p. III.
14Face au nudisme et au naturisme, le « naturisme ajiste »5 présenté ici par Roger Billard du groupe ajiste « Paris-Pan » recherchait « un nudisme toujours moralement parfait » comme à l’Ile du Levant car finalement « le nudisme n’est qu’un élargissement de notre expérience, un progrès de notre franchise de l’esprit »6. L’ajisme serait un moyen d’éducation plus social que le naturisme qui, « en dehors du problème corporel », ne comporte pas « une bien grande éducation sociale »7. Le nudisme, qui ne peut être qu’une question individuelle, ne peut « actuellement »8 être inscrit comme un des principes ajistes en raison de « la gravité du tabou », du « narcissisme personnel ou de groupe ». La régénérescence physique et mentale de l’être humain passe ainsi par une réhabilitation de son corps. Pour cela il faut « détruire l’état de dualité entre l’esprit et le corps mis en nous par une éducation inexplicable »9.
- 10 Causse F. (1960). Le culturonaturisme et la paix. Le Culturo-naturiste, 6, p.2.
- 11 Causse F. (1960). Vacances d’hiver. Le Culturo-naturiste, 4, p. 23.
- 12 Causse F. (1961). La leçon de Rome. Le Culturo-naturiste, 8, p. 2-3 ici p. 3.
15Comme on peut le constater, ces réflexions naturistes ont entrainé d’innombrables débats. Cherchant à percevoir comment le naturisme pouvait également se développer en fonction de l’évolution de la société tout en s’actualisant, certains acteurs de ces réseaux ont essayé de montrer comment le culturo-naturiste pouvait être considéré comme « pacifiste ou mondialiste »10. Cela induit une éducation régulière du corps délimitant ainsi des pistes de développement concret des idéaux et valeurs en lien avec ces philosophies spécifiques. Pour certains, par exemple, la part des activités de ski était à développer car le « ski est un sport dur » et les moniteurs « respirent la santé »11. Ce milieu est revivifiant car « tout le monde se précipite dehors. Nous semblons renaître ». Après les jeux de Rome, Fabien Causse rejoignit, à la seule demi-journée de plein-air hébertienne, la position d’une éducation sportive dès l’école : « il faut créer et développer les classes à mi-temps. Une demi-journée d’étude pour l’esprit. Une demi-journée de sport pour le corps »12. On voit ainsi comment ces réseaux se rapprochèrent de certaines initiatives que l’on pouvait identifier au sein des réseaux éducatifs, puisqu’en parallèle on assistait à l’émergence des classes de neige (Laffage-Cosnier, 2023), de forêt, de mer (Camus-Le Pape et al, 2021), et plus largement, des classes de nature (Giolitto, 1978).
- 13 Rimbault, L. (1929). Les Origines de la vie humaine révélées par la pratique du naturisme intégral (...)
- 14 Nous reprenons ici une notion d’Henri Louis Go dans Freinet à Vence (2007).
16Par ailleurs, on aurait tort de penser que l’éducation et la formation naturiste n’auraient intéressé que les milieux spécifiques du naturisme. Il est intéressant d’observer comment certains éducateurs ont cherché à tirer profit de ces pratiques et de ces réseaux pour réfléchir aux questions éducatives mais également sur la manière d’accueillir les enfants et les adolescents dans une institution éducative. L’éducation naturiste (Villaret, 2006) peut apparaître comme un projet de réformer l’esprit par le corps afin de les reconstruire par des valeurs plus respectueuses des autres, de la nature et des espaces. Est-ce une idée nouvelle ? L’idéalisation de la vie primitive (De Baecque, 2014), sinon du peuple sauvage, relit l’état de nature de Rousseau pour faire l’apologie d’une éducation naturelle (Violet, 2002) : sans la terre, l’homme ne sait se pourvoir à lui-même, enfermé dans la spécialisation à outrance par la prolétarisation taylorisée : « pour l’homme végétalien, le problème est simple à résoudre avec quelques milliers de mètres de terre régénérer de la volonté d’harmonie et de la volonté de respect de la vie, ainsi que le végétalisme l’enseigne et le permet »13. Au-delà de cette référence, différents travaux ont évoqué la proximité des pratiques et réflexions naturistes avec certaines expériences et institutions éducatives, qu’il s’agisse des écoles de plein air, des méthodes d’éducation physique ou de certaines écoles nouvelles (Baubérot, 2004 ; Villaret, 2005 ; Philippe-Meden, 2017 ; Riondet, 2019). Dans le cadre de cette problématisation des questions éducatives au prisme du naturisme comme corpus de références, notions et pratiques spécifiques, un point a parfois été peu abordé, c’est ce qui est attendu de l’adulte éducateur comme expérience à mener pour se rendre compte de l’état des institutions éducatives et sociales et incarner cette nouvelle conception philosophique qui devrait inspirer une reconstruction de la forme scolaire. Les travaux sur l’École Freinet (Go et Riondet, 2020) ont montré comment les pédagogues Élise et Célestin Freinet ont été marqués par une forme de pensée, le naturisme prolétarien, qui leur permit de procéder, d’une certaine manière, à l’examen des institutions éducatives et sociales et à l’analyse de leurs manières de penser l’accueil, le soin et l’éducation des enfants. Dans ce contexte, il s’agissait de réfléchir à un autre horizon pédagogique, en créant leur propre école où la question du corps, de la santé et du rapport à la nature était au cœur de l’expérience. Comme les lecteurs pourront l’observer dans une des contributions du dossier, les Freinet défendaient, à un moment donné, l’idée que les éducateurs engagés dans la lutte pour une école du peuple devaient vivre l’expérience naturiste, sous-entendant à demi-mots que l’éducation naturiste des éducateurs était la condition de possibilité pour envisager de rendre possibles des changements significatifs dans le monde éducatif. Dans l’Entre-deux-guerres, un des enjeux selon les Freinet consistait à reconnaître que la santé des enfants n’est pas une question extérieure à l’École et que celle-ci se doit d’intégrer en son sein, non seulement un environnement et un milieu paysager pour penser à nouveaux frais la pédagogie (Go, 2007)14, mais également pour rendre possible une amélioration des conditions de vie des enfants et de leur santé (Go et Riondet, 2021). La dimension politique en jeu dans les réflexions des Freinet à cette époque reposait sur le fait que c’est chez les enfants issus des milieux populaires que cette question était la plus cruciale notamment dans l’optique de lutter contre l’exploitation du prolétariat et la reproduction de ce système.
- 15 https://sfps.fr/anat/
- 16 https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/les-communs-naturaliens/75914
17Fréquenter ces réseaux, c’est donc se saisir de questionnements parfois plus subtils que ce qu’en font l’idéologie dominante et l’opinion publique. C’est pour cela qu’il existe un véritable enjeu à davantage documenter ces problématisations, ces débats et controverses. Les différences qui existent entre les deux associations naturistes disent suffisamment sur la nécessité de relire la tradition des textes comme nous le faisons avec David Lorenté dans les Archives des Naturismes (ANAT)15 et dans la collection « Le mouvement des savoirs » avec plus de dix volumes parus (Allanic, 2022 ; Andrieu et Lorenté, 2024 ; Kienné de Mongeot, 2023 ; Lecocq, 2023 ; Baubérot et Andrieu, 2024 ; Marguillier, 2024 ; Miesseroff, 2023 ; Riondet et Andrieu, 2024)16, tout comme les connexions entre monde pédagogique et monde naturiste gagneraient à être davantage étudiées pour prolonger les travaux pionniers de Baubérot et Villaret sur la question.
- 17 Nous reprenons ici les deux sens du mot « occupation » (occuper et s’occuper), qui renvoient à deux (...)
18Ces réseaux naturistes ont souvent donné lieu à des expériences collectives territorialisées que l’on pouvait qualifier d’ « hétérotopies » (Foucault, 2009b ; Riondet, 2021), des autres lieux en marge des lieux institutionnels faisant « marcher » la société dans lesquels les individus peuvent, via des formes de subjectivités spécifiques, déployer d’autres pratiques de vie en lien avec leurs corps et la nature. Dans ces formes de résistance et de création, l’enjeu consiste à occuper différemment certains espaces en organisant de manière singulière les occupations des autochtones17. En lien avec ces expériences, il est évident qu’une pluralité d’enjeux sont apparus pour rendre compte de ces pratiques collectives. Il s’agissait de les faire connaître du plus grand nombre, à la fois pour contribuer à la reconnaissance et la patrimonialisation de ces expériences et convaincre d’autres protagonistes de rallier ces aventures atypiques. Pour les promoteurs de ces expériences, il fallait ainsi communiquer par des brochures, faire voir (par des photographies et des cartes postales) et témoigner de ces formes de vie. Ce faire voir et ce faire comprendre relatif à ce qu’il se jouait ici ou là étaient indissociables d’un processus d’invitation à se lancer dans un processus expérientiel.
19Dans ce contexte, le cadre de la photographie est toujours susceptible de devenir le bord d’une fenêtre par laquelle on invite l’Autre à voir la scène, et, éventuellement y participer. Les textes se caractérisent également par le même type de geste puisque les auteurs témoignent par leur plume de l’expérience qui leur a permis de devenir autres et des leçons que les lecteurs peuvent en tirer. Il faut insister ici sur la dimension scénographique des productions de cette documentation naturiste : qu’il s’agisse des photographies, des cartes postales ou des comptes-rendus écrits, il y a toujours des scènes suggérées où l’on peut deviner, d’une part, des agencements et des paysagements, et d’autre part, des corps interagissant entre eux en lien avec les milieux en jeu et développant des pratiques et des rituels à la recherche de formes de vie singulières.
- 18 Nous reprenons une distinction de Foucault (militance fermée/militance ouverte) que ce dernier util (...)
20Il faut rappeler, ici, un élément. Dans la période contemporaine, le naturisme se présente comme un réseau en marge des conventions du monde moderne et urbanisé, et, de fait, ce « monde » naturiste est d’ailleurs souvent perçu par les contemporains comme une atypie au milieu, sinon en périphérie, des normes dominantes. Par conséquent, les traces du naturisme dont il est question dans ce dossier délimitent, d’une certaine manière, une frontière fragile entre un militantisme fermé18, en vase clos, où l’engagement se joue dans un entre-soi à l’écart de la société et de ses institutions, et un militantisme ouvert, où l’enjeu consiste justement d’en découdre avec les normes dominantes et de convaincre de nouveaux partisans et adeptes. Or, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il est bien question ici d’une tentative d’interaction et de dialogue entre, d’un côté, le producteur de l’image, l’éditeur des collections, l’auteur des brochures et des comptes-rendus, et, de l’autre côté, le consommateur, le lecteur et le spectateur. Les premiers cherchent à inciter les seconds, mais ces derniers sont toujours libres de réagir, ou de ne pas réagir, à tel ou tel aspect.
21L’exposition Paradis Naturistes, que nous avons organisée avec et au Mucem19, et son catalogue (Andrieu et Lavin, 2024) ont montré la diversité des activités et des champs qui pouvaient être concernés par ces approches naturistes, dont le champ éducatif. Ces modes de vie, mais aussi le rejet des diktats qui pèsent sur nos corps, sont autant de clefs de lectures contemporaines pour comprendre les enjeux des naturismes d’hier et d’aujourd’hui. Cette exposition reposait sur la volonté d’éviter le dualisme nudité/naturisme et de documenter ces pratiques de nudité dans la nature et plus largement ces pratiques liées à l’alimentation, à la santé ou même les activités de type méditative qui connaissant aujourd’hui un engouement certain. Cet événement cherchait évidemment à faire émerger, en dernière instance, une réflexion sur les modes de vie contemporains.
22La publication des détails concrets des pratiques en jeu (liste des menus, description de situations concrètes, etc.) et la représentation des pratiques associée à leur mise en scène constituent des aspects déterminants. Précisons à cet égard que l’image amène quelque chose de supplémentaire au travail éditorial engagé pour faire redécouvrir aux contemporains de textes et des réflexions oubliées. Les éditeurs du naturisme avaient saisi à leur manière le pouvoir des images. Mais, au-delà de ce pouvoir, il y a bien une force d’interpellation qui était toujours en jeu. Si l’on considère qu’un analyseur est « un dispositif matériel qui fait de l’analyse », et que pour révéler le sens et le fonctionnement réel des institutions, on peut recourir à des analyseurs naturels ou construits (Lapassade, 1971, p. 188), on peut se demander si certaines traces n’ont pas été spécialement élaborées pour provoquer du sens, montrer le poids des institutions sur nos vies et nos manières de concevoir le corps et la nature, afin d’insister sur la traçage en cours d’élaboration des contours de ces autres formes de vie qui se concrétisent dans ce qu’on pourrait appeler des « contre institutions » se présentant comme « l’image renversée et négative de la société existante » (ibid., p. 190).
- 20 Kienne de Mongeot (fondateur du Mouvement gymnique en France), 1959, 33 ans de lutte et d’expérienc (...)
- 21 Allemagne : Freikörperkulutur Hambourg ; Amerique : National Nudist Council, Ohio ; Central Sunbath (...)
23Par cette diversité scénographique, les contemporains peuvent alors découvrir des expériences et des réflexions, mais également des débats et des controverses. Le débat avec le christianisme des naturistes engageait déjà des réflexions sur l’ascèse (cf. Bertrand Prévost) et sur la statuaires romanes et gothique (cf. l’article de Bernard Andrieu et David Lorenté) pour éduquer les croyants en une nudité originelle et pure à l’instar d’Adam et Eve. La photographie de nu (Da Silva 2023) dans les revues naturistes posait problème dès le début, du moins en France. Kienné de Mongeot était bien conscient du succès de la revue de la Fédération française de naturisme d’Albert Lecocq dans ce qui aurait été sa propagation de la gymnité : « Aussi se garda-t-il de publier dans sa revue des nus intégraux espérant ainsi toucher un important public, croyant également pouvoir faire accepter officiellement par les pouvoirs publics le nudisme en le qualifiant de naturisme »20. Il s’agissait au contraire de constituer une association internationale dans les pays qui soutenaient le mouvement de gymnité intégrale21. Les éditions de Vivre d’Abord, avec une liste établie dans le supplément de la revue en 1961, notamment dans la librairie, étaient « strictement réservée aux adultes.. aux abonnés et adhérents habitués à la nudité intégrale et à la lecture d’études sexuelles sérieuses » comme les albums de nus A la gloire du corps humain (9 tomes), des reproduction d’œuvres d’art érotiques (idéal féminin, Kama Lama indien, Antiquité…) mais aussi des planches photographiques provenant de photographes comme Bill Brandt, ou le fameux Corps mémorables texte de Paul Eluard et photographie de Lucien Clergue. Les revues de nudisme intégral étaient diffusées aussi comme Hélios, Sun and Health, Sonnefreude, Sunshine and Health, Sun Magazine, Tidlosa, Solvannen, Die Neu zeit (nudisme suisse), Health and Efficiency, Moddelstudier, Sol og Sundhed (revue danoise du nudisme), Silvannen (revue suédoise), Naken och Naturlig, The Naturist (revue anglaise).
24Dans le prolongement des réflexions qui ont suivi l’ouvrage Le destin des images de Jacques Rancière, peut-être pourrions-nous dire qu’une image n’est pas nécessairement politique par les contenus qu’elle semble représenter. Tout dépend sans doute du travail qui est fait à son égard et de la réception de l’image. L’image peut produire du dissensus en ce qu’elle peut interpeller la personne qui l’observe. Les images du naturisme représentent la plupart du temps des anonymes, ce que les ranciériens appelleraient des sans nom. Seulement, l’attention du photographe à l’égard de la scène qu’il a capturée, et, d’une certaine manière, immortalisée, engendre dans l’après-coup une vacance ou une suspension. Vacance d’un réflexe, d’un automatisme générant des évidences au sujet des normes du corps et du rapport à la nature, et en même temps suspension provisoire du jugement, pour laisser la place à un étonnement. Ces quelques instants rendent possible la découverte de nuances et de subtilités. L’image met en scène des manières différentes de se constituer en sujets éthiques dans notre rapport à nous-mêmes, aux autres et aux milieux dans lesquels nous évoluons.
25Cette introduction nous permet d’insister sur ces enjeux. Confrontés à ses documents, le lecteur et le spectateur rencontrent des formes particulières de morale et philosophie. Dans une de ses dernières séances de cours au Collège de France, Michel Foucault insistait sur les enjeux d’une contribution à une histoire de la morale à partir d’une étude des formes de cynisme et rien n’interdit de percevoir dans certaines expériences et réflexions naturistes un lien avec ce qui a intéressé Foucault dans le cynisme. Le stéréotype du cynisme, c’est souvent la représentation suivante : « l’homme au manteau court, à la barbe hirsute, aux pieds nus et sales, avec la besace, le bâton, et qui est là, au coin de rues, sur les places publiques, à la porte des temples, en train d’interpeller les gens pour leur dire leurs quatre vérités » (Foucault, 2009a, p. 179). Pour Foucault, il y avait, au-delà de ce portrait bien connu, une acception plus large du cynisme. Il employait d’ailleurs différentes formulations, comme « forme de vie cynique » ou « attitude cynique », mais il distinguait également des cynismes différents : un cynisme qu’il qualifiait d’ « ostentatoire, bruyant, agressif, négateur des lois, des traditions et des règles » et un cynisme différent : « mesuré, réfléchi, éduqué, discret, honnête et réellement austère » (ibid., p. 183). Dans ces réflexions, Foucault cherchait à délimiter, par le détour d’innombrables lectures, dans le cynisme une forme de philosophie populaire se caractérisant peut-être par une « charpente doctrinale limitée » mais surtout par un principe de base : il ne s’agit pas de « transmettre des connaissances », mais de « donner aux individus qu’on formait un entraînement à la fois intellectuel et moral » (ibid., p. 189). Les enseignements en jeu qui, justement, ne sont pas des enseignements au sens scolaire du terme, avaient selon lui pour objectif de transmettre « une armature pour la vie » (id.). S’appuyant sur la relecture de différents textes de la philosophie grecque, Foucault identifiait bien deux voies : un enseignement long, sans risque, par lequel on accède à la vertu par le discours, et un enseignement simple, pratique, mais difficile, faisant accéder à la vertu en rendant possible une certaine forme de lutte.
26Foucault développait donc dans ce cours une acception large du cynisme qui ne se restreint pas à quelques scènes d’action dans l’espace public, dans les rues ou devant les portes des temples, mais qui peut se déployer dans des lieux spécifiques. Chez Foucault, le cynisme, « […] ayant poussé le thème de la vraie vie jusqu’à [l’inverser en] thème de la vie scandaleusement autre, […] a posé cette altérité de la vie autre, pas simplement comme le choix d’une vie différente, bienheureuse et souveraine, mais comme la pratique d’une combativité à l’horizon de laquelle il y a un monde autre » (Foucault, 2009a, p. 264). Le cynisme que Foucault étudia en lien avec la pratique parrêsiastique, renvoyait à une militance qui tend à s’ouvrir sur le monde, une militance qui a pour objectif de changer le monde et qui s’attaque moins à des vices, à des opinions, qu’aux lois, conventions et institutions qui, précisément, fonctionnent à partir de ces vices, opinions et autres faiblesses et défauts. Pendant le cours de 1984, Le Courage de la vérité, on retrouvait même chez Michel Foucault, l’idée d’une histoire à faire en lien avec le cynisme :
« Une histoire de la philosophie, de la morale et de la pensée qui prendrait pour fil directeur les formes de vie, les arts d’existence, les manières de se conduire et de se tenir et les manières d’être, une telle histoire serait amenée à accorder évidemment une grande importance au cynisme et au mouvement cynique […] » (Foucault, 2009a, p. 262).
- 22 Foucault prolonge ces réflexions dans la Leçon du 21 mars 1984 : « […] il y a certain nombre de not (...)
27Foucault envisageait ici l’idée que l’on retrouve peut-être des formes de cynisme dans l’histoire, qui d’ailleurs ne serait pas strictement du cynisme22. A ce titre, la deuxième heure de la Leçon du 29 février 1984 était intéressante à bien des égards car Foucault rapprochait cynisme et attitudes révolutionnaires plus récentes, en tant que « témoignage par la vie » et « style d’existence », dans des militances souhaitant changer le monde (Foucault, 2009a, p. 264).
- 23 Certaines communautés de didacticiens s’intéressent à ces questions, on fait faire référence au Col (...)
28Au cœur des archives du naturisme apparaissent donc des tentatives et peut-être des exemples exemplaires23, car emblématiques d’autres voies possibles de vie en commun. Les manuels de pédagogie ont insisté, depuis longue date, sur les subtilités en jeu dans ce mot « exemple », souvent utilisé lorsqu’il est question d’enseignement : « Au sens moral, écrit Mauro Laeng, l’exemple est l’acte vertueux que l’on doit imiter. Cela suppose qu’on le fasse connaître […] mais qu’il ne soit pas réalisé en se donnant expressément un tel but comme fin première » (1978, pp. 141-142). Les traces au cœur de ce dossier existent, originellement, sous la forme d’écrits ou d’images pour montrer des exemples en même temps qu’elles ont été produites pour donner l’exemple. Documenter l’histoire du naturisme et plus globalement du rapport à la nature puis faire voir l’expérience par des scènes permet d’instaurer du doute chez celles et ceux (re) découvrant a posteriori ces formes de vie et ces réflexions. Dès lors, l’image rend possible le questionnement notre propre rapport au corps et à la nature et à la manière dont il a peut-être évolué au fil de l’âge et de nos socialisations. L’image vient ensuite interroger nos pratiques sociales, culturelles, éducatives, économiques et politiques, avec parfois l’idée que le corps et la nature, et certains de leurs enjeux ont parfois été mis sous le tapis dans notre société contemporaine. Indéniablement, ces images viennent également interpeller ce que sont devenus les milieux naturistes, écologiques, pédagogiques et artistiques.
29Dans le cadre de ce dossier, nous distinguons deux parties : 1. Les modèles de vie naturiste induisant des enjeux d’éducation, de formation ou de socialisation spécifique ; 2. Les images artistiques naturistes avec une dialectique montrant comment l’éducation et l’initiation naturiste peut faire le lien entre, d’un côté, un modèle théorique et historique, et d’autre côté, une pratique artistique et une forme de représentation du réel :
|
Modèles Naturistes
|
Images Naturistes
|
|
Religion
|
Ascèse Cosmétiques (B. Prevost)
|
Mythérotisme (Andrieu, Lorenté)
|
|
Santé
|
Bain d’air en Allemagne (C.Regin, B.Wedemeyer-Kolwe)
|
Albums amateurs allemands (G. Amaudric)
|
|
Loisirs
|
Heinrich Zille, Loisirs aquatiques Berlin (M. Cluet)
|
Typtiques CHM, (M. Dubail)
|
|
Politique et classes sociales
|
Naturisme prolétarien (H. L. Go, X. Riondet)
|
La famille nue (Marine Crubilé)
Les foules nues (Bernard Lafargue)
Photographies
|
|
Genre et sexualité
|
Nudisme, naturisme et libertinage (Daniel Welzer-Lang
|
Les autoportraits nus en mauvaises herbes (R. Darci Fonseca
A. Cassanelli
|
|
Spiritualités
|
Naturisme et Chamanisme (Julien Wolga
|
Journal personnel et collectif (F. Kirastinnikos & J. Kiras
|
30Ce tableau témoigne d’une volonté de distinguer les types de documents, les thématiques abordées et les arrière-plans en jeu dans les contributions de ce dossier. S’il est évident que l’on pourrait présenter les choses différemment, ce tableau constitue une manière de montrer la diversité en jeu dans cette philosophie naturiste qui a pris des formes différentes ici ou là, tout en ayant en commun de permettre pour certaines adultes, via un processus éducatif et formatif particulier, de se lancer dans une aventure et une expérience de transformation, voire de perfectionnement, en vue de contribuer à d’autres formes de commun que celles promues par les institutions dominantes. Le dossier que nous publions aujourd’hui n’est qu’un ensemble d’exemples parmi de nombreux autres qu’il reste encore à retrouver, à présenter et à étudier. Loin d’idéaliser nécessairement les expériences en jeu, il s’agit bien, dans un premier temps, d’en faire la cartographie et de le considérer comme un champ de recherche à part entière qui ne demande qu’à se développer. Il faudra, par la suite, insister sur les débats, les controverses et les innombrables tensions à l’œuvre dans ce monde particulier du naturisme de réseaux, de groupes sociaux et de lieux alternatifs très différents.
31Ce dossier constitue un matériau spécifique, dans le sens où il regroupe des contributions très différentes dans leur structure et dans leur nature, mais également dans les objets et les situations qu’elles abordent, qu’il s’agisse de pratiques de santé, de pratiques culturelles spécifiques, de formes de vie autogérée en pleine nature, voire parfois, mais pas nécessairement, de relations sociales particulières (comme le libertinage entre adultes consentants). Dans la forme, le lecteur trouvera des analyses, des témoignages, des auto-analyses, des présentations d’archives, des contextualisations de documents écrits ou visuels (revues, photographies, etc.). Sur le fond, le lecteur pourra se rendre compte des champs et lieux très variés (santé, loisir, éducation, art) qui ont été questionnés par le naturisme.
32Dans la première partie, le lecteur trouvera des contributions portant sur les ascèses cosmétiques (Prévost), sur les lieux originels du naturisme dans l’aire germanophone avant 1914 (Regin et Wedemeyer-Kolwe), ainsi que des textes sur Heinrich Zille et les illustrations de loisirs aquatiques et nudistes (Cluet) et sur la manière dont le naturisme a questionné le monde éducatif (Riondet). Le lecteur pourra également s’intéresser à certaines réflexions sur la dimension chamanique en jeu dans certaines pratiques naturistes (Wolga), ainsi qu’à l’imbrication des pratiques de nudisme, de naturisme et de libertinage au Cap d’Agde (Welzer-Lang) ou encore à la figure méconnue de Louis Boilley, cinéaste et photographe, qui a immortalisé quelques scènes de l’histoire du naturisme (Oliviero).
33Dans la seconde partie, ce sont les images et plus largement la production culturelle liée au naturisme et à la pratique du nudisme qui sont à l’honneur. Cette partie se compose de textes portant sur les albums de Kienne de Mongeot (Andrieu), sur les photographies de foules nues rassemblées par Spencer Tunick (Lafargue), sur les autoportraits nus d’Audrian Cassanelli (Fonseca et Cassanelli), sur un travail de composition photographique lié au naturisme et au nudisme (Dubail), sur les albums de familles allemands (Amaudric), sur la famille naturiste (Crubilé), et sur un journal personnel et collectif lié au centre héliomarin de Montalivet (Kirastinnikos et Kiras).
34Par-delà cette diversité, les contributions ont pourtant en commun de constituer un ensemble documentaire rendant visible une pluralité de situations, de réseaux et d’espaces dans lesquels se jouent l’éducation, l’initiation, la socialisation et la formation des adultes en lien avec un monde social et culturel très spécifique, le naturisme, véritable philosophie spécifique aux multiples visages. Cette expérience protéiforme renvoie à des variations hétérotopiques très différentes, tant les formes de vie en jeu peuvent englober des activités très variées (se nourrir, se soigner, se divertir, se fréquenter, éduquer et se former, travailler et produire, consommer, etc.). Ce monde, et le lecteur s’en apercevra, est multiple. Foucault (2018) s’était essayé à constituer des catégories et des sous-catégories d’hétérotopies. Il est vrai que ces autres lieux se présentant comme des « contre-espaces » ayant, vis-à-vis de la vie ordinaire et de ces cadres normatifs, une fonction de compensation, de contestation ou d’élaboration d’alternative, sont à l’évidence nombreux et méritent d’être davantage étudiés.
