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Guy Avanzini, une inspiration pédagogique et humaniste pour notre temps

Introduction du dossier
Alain Mougniotte et François Le Clere

Texte intégral

1Guy Avanzini (1929-2022) a été une figure fondatrice des sciences de l’éducation comme discipline universitaire. Depuis sa thèse de doctorat de 3eme cycle Alfred Binet et la pédagogie scientifique publiée en 1969, il a été un témoin et un contributeur de la recherche dans le champ de l’éducation et de la formation durant plus d’un quart de siècle. Comme en attestent, les hommages qui lui ont été fait à son départ à la retraite (Xypas and co, 2003), au moment de son décès (Hameline, 2022 ; Andrieu, 2022) ou encore lors d’une journée d’étude qui lui a été consacrée le 17 novembre 2023, la contribution de G. Avanzini à la discipline est conséquente. En participant récemment à une autre journée d’étude organisée le 12 mars 2024 à l’Université Paris 8 en l’hommage de Guy Berger (quelques mois après celle organisée pour Guy Avanzini), j’ai pris conscience de l’importance de la formation et de l’héritage philosophique de ceux qui constituent les grandes figures de notre discipline.

2Parlant de ses prédécesseurs initiateurs de la science de l’éducation à Lyon au début du 20ème siècle, il nous dit : « la même volonté s’est maintenue d’un lien entre sciences et philosophie : une volonté humaniste et anti-scientiste y demeurent fermement affirmée » (Avanzini, 1989). André Robert, Frédéric Mole et Jacqueline Gautherin considèrent que l’originalité du modèle lyonnais a été de procéder à une certaine forme de dépolitisation de la science de l’éducation. « On peut aussi considérer », nous disent-ils, que l’enjeu républicain et social de la science de l’éducation s’est, dans un contexte marqué par le catholicisme, résorbé dans un humanisme pédagogique éloigné de l’analyse sociologique. Le défi aura consisté à prendre en compte – et en charge – les avancées de la psychologie expérimentale, en intégrant ces avancées dans le cadre d’un humanisme qui, accordant toute sa place aux acteurs, soumet l’approche scientifique de l’éducation à l’épreuve de la critique, voire du scepticisme. La science de l’éducation lyonnaise a donc cherché la synthèse entre science et spiritualisme dans une forme de pragmatisme où les savoirs en éducation doivent constituer des réponses aux questions que les enseignants se posent dans l’exercice de leur métier » (2015, 261-262).

3Inscrit dans cette héritage, G. Avanzini fait partie de cette génération de chercheurs qui ont (re)fondé les sciences de l’éducation au cœur des sciences humaines et sociales, et dont l’érudition et la somme des travaux sont impressionnantes. Elles en rendent peut-être même l’exploration et la synthèse difficiles. Les travaux de recherche que G. Avanzini a menés articulent philosophie, histoire des doctrines pédagogiques et psychologie de l’éducation, donnant toute sa place à la pédagogie dans sa double perspective « axiologique et praxéologique » comme il aimait à le répéter, articulant valeurs et pratiques. Tout au long, de sa carrière universitaire, G. Avanzini s’est engagé dans de nombreux projets scientifiques sur diverses thématiques : la psychologie des adolescents, l’échec scolaire, les pédagogies, la formation des adultes, la citoyenneté, etc. Il a aussi contribué à des recherches épistémologiques et philosophiques fondamentales. En relisant les différentes contributions publiées sous le titre Regards croisés sur l’éducation. Hommage au professeur Guy Avanzini (Xypas and co, 2023), je me suis interrogé : quel pourrait bien être ici notre projet scientifique ? Le travail n’a-t-il pas déjà été fait ?

4Les contributions de ce dossier constituent des « premières contributions » pour nous permettre de tirer quelques fils réflexifs et d’organiser progressivement ce qui pourrait devenir notre projet scientifique pour les années à venir. Il me semble que G. Avanzini a beaucoup été lu, commenté et discuté par ses proches, ses collaborateurs, par ses contemporains. Nous-mêmes, dans ce dossier, nous prendrons cette première direction. Mais peut-être est-il venu le temps d’une seconde lecture, d’une relecture à partir des outils et des concepts qui se construisent aujourd’hui en sciences de l’éducation et de la formation, à partir de chercheurs qui ne l’ont pas connu, pour donner à la contribution scientifique de G. Avanzini toute sa valeur. C’est pour cette raison, qu’il est, tout d’abord, nécessaire de permettre un travail de réappropriation du parcours, des héritages théoriques et des domaines de réflexion de G. Avanzini. Tout aussi travailleur, productif et acteur engagé qu’il a été, G. Avanzini n’en demeure pas moins aujourd’hui une figure discrète des sciences de l’éducation et de la formation. Trop discrète peut-être !

5En quoi apporte-t-il un regard particulier sur l’éducation et la formation ? Quels écrits et quels outils théoriques nous laisse-t-il ? Charles Hadji, à travers un premier article du dossier, retrace l’itinéraire conceptuel de G. Avanzini et nous en propose une synthèse à partir de trois approches : scientifique, philosophique et didactique, constituant son œuvre. Il y est présenté comme théoricien, acteur et prophète de l’éducation permanente. C. Hadji nous propose ici deux prismes thématiques pour relire les travaux de G. Avanzini : le premier c’est celui de l’éducation permanente, le second celui de la place de l’humanisme dans la recherche en éducation.

6Nous l’avons dit, G. Avanzini, témoigne d’une époque des sciences de l’éducation, avec ses concepts, ses méthodologies et ses objets. S’il a contribué à faire évoluer les objets de la discipline, entre autres du côté de la formation des adultes, son œuvre témoigne aussi des modalités de collaboration entre des acteurs de l’éducation et des chercheurs, ainsi que de la manière de procéder à la diffusion des savoirs en sciences de l’éducation et de la formation. G. Avanzini n’a jamais cédé sur ce point. Il avait un vif intérêt pour la recherche-action et le soutien des professionnels de l’éducation dans leurs recherches individuelles et collectives. Il est évident qu’il semble avoir construit ce que Pascal Nicolas Lestrat, dans son récent ouvrage Faire recherche en commun (2023, p. 14), appelle une « écologie de la recherche ».

7Mais ce qui me frappe dans l’écologie de recherche et les réseaux de collaboration de G. Avanzini, c’est leur multiplicité et leur hétérogénéité. Hétérogénéité, qui a pu questionner certains de ses contemporains, comme Jean Houssaye qui l’exprime au moment du départ à la retraite de Guy Avanzini. Outre sa participation active à la formation des étudiants en DHEPS (Diplôme des Hautes Etudes en Pratiques Sociales) et dans le champ du travail social (par la présidence de l’Institut Saint-Laurent par exemple), il a contribué fortement à la réflexion des mouvements pédagogiques et sur les mouvements pédagogiques. C’est ce que proposer d’appréhender les contributions de Jean-Claude Régnier, concernant les rapports de G. Avanzini avec la pédagogie Freinet et de Jean-Marie Petitclerc sur la contribution majeure de G. Avanzini à la recherche sur la pédagogie de Jean Bosco.

  • 1 Comme l’a proposé récemment Jean-Louis Barbon à la journée d’étude consacrée à G. Avanzini.

8L’écologie de recherche de G. Avanzini est je crois trop invisibilisée. Il me semble nécessaire, de faire retour sur ces expériences collaboratives, sur la fécondité des réseaux de recherche auxquels il a participé et ceux qu’il a initié. Il serait intéressant de mieux cartographier cet écosystème. Appréhender plus précisément ses contributions au réseau des Diplôme des Hautes Etudes en Pratiques Sociale, revenir ce qui a conduit à la publication du Dictionnaire des pédagogies chrétiennes ou la création de la revue Educatio1, ou retracer précisément ses contributions dans différents réseaux pédagogiques : le réseau des Maisons Don Bosco ou celui des Maisons Familiales Rurales constitueraient des chantiers de recherche intéressants pour notre discipline.

9N’oublions pas que G. Avanzini a été un président contributeur important de la Société Binet Simon. Il va de soi que G. Avanzini, par son intérêt pour Alfred Binet et ses travaux, se situent pleinement dans le champ que ce dernier a initié : la psychologie de l’éducation, qui donnera progressivement forme au domaine de la psychopédagogie même si celui-ci reste un domaine protéiforme et constitue une « interface disciplinaire » (Avanzini, Andrieu, 2016, 230). La psychopédagogie, et la pédagogie avec elle, sont devenus progressivement les oiseaux de mauvais augure des sciences de l’éducation (Terral, 1994, Lerner-Seï, 2024). Elles font un retour dans le champ de l’éducation et de la formation avec de nouvelles formulations (neurodéveloppementales) et de nouveaux objets (la pédagogie universitaire par exemple). J’émets l’hypothèse que les repères philosophiques proposés par G. Avanzini permettraient de repenser et discuter ces nouvelles approches psychopédagogiques en éducation et les visées anthropologiques qui les sous-tendent.

10Enfin, à travers les contributions de ce dossier, nous aimerions aussi penser l’actualité et la vivacité des réflexions de G. Avanzini dans les champs de l’éducation et de la formation. En quoi l’auteur de Pédagogies du 20ème siècle nous éclaire-t-il sur les enjeux éducatifs du 21ème ? Que sont devenus ses apports majeurs sur l’éducabilité, la pédagogie de l’hétérogénéité, sur la pédagogie de l’accompagnement ou sur la formation des adultes, etc. Pour initier cette réflexion conceptuelle, Bernard Andrieu revient, ici, sur l’ouvrage publié en 1965 : Le temps de l’adolescence et ses republications dans le moment 68. Plus qu’une lecture de l’adolescence en soi, G. Avanzini y développe le concept d’adultisation et qualifie la traversée de l’enfance vers la responsabilité adulte. B. Andrieu nous propose de revisiter les héritages théoriques qui ont permis cette publication et le contexte dans lequel il a été publié. Il montre d’ailleurs, la méprise dans la réception de ce concept et sa réélaboration par la psychanalyse.

11De Gaston Mialaret (1918-1916), G. Avanzini dira au moment de sa mort : « Il ne s’imposait pas moins de faire face à l’impérialisme d’une sociologie intrusive, et prompte à revendiquer le monopole de la compétence, en rivalité avec une psychologie qui n’entendait pas laisser méconnaître la pertinence de sa démarche clinique et à une philosophie qui refusait de voir que fût estompée ou étouffé la réflexion axiologique inséparable de tout projet éducatif. » (Avanzini, Andrieu, 2016, 230). L’œuvre de G. Avanzini poursuit l’idée de ne pas perdre le fil axiologique et de le réarticuler sans cesse aux pratiques éducatives et pédagogiques. Il portait un projet ambitieux pour les sciences de l’éducation et de la formation, comme discipline avec sa propre spécificité.

12Il me semble que ces premières publications en appellent d’autres et invitent à poursuivre la redécouverte et la recension des travaux de G. Avanzini, ainsi que la discussion scientifique de ses apports. Nous proposons ici une liste des publications de G. Avanzini, ainsi que des écrits collaboratifs afin de nourrir ce projet. A travers ce dossier, il s’agit je crois de préfigurer un projet scientifique et d’inviter à des investigations recherche plus précises, chaque contribution ouvrant quelques pistes de discussion et de prolongement. G. Avanzini dans la conclusion de son Introduction aux sciences de l’éducation semble bien pessimiste sur le devenir de la discipline et la place de la recherche éducationnelle au niveau international. Il semble y nommer un projet : « travailler à leur propre légitimation » (1992, 164). Puisse la réexploration de son œuvre y contribuer.

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Bibliographie

Avanzini, G. (1992). Introduction aux sciences de l’éducation (Nouv. éd. mise à jour). Privat.

Avanzini, G. & Andrieu, B. (2016). Gaston Mialaret, pionnier de la psychopédagogie et des sciences de l’éducation (1918-2016). Bulletin de psychologie, 543, 229-230.

Avanzini, G. (1989). La recherche sur l’éducation à Lyon. In : Avanzini, Guy (dir.), Éducation et pédagogie à Lyon, de l’Antiquité à nos jours, Lyon, Clerse, 375-384.

Hameline, D. (2002), « Hommage à Guy Avanzini », La Pensée d’Ailleurs [En ligne], 4.

Lerner-Seï S. (2024). La psychopédagogie : Filiations troublées et transmissions créatives. Note de synthèse en vue de l’habilitation à diriger des recherches (HDR), Sciences de l’éducation et de la formation. Université de Paris.

Robert, A., Mole, F., Gautherin J. (2015). La science de l’éducation à Lyon : entre initiative d’Etat et histoire pédagogique locale, la greffe d’une positivité scientifique sur une tradition spiritualiste (1884-1945). In : Historia de la educación, 34, 245-262.

Terral, H. (1994). La Psychopédagogie : une discipline vagabonde. In : Revue française de pédagogie, volume 107, 109-121.

Xypa, C., Hadji, C., Cailleau, R., & Audic, A.-M. (2003). Regards croisés sur l’éducation  : Hommage au professeur Guy Avanzini. l’Harmattan.

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Notes

1 Comme l’a proposé récemment Jean-Louis Barbon à la journée d’étude consacrée à G. Avanzini.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Mougniotte et François Le Clere, « Guy Avanzini, une inspiration pédagogique et humaniste pour notre temps »Recherches & éducations [En ligne], HS | 2025, mis en ligne le 15 janvier 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/17613 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134n8

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Auteurs

Alain Mougniotte

Professeur émérite, Université Lyon Claude Bernard.

Articles du même auteur

François Le Clere

Maitre de conférences en Sciences de l’éducation et de la formation, CIRCEFT, Equipe Clepsydre, Université Vincennes Paris 8.

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Droits d’auteur

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