1La réforme des études en masso-kinésithérapie (MK) (septembre 2015)1 s’inscrit dans un mouvement d’universitarisation de la formation. Le mode de sélection majoritaire pour être admis à suivre les études en MK est la validation de la première année commune aux études de santé (PACES) (article 2)2. Lors de cette PACES, de nombreux étudiants expérimentent le tutorat réalisé par des étudiants tuteurs de deuxième année (Baudrit, 2015 ; Nézondet, 2018). En effet l’arrêté du 30 novembre 2009 a permis de développer le tutorat pour tous les étudiants de premier cycle universitaire qui le souhaitent (article 1). Ce tutorat est non obligatoire et il est assuré par des étudiants tuteurs (articles 3 et 4). Celui-ci s’inscrit dans une démarche d’aide et d’accompagnement des étudiants de première année d’enseignement supérieur en difficulté, afin de favoriser leur réussite (article 1). Dans le domaine de la santé (Marra, 2018), et notamment en MK (FNEK, 2019), de nombreux étudiants font état de préoccupations, de contraintes et de difficultés durant leur formation, entravant leur épanouissement et leur chance de succès. Certains instituts de formation en MK (IFMK) ont donc décidé, dans la continuité de ce qui est effectué à l’université, de proposer à leurs étudiants de participer au tutorat. Ces étudiants tuteurs en MK sont issus de promotions ayant une à deux années de formation de niveau supérieur que les étudiants tutorés qu’ils encadrent. Le tutorat entre pairs est une pratique relativement récente dans le domaine de la MK et donc par conséquent peu de recherches et de publications scientifiques ont été réalisées à ce jour.
2Le concept de tutorat est retrouvé dans plusieurs grandes périodes de l’histoire : l’Antiquité (Grèce antique, Rome antique), le Moyen Âge, l’époque moderne (renaissance), et maintenant à l’époque contemporaine (Baudrit, 2000a ; Bédouret, 2003). Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le tutorat est associé à des fonctions d’éducation intellectuelle et spirituelle exclusivement dans la sphère privée (Baudrit, 2000a). À partir du XIXe siècle, deux pédagogues anglais, Andrew Bell (1753-1832) et Joseph Lancaster (1778-1838), développent et publient une méthode d’enseignement dérivée de l’idée du tutorat : la méthode d’enseignement mutuel. Joseph Hamel, en 1818 (p. 1-2), évoque cette méthode pour spécifier « la réciprocité de l'enseignement entre les écoliers, le plus capable servant de maître à celui qui l'est moins, et c'est ainsi que l'instruction est simultanée puisque tous avancent graduellement, quel que soit d'ailleurs le nombre d'élèves ». D’autres personnes avant eux utilisèrent ce processus d’enseignement en Angleterre et en France : Comenius, Jean-Baptiste De La Salle, le Chevalier Paulet, etc. (Baudrit, 2000a ; Oursel, 2016). L’enseignement mutuel du XIXe siècle permit de penser la pédagogie actuelle et d’élaborer le tutorat tel qu’il est pratiqué aujourd’hui (Faillet, 2017).
3L’étymologie du mot tuteur renvoie à la racine latine « tueri » ayant pour signification « protéger », « s’occuper de », « prendre soin de », « veiller à » (Bédouret, 2003, p. 116). Le tutorat peut être assimilé de manière simpliste à l’idée d’un tuteur « protégeant », « s’occupant », « veillant », « prenant soin » d’un tutoré. Ce rôle de protecteur est retrouvé dans différents domaines : judiciaire, horticulture, médecine, mais aussi dans le champ de l’éducation et de l’enseignement (Baudrit, 2000a). Ce travail de recherche cible son développement uniquement sur le tutorat réalisé par des étudiants en MK pour des étudiants en MK. Cette catégorie de tutorat est communément appelée « tutorat entre pairs » car les tuteurs et les tutorés « occupent des positions semblables », et « ont des statuts sociaux équivalents » (Baudrit, 2000a, p. 125).
4En facilitant l’aide et l’apprentissage entre étudiants, le tutorat entre pairs se situe dans les pédagogies dites « coopératives ». Le tutorat entre pairs se différencie des autres formes de coopération (aide, entraide, travail en groupe, en atelier ou en équipe) en favorisant des interactions dissymétriques du rapport au savoir entre étudiants tuteurs et étudiants tutorés dans un cadre formel institutionnalisé (Connac, 2017, 2018). Un des principes du tutorat entre pairs est de faire intervenir des étudiants pour en aider d’autres. Jérôme Bruner (1983/2011, p. 261) désigne ces situations comme des processus de tutelle : « les moyens grâce auxquels un adulte ou un spécialiste vient en aide à quelqu’un qui est moins adulte ou spécialiste que lui ». Pour lui, les composantes de cette activité se déclinent par de l’enrôlement (engager l’intérêt et l’adhésion), de la réduction des degrés de liberté, un maintien de l’orientation, la signalisation des caractéristiques déterminantes, le contrôle de la frustration, et, éventuellement, de la démonstration. Alain Marchive (1997, p. 31) décrit une triple fonction à ces interactions de tutelle : initiatique (pour intégrer plus facilement des étudiants nouveaux), domestique (concernant des aides ponctuelles et matérielles) et didactique (concernant l’échange de savoirs pour faciliter des apprentissages). L’étudiant tuteur deviendrait ainsi un « transducteur ».
5Le tutorat entre pairs observe une légère dissymétrie dans le rapport aux connaissances entre tuteur et tutoré alors qu’une relative symétrie est conservée dans les interactions sociales (Guichard, 2005 ; Cicero & Lafont, 2007 ; Lafont & Ensergueix, 2009). Il est légitime de penser que les tutorés sont des étudiants qui éprouvent des difficultés et que les tuteurs sont des étudiants ayant une certaine maîtrise du sujet. Cependant le tuteur n’est pas forcément un étudiant avec des connaissances particulières (Finkelsztein & Ducros, 1989). Théodore Sarbin (1976) pousse la réflexion plus loin, en émettant la possibilité que le tuteur soit un étudiant faible, voire en difficulté. Il précise qu’un tuteur doit juste être prêt à rendre service et avoir envie d’aider les autres. La notion de réciprocité est importante en ce sens dans le tutorat (Guichard, 2005 ; Baudrit, 2010 ; Héber-Suffrin, 2013 ; Connac, 2017, 2018). Elle peut se définir comme un principe d’alternance possible, selon les besoins, entre la fonction de tuteur et celle de tutoré. Plusieurs auteurs ont en effet constaté des résultats positifs sur les performances des tuteurs suite à la réalisation de tutorat (Finkelsztein & Ducros, 1989 ; Barnier, 1994 ; Baudrit, 2000a, 2010 ; Guichard, 2005, 2009). Ce processus est nommé « effet-tuteur » et il correspond au fait « d’apprendre en enseignant » (Baudrit, 2000a, p. 132). Le tuteur en préparant ses interventions, en révisant ses acquis, en s’adaptant aux tutorés, en confrontant ses points de vue avec les leurs, en démontrant certaines méthodes ou pratiques, en reformulant et en expliquant ses différents concepts et notions, favorise un processus de renforcement de ses connaissances et de sa confiance en lui (Allen & Feldman, 1976 ; Barnier, 1994 ; Baudrit, 1999, 2000a ; Guichard, 2005, 2009).
6Le tutorat n’est pas le seul dispositif d’aide et d’accompagnement. Il existe d’autres outils partageant certaines de ces caractéristiques tels le monitorat, le mentorat, le compagnonnage et le parrainage. Ces derniers se démarquent cependant du tutorat par différentes particularités. Le monitorat est apparu au XIXe siècle, suite au développement de la méthode d’enseignement mutuel par Lancaster, qui prévoyait de réunir pour des raisons économiques, entre cinq cents et mille élèves, l’obligeant à créer des moniteurs (Oursel, 2016). Ce fut l’apparition du « monitorial system » (Topping, 1988). L’étymologie du terme moniteur vient du latin « monitor » qui signifie « instructeur ou conseiller » (Bédouret, 2003). Le maître enseigne à des élèves sélectionnés en tant que moniteurs, qui enseignent à leur tour aux autres élèves. Les moniteurs sont recrutés sur leurs compétences et sont gradés en fonction de leur importance dans l’organisation (hiérarchie scolaire) (Baudrit, 2000a).
7Le mentorat est défini par Régis Malet (2000, p. 76) comme « une relation de soutien, de confiance et de formation entre un novice et un guide plus expérimenté ». L’étymologie de « mentorat » vient du mot « mentor », dont l’origine est retrouvée dans le poème épique d’Homère : L’Odyssée. Dans cette légende, Mentor est le guide et le conseiller de Télémaque, fils d’Ulysse. Il est chargé de veiller sur lui et de suppléer la figure paternelle (Malet, 2000 ; Houde, 2010). La conception de ce qu’est un mentor a évolué depuis le texte d’Homère mais les fonctions de celui-ci sont restées avant tout éducatives. Le mentor est perçu comme un guide ou un modèle à suivre pour les mentorés, avec une forte image d’identification (Houde, 2010). Ce type de relation est plutôt évité dans le tutorat (Mugny & Pérez, 1994). Le mentorat est particulièrement retrouvé chez les adultes dans un contexte professionnel (Malet, 2000). Le mentor est un adulte, généralement plus âgé et plus expérimenté que le mentoré qu’il accompagne (Houde, 2010). L’alternance entre mentor et mentoré est impossible de par sa conception.
8Le compagnonnage est défini comme un mode d’apprentissage se déroulant exclusivement en milieu professionnel, et reposant sur la réalisation d’activités professionnelles en présence d’un pair : le compagnon (Guédez, 1994 ; de Castéra, 1996 ; Robo, 2001). Celui-ci transmet ses connaissances et son savoir-faire, en particulier par la démonstration, mais il transmet également les règles et les valeurs de l’organisation (Guédez, 1994 ; de Castéra, 1996 ; Robo, 2001). Le compagnonnage se caractérise par un cadre très formalisé. Au cours d’une cérémonie, l’apprenti est accepté comme compagnon-aspirant dans la communauté des compagnons (de Castéra, 1996 ; Robo, 2001). Le compagnon-aspirant complète et perfectionne sa formation auprès de plusieurs compagnons, dans différents lieux, en effectuant un « tour de France » qui peut durer jusqu’à six ou sept ans (de Castéra, 1996 ; Robo, 2001). L’aspirant devient compagnon en présentant une réalisation personnelle appelée « chef d’œuvre » correspondant à l’apogée de son travail (de Castéra, 1996 ; Robo, 2001). Le compagnonnage, plus que les autres dispositifs d’aide, fonctionne selon le principe des apprentissages vicariants (Bandura, 1976) voyant des apprentis observer et imiter les gestes réalisés par des actants confirmés.
9Le parrainage est retrouvé sous de multiples formes dans notre société (Floor, 2010a) : famille, humanitaire, mécénat, sponsoring, professionnelle et scolaire. Anne Floor (2010b, p. 5) donne la définition suivante du parrainage à l’école : « on peut dire que la relation de parrainage inclut une relation d’élève(s) à élève(s) (du même âge ou d’âges différents) ; une relation d’entraide, d’accompagnement et non d’autorité ; une relation qui vise principalement l’intégration du filleul au sein du groupe classe ou école ; une relation à travers laquelle le parrain joue le rôle de courroie de transmission des codes et lois de l’école ; une relation qui met l’accent sur le bien-être ». Cette définition du parrainage spécifique à l’école peut être extrapolée au monde universitaire et professionnel (Demont, 2017). L’axe principal du parrainage contrairement au tutorat, n’est pas l’accompagnement dans l’apprentissage, mais plutôt l’accompagnement dans l'accueil et l’intégration du filleul au sein d’un groupe ou d’une communauté (Paul, 2002 ; Floor, 2010a, 2010b ; Demont, 2017). Le rôle du parrain est de présenter le nouveau milieu scolaire, universitaire ou professionnel, et de favoriser la création de relations, de réseaux pour son filleul (Paul, 2002 ; Floor, 2010a, 2010b) (tableau 1 ci-après).
10Nous constatons au travers des éléments présentés précédemment que le tutorat entre pairs est une pratique relativement récente dans le domaine de la MK et que, par conséquent, peu de publications scientifiques ont été réalisées. Plusieurs auteurs (Allen & Feldman, 1976 ; Baudrit, 1999, 2000a, 2015, 2018 ; Alava & Clanet, 2000 ; Annoot, Marchat & Poteaux, 2003 ; Bensalah, 2009) ont cependant mis en évidence dans d’autres domaines que celui de la MK, différentes représentations possibles du tutorat chez les étudiants tuteurs (aide, enseignement, etc.), ainsi que différentes raisons pour ces derniers d’y participer (altruisme, rendre l’aide reçue, etc.).
Tableau 1 - Éléments différenciant le tutorat des autres dispositifs d’aide ou d’accompagnement
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Tutorat
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Monitorat
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Mentorat
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Compagnonnage
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Parrainage
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Rôles
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Assister librement l’enseignant en complétant son action (aide)
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Enseigner en répétant la leçon et exercer une autorité
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Servir de modèle, d’identification et de soutien moral
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Transmettre ses connaissances, son savoir-faire et ses valeurs
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Accompagner dans l’accueil et l’intégration
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Caractéristiques
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Enfant ou adulte en contexte scolaire ou professionnel
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Enfant ou adulte en contexte scolaire
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Adulte en contexte professionnel (enfant dans certains cas)
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Adulte en contexte professionnel
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Enfant ou adulte en contexte scolaire ou professionnel
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Modalités de recrutement
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Basée sur le volontariat
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Basée sur les compétences et l’expertise du moniteur
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Basée sur les compétences et l’expérience du mentor
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Ancien apprenti et aspirant, ayant réalisé son chef d’œuvre
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Basé sur le volontariat
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Nombre d’étudiants
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Un ou plusieurs tutorés
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Une dizaine d’étudiants
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Un seul mentoré
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Un ou plusieurs apprentis
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Un ou plusieurs filleuls
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Réciprocité
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Possible
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Impossible
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Impossible
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Impossible
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Impossible
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Durée
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De quelques semaines à quelques mois
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De plusieurs mois à plusieurs années
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De plusieurs mois à plusieurs années
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De six à sept ans pour devenir compagnon
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De plusieurs mois à plusieurs années
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Objectifs
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Répondre aux besoins pédagogiques
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Répondre aux besoins économiques et pratiques
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Répondre aux besoins de soutien relationnel
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Répondre aux besoins de transmission
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Répondre aux besoins d’accueil et d’intégration
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Modalités d’exécution
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Cadre flexible
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Cadre formalisé
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Cadre flexible
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Cadre formalisé
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Cadre flexible
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11Nous entendons sous le concept de représentation, la définition proposée par Edgar Morin (1986, p. 106) : « une représentation serait une synthèse cognitive dotée de qualités de globalité, de cohérence, de constance et de stabilité ». Cette synthèse cognitive correspond à la fois au produit et au processus de construction et de traduction de la réalité perçue par un sujet (Morin, 1986 ; Abric, 1989 ; Jodelet, 1989). Les représentations sont des grilles de lecture et de décodage de la réalité permettant une analyse compréhensive et explicative de la situation. Elles permettent de donner une signification particulière à l’objet de la représentation et de procurer une certaine connaissance (Morin, 1986 ; Abric, 1989). Les représentations servent également à agir sur le monde et autrui. Elles précèdent l’action, l’orientent, l’organisent et la conditionnent (Jodelet, 1989).
12Dans le cadre d’une didactisation de la coopération entre pairs (Meirieu, 2018), il apparait important de ne pas confondre les dispositifs. Ainsi, alors que le tutorat a pour objectif prioritaire la réponse à des besoins pédagogiques chez les tutorés et l’entretien du sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1976) par la fonction de tuteur, nous avons vu que les dispositifs connexes (monitorat, mentorat, compagnonnage et parrainage) véhiculaient des intentions différentes. Il semble donc important de travailler la cohérence des dispositifs pédagogiques en réduisant l’écart pouvant exister entre les intentions (la dimension axiologique) et les réalisations effectives (la dimension praxéologique). Nous choisissons dans ce travail de recherche, de nous intéresser uniquement aux étudiants tuteurs en MK (et pas aux étudiants tutorés) et plus particulièrement aux différentes représentations à propos du tutorat et de leur statut d’étudiant-tuteur. Il s’agit d’étudier une partie des représentations du tutorat pour en estimer l’adéquation avec son projet pédagogique premier. Pour cela, nous proposons des éléments de réponse à la question de recherche suivante : quelles sont les représentations du tutorat chez l’étudiant tuteur en MK ?
13L’IFMK dans lequel cette étude s’est tenue, a mis en place le tutorat entre étudiants à la rentrée de septembre 2018. Ce tutorat a concerné des étudiants de première année de MK tutorés par des étudiants tuteurs de deuxième année de MK. Le tutorat s’articule autour de trois disciplines : l’anatomie, la physiologie générale et la physiologie neuro-musculaire. Il y a trois disciplines différentes donc trois binômes de tuteurs. La direction de l’IFMK a décidé de laisser les étudiants en MK s’approprier le dispositif tutoral en leur confiant la responsabilité de l’organisation du tutorat. Le bureau des étudiants (BDE) a chargé leur vice-présidente de publier une annonce via le site intranet de l’IFMK, afin de rechercher sur la base du volontariat de futurs candidats, puis de sélectionner les six tuteurs nécessaires. Les étudiants intéressés par cette nouvelle expérience devaient fournir leur relevé de notes ainsi qu’une lettre de motivation dans le but de s’assurer du sérieux de leur démarche. Une fois sélectionnés, les étudiants tuteurs ont suivi une formation de trois heures sur le tutorat, donnée par le directeur adjoint de l’IFMK, leur précisant certains points comme le positionnement à adopter par rapport aux enseignants formateurs, les objectifs d’accompagnement à visée pédagogique, et les interactions inter-étudiants à favoriser. Les sessions de tutorat sont définies en fonction de la demande des étudiants tutorés de première année, généralement celles-ci ont lieu peu de temps avant les examens des partiels. Ces sessions durent entre une heure et deux heures, et elles regroupent au maximum une vingtaine d’étudiants de première année.
14Le panel d’étude est composé de six étudiants tuteurs et cinq étudiants tutorés. Les six étudiants tuteurs étaient quatre hommes et deux femmes, âgés de 21 à 22 ans, en deuxième année de MK. Plusieurs étudiants tutorés de première année, ayant participé aux tutorats pour chacune des trois disciplines, ont été sélectionnés et un entretien leur a été proposé. Cinq d’entre eux ont accepté d’être interrogés : quatre femmes et un homme, âgés de 19 à 29 ans. De plus, cinq étudiants tuteurs (trois hommes et deux femmes entre 21 et 22 ans) de deuxième année sur les six ont accepté de nous envoyer une copie de leur lettre de motivation. Les lettres ont été reçues durant le mois d’avril 2019.
15Cette étude s’inscrit dans une démarche épistémologique phénoménologique. La phénoménologie correspond à l’explication des phénomènes, par l’étude de toutes les essences : du monde, de la perception, de la conscience… (Merleau-Ponty, 1945, p. 7). Un phénomène est ici entendu comme l’expression d’une réalité perçue par un sujet, qui le reconnait comme conscient à son niveau de singularité : ce qui est conscient pour une personne est un phénomène que l’on étudie. Une approche phénoménologique postule une présence du monde, préexistant avant toute réflexion et propose une approche qui consiste à l’appréhender à partir des consciences : par la subjectivité et l’intentionnalité des êtres humains dans leur perception du monde. Cette approche du monde par les consciences s’appuie sur les vécus et les ressentis subjectifs des acteurs. L’entrée par la conscience subjective des êtres légitime le recours au discours des acteurs de la pédagogie. Ainsi, en phénoménologie, les données sont des phénomènes, basés sur des consciences qui représentent des faits pour les individus (si j’en ai conscience, c’est un fait pour moi). La matière première des individus (leur hylé) est leur conscience.
16Le but d’une démarche phénoménologique est donc de souligner des répétitions de consciences qui ne souffrent plus de critiques majeures et ne semblent plus nécessiter de retour à l’évidence (Hyppolite, 1971, p. 503). Une succession de corrélations, une vraisemblance, permet donc d’aboutir à des vérités eidétiques (relatives à l’essence intelligible des choses) qui, à leur tour, peuvent devenir des instruments d’analyse des phénomènes. Pour traiter spécifiquement les consciences des étudiants en MK, nous avons construit un dispositif méthodologique sur mesure, en utilisant une approche par triangulation. Marie-Fabienne Fortin (1996, p. 318) définit cette démarche comme « l’emploi d’une combinaison de méthodes et de perspectives permettant de tirer des conclusions valables à propos d’un même phénomène ». L’approche par triangulation nécessite donc plusieurs modalités de recueil de données pour étudier les différents aspects d’un même objet. Alex Mucchielli et ses collègues (2009, p. 285) ajoutent que « c’est une stratégie de recherche au cours de laquelle le chercheur superpose et combine plusieurs techniques de recueil de données afin de compenser le biais inhérent à chacune d’entre elles. La stratégie permet également de vérifier la justesse et la stabilité des résultats produits. Le recours à la triangulation décrit un état d’esprit du chercheur, lequel tente activement et consciemment de soutenir, de recouper, de corroborer les résultats de son étude ». Une triangulation méthodologique peut concerner des données collectées, des chercheurs, des théories, des paramètres ou des outils. Dans cette étude, nous avons procédé à une triangulation de données, chaque type étant soumis à des analyses de contenus catégorielles différentes, pour ensuite faire l’objet d’un croisement.
17Trois types de données ont été sélectionnés : des entretiens semi-directifs d’étudiants tuteurs de deuxième année de MK (n = 6), des entretiens semi-directifs d’étudiants tutorés de première année de MK (n = 5) et des lettres de motivation pour participer au tutorat d’étudiants tuteurs de deuxième année de MK (n = 5).
Schéma 1 - Ensemble des données récoltées grâce à l’approche par triangulation
18L’entretien semi-directif se différencie d’autres types d’entretiens en étant partiellement structuré par un guide d’entretien, formulant les différents sujets à aborder au travers d’idées principales ou de questions ouvertes. Ces entretiens semi-directifs se sont intéressés à deux publics différents (étudiants tuteurs et étudiants tutorés) ce qui a nécessité l’élaboration de deux guides spécifiques, construits à partir d’une enquête exploratoire permettant de cibler les items à aborder (Encadré ci-après).
19Le troisième type de données de recherche utilisé est un ensemble de lettres de motivation des tuteurs de deuxième année de MK. Elles ont été rédigées numériquement durant l’été 2018, et envoyées à la vice-présidente étude. Ces données fournissent un accès à certains éléments de représentations des tuteurs. Voici les catégories employées pour l’analyse de ce matériau épistolaire : Parcours de l’étudiant et expériences précédentes ; Les intérêts et les bénéfices du tutorat ; Le tutorat est un dispositif d’aide qui procure de la satisfaction au tuteur ; Le tutorat est un dispositif relationnel privilégié pouvant être valorisant ; Le tutorat est un dispositif d’échange de services pouvant entraîner de la réciprocité ; Le tutorat est un dispositif d’enseignement pouvant servir de première expérience.
Guide d’entretien semi-directif des étudiants tuteurs de deuxième année de MK
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Pouvez-vous vous présenter ?
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Vous participez au tutorat entre élèves, décrivez-moi comment se déroule le tutorat ? (Quelles modalités ? Quels thèmes ? Quels modes de recrutement ?)
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Pour vous c’est quoi le tutorat ?
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C’est quoi être tuteur ? Quel est votre rôle ?
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Pourquoi avez-vous eu envie d’être tuteur ?
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Comment préparez-vous la séance de tutorat ?
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Que vous apporte le tutorat en tant que tuteur ? Apprenez-vous des choses ?
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Avez-vous été formé pour faire le tutorat ?
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J'ai entendu dire que les étudiants tuteurs sont ceux qui deviennent le plus souvent formateurs par la suite. Qu'en pensez-vous ?
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Avez-vous été tutoré avant ? Comment l’avez-vous vécu ? (Différences avec le tutorat en kiné ?)
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Que pensent vos camarades non tuteurs ? Et les tutorés, vous avez eu des retours sur le tutorat ? Pensez-vous que cela change votre relationnel avec ces personnes ?
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Et si l’année prochaine on propose aux troisièmes années de tutorer les deuxièmes années vous seriez intéressé ? Pourquoi ?
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Est-ce que le tutorat doit être mis en place pour toutes les promotions ? Pourquoi ?
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Si l’année prochaine on propose aux quatrièmes années de tutorer les troisièmes années est-ce que vous participerez au tutorat en tant que tutoré ? Pourquoi ?
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Quel serait votre comportement en tant que tutoré maintenant sachant que vous savez ce que c’est que de faire un tutorat ?
Guide d’entretien semi-directif des étudiants tutorés de première année de MK
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Pouvez-vous vous présenter ?
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Vous participez au tutorat entre élèves, décrivez-moi comment se déroule le tutorat ? (Quelles modalités ? Quels thèmes ? Comment cela est présenté ?)
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Pour vous c’est quoi le tutorat ? C’est quoi être tuteur ? Quel est son rôle ? Quelles sont les qualités nécessaires pour être tuteur ?
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Aviez-vous déjà fait du tutorat avant ? Quelles sont les différences et les similarités avec le tutorat en kiné ?
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Le tuteur a-t-il un statut particulier ? Quelles sont vos relations avec lui ? Quelles sont ses relations avec les autres élèves (K1, K2) et avec les enseignants ?
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Qu’apporte le tutorat au tuteur ? (Apprend-il des choses ? Révise-t-il ? Améliore-t-il ses connaissances ?)
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J'ai entendu dire que les étudiants tuteurs sont ceux qui deviennent le plus souvent formateurs par la suite. Qu'en pensez-vous ?
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Quels sentiments ressentez-vous à l’égard des tuteurs qui vous ont apporté leur aide ? A votre avis, qu'est-ce qui ferait plaisir à un tuteur pour le remercier de vous avoir aidé(e) ?
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Quels sont les ressentis ou les retours des tuteurs sur le tutorat que vous avez pu entendre ou remarquer ?
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Si l’on vous propose en deuxième année d’être tuteur pour des K1, acceptez-vous et pourquoi ? Avez-vous envie de devenir tuteur ? Si oui, qu’est-ce qui vous motive ?
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Si l’on vous propose d’être tutoré en deuxième année par les K3, acceptez-vous ? Pourquoi ?
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Le tutorat doit-il continuer l’année prochaine ? Pensez-vous que le tutorat doit être étendu à toutes les promotions d’étudiants en kiné ? Pourquoi
20L’ensemble des entretiens des étudiants tuteurs et des étudiants tutorés a été enregistré numériquement après accord des étudiants, puis retranscrit littéralement. Ces entretiens, ainsi que les lettres de motivation des étudiants tuteurs, ont été analysés, en procédant à une analyse de contenu catégorielle, consistant à attacher aux locutions collectées des catégories que l’on peut ensuite identifier dans l’ensemble du verbatim (Bardin, 1997). Ces catégories ont permis de regrouper des associations d’idées identifiées dans chaque verbatim pour repérer ce qui ressort comme commun et ce qui se distingue. C’est ce travail qui a ensuite participé à la structuration de la présentation des résultats, le sous-chapitrage correspondant aux catégories. Les données sont présentes sous forme d’extraits significatifs directement importés des verbatims.
21Les étudiants tuteurs en MK considèrent le tutorat comme un dispositif d’aide : « On est juste une aide au cas où ils en auraient besoin ». Ce tutorat est caractérisé par une aide des étudiants tuteurs en MK d’année supérieure envers des étudiants tutorés d’année inférieure. Les tuteurs peuvent aider les tutorés sur des problèmes d’apprentissage ou de compréhension, en leur donnant des explications, en répondant à leurs questions et en s’adaptant à leur langage. « Pour s'adapter à notre langage aussi, qui va être moins scientifique que celui des professeurs, et nous aider à mieux comprendre, en donnant des astuces euh, des anecdotes ou même des mnémotechniques ». Les tuteurs en MK aident les étudiants en se rendant disponibles pour eux, et en investissant du temps et de l’énergie. Le tuteur « est vraiment quelqu’un qui sait prendre le temps d’aider les gens ». Les étudiants tuteurs expliquent qu’ils étaient pleinement motivés par l’envie d’aider les autres. « J'ai toujours voulu aider les autres ». « Je retrouve une véritable volonté à aider et encadrer les K1 ». Le tutorat procure du plaisir et de la satisfaction chez les étudiants tuteurs qui aident les étudiants tutorés. « Ça me fait plaisir quand je vois que les personnes que j'ai aidées comprennent, euh si j'ai pu les aider, enfin moi je sais que ça me fait plaisir ». « Je me ferais une joie d’accompagner les personnes, de préparer et de présenter le mieux possible des séances de tutorat ».
22Le tutorat est représenté chez les tuteurs en MK, comme un dispositif d’enseignement où le rôle du tuteur est proche de celui de l’enseignant. Les étudiants tuteurs ont envie de transmettre leurs connaissances et leurs savoirs en partageant leurs méthodes d’apprentissage. « Je pense que c'est des envies qui sont communes aux enseignants, qu'on soit tuteur ou enseignant, le but c'est de partager ses connaissances, de bah de partager oui ses savoirs, de donner envie aux autres d'apprendre ». Les étudiants tuteurs et tutorés en MK restent cependant conscients que le rôle du tuteur et celui de l’enseignant sont différents. « Je les vois quand même comme des élèves euh, parce qu’ils sont en deuxième année, ils sont pas très loin de nous ». Il est parfois difficile pour les tuteurs de garder leurs rôles de tuteur et de ne pas déborder sur le rôle de l’enseignant. « C’est vrai qu’on a un petit peu ce rôle de professeur, on ne veut pas qu’on l’ait ce rôle, mais c’est très compliqué de ne pas l’avoir ». Le tuteur doit trouver la bonne distance dans son approche pédagogique : « le juste milieu entre le copain qui explique ce que c'est, et le professeur qui récite son cours ».
23Le dispositif tutoral permet aux étudiants tuteurs en MK de se faire une (première) expérience dans l’enseignement. « Cela m’apporterait également une expérience particulière que je souhaite approfondir ». « Avant de faire tutrice j'aurais jamais imaginé être capable d'enseigner, enfin de transmettre comme ça de manière aussi claire et tout compte fait je pense que c'est à la portée de tous, mais on le sait pas forcément si on n'a pas déjà expérimenté avant ». Au-delà de permettre de se faire une expérience dans l’enseignement, le tutorat développe chez les étudiants tuteurs, l’envie d’enseigner et de devenir formateurs. « Plus tard je me verrai bien donner des cours ».
24Le tutorat peut être qualifié de dispositif de révision car il permet aux étudiants tuteurs en MK de reprendre les contenus de première année, et par conséquent, de consolider leurs connaissances en les réactivant et en les ajustant à des logiques nouvelles. « Retourner dans les bases, ça m'a permis de revoir ». « Je souhaite enrichir mon expérience d’apprentissage de la masso-kinésithérapie en faisant profiter d’autres étudiants de mes acquis ». En révisant, les tuteurs MK prennent du recul sur leurs connaissances, et ils améliorent leur compréhension et leur intégration des cours de première année. « Ça permet de revoir ses cours et de les réintégrer, et de vraiment en réexpliquant, d'être bien sûr d'avoir compris ». Au travers de leurs questions et de leurs représentations de certains contenus, les étudiants tutorés participent également à l’amélioration des connaissances des tuteurs. « Ils (les tutorés) nous apportent d'autres notions ou des approfondissements donc en fait c'est un double apprentissage, nous on leur apporte notre vision et eux nous apportent la leur, et enfin parfois c'est complémentaire et ça permet un double apprentissage ». Le tutorat permet d’apporter aussi de nouvelles connaissances aux tuteurs en matière de soft-skills, dans le domaine de la communication et de la prise de parole en public (compétence professionnelle en MK). « Ça m’aide déjà pour mon éloquence ». « J'espère donc, dans ce projet, continuer à améliorer mon expression, ma clarté et mon aisance à l'oral ». « J'apprends par contre à parler plus à l’oral parce que c'est vrai que j'étais quelqu'un de timide de base ». Les tuteurs ont également appris à gérer une équipe et à travailler en binôme (compétence).
25Les étudiants tuteurs améliorent leurs relations avec les étudiants de première année de MK qu’ils ont tutorés. Le tutorat permet un soutien moral et psychologique aux étudiants tutorés, car les tuteurs sont présents pour les rassurer : « Un réel soutien à la fois au niveau du travail, mais aussi psychologique ». Les tutorés se sentent plus proches et plus à l’aise avec les tuteurs, qu’ils ne le sont avec les enseignants. « Ils osent pas poser une question au professeur, alors qu'avec nous ils vont se permettre d'aller un peu plus loin ». Certaines affinités, telles des amitiés, peuvent se créer entre les tuteurs et les tutorés. « C'est des relations entre amicales et professeur parce que d'un côté on les connaît assez bien, ils ont que deux ans de plus que nous, donc c'est pas non plus énorme ». Le tutorat a également développé de bonnes relations entre les étudiants tuteurs. Grâce au tutorat, les étudiants tuteurs se sont rapprochés de leurs enseignants et de la direction, et par conséquent ils ont créé une relation privilégiée avec ces derniers. « Ça permet de casser un peu cette barrière élève/enseignant ». Les étudiants tuteurs, en participant au tutorat, développent la vie étudiante et favorisent la cohésion entre les différentes promotions d’étudiants dans l’école. « C'est quelque chose qui est hyper important, rien que dans la cohésion en plus de l'école, des élèves, que ce soit inter promo ou intra promo ». Le tutorat permet aux tuteurs d’enrichir les relations humaines et les liens sociaux dans l’école. Les tuteurs ont des retours positifs de la part des étudiants tutorés qui leur expriment de la reconnaissance. « On a eu quelques bons retours, ça oui, et on en est très content, c'est vrai que ça fait vraiment plaisir ».
26Le tutorat, en tant que dispositif relationnel privilégié, permet aux tuteurs de valoriser leur égo et d’améliorer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. « Le fait que j’enseigne et que je transmette ce savoir, c’est quelque chose d’honorifique ». En aidant les tutorés, les tuteurs se sentent utiles. De par les responsabilités que le tutorat demande, les étudiants tuteurs développent leur assurance et leur confiance en soi. « Quand on apporte quelque chose, il faut être sûr de soi et déjà j’ai gagné peut-être en assurance ». Les tuteurs sont également valorisés par le fait que les tutorés veulent reprendre le tutorat l’année prochaine en tant que tuteurs. « Je pense que ça, c'est le meilleur retour qu'on puisse avoir ». La reconnaissance peut être une motivation possible pour réaliser le tutorat chez certains tuteurs. « Une motivation pour le devenir, peut-être de la reconnaissance, peut-être pff tout simplement oui pour avoir un titre particulier ». Certains tutorés émettent l’hypothèse que les tuteurs participent au tutorat dans le but de se faire « bien voir » par la direction et les enseignants. « Je me demande s'il n'y en a pas certains qu'ils l'ont fait uniquement pour être bien vus de la direction ».
27Le tutorat est un échange entre les tuteurs et les tutorés. « Cela m’a aidé pendant deux ans et j’aimerais, à mon tour, offrir mon aide à ceux qui le veulent ». « C'est un échange aussi, c'est permettre euh moi j'ai compris ça, donc je vais essayer de vous le faire comprendre, comme ça vous aussi, vous pourrez l'expliquer ». Il y a une idée de succession dans le tutorat. « Le but c'est qu'on comprenne, comme ça on peut l'expliquer à quelqu'un d'autre, et peut-être reprendre le tutorat ». Les étudiants tuteurs ont tous été tutorés durant leur PACES. Ces derniers sont très reconnaissants de l’aide qu’ils ont reçue des étudiants tuteurs de PACES. « Il y avait quelque chose qui était fourni, et par des étudiants qui donnaient de leur temps, et ça je les remercierai jamais assez pour ce qu’ils ont fait ». Les étudiants tuteurs en MK se sentent redevables de l’aide qu’ils ont reçue et ils ont envie de rendre la pareille. « J’ai envie de le rendre, je me dis c’est vrai que on me l’a donné, on m’a apporté du temps personnel pour moi, alors pourquoi moi ne pas le faire pour les autres aussi ».
28Les tuteurs en MK ne peuvent pas rendre leurs dus aux tuteurs en PACES qui les ont aidés, alors ils aident les étudiants de première année en MK. « Ce qui s'est présenté à moi comme option pour pouvoir comment dire, voilà quoi donner rendre un peu de ce qu’on m'avait offert, bah c'était le tutorat à l'école de kiné ». Les étudiants tutorés de première année se sentent, eux aussi, redevables de l’aide qu’ils reçoivent durant le tutorat MK, ils ont donc envie d’aider à leur tour. « On nous a donné quelque chose, ça nous a apporté quelque chose, ça nous a aidé, et du coup de se dire bah pourquoi pas moi de le faire aussi ». L’ensemble des tutorés interrogés est intéressé pour être tuteur l’année suivante.
Schéma 2 - Les représentations des étudiants tuteurs en MK sur le tutorat entre pairs
29Le cadre conceptuel de cette recherche a souligné les différences qui existent entre les formes d’accompagnement par des pairs, par exemple entre du tutorat et du monitorat. Alors que le tutorat a été caractérisé comme étant à l’initiative de celle ou celui qui ressent le besoin de se faire aider, porteur de réciprocité des rôles (entre tuteurs et tutorés) et orienté vers le déblocage pédagogique, d’autres dispositifs ont été présentés. Le monitorat est basé sur l’expertise de l’aidant, donc sans réciprocité possible. Le mentorat correspond à un accompagnement individuel adossé à des besoins de soutien relationnel. Le compagnonnage s’explique par un accompagnement long (plusieurs années) avec une dimension forte de transmission. Le parrainage est centré sur l’accueil et l’intégration d’un nouvel arrivant dans un environnement commun.
30L’analyse de ce corpus fait apparaître plusieurs conclusions relatives au tutorat entre pairs en formation initiale de MK, dans le cadre de l’étude conduite, et centrées sur la fonction d’étudiant-tuteur. Tout d’abord, les représentations des acteurs interrogés indiquent que le tutorat est vécu comme un dispositif d’aide à la réussite universitaire, car il est à l’initiative des demandeurs, il diversifie les sources d’information et il complète l’action des enseignants. Il se place ainsi sous l’angle de la théorie de l’apprentissage auto-régulé de Minna Puustinen (2013), l’autorégulation étant définie comme « le contrôle des conduites sociales pris en charge par le sujet lui-même dans différents domaines de la vie humaine » (p. 24). Ainsi, il ressort de l’analyse de ces représentations qu’en participant à un tutorat, les étudiants en MK développeraient de concert des postures autorégulées relatives à leur réalité d’étudiants et aux activités de MK.
31En aidant, les étudiants tuteurs expliquent ancrer davantage leurs acquisitions et en développer de nouvelles, notamment en matière de communication. Les responsabilités engendrées par le tutorat, ainsi que la sensation d’être utiles, développent chez ces étudiants le sentiment de confiance en leurs compétences et l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. L’effet-tuteur est donc retrouvé dans le tutorat entre pairs en MK. Ce dispositif construit également un climat relationnel agréable entre les étudiants, et avec les professionnels de l’IFMK. Les interactions sociales entre les étudiants tuteurs et tutorés en MK conservent une relative symétrie, permettant une certaine « congruence sociale » (Moust, 1993, cité par Baudrit, 2000a, p. 145). Les aides apportées sont appréciées parce qu’elles se produisent dans des conditions difficiles de sélection.
32Ce dispositif semble donc apporter autant aux tuteurs qu’aux tutorés : les tutorés obtiennent une information qui leur manque et peuvent compter sur des soutiens en situation d’isolement ou de difficulté ; les tuteurs en retirent les satisfactions de l’altruisme reconnu (ils sont valorisés par la fonction) et participent à la transmission de savoirs, en vivant une expérience d’enseignement invitant à poursuivre vers la formation.
33Le dispositif tutoral en MK permet aux étudiants tuteurs (ayant déjà été tutorés durant leur PACES) de redonner l’aide qu’ils ont reçue quand ils occupaient la fonction d’étudiant tutoré. Cette motivation de réciprocité (Héber-Suffrin, 2013 ; Baudrit, 2015, 2018) explique le comportement de ces anciens étudiants tutorés devenus tuteurs, en s’inspirant de la théorie du don/dette/contre-don décrit par Marcel Mauss (2008). Ces derniers, ayant reçu par le passé une aide d’une relative importance par un tuteur (don), se sentent redevables (dette). Ils participent donc à leur tour au tutorat en tant qu’étudiants tuteurs pour rendre ce qu’ils ont reçu (contre-don). Cependant l’étudiant tutoré ne peut rendre directement à l’étudiant tuteur qui l’a aidé. Il honore alors sa dette, en aidant un autre étudiant qui en a besoin. Cette réciprocité différée peut alors être qualifiée « d’échanges par ricochet » (Baudrit, 2015, p. 207), car elle se réalise de manière diachronique et indirecte (Baudrit, 2018). Les étudiants tutorés deviennent les futurs tuteurs MK, et ainsi de suite, ce qui illustre le concept de « chaîne temporelle du don » (Godbout, 1992, p. 52). En ce sens, cette réciprocité diffère des tutorats entre pairs scolaires, qui est directe : elle concerne des étudiants du même âge qui s’apportent mutuellement des aides en fonction des besoins ressentis et des partenaires sollicités. On pourrait donc distinguer trois formes de tutorat entre pairs : diachronique et indirecte (celle présente en formation de MK), synchronique et indirecte (au sein d’un même groupe mais autour d’un réseau d’aide) et synchronique et directe (des binômes qui s’aident alternativement). Cette dernière forme se rapproche de l’entraide.
34En IFMK, le tutorat entre pairs réalisé est donc perçu de manière plurielle par les étudiants tuteurs en MK. Ils se le représentent comme un dispositif d’aide, un dispositif d’enseignement, un dispositif de révision, un dispositif relationnel privilégié ou un dispositif d’échange de services. Cette recherche aide à mieux comprendre ce qui pousse les étudiants tuteurs en MK à participer à ce dispositif, malgré un emploi du temps chargé et une quantité de travail importante. Ces derniers acceptent le tutorat pour le plaisir et la satisfaction d’aider, pour se faire une première expérience d’enseignement, pour améliorer leurs compétences (par une prise de recul, des révisions, la découverte de logiques compréhensives nouvelles, d’habiletés prosociales…), pour se valoriser et avoir une meilleure estime d’eux-mêmes, et également par réciprocité, pour rendre l’aide qu’ils ont reçue quand ils étaient des étudiants tutorés et ainsi améliorer la qualité de la dynamique relationnelle de la vie étudiante au sein de l’IFMK. On repère donc nettement les conséquences positives d’un « effet tuteur ». Ces bénéfices soulignent l’importance de la réciprocité des rôles, sous peine de voir surtout progresser les étudiants accédant au statut de tuteur. En ce sens, les bienfaits repérés de l’acte d’aider rendent important le projet de motiver tous les étudiants au statut de tuteur, pas uniquement quelques-uns, surtout si l’on souhaite en démocratiser la satisfaction et le sentiment d’efficacité personnelle. L’institutionnalisation d’une formation des étudiants au tutorat (dès la première année en IFMK) pourrait conduire à une compréhension fine des bénéfices potentiels et donc à un engagement augmenté.
35Quelques problèmes sont toutefois soulevés par les acteurs de ce dispositif. Dans certaines situations, les fonctions du tuteur et de l’enseignant peuvent se confondre dans l’esprit de l’étudiant et laisser place à des dérives, principalement liées à des phénomènes de projections inconscientes (Imbert, 1996). À ce titre, parce que les expériences d’enseignement sont reconnues comme riches pour apprendre, il serait intéressant d’étudier les écarts qui existent avec des dispositifs plus asymétriques comme le monitorat ou le parrainage. De plus, quelques tutorés se demandent si le tutorat ne permet pas une valorisation des étudiants tuteurs auprès de leurs enseignants. Cela rejoint les travaux de plusieurs auteurs (Allen & Feldman, 1976 ; Baudrit, 1999, 2000a) qui ont mis en évidence des comportements et des motivations à tendance négative chez les étudiants tuteurs : supériorité, égocentrisme, narcissisme, etc. Cela motive également encore plus la nécessaire réciprocité attachée au tutorat entre pairs, également celle d’étendre ce dispositif aux étudiants de toutes les années de formation en IFMK (pas seulement à destination des arrivants).
36Cette recherche souligne également la singularité du terrain de cette enquête, où les cadres de l’institut de formation sont sensibilisés à l’importance des relations de réciprocités (indirecte et asynchrone) nécessaires entre les fonctions de tuteur et de tutoré. Nous pensons que ce n’est pas le cas partout, notamment parce que le lexique des dispositifs d’aide et d’accompagnement prête à confusion. Ailleurs, chez les masseurs-kinésithérapeutes (Maleyrot et al, 2019) ou chez d’autres corps de métiers (Maleyrot, 2013), le tutorat est souvent assimilé à l’action d’accompagner un novice par un professionnel expérimenté, selon des logiques pédagogiques opportunes d’apprentissage par vicariance (Bandura, 1976). Mais cela interroge sur les usages de ce vocable (le tutorat) au détriment de termes certainement plus adaptés, au moins dans les intentions que ces dispositifs revendiquent : monitorat, compagnonnage, voire mentorat.
37Afin d’enrichir plus finement les représentations des étudiants tuteurs en MK dans le tutorat entre pairs, il serait pertinent de poursuivre les recherches sur ce sujet en explorant d’autres situations tutorales, d’autres approches coopératives (notamment du monitorat ou du parrainage) et d’autres promotions d’étudiants (3e et 4e années). En effet, au regard de l’état de l’art sur le sujet, la confusion entre les termes précisés dans cet article peut conduire à des malentendus sur les objectifs poursuivis. Si le projet des responsables d’un institut de formation est de valoriser la responsabilisation et la prise d’initiative des étudiants, en vue de leur future activité professionnelle et/ou de la dynamique de travail pendant la formation, des dispositifs asymétriques comme le monitorat ou le mentorat peuvent renforcer les postures de minorité et empêcher le développement des processus d’émancipations personnelle et collective (Galichet, 2014 ; Taguieff, 2019). Dans la perspective de continuer à améliorer notre compréhension des différents processus mis en jeu durant le tutorat entre pairs en enseignement supérieur, une étude est actuellement en cours concernant la fonction de l’étudiant tutoré et ses difficultés à autoréguler sa demande d’aide. Le parti pris épistémologique sera toujours l’entrée par les représentations des acteurs, afin de valoriser dans ces démarches compréhensives le croisement des singularités pour un accès direct aux consciences personnelles.