1Quel rapport peut-il y avoir entre le naturisme, ce loisir moderne axé autour du bien-être qu’offre la nudité collective également appelé nudisme, et le chamanisme, cette spiritualité archaïque principalement répandue chez les peuples premiers ?

2À priori aucun, mis à part l’amusement de se retrouver en communauté vivant nue à l’image de certaines tribus lointaines…

3Cependant, un premier rapprochement plus sérieux peut tout de même être fait dans le lien avec la nature que chacun prône à sa manière. Un deuxième peut également être établi dans les questions d'équilibre et de santé qui les préoccupent tous deux, et qu’ils entendent justement assurer par le biais de ce contact avec la nature.

4Le naturisme que nous connaissons aujourd'hui provient de l’hygiénisme, démarche médicale qui pourrait se résumer ainsi : soigner la nature humaine par la Nature. L’hygiénisme cherche à comprendre nos fonctionnements biologiques afin d’en satisfaire au mieux les besoins dans le but d'éviter les déséquilibres occasionnant maladies et autres souffrances. Le naturisme s’approprie cette optique, mais prône particulièrement l’utilisation des éléments naturels (l’eau, l’air, la lumière et la terre) pour répondre à ces besoins.

5Dans cette optique, le naturisme-hygiéniste s’est principalement occupé de repenser nos modes de vie. Le docteur Paul Carton préconisait par exemple une alimentation globalement végétarienne. De leur côté, les docteurs Gaston et André Durville insistaient surtout sur l’activité physique. Sur cette base musculo-alimentaire, d’autres recherches se sont ajoutées comme l'héliothérapie du docteur Antoine de Fougerat de Lastours. En effet, ce dernier mettait en lumière les avantages de la nudité intégrale pour la santé, inaugurant ainsi le nudisme naturiste français. Dans sa thèse de médecine L’homme et la lumière, dans laquelle il présente le résultat de ses expérimentations, il se questionne également sur l’origine de la pudibonderie. Il y révèle qu’en nous privant des bienfaits de cette nudité totale naturelle, la pudibonderie a un impact négatif sur la santé. De ce fait, il illustre l’application de l’hygiénisme à la sphère culturelle, démarche particulièrement incarnée par le naturisme intégral défendu par Marcel Kienné de Mongeot, fondateur de la revue Vivre ! et du mouvement du même nom.

6Dans cette optique, le naturisme s’intéresse non-seulement à l’éducation et à l’art ; citons par exemple le docteur Marcel Viard spécialisé dans la gymnastique du cerveau, le sexologue Pierre Vachet, ou encore le libre-danseur François Malkovski cherchant à libérer le mouvement ; mais également à la spiritualité, notamment à travers une relecture originale de la genèse biblique.

7Catholiques, protestants, athées mais aussi adeptes de la théosophie ont ainsi formé le mouvement naturiste, chacun s’appliquant à accorder sa foi et sa pratique. Mais en poussant davantage la logique hygiéno-culturelle, nous sommes en droit de nous demander quelle pourrait être la culture spirituelle la plus “naturelle” à notre espèce. Autrement dit, laquelle se développerait le plus spontanément et entretiendrait par ailleurs un lien plus intime avec la Nature tout en respectant du mieux possible nos fonctionnements biologiques ?

8Si, à ma connaissance, les fondateurs du naturisme intéressés par cette question n’ont pas mentionné le chamanisme ; probablement par manque de connaissances sur le sujet encore peu étudié, compris et pris au sérieux à l’époque ; il semble aujourd'hui intéressant de reconsidérer la question à la lumière des récentes études.

9Le chamanisme s’inscrit dans une vision animiste du monde. L’animisme est en premier lieu une sensibilité accordant une âme ou un esprit à chaque aspect de la Nature (animaux, végétaux, minéraux, éléments, saisons etc.) avec lesquels des liens et des interactions sont possibles. Selon cette vision, certaines personnes sont dotées de capacités psychiques particulières qui leur permettent d'entrer en connexion avec ces différents aspects. Ces capacités leur permettent par exemple de rendre la santé aux membres de leur communauté. Ces hommes et femmes-médecine sont appelés chamans, vocable toungouze ayant servi à élaborer le terme générique de chamanisme.

10Longtemps taxée de sorcellerie dans notre culture, cette pratique peut pourtant être comprise de manière rationnelle. Il suffit pour cela de prendre en considération certains mécanismes psychologiques puissants. Citons par exemple l’hyper-empathie qui permet de percevoir intuitivement les états psychiques à travers les expressions émotionnelles et corporelles, ou encore les effets placebo et nocebo qui n’ont pas fini d’être étudiés et compris.

11Ces deux approches étant présentées, voici maintenant notre façon de les articuler, Ewah et moi-même, à travers nos univers artistiques respectifs.

12Ewah est musicienne, chanteuse et compositrice. Par ailleurs dotée d’une sensibilité particulière, elle a suivi une initiation chamanique inspirée de diverses traditions du monde entier avec Didier Rauzy (auteur de L’éveil des nouveaux chamans, Guy Trédaniel, 2008), ce qui révéla ses aptitudes de chamane. Elle a progressivement développé sa propre “médecine” dans laquelle la musique occupe une large place. Si elle est passionnée par les vertus des plantes, elle n’utilise cependant aucune substance psychotrope. C’est le son, et notamment celui de la voix et du tambour, qui lui permet d’entrer en transe et d'apporter ses soins aux personnes venues la consulter.

13Au cours de différents rituels (hutte de sudation, danse autour du feu, baptême aquatique etc.), elle découvre la nudité collective, rendant plus intense la connexion à soi, aux autres, ainsi qu’à la nature. En parallèle, sa sensibilité biologique l’invite à remettre en question ses habitudes alimentaires et la pousse à adopter un mode de consommation plus adapté à sa nature.

14De mon côté, la production artistique s’articule autour du dessin, de la sculpture et de l’écriture. Je n’ai pas les capacités chamaniques d’Ewah mais les recherches spirituelles et philosophiques occupent également une grande place dans mon existence. Comme elle, ma “médecine” est indissociable de mon art.

15Mon attrait émotionnel, sensuel, spirituel et artistique pour la nudité m’a conduit au nudisme. Le nudisme m’a conduit à découvrir le naturisme et à intégrer son sens hygiéniste plus large. Par ailleurs, au cours de mes recherches spirituelles, l’animisme est la sensibilité qui m’a le plus parlé, correspondant par ailleurs aux critères de l’application culturelle hygiéniste. C'est pourquoi, des thématiques animistes orientent mes productions qui semblent avoir une action énergétique et spirituelle chez ceux qui les apprécient. Je puise dans les traditions folkloriques européennes en me réappropriant les figures merveilleuses des fées, des faunes, des dragons et autres esprits de la nature.

16Notre rencontre a permis à Ewah de découvrir le milieu naturiste et d’apprécier la nudité “profane”. Elle a eu l’occasion d’y donner des concerts de musique vibratoire, permettant aux personnes présentes de vivre une autre expérience de la nudité qui prend également sa place dans les rencontres chamaniques qu’elle organise.

17Pour ma part, ne connaissant jusqu’ici que théoriquement le chamanisme, la rencontre avec Ewah m’a permis de faire l’expérience de ses voyages chamaniques, dont je suis par la suite devenu le gardien.

18Ces voyages chamaniques sont des évènements de groupe ou des consultations individuelles d’une durée allant de deux à trois heures. Les personnes participantes sont invitées à se présenter lors d’un premier cercle de parole. Elles s’allongent ensuite pour se laisser guider par une méditation d’ancrage. Après un appel aux esprits protecteurs (familles, guides, animaux etc.), le voyage commence avec quelques sons d’ambiance et des chants improvisés. Enfin, le cœur du voyage chamanique démarre au son du tambour, au centre de l’espace consacré mais également au-dessus de chacun des participants, à des rythmes variant selon l’inspiration et le ressenti de l’officiante.

19Ces pulsations résonnent dans tout le corps, et la plupart du temps, des sensations physiques ou des images imaginatives émergent selon le moment et la sensibilité de chacun. En même temps qu’elle bat le tambour, Ewah “canalise” des chants thérapeutiques, mais aussi des cris exprimant la souffrance enfouie des participants, ce qui peut être impressionnant, voire effrayant, mais s’avère libérateur et finalement apaisant. Enfin, le tambour se tait. Il laisse place à des sonorités plus douces et enveloppantes permettant aux voyageurs de “revenir” à leur rythme. Pour terminer, après ce temps de retour à soi, les participants sont invités à partager leur expérience. Parfois Ewah reçoit des messages qu'elle transmet aux personnes concernées.

20La nudité ne se prête pas vraiment à ce type de séance en raison du refroidissement corporel qu’occasionne la position allongée et passive des participants. En revanche, elle est beaucoup plus adaptée pour certaines escapades initiatiques en nature, notamment lorsqu’il s’agit de remonter un ruisseau et de s’immerger dans ses vasques, de traverser un lac souterrain dans l’obscurité d’une grotte, ou encore de danser autour du feu… La nudité n’est pas obligatoire mais vivement recommandée pour vivre pleinement l’expérience de la libération, de la connexion mais aussi de la vulnérabilité, de l’humilité et de la réconciliation avec soi-même.

21Dans notre approche du naturisme-chamanique, la notion d’animalité occupe une place centrale. En effet, le chamanisme considère que les esprits animaux sont non seulement très présents mais aussi d’une grande aide pour la vie humaine. De plus, d’un point de vue naturiste, il nous semble important de nous rappeler que nous sommes nous-même des animaux, bien que nos cultures religieuses aient tendance à le nier et nos cultures laïques à l’oublier. Elles ont particulièrement tendance à hiérarchiser les espèces, plaçant l’humanité au-dessus de toutes les autres tandis que l’animisme considère plus volontiers leur égalité. Bien que la prédation demeure, elle y est plus mesurée et respectueuse. Ainsi, un animal ne sera pas tué sans être remercié et il en est de même pour les plantes.

22Il est, à ce sujet, intéressant de souligner que les termes animal et âme ont la même racine latine anima désignant le souffle de vie au cœur des préoccupations animistes.

23Ceci étant dit, nous accordons une attention toute particulière à l’animalité humaine. Cette part sauvage en nous est souvent méprisée, rejetée, vécue avec crainte et angoisse (à l’instar de la nudité). Elle est de ce fait meurtrie par les excès culturels, éducatifs et civilisationnels, alors qu’elle est saine, fondamentale à notre équilibre et qu’elle est paradoxalement à l’origine de notre créativité culturelle et de nos plus bénéfiques instincts humains. Cette animalité humaine est constituée de notre biologie, de nos émotions, nos élans. C'est à elle que l’on doit nos qualités humaines (empathie, sociabilité, intelligence etc.). Ces qualités peuvent cependant être biaisées, voire contrecarrées, par des mauvais traitements (accidentels mais aussi culturels) occasionnant des blessures la mettant ainsi en souffrance et en dysfonctionnement. Notre approche chamanico-naturiste cherche donc à soigner et réhabiliter l’animalité humaine, afin de la déployer et de profiter pleinement de ses capacités.

24La sexualité est l’un des éléments de notre animalité les plus délicats à appréhender pour nos cultures et c'est principalement pour cette raison que la nudité est autant réprimée. Le mouvement naturiste actuel les dissocie soigneusement dans le but d’éviter les débordements intempestifs et a, de ce fait, abandonné le sujet. Cependant, il était au cœur de la réflexion nudiste des pionniers (cf. La révolte des sexes de Marcel Kienné de Mongeot). Encore trop souvent enfermée dans un mécanisme de refoulement-défoulement brutal et manquant de sensualité à notre avis, la question se pose de trouver, à la sexualité, sa juste place dans nos psychés et nos cultures.

25Pour notre part, nous sommes attachés à investir sa dimension spirituelle, sacrée, voire magique, et même si nous ne proposons aucun événement sur le sujet (pour le moment en tout cas), il nous semble important de l’aborder à l’occasion de cercles de parole, de concerts, de conférences, d’articles, de livres ou même de simples rencontres informelles, mais également à travers l’art, capable de communiquer l’indicible…

26Afin d’explorer et de développer cette démarche artistique, naturiste et chamanique, nous nous sommes établis au Cocon à Saint-Jean-du-Gard dans les Cévennes. Cette vieille maison, dans le centre historique du village entouré de nature, abrite non seulement notre famille mais se compose également d’un atelier-galerie, d’une salle de soins individuels et d’une plus grande salle permettant la réception de groupes.

27Nous proposons également des rencontres dans les environs et parfois même plus loin selon nos possibilités et lorsque nous y sommes invités.

28Pour conclure, nous aimerions terminer sur la réflexion suivante. Au-delà des conceptions intellectuelles que le naturisme peut présenter, nous aimons le voir comme étant, avant toute autre chose, un appel intérieur de notre propre nature. Dans notre cas particulier, le chamanisme fait partie de cet appel et notre naturisme nous semblerait incomplet sans lui.

29Nous comprenons bien-sûr que tout le monde ne soit pas sensible à cette approche mais nous avons tout de même à cœur d’en partager la poésie.