Navigation – Plan du site

AccueilNumérosHSGuy Avanzini et la pédagogie Freinet

Guy Avanzini et la pédagogie Freinet

Jean-Claude Régnier

Résumés

À ma connaissance, Guy Avanzini fut un des rares universitaires des années 60 du XXème siècle et suivantes qui a pris au sérieux les propositions pédagogiques énoncées, dès les années 20, par Célestin Freinet et ses compagnons réunis dans le Mouvement Pédagogique institué par la création de l’I.C.E.M. – Institut Coopératif de l’École Moderne en 1947. Probablement, il était aussi un des rares universitaires à être écouté par Célestin Freinet. Ma contribution vise à travers un témoignage personnel, en tant militant du Mouvement Freinet depuis 1972 et pionnier dans les approches pédagogiques Freinet de l’enseignement des mathématiques au lycée, étayé par des documents d’archive, à identifier et à expliciter les relations de Guy Avanzini avec l’I.C.E.M.. Compte tenu de l’esprit de cet hommage rendu à Guy Avanzini, lors de la Journée scientifique le 17 novembre 2023, fondé en partie sur des témoignages, nous avons pris le parti d’utiliser le « je » au lieu du « nous » habituel.

Haut de page

Texte intégral

Introduction

1Compte tenu de l’esprit de cet hommage rendu à Guy Avanzini, lors d’un temps fort, marqué par la tenue d’une Journée scientifique le 17 novembre 2023 fondé en partie sur des témoignages, nous avons pris le parti d’utiliser le je au lieu du nous habituel. C’est évidemment avec beaucoup d’émotion que je souhaite évoquer ce témoignage en hommage à Guy Avanzini qui fut pour moi un solide point de repère auprès de qui j’ai pu solliciter de nombreux conseils tant scientifiques, professionnels que personnels. Dès le début des années 80, il fut aussi un ami plein d’attention qui m’a toujours accueilli avec beaucoup de bienveillance et d’écoute. Il fut aussi un de mes directeurs de travaux scientifiques puisqu’il a dirigé, en 1984, mon mémoire de DEA de Sciences de l’éducation puis celui d’une seconde thèse de doctorat en Sciences de l’éducation sur une thématique inscrite dans le cadre de la pédagogie Freinet. Il s’agissait de réaliser une étude portant sur une tentative de formation à l’auto-évaluation d’élèves de classe de seconde de Lycée, dans le cadre de l’enseignement des mathématiques. Si je n’ai pas conduit à son terme cette thèse par une soutenance, je n’en ai pas moins mis à profit les résultats en les exploitant dans d’autres travaux scientifiques. Ma collaboration avec Guy Avanzini s’est amplifiée à partir de 1989 quand il m’a sollicité pour assurer, en collaboration avec lui, des cours au Collège Coopératif de Rhône-Alpes puis quand j’ai été recruté sur un poste de Maître de conférences à l’Institut de Sciences et des Pratiques d’Éducation et de Formation – I.S.P.E.F – de l’Université Lumière Lyon2 à partir de 1992. Je rappelle ici que Guy Avanzini est un des fondateurs des institutions universitaires de formation et de recherche en Sciences de l’éducation à Lyon qui ont abouti à la création de l’I.S.P.E.F en 1988 qui constitue une des premières institutions universitaires de Sciences de l’éducation créées en France.

2De ce que j’ai pu retenir de l’histoire des idées pédagogiques, Guy Avanzini fut un des rares universitaires des années 60 du XXème siècle et suivantes qui a pris au sérieux, sans complaisance pour autant, les propositions pédagogiques énoncées par Célestin Freinet dès les années 20 et de ses compagnons réunis dans le Mouvement Pédagogique institué par la création de l’I.C.E.M. – Institut Coopératif de l’École Moderne en 1947 à Dijon. Il était aussi un des rares universitaires à avoir été écouté par Célestin Freinet. Ma contribution vise à travers un témoignage personnel en tant militant du Mouvement Freinet depuis 1972 et pionnier dans les approches pédagogiques Freinet dans l’enseignement des mathématiques au lycée, à identifier et à expliciter les relations de Guy Avanzini avec l’I.C.E.M.. Il ne s’agit pas de réaliser sa biographie.

3J’ai connu le nom de Guy Avanzini, en 1968, lors de ma formation de moniteur de colonie de vacances dans le cadre des C.E.M.E.A. – Centre d’Entrainement aux Méthodes d’éducation active à travers un ouvrage qui avait été présenté aux stagiaires intitulé : Le temps de l’Adolescence.(Avanzini, 1965). J’ai connu Guy Avanzini, en personne, lors du 36ème Congrès de l’école Moderne Française-I.C.E.M. en 1980 alors qu’il y était invité à donner une conférence. J’étais alors très investi comme militant pédagogique en tant qu’enseignant de mathématiques au lycée et en cours de formation doctorale en mathématiques et didactique des mathématiques à l’université Louis Pasteur à Strasbourg. À l’époque, je fus très surpris par quelques réactions de militants Freinet présents dans l’amphithéâtre dont les interventions puisaient aux sources de l’argumentation fondée sur l’opposition théorie-pratique non dialectisée. Le praticien sachant de quoi il parle alors que le théoricien parle de ce qu’il ne connaît pas vraiment ! Par la suite, à partir de 1984, s’est initiée une collaboration avec Guy Avanzini doublée d’une amitié sincère. Cette collaboration a duré jusqu’à ce qu’il s’éloigne de l’I.S.P.E.F – Institut des Sciences et Pratiques d’Éducation et Formation dont il fut le fondateur.

4La méthode suivie, pour baliser la construction des données sur lesquelles prend appui mon propos, a consisté à rechercher dans des archives de l’I.C.E.M. ainsi que dans celles de l’Association des Amis de Freinet dont quelques membres m’ont apporté une aide, tout particulièrement, Josette Ueberschlag, épouse de feu Roger Ueberschag (1922 – 2008) qui fut président de la F.I.M.E.M., Luc Bruliard ou Jacques Jourdanet. Il convient de rappeler que Guy Avanzini fut membre du comité de parrainage1 de cette association comme cela est indiqué dans le n° 1 du Bulletin des Amis de Freinet de 1969.

Figure 1 : Extrait du n° 1 du Bulletin des Amis de Freinet (1969 – p. 24)

Figure 1 : Extrait du n° 1 du Bulletin des Amis de Freinet (1969 – p. 24)

5Selon cette approche, il est apparu plusieurs documents d’archive qui constituent une source possible d’identification plausible des rapports de Guy Avanzini à la pensée philosophique et pédagogique de la Pédagogie Freinet. Je n’ai pas ici procédé à un inventaire exhaustif. Je n’en ai retenu qu’un échantillon de quelques références accessibles et qui, compte tenu des limites de cet article, donne à voir les indices pertinents pour éclairer l’effectivité de ces rapports et en interpréter le sens.

6Le premier est un article de Guy Avanzini intitulé Savoir par cœur n'est pas savoir publié dans le Bulletin Techniques de vie n° 10 - octobre 1961 (p.9-11).

7Le second est la Préface de Guy Avanzini, rédigée en 1964 alors qu’il était professeur à l’École Normale, à l’ouvrage de Célestin Freinet intitulé Les maladies scolaires publié dans n° 26 de la collection Bibliothèque de l’école moderne aux Éditions de l’école moderne française.

8Le troisième est un article sur une expérience pédagogique fondée sur la pédagogie Freinet « L'École expérimentale de la Gravière » publié dans le Bulletin de Psychologie n° 328 - 1977 Mars - Avril pp. 455-467.

9Le quatrième est le dossier « L’avenir du Mouvement Freinet » de la Revue de la Société Alfred Binet & Théodore Simon n° 557 – IV – 1977.

10Profitant de ce moment de retour historique, je suis revenu sur un article publié dans le n° 11 du 30 mars 1977 de la Revue L’Éducateur intitulé Toujours du côté de Lyon écrit par Michel Launay (1933-2012), universitaire, un des animateurs du C.R.E.U. – Centre de Recherches et d’Échanges Universitaires (Techniques Freinet) parmi lesquels on peut retrouver des universitaires acceptant de collaborer avec le mouvement Freinet tels que Henri Desroche (1914-1994), Jean Vial (1909-1996), Jean Le Gal, entre autres. Michel Launay y développe une analyse de l’ouvrage de l’équipe lyonnaise dirigé par Guy Avanzini, intitulé La Pédagogie au XXème siècle et édité en 1975 par Edouard Privat à Toulouse.

11Un témoignage direct des relations que Guy Avanzini a pu entretenir avec la pédagogie Freinet peut aussi passer par celles qu’il a pu avoir avec la famille Freinet même. Cette dédicace écrite de la main d’Élise Freinet (1898-1983) en témoigne.

Dédicace de l’ouvrage La méthode naturelle de Célestin Freinet par Élise Freinet à l’attention de Guy Avanzini

Dédicace de l’ouvrage La méthode naturelle de Célestin Freinet par Élise Freinet à l’attention de Guy Avanzini

12Élise Freinet écrit et signe depuis Vence le 9 novembre 1969 « à M. Avanzini en souvenir de Freinet avec la sympathie de l’assistante ».

13En complément je m’appuierai sur un des témoignages issus de la communauté des militants de l’I.C.E.M.- Pédagogie Freinet, regroupés au sein de l’Association2 des Amis de Freinet.

Ma rencontre avec Guy Avanzini

14Comme je l’ai déjà évoqué en introduction afin de me situer dans le propos que je tiens pour apporter un témoignage relatif à ce que je perçois des rapports que Guy Avanzini a entretenu avec la pédagogie Freinet, je vais reprendre quelques éléments des étapes de cette rencontre.

Quand et comment ai-je connu le nom de Guy Avanzini ?

15En avril 1968, alors que je venais de compléter mes 18 ans, j’ai suivi la formation de moniteur de colonie de vacances encadrée par les C.E.M.E.A. Ce stage de formation s’est déroulé en Saône et Loire et les formateurs étaient rattachés au centre de Dijon. C’est par une présentation de l’ouvrage intitulé : Le temps de l’Adolescence (Avanzini, 1965) que le nom de Guy Avanzini m’a alors été communiqué. Étrangement je n’ai jamais plus oublié ce nom alors que je n’imaginais même pas que je rencontrerais un jour Guy Avanzini.

Figure 3 : Couverture de l’ouvrage par lequel je connus le nom de Guy Avanzini

Figure 3 : Couverture de l’ouvrage par lequel je connus le nom de Guy Avanzini

16J’ai poursuivi mon activité au sein des C.E.M.E.A. jusqu’en 1973 tout en étant étudiant en mathématiques, puis, à partir de 1970, élève-professeur de l’I.P.E.S. de mathématiques à l’université de Dijon. L’exercice des fonctions de moniteur de colonies de vacances, puis de moniteur de camps d’adolescent puis de rencontres internationales étayées par les stages de formation, a constitué, pour moi, un cadre riche et propice à la réflexion sur l’éducation et sur les pratiques pédagogiques. Le cadre des I.P.E.S. n’offrait, à l’époque, aucun apport réflexif sur les questions relatives à l’enseignement et la pédagogie des mathématiques ni même à l’éducation en général. Au printemps 1972, j’ai alors fait la découverte de la pédagogie Freinet et de l’I.C.E.M.– Mouvement Freinet, lors d’une exposition au C.R.D.P. de Dijon organisée par le groupe départemental I.D.E.M.–21. Je me suis très rapidement intégré à la vie militante de ce groupe et participé aux activités. En tant qu’élève-professeur, ce cadre institutionnel associatif, peu ou pas reconnu par les instances diverses du Ministère de l’éducation nationale, constituait un espace de formation pédagogique. Je me suis aussitôt engagé au sein du secteur Second degré – mathématiques de l’I.C.E.M. au niveau national mais aussi international au niveau de la F.I.M.E.M. J’abandonnai, à partir de 1973, le cadre de l’animation et celui des C.E.M.E.A.

17À la rentrée scolaire de l’année 1975-1976, je fus nommé sur un premier poste en tant que professeur certifié de mathématiques au lycée Henri Parriat à Montceau-les-Mines en Saône et Loire. Dès lors je me suis investi dans une tentative d’organisation et de gestion coopérative de la classe dans les cours de mathématiques, de la mise en œuvre de situations d’enseignement et d’apprentissage fondé sur le tâtonnement expérimental et la libre recherche mathématique intégrant les pratiques de co-évaluation, d’autocorrection et d’autoévaluation, et la communication par un journal de classe à expression mathématique. Cet engagement au sein de l’établissement a été concomitant de celui dans la groupe I.D.E.M.-71 puis dans la création d’un groupe I.D.E.M Second degré qui constituait un cadre fournissant des espaces de débat instituant des garde-fous3 selon l’expression consacrée dans le répertoire des techniques de la pédagogie Freinet. La mise en œuvre des techniques de la Pédagogie Freinet au niveau du lycée dans le cadre de l’enseignement était un véritable défi car, d’une part, il n’agissait pas d’une simple transposition des pratiques pédagogiques avérées au niveau de l’enseignement primaire, il fallait non seulement réaliser des adaptations pertinentes mais aussi inventer de nouveaux outils, d’autre part, faire face à la méfiance des collègues, des parents d’élève, des corps d’inspection et de l’encadrement administratif, et même parfois celle des élèves eux-mêmes.

Quand ai-je rencontré Guy Avanzini ?

18C’est donc dans ce parcours de militant pédagogique dans lequel je m’étais investi que je me suis rendu à Grenoble en 1980 pour participer au 36ème Congrès de l’école Moderne Française – I.C.E.M. Je poursuivais à l’université Louis Pasteur à Strasbourg, par ailleurs, une formation doctorale en mathématiques et didactique de mathématiques avec des travaux qui portait sur des objets situés dans le cadre théorico-pratique de la pédagogie Freinet sous la direction de Georges Glaeser (1918-2002) et de François Pluvinage (1940 – 2020) qui eux-aussi prenaient au sérieux ces conceptions pédagogiques.

19Guy Avanzini était un des conférenciers invités dans une séance plénière. Je ne me rappelle plus précisément le thème de cette conférence ou table ronde. Ce dont je me souviens, ce sont les réactions de quelques militants au sein de l’amphithéâtre qui m’ont paru, à l’époque, un peu hostiles et qui m’avaient mis mal à l’aise. Dès lors je les avais interprétées comme étant celles fondées sur les représentations sociales répandues, encore de nos jours, de la séparation de la pratique et de la théorie. Que pouvait donc apporter un discours exposant une approche théorique de la pratique pédagogique à ces praticiens qui, de leur point de vue, savaient très bien ce qu’ils faisaient dans leurs pratiques quotidiennes au sein de la classe ? Cette question du rapport de la théorie à la pratique dans les champs de l’éducation, de la formation et de la pédagogie, rapport non perçu dialectiquement, me semble être récurrente et, de nos jours, perceptible dans les diverses annonces et débats relatifs aux réformes du système scolaire et de la formation des enseignants qui se succèdent depuis les années 80. Je ne me rappelle plus si j’ai parlé directement à Guy Avanzini durant ce congrès.

Quand ai-je commencé une collaboration avec Guy Avanzini ?

20À partir de 1983, après ma soutenance de thèse de doctorat en mathématiques et didactique des mathématiques à l’université Louis Pasteur à Strasbourg, je me suis rendu à Lyon pour rencontrer Guy Avanzini qui, dès lors, a toujours été attentif à mes conceptions pédagogiques et didactiques fondées sur les principes de la Pédagogie Freinet. Il m’a d’ailleurs encouragé à préparer un DEA en sciences de l’éducation sous sa direction que j’ai soutenu en 1986 sur le thème déjà évoqué de la formation à l’auto-évaluation d’élèves de classe de seconde de Lycée, dans le cadre de l’enseignement des mathématiques. J’ai ensuite poursuivi, encore sous sa direction, cette recherche dans la cadre d’une thèse de doctorat que je n’ai pas conduit à soutenance comme déjà évoqué. Cette collaboration s’est alors poursuivie jusqu’à ce qu’il quitte complétement l’I.S.P.E.F. Et puis l’éloignement géographique et les multiples contraintes de la vie quotidienne et professionnelle ont fait leur travail de sape de la relation de proximité… on ne se rencontre plus… puis un jour survient le départ définitif comme s’est produit le 18 octobre 2022 !

21Parmi les nombreux gestes d’amitié dont Guy Avanzini a fait preuve à mon endroit, celui qu’il a manifesté le 24 décembre 1992 en m’accompagnant dans l’épreuve des obsèques de mon père. Il a gentiment accepté ma sollicitation de prononcer quelques mots en hommage à mon père qu’il avait connu lorsque je fus nommé sur un poste de maître de conférences à l’I.S.P.E.F.

Indices des liens de Guy Avanzini avec Freinet et le Mouvement de la pédagogie Freinet

22Je souhaite maintenant aborder les indices permettant d’identifier la nature de la proximité de Guy Avanzini avec Freinet mais aussi avec les militants de l’École Moderne dans les orientations théoriques et les pratiques pédagogiques de la Pédagogie Freinet.

Savoir par cœur n'est pas savoir

23En 1961, Guy Avanzini, alors professeur de psychopédagogie à l’École Normal d’Instituteur de Lyon, participe aux débats que vient de soulever une circulaire ministérielle du 19 octobre 1960 « Il n'est pas douteux que, pour de jeunes enfants, le par cœur ne soit la forme la plus authentique et la plus durable du savoir ». Face à cette injonction ministérielle, le comité de rédaction de la Revue Techniques de vie constitué de 10 membres éminents du Mouvement Freinet parmi lesquels on trouve Élise et Célestin Freinet, dénonce cette « monstruosité » qui défie « Montaigne dont toute la pédagogie officielle vantait jusqu’à ce jour la sagesse » et a lancé une enquête auprès d’un certain nombre de professeurs, d’inspecteurs et d’instituteurs pour recueillir leurs points de vue relatif à cette prise de position ministérielle. C’est ainsi que Guy Avanzini s’est prononcé et a exposé son opinion dans un article intitulé Savoir par cœur n'est pas savoir publié dans le Bulletin4 Techniques de vie n° 10 - octobre 1961 (p.9-11). Pour lui,

« L'usage que la pédagogie doit faire de la mémoire n'a jamais cessé de constituer un problème que la circulaire du 19 octobre 1960 a ravivé et réactualisé. Les uns pensent que les connaissances sont fixées plus solidement par la mémorisation que par une compréhension toujours précaire ou vague : Le par cœur est la forme la plus authentique et la plus durable du savoir. Les autres craignent que la mémoire se contente d'enregistrer des données sans en garantir la compréhension : Savoir par cœur n'est pas savoir. Nous voudrions montrer que ce conflit implique : - une ambiguïté sur ce qu'on entend par « savoir » ; - une confusion sur les rapports entre la .mémoire et l'intelligence. »

24Et il conclut par son propos de la manière suivante :

« 1. Il faut dépasser des polémiques qui, pour traditionnelles qu'elles paraissent, n'en sont pas moins étrangères à la réalité pédagogique et psychologique. Un usage abusif du par cœur reviendrait à se contenter d'apprendre aux enfants à parler et tomberait sous le coup des reproches qu'adresse Rousseau à ce qu'il appelle « L'éducation babillarde ». Au contraire, un mépris systématique de la mémorisation reviendrait à empêcher les enfants de sédimenter leurs acquisitions intellectuelles : la mémorisation libère, en effet, l'esprit, en le délivrant de toute attention à certaines connaissances dont l'usage peut être mécanisé.

2. Il faut attendre que l'enfant atteigne le seuil requis de maturité, pour lui présenter une connaissance. Si cette présentation est prématurée, il s'épuisera en vains efforts de mémoire mais, quand il atteint la maturité requise pour comprendre, la mémorisation s'opère : ce n'est pas en apprenant qu'on comprend, mais c'est en comprenant qu'on apprend, et c'est quand on a compris qu'on peut apprendre durablement.

25Il relève notamment, des méthodes de pédagogie expérimentale, de discerner à quel âge s'atteignent les seuils de maturité indispensables à l'acquisition des diverses connaissances scolaires.

3. L'effort utile pour apprendre suppose une motivation : d'où le rôle des techniques pédagogiques. L'enfant éprouve de la peine à mémoriser, non pas parce qu'on aurait négligé d' exercer sa mémoire, mais quand les méthodes utilisées n'ont pas suscité chez lui d'intérêt. »

Préface de l’ouvrage : Les maladies scolaires de C. Freinet

26En 1964, Guy Avanzini (Avanzini, 1964) alors qu’il était professeur à l’École Normale, a rédigé la Préface à l’ouvrage5 de Célestin Freinet intitulé Les maladies scolaires publié dans n° 26 de la collection Bibliothèque de l’école moderne aux Éditions de l’école moderne française. L’extrait ci-dessous montre un encouragement à exploiter les orientations de la pédagogie Freinet.

« Le procès de l'École Traditionnelle n'est plus à faire. L'argumentation la plus probante a été réunie et répétée, pour en montrer les insuffisances en ce qui concerne les divers aspects de la formation : intellectuelle, morale, civique, sociale, etc... Déjà les grands théoriciens de l'Éducation Nouvelle (…) ont dénoncé ces déficiences en des termes auxquels il n'y a, en définitive, rien à retrancher (…) L'efficacité pédagogique de l'école est (…) très inférieure à celle que le dévouement des maîtres devrait obtenir. Le travail et la conscience des membres de l'enseignement ne sauraient être contestés, quels que soient d'ailleurs leur âge et leur génération. Mais les méthodes qu'ils ont été formés à employer et que tout un climat les entraîne à conserver les empêcheront d'obtenir le rendement qu'ils souhaitent. De cela, les enfants sont les « victimes », mais les maîtres le sont aussi : combien en effet sont découragés et parfois déprimés par les piètres résultats ou l'inattention des élèves ? On accuse alors la psychologie de ces derniers, la négligence des parents, la nocivité de la télévision, les effets de la culture de masse, etc...

Tout cela n'est certes pas négligeable mais omet la cause essentielle : l'inadéquation des méthodes. (…) le pire méfait de l'école traditionnelle, c’est de décourager le personnel enseignant, de provoquer chez lui de l'amertume, (…) de le détourner des initiatives de rénovation qui lui permettraient d'obtenir à nouveau des résultats réconfortants. N'est-ce pas au contraire un des singuliers mérites de l'École Moderne de redonner [à] ceux qui en utilisent les techniques, courage et ardeur ? Et c'est ce tonus rénové qui se manifeste dans les réunions départementales, les congrès, les stages et tous les travaux des membres de l'ICEM. »

L'École expérimentale de la Gravière à Sainte Foy lès Lyon

27En 1977, Guy Avanzini en collaboration avec Marc Ferrero publie un article portant sur une contribution à une comparaison entre les techniques Freinet et les méthodes traditionnelles d’enseignement. Il s’agit d’une étude portant sur une expérience pédagogique fondée sur la pédagogie Freinet : L'École expérimentale de la Gravière.(Avanzini & Ferrero, 1977). Il fut publié dans le Bulletin de Psychologie6 n° 328 - 1977 Mars - Avril (pp. 455-467). Cet article faisait suite à la publication7 en 1969 d’une précédente étude intitulée : À propos d'un projet d'école expérimentale. Quelques remarques sur les conditions de validation des techniques Freinet (Avanzini, 1969)

28J’en rapporte la conclusion qui montre l’intérêt et l’attention critique portée par Guy Avanzini à l’égard de la pédagogie Freinet.

« Au terme de cette étude, la valeur des techniques Freinet s'est affirmée ; non seulement elles amènent, en ce qui concerne les résultats scolaires, à des performances comparables à celles qu'entraînent les méthodes traditionnelles mais elles disposent aussi, en ce qui concerne l'évolution de la personnalité, d'une réelle supériorité ; l’étude de la créativité, telle que nous l’avons ici entendue, met ce phénomène incontestablement en évidence.

Certes, le Laboratoire a rencontré de sérieuses difficultés, qui tinrent tant à des problèmes de procédure administrative qu’à l’originalité de la recherche elle-même. Si les premières furent, surtout, dues à l'absence d'un statut et de moyens, les secondes ont trait à la complexité de la comparaison. Mais, puisqu’il faut conclure, nous aimerions le faire en souhaitant que cette démarche, outre les résultats qu’elle obtient et qui comportent leur portée intrinsèque, nourrisse chez tous ceux que préoccupent les problèmes méthodologiques, le désir de monter des expériences plus rigoureuses, moins modestes et plus perfectionnées.

Enfin, nous voudrions que ce travail constitue pour les praticiens de l'École Moderne un encouragement et une stimulation : encouragement à persévérer, malgré les obstacles, dans l’usage de techniques dont la validité a été ici établie à plusieurs niveaux ; stimulation à poursuivre le travail de démonstration de cette validité. Malgré la timidité de certains, la suffisance de quelques-uns, l'empirisme des autres, la méfiance de plusieurs à l'égard tant des procédures scientifiques que de l’exploration de la pensée de Freinet, puissent-ils garder la volonté de l’approfondir et de la mettre en œuvre avec fidélité. »

L’avenir du Mouvement Freinet

29En 1977, la Revue de la Société Alfred Binet & Théodore Simon dans son n° 557-IV publie un dossier sur le Mouvement Freinet et son avenir.

Figure 4 : Couverture du n° 557 de la Revue Binet-Simon en 1977

Figure 4 : Couverture du n° 557 de la Revue Binet-Simon en 1977

30Guy Avanzini, président de la Société Alfred Binet et Théodore Simon, est le directeur de publication. Le choix de la thématique de ce dossier constitue bien un indice de l’intérêt qu’il continue à porter pour la pédagogie Freinet. Dans un précédent numéro du Bulletin (n° 551 - 1976) consacré au 10ème anniversaire de la mort de Célestin Freinet en 1966, une enquête par questionnaire avait été lancée pour faire le point sur la situation du Mouvement Freinet après la disparition de son fondateur. Ce numéro est consacré à l’analyse des données ainsi construites et à l’interprétation des résultats. Guy Avanzini écrit alors :

« En prenant cette initiative, notre société montre sa fidélité. Ayant dès 1928 publié des articles sur Célestin Freinet, elle n’a, on le sait, cessé d’être attentive à son action et à son œuvre : les bulletins qu’elle lui a consacrés en 1966 [493-VI], 1967 [494-I] et 1968 [501-II], la thèse de M. Piaton, notre participation au lancement de l’École expérimentale de la Gravière à Ste Foy lès Lyon dont le bilan vient d’être publié, tout cela réitère son désir d’élucider et d’exploiter au maximum une pensée dont elle avait vite discerné la richesse.

Aussi bien avons-nous souvent déploré que, pour des raisons diverses, sa valeur proprement théorique ne fût ni assez décelée ni assez explorée ; et nous l’avons fait observer, n’en déplaise à certains, dans un compte-rendu d’un ouvrage récent, La Pédagogie Freinet par ceux qui la pratiquent, dont nous avons constaté avec plaisir qu’un récent numéro de l’Éducateur avait repris le texte ; nous voulons y voir le signe que notre préoccupation rejoint celle des meilleurs disciples de Freinet. »

31À propos de la thèse de Georges Piaton (1937-2005) (Piaton, 1974), Roger Ueberschlag (1922-2008), alors président de la F.I.M.E.M. en fait un compte-rendu acerbe dans la Revue Française de Pédagogie8 (volume 32, 1975. pp. 90-91).

32Guy Avanzini conclut son introduction par ce propos plutôt empreint d’espoir en la fécondité de la pensée pédagogique de Freinet. Il écrit

« Nous souhaitons que l’évocation de tout l’espoir qu’ait soulevé Freinet, des dévouements qu’il a mobilisés et de la réflexion qu’il nourrit contribue à convaincre de la fécondité de sa pensée et de sa capacité à apporter, par elle-même, aux polémiques dont l’éducation intellectuelle, la culture et l’École sont aujourd’hui l’objet une contribution positive. »

Regard de Michel Launay sur le lien qu’entretient Guy Avanzini avec la pédagogie Freinet

33Michel Launay (Launay, 1977) publie, dans le n° 11 du 30 mars 1977 de la Revue L’Éducateur, un article intitulé Toujours du côté de Lyon dans lequel il développe une analyse de l’ouvrage de l’équipe lyonnaise dirigé par Guy Avanzini, intitulé La Pédagogie au XXème siècle et édité en 1975 par Edouard Privat à Toulouse.

34Michel Launay y développe une analyse critique minutieuse dans laquelle il interpelle Guy Avanzini en tant que directeur de l’ouvrage et, d’une certaine manière, coordinateur de l’équipe des auteurs des divers chapitres. Il interpelle aussi la méthode de construction collective de l’ouvrage en tentant de débusquer des biais d’orientation à l’œuvre et dissimulés sous des arguments d’harmonisation. Il pointe aussi une question plus ou moins explicite qui traverse plusieurs chapitres, celle du rapport enseignement public et enseignement privé en tension à l’époque. Ainsi Michel Launay écrit-il :

« Il semble que pour Guy Avanzini et son équipe « l'enseignement privé » et « l'enseignement public » sont deux institutions d'égale importance en fait comme en droit, et que leurs rapports doivent être régis « dans le respect de leurs options ». »

35Il poursuit :

« Georges Piaton parlait, dans sa thèse sur La pensée pédagogique de Célestin Freinet, des « ambiguïtés » de cette pensée, dans la dialectique qu'elle instaurait entre le pédagogique et le politico-social. Du moins Freinet avait-il nettement précisé son choix, pour une école du peuple, c'est-à-dire une école publique, et contre toute renaissance des privilèges de l'éducation et de l'argent, privilèges qui se couvrent du mot de « liberté ». Tant qu'une analyse précise des forces sociales qui s'opposent, par exemple dans la région lyonnaise, à la nationalisation de tous les degrés d'enseignement, n'a pas été faite, les textes de Guy Avanzini et de son équipe resteront, sur ce problème, très ambigus. Qui détient réellement le pouvoir dans les appareils de formation privés, et quel usage est-il fait de ce pouvoir ? »

36Michel Launay identifie toutes les références à Freinet et sa pensée pédagogique au travers des chapitres. Toutefois, je remarque que Freinet n’est cité qu’une fois en bibliographie avec l’ouvrage Les dits de Mathieu !

37Michel Launay revient aussi sur un point de vue développé par Serge Honoré dans le chapitre De la psychologie à la sociologie de l’éducation. Un des jugements qui l’a fait réagir est celui de traiter Freinet de petit-bourgeois. Il écrit alors :

« Dans cette deuxième partie de La pédagogie au XXe siècle, il me paraît plus urgent de s'arrêter au chapitre III, de Serge Honoré, intitulé « De la psychologie à la sociologie de l'éducation ». C'est ce chapitre qui a déclenché la colère de Michel-Edouard Bertrand (voir plus loin son compte rendu dans la rubrique '« Livres et revues »). Mais pourquoi se fâcher, lorsqu'on nous traite de « petits-bourgeois », et lorsqu'on cite Barthes pour traiter Freinet de « petit-bourgeois » (p. 123). Tout enseignant, instituteur ou professeur, n'est-il pas, par définition, un petit bourgeois, même s'il s'appelle Freinet, Barthes, Michel-Edouard Bertrand, Serge Honoré ou Michel Launay ? La situation dans l'échelle indiciaire de l'Éducation Nationale, ou les équivalents que le mouvement Freinet a élaboré pour ses permanents, nous classent tous, objectivement, comme petits-bourgeois. La vraie question est de savoir ce que nous faisons de notre petite-bourgeoisie. La mettons-nous au service du peuple, ou au service de nous-mêmes, c'est-à-dire de la petite, moyenne ou grande bourgeoisie ? C'est pourquoi, en l'occurrence, l'attitude de Serge Honoré à l'égard des thèses de Bourdieu et Passeron et de celles de Baudelot et Establet, me paraît plus importante que les choses, fort superficielles, qu'il écrit sur Freinet, sur la pédagogie institutionnelle, et sur leur « échec ». Or, là encore, aucune prise de position claire n'apparaît. La « conclusion provisoire » (p. 144) est qu'il faut continuer à travailler, et appelle « à des évaluations rigoureuses et constamment renouvelés des actions pédagogiques ». Nous sommes trop conscients de la difficulté de la tâche, pour adopter une attitude terroriste qui consisterait à sommer des chercheurs comme Serge Honoré d'élucider les présupposés de sa recherche : aucun principe théorique ne peut fixer le moment où un chercheur éprouve la nécessité de formuler clairement la question qu'il se pose. Du moins puis-je demander à Serge Honoré d'être moins pressé de parler d'échec, à propos de Freinet ou de la pédagogie institutionnelle : dans cette longue marche pour plus de justice sociale dans l'éducation, on peut choisir son camp, en sachant que la victoire n'est pas pour demain. »

Témoignage direct d’un praticien de la pédagogie Freinet

38En écho à l’appel à documents lancé au sein de l’Association des Amis de Freinet, j’ai reçu, le 10 juillet 2023, cette lettre de Luc Bruliard9 qui apporte un témoignage riche et chaleureux qui traduit un regard sur l’être humain humaniste qu’est Guy Avanzini. Je la communique dans son intégralité.

« Je ne suis ni familier ni même proche de Guy Avanzini mais, en tant qu’adhérent du mouvement Freinet depuis 1983 et comme modeste chercheur, ces quelques lignes d’hommage à son soutien critique à la pédagogie Freinet me semblent évidentes ».

La rencontre avec Guy Avanzini a d’abord été celle de ses livres et articles. Jeune instituteur découvrant la pédagogie Freinet dès l’École Normale en 1982, j’ai évidemment lu des textes militants (notamment ceux d’Élise Freinet) comme les contributions d’universitaires (Piaton, Maury) qui à la fois, me passionnaient mais me laissaient sur ma faim. Certes, le ressort idéologique des textes renforçaient mon adhésion. Toutefois, les sauts et les creux qui caractérisaient l’histoire des Freinet, le caractère équivoque d’un mouvement pédagogique qui appelait à une alternative radicale à la « pédagogie traditionnelle » mais refusait de s’engager au sein des instances de formation ou de décision (au moment même où Francine Best dirigeait l’INRP, ce que j’ignorais bien entendu), cela me laissait une impression curieuse même si pas conscientisée. La rencontre des textes de Guy Avanzini et notamment le fameux Contribution à une comparaison entre les techniques Freinet et les méthodes traditionnelles d’enseignement m’ont encouragé à aller plus loin et adopter progressivement une posture militante et néanmoins distanciée.

La rencontre « en vrai » avec Guy Avanzini date de 1995-1996 dans le cadre du Comité d’organisation du Centenaire de la naissance de Freinet à l’UNESCO. Au-delà du personnage, un brin précieux, avare de paroles, semblant un peu lointain parfois, Guy Avanzini avançait toute en finesse des propositions pertinentes et contribuait ainsi à mettre un peu d’ordre dans des réunions chaleureuses mais où la multiplication des propositions valait parfois dispersion.

Enfin, Guy Avanzini m’a fait l’honneur d’une critique bienveillante d’un ouvrage coécrit avec Gerald Schlemminger sur le mouvement Freinet et d’être membre du jury de ma thèse sur la commission enseignement spécialisé de l’ICEM (à présent vintage). On retrouve dans son intervention sa volonté de questionner la pédagogie Freinet entre « politique expansionniste qui expose au risque de dilution et politique de sauvegarde de l’authenticité et de l’orthodoxie doctrinale qui expose au risque de l’enfermement. » Un questionnement toujours d’actualité au regard des récentes parutions consacrées au parcours d’Élise et Célestin.

Alors, merci Guy Avanzini qui avez mis en exergue « l’insularisation des techniques et de la pédagogie Freinet », porté sur un regard critique et positif sur celles-ci, avez été pionnier dans la recherche scientifique et l’accompagnement des chercheurs. »

1996 - Centenaire de la naissance de Célestin Freinet

39En 1996, Guy Avanzini avec la Société Alfred Binet & Théodore Simon a organisé une célébration de la naissance de Célestin Freinet né le 15 octobre 1896 à Gars et décédé le 8 octobre 1966 à Vence. Cette commémoration, ouverte à tout public, fut réalisée le 20 novembre 1996 sous la forme d’une conférence - table ronde à l’I.U.F.M. de Lyon. Participèrent en tant qu’intervenants, apparaissant dans l’ordre de gauche à droite sur la photographie ci-dessous, un collègue représentant l’I.C.E.M., Louis Legrand (1921-2015) qui fut professeur de philosophie, pédagogue et directeur de l’Institut national de recherche pédagogique) défenseur de la pédagogie différenciée, auteur du rapport10 sur la réforme des collèges commandité en 1982 par la ministre de l’éducation nationale, Guy Avanzini (1929-2022), moi-même et Jacques Bens (1931-2001) écrivain et poète, membre de l’Oulipo qui fut le gendre de Célestin et Élise Freinet.

Figure 5 : Commémoration du Centenaire de la naissance de Freinet (20 novembre 1996) (source : Nadja Acioly-Régnier)

Figure 5 : Commémoration du Centenaire de la naissance de Freinet (20 novembre 1996) (source : Nadja Acioly-Régnier)
  • 11 M. Bouchard, « L’imprimerie à l’école » Bulletin de la Société Binet n°225-226 févier-mars 1928 pp. (...)
  • 12 H. Bordes, « L’imprimerie à l’école et l’enseignement du français » Bulletin de la Société Binet(...)

40Dirigée par Guy Avanzini, la Revue Cahiers Binet-Simon consacre son n° 649-IV de 1996 au Centenaire de Célestin Freinet. Dans l’introduction, Guy Avanzini rappelle que la Société Binet-Simon fut « très tôt attentive à Célestin Freinet (…) grâce à sa filiale de Lyon (…) [qui] dès sa séance de juin 1927 [accueillit] une communication (…) présentée par M. Bouchard sur l’imprimerie à l’école11 et une seconde(…) [par] H. Bordes12 . ». Il complète par « Et plusieurs autres publications furent ensuite consacrées au fondateur de l’École moderne et à son œuvre. ». Parmi les auteurs, je souhaite citer Louis Legrand qui intervient sur le thème de Célestin Freinet et l’idéologie d’aujourd’hui à partir de la question fondamentale : Quelle est aujourd’hui l’influence de Freinet dans la pédagogie française et quel avenir pour ses idées et ses techniques au moment où l’on célèbre de centenaire de sa naissance ? Après une longue et fine analyse, Louis Legrand en conclut (p.37)

« Qu'en est-il enfin des techniques de vie, chères à notre auteur ? De ce point de vue la pensée et l'action de Célestin Freinet peuvent trouver ou retrouver une actualité qui, au fond, est celle des méthodes actives en général. Mais elles ne le peuvent qu'à la condition de voir baisser la tension sélective liée au libéralisme triomphant, et reconnue l'importance d'un développement éthique de la personne humaine. Pour l'instant, ce n'est qu'un objectif méconnu par le grand nombre et, par conséquent, un combat pour ceux qui refusent la dureté d'une civilisation du profit et de la compétition. De ce point de vue la pensée généreuse et le combat courageux de Freinet demeurent un modèle pour les jeunes enseignants qui, heureusement, paraissent aujourd'hui porteurs en grand nombre de cette même générosité. »

41Je reste étonné combien la question de départ reste une interrogation pertinente et opératoire pour l’analyse des effets des réformes successives de la formation des personnels d’éducation, de la formation et de l’enseignement ainsi que de l’organisation même du système scolaire en France, en particulier celle annoncée en 2024.

Conclusion

  • 13 Vial Jean. (1976) Avanzini (Guy). — Immobilisme et novation dans l'éducation scolaire. In: Revue fr (...)

42Pour conclure ce parcours de reconnaissance des liens entretenus par Guy Avanzini avec Élise et Célestin Freinet et le mouvement qu’ils ont entraîné et structuré avec les compagnons engagés à leur côté en l’institutionnalisant par la création en 1947 de l’I.C.E.M. organisé sur la base des valeurs philosophiques et pédagogiques qui soutiennent ce qu’il est convenu d’appeler la pédagogie Freinet, je souhaite revenir sur l’ouvrage intitulé Immobilisme et novation dans l’éducation scolaire. Cet ouvrage a été publié en 1975 chez Privat. Je ne formulerai pas d’analyse critique de mon point de vue mais je m’appuierai sur celui de Jean Vial qui en fait, en 1976, un compte-rendu13 dans la Revue Française de Pédagogie. Il rappelle que cet ouvrage est issu d’une thèse soutenue « très honorablement » par Guy Avanzini dont l’objet part du constat partagé par nombre d’éducateurs sur « le désaccord, plus grand que jamais, entre l'évolution scientifique et technique, d'une part — et, d'autre part, « l'immobilisme pédagogique », « la persistance du misonéisme » ». Pour Jean Vial, la prise de conscience, en particulier sous l’influence des mouvements d'éducation nouvelle orientés vers la novation pédagogique, de ce constat et de l’ampleur des échecs [scolaires] qui en résultent a suscité un intérêt pour des changements. Toutefois selon Jean Vial « (…) la validité de la novation dépend de la clarté et du réalisme des solutions offertes par ces mouvements » qui rappelle que Guy Avanzini « pense qu'elles sont à la fois, ambiguës et inadéquates. » dans la mesure où il n’y a pas une méthode active mais « des méthodes, des méthodes d’éducation active entre lesquelles l'éducateur est sommé de choisir (…) ».

43Jean Vial rappelle alors la position, plutôt chargée d’espérance, tenue par Guy Avanzini à l’égard de la pédagogie Freinet tout en formulant une mise en garde de vigilance associée à une nécessaire prise de distance critique afin de ne pas décevoir cette espérance auprès des éducateurs.

« En se contentant, « beaucoup plus lucidement de les (les intérêts de l'enfant) constater au fur et à mesure de leur émergence, (...) de les accueillir (...), la pédagogie de Freinet (...) offre des possibilités de changement bien supérieures à celles de la méthode active » (Avanzini, 1975, p. 69). Mais le mouvement Freinet doit choisir « entre une logique qui lui commande de conserver son homogénéité (...) et une dynamique qui l'amène à s'étendre au risque de diluer son originalité (ibd. p. 75). Le mouvement « s'est interdit une diffusion spectaculaire », comme il a entendu éviter une récupération officielle. Moyennant quoi, les techniques Freinet la méfiance de certains y aidant, ne se sont pas généralisées » (Vial, 1976, p. 39) .

44J’interprète les suggestions relatives à une approche critique de la pédagogie Freinet comme une marque d’intérêt fort de la part de Guy Avanzini à l’endroit de la pédagogie Freinet qui semble se fonder sur une intuition d’une approche pertinente pour l’éducation scolaire, qui pourrait être en mesure d’inhiber au moins partiellement cette aversion pour tout ce qui est nouveau, pour tout changement dont il pointe la manifestation dans sa thèse.

Haut de page

Bibliographie

Avanzini, G. (1961) Savoir par cœur n’est pas savoir. Techniques de vie 10, 9-11

Avanzini, G. (1964). Préface. In C. Freinet, Les maladies scolaires. BEM 26, Éditions de l’école moderne française

Avanzini, G. (1965) Le temps de l’adolescence. Paris : Éditions Universitaires

Avanzini, G. (1969) À propos d'un projet d'école expérimentale. Quelques remarques sur les conditions de validation des techniques Freinet. In : Bulletin de psychologie, 23 (280) 81-85.

Avanzini, G. (1975) Immobilisme et novation dans l'éducation scolaire. Paris : Privat

Avanzini, G. (1977) L’avenir du Mouvement Freinet. Revue de la Société Alfred Binet & Théodore Simon. 557 – IV

Avanzini, G. (Dr) (1975) La pédagogie au 20ème siècle. Toulouse : Edouard Privat.

Avanzini, G., & Ferrero, M. (1977). Contribution à une comparaison entre les techniques Freinet et les méthodes traditionnelles d’enseignement. Bulletin de Psychologie, 328 455-467.

Honoré, S. (1975) De la psychologie à la sociologie de l’éducation. In Avanzini, G. (Dr) (1975) La pédagogie au 20ème siècle. Toulouse : Edouard Privat. pp. 119-145

Launay, M. (1977) Toujours du côté de Lyon. Revue L’Éducateur, 11 du 30 mars 1977

Legrand, L. (1982) Pour un collège démocratique : rapport au ministre de l'Éducation nationale. Paris : Documentation Française.

Piaton, G. (1974) La pensée pédagogique de Célestin Freinet. Toulouse : Privat

Vial, J. (1976) Avanzini (Guy). — Immobilisme et novation dans l'éducation scolaire. In : Revue française de pédagogie, 35, 39-41

Haut de page

Notes

1 http://documents.asso-amis-de-freinet.org/docs_adf/bulletin_01.pdf voir Comité de parrainage (page 24)

2 https://asso-amis-de-freinet.org/

3 https://www.icem-pedagogie-freinet.org/sites/default/files/199.Outils.pdf

4 https://www.icem-freinet.fr/archives/tv/10/tv_10.pdf

5 https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/18354

6 https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1977_num_30_328_11352

7 https://www.persee.fr/doc/bupsy_0007-4403_1969_num_23_280_10074

8 https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1975_num1_2080_t1_0090_0000_1

9 Contact : lbruliard@aol.com

10 https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1984_num_66_1_2322_t1_0107_0000_2

11 M. Bouchard, « L’imprimerie à l’école » Bulletin de la Société Binet n°225-226 févier-mars 1928 pp.116-125

12 H. Bordes, « L’imprimerie à l’école et l’enseignement du français » Bulletin de la Société Binet n°241-242 juin-juillet 1929 pp.170-176

13 Vial Jean. (1976) Avanzini (Guy). — Immobilisme et novation dans l'éducation scolaire. In: Revue française de pédagogie, v.35, pp. 39-41 https://www.persee.fr/doc/rfp_0556-7807_1976_num_35_1_2093_t1_0039_0000_1

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1 : Extrait du n° 1 du Bulletin des Amis de Freinet (1969 – p. 24)
URL http://journals.openedition.org/rechercheseducations/docannexe/image/17724/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 156k
Titre Dédicace de l’ouvrage La méthode naturelle de Célestin Freinet par Élise Freinet à l’attention de Guy Avanzini
URL http://journals.openedition.org/rechercheseducations/docannexe/image/17724/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 180k
Titre Figure 3 : Couverture de l’ouvrage par lequel je connus le nom de Guy Avanzini
URL http://journals.openedition.org/rechercheseducations/docannexe/image/17724/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 120k
Titre Figure 4 : Couverture du n° 557 de la Revue Binet-Simon en 1977
URL http://journals.openedition.org/rechercheseducations/docannexe/image/17724/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 92k
Titre Figure 5 : Commémoration du Centenaire de la naissance de Freinet (20 novembre 1996) (source : Nadja Acioly-Régnier)
URL http://journals.openedition.org/rechercheseducations/docannexe/image/17724/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 141k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Claude Régnier, « Guy Avanzini et la pédagogie Freinet »Recherches & éducations [En ligne], HS | 2025, mis en ligne le 15 janvier 2025, consulté le 15 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/rechercheseducations/17724 ; DOI : https://doi.org/10.4000/134nc

Haut de page

Auteur

Jean-Claude Régnier

UMR 5191 ICAR Université Lumière Lyon2

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search