- 1 Objectif « 100 % des élèves en lien avec l’école » en mai, espère Jean-Michel Blanquer : Challenges(...)
1La classe inversée a connu ces dernières années un certain succès parfois qualifié de « buzz » ou « d’arrivée en force » (Bissonnette & Gauthier, 2012 ; Lebrun, Gilson & Goffinet, 2016). La situation créée par la crise sanitaire a conduit à lui donner une nouvelle visibilité. Dans le contexte d’un passage massif et soudain aux cours à distance, les pédagogies qui mettent l’accent sur l’autonomie des élèves face au travail et qui mobilisent un environnement techno-pédagogique, comme la classe inversée, ont semblé à certains enseignants être mieux à même de répondre à la situation. La pratique de la classe inversée aurait même, selon le ministre de l’Éducation nationale1, favorisé l’adaptation des enseignants qui la pratiquent à ce passage à distance.
2Bien que la littérature évoque des pratiques dites d’inversion dès les années 2000 (Lage, Platt & Treglia, 2000), l’apparition de la « classe inversée » remonte aux alentours de 2006. Son élaboration est communément attribuée à deux professeurs de chimie américains, Jonathan Bergmann et Aaron Sams. Répondant à leur difficulté d’enseigner dans un environnement rural avec des élèves très éloignés et manquant fréquemment les cours (Bergmann & Sams, 2012), son élaboration est intimement liée à l’exploitation des possibilités offertes par les développements d’internet, dans ce cas la découverte d’un logiciel permettant de convertir leurs présentations en vidéo et la possibilité de les mettre à disposition des élèves sur Youtube.
3Quinze ans après sa création, la classe inversée bénéficie parmi les professionnels d’un certain engouement. Pourtant ce dernier ne semble pas fondé sur des résultats de recherche attestant d’effets positifs sur les apprentissages des élèves (Bissonnette et al., 2012 ; Lebrun et al., 2016) En France, la création en 2014 du collectif d’enseignants Inversons la classe ! (ILC) est le témoin de cet engouement. Dédié à la formation aux pratiques de la classe inversée, le collectif revendique avoir accompagné dix mille enseignants en trois ans. En 2018, il projetait sur les trois prochaines années, d’en accompagner quatre fois plus en s’appuyant sur « la formation par les pairs et la mise en réseau des enseignants ».
4Aujourd’hui, les réseaux sociaux constituent une part croissante des usages professionnels des enseignants qui trouvent dans les plateformes communautaires, et pas uniquement dans les espaces promus par l’institution, une alternative pour se former (Quentin, 2014 ; Duquesnoy, 2014). Le phénomène des communautés en ligne et l’intérêt de la recherche pour le développement professionnel dans ces espaces n’est pas nouveau. Toutefois il se renouvèle avec l’essor du web social et de ses usages par les enseignants et les collectifs d’enseignants.
5Cherchant à mieux comprendre le développement professionnel des enseignants dans ces nouveaux espaces en ligne, nous avons fait le choix ici de nous intéresser à l’association ILC et plus particulièrement à l’une des actions de formation qu’elle met en place : le tweetchat classe inversée. Il s’agit d’une discussion bimensuelle d’une heure sur le réseau social Twitter, réunissant en simultané des personnes souhaitant échanger autour de leurs pratiques de la classe inversée. Notre question de recherche est la suivante : les interactions professionnelles sur Twitter dans le cadre de chats favorisent-elles le développement professionnel enseignant et, si oui, à quelles conditions ? Nous nous proposons d’examiner les interactions d’une participante à ce chat à travers le prisme d’une grille d’analyse du développement professionnel. Nous présenterons le cadre de référence suivi de l’étude de cas avant d’exposer les principaux résultats et de les mettre en discussion.
6De nombreuses études s’intéressent au développement professionnel des enseignants. Elles révèlent une multiplicité d’acceptions différentes, liées à la diversité des perspectives, des finalités de recherche et des théories de référence. En dépit de cette diversité, les auteurs semblent s’accorder sur l’existence de deux perspectives complémentaires : développementale et professionnalisante (Uwamariya & Mukamurera, 2005). La perspective développementale considère le développement professionnel comme un mouvement linéaire et progressif, dont l’enseignant traverserait les différentes étapes qui constituent sa carrière (Huberman, 1995). Associée à la tradition de l’enseignant « loup solitaire » (p. 197), cette conception ne prend pas vraiment en compte le contexte ni la dimension collective du développement professionnel. Au début des années 1990, la reconnaissance de la professionnalité des enseignants entraine une évolution du concept de développement professionnel. Les chercheurs commencent alors à s’intéresser à la dimension collective du processus (Day, 2002). La perspective professionnalisante s’inscrit dans cette évolution. Elle est celle dans laquelle nous nous situons pour cette étude.
7Dans cette perspective, le développement professionnel est envisagé comme un processus social, d’apprentissage spiralaire dans lequel les enseignants s’engagent. Il est centré sur la professionnalisation ainsi définie par Philippe Perrenoud (1994, p. 208) : « la professionnalisation est l’accès à la capacité de résoudre des problèmes complexes et variés par ses propres moyens, dans le cadre d’objectifs généraux et d’une éthique, sans être tenu de suivre des procédures détaillées conçues par d’autres. C’est donc être capable, davantage que dans un métier d’exécution, d’autonomie et de responsabilité ». Jean Donnay et Evelyne Charlier (2008) caractérisent le processus de développement professionnel par son orientation vers un objectif (personnel ou collectif), sa situation dans un contexte spécifique (situations de travail, relation avec des acteurs de la communauté éducative), sa difficile planification (en raison de la grande variété des situations d’apprentissage formelles et informelles), sa dynamique continue et spiralaire, son éthique (l’apprentissage des élèves comme finalité) et sa responsabilité partagée (des individus et de l’environnement professionnel). Ils en identifient quatre dimensions : les pratiques, le développement personnel, la socialisation et l’identité professionnelle. Le développement professionnel est souvent orienté vers l’amélioration des pratiques (1) d’enseignement qui motivent l’engagement dans une telle démarche tout en en étant l’objet. Il est souvent inscrit dans une démarche de développement personnel (2) de l’enseignant. Enfin, alimenté par les interactions sociales (3) (partage de point de vue, débat, etc.), le développement professionnel est intimement lié à la perception par l’enseignant de ses pratiques et de ses compétences professionnelles ainsi que de ses relations avec autrui dans sa communauté professionnelle (4).
8Dans le cadre de leur étude examinant le développement professionnel perçu par des universitaires mettant en œuvre des dispositifs hybrides de formation, Geneviève Lameul, Claire Peltier et Bernadette Charlier (2014, p. 102) définissent le développement professionnel comme un : « processus individuel, structuré socialement, de changement de pratiques et d’acquisition progressive de compétences reconnues par la personne elle-même et par la communauté professionnelle dans laquelle la personne prend une part active et s’engage. » On retrouve dans cette définition, les quatre dimensions mentionnées précédemment : la dimension pratique (« processus […] de changement de pratiques »), le développement personnel (« processus individuel »), la socialisation (« structuré socialement ») et la dimension identitaire (« compétences reconnues par la personne elle-même et la communauté professionnelle »). Nous complétons cette définition par la finalité éthique du développement professionnel (nous soulignons) : « Le développement professionnel est un processus individuel, structuré socialement, de changement de pratiques et d’acquisition progressive de compétences reconnues par la personne elle-même et par la communauté professionnelle dans laquelle la personne prend une part active et s’engage à améliorer les apprentissages des élèves ». Nous nous appuierons par la suite sur cette définition pour définir différents indicateurs de développement professionnel. Nous les décrirons dans la deuxième partie consacrée à l’étude de cas.
9Aujourd’hui pour beaucoup d’enseignants, le développement professionnel s’appuie sur une diversité de pratiques telles que les cours théoriques, les stages d’observation, les lectures personnelles, les échanges de pratiques entre pairs, etc. Parmi elles, les communautés en ligne d’enseignants constituent une forme répandue de développement professionnel en ligne (Lantz-Anderson, Lundin & Selwyn, 2018).
10L’essor du web social a marqué la façon dont les personnes communiquent, au point que certains auteurs considèrent qu’il est le révélateur d’un changement dans l’organisation des communautés en ligne (Boyd & Ellison, 2007). Le corpus d’étude délimité par Annika Lantz-Anderson et son équipe dans leur récente revue de littérature sur la question témoigne de ce changement. La période de vingt ans sur laquelle s’étend cette revue fait état de différents types de groupes, formels et informels, depuis les premières listes de discussion des années 1990 aux récents développements de l’usage des réseaux sociaux numériques. Cette revue et celle de Maria Macià et Iolanda García (2016) montrent qu’il y a finalement toujours assez peu de consensus sur la nature, les formes et les conséquences de la participation des enseignants à ces interactions en ligne concernant leur développement professionnel. Elles révèlent un manque de recherches relatives aux pratiques informelles d’apprentissage des enseignants.
11En effet, les études sélectionnées s’interrogeant sur le potentiel des réseaux sociaux pour le développement professionnel des enseignants présentent des résultats contrastés. Si certains auteurs ont montré que les échanges observés sur Facebook étaient plus souvent centrés sur la promotion personnelle que sur les apprentissages des élèves (Rensfeldt, Hillman & Selwyn, 2018), à l’inverse, d’autres chercheurs voient Twitter comme une technologie fondamentale pour l’éducation et la formation, dont les utilisations sont à même de soutenir le développement professionnel dans des contextes formels et informels (Carpenter, Tur & Marín, 2016 ; Greenhalgh, Rosenberg & Wolf, 2016). Nous n’avons pu avoir accès qu’à une seule étude s’intéressant à la relation entre le développement professionnel et la participation à un chat sur Twitter. Il s’agit d’une analyse des #oklaed tweetchats, destinés aux enseignants de l’Oklahoma (Asino, Haselwood & Baker, 2016). Leurs auteurs montrent que les échanges professionnels dans ce chat sont assimilés par les participants à du développement professionnel informel, rejoignant les résultats d’Isabelle Quentin (2014). Dans cette étude 78 % des enseignants interrogés signalent des bénéfices de leur participation au tweetchat par rapport à leur pratique professionnelle. Toutefois ces bénéfices semblent relever davantage du soutien affectif que d’une évolution des pratiques pédagogiques.
12Créé en 2006, Twitter est un réseau social de microblogage. Il permet d’envoyer gratuitement des messages courts, d’abord limités à 140 caractères avant de passer à 280 caractères en 2017. Les utilisateurs peuvent créer un compte associé à un profil qui peut être public ou privé. Ils accèdent aux tweets postés par les comptes auxquels ils sont abonnés (friends) et peuvent leur envoyer des messages privés. Ils voient également les tweets postés par les autres comptes, ainsi que ceux de leur liste d’abonnés (followers). Sur Twitter, la participation peut être synchrone ou asynchrone. Elle est synchrone au sens où à chaque instant un grand nombre de tweets sont émis et lus simultanément sans nécessairement générer d’interactions. Elle l’est également au sens où des interactions fortuites surviennent en direct et où un rendez-vous peut être donné en ligne pour interagir. La participation est asynchrone lorsqu’un tweet publié est lu et/ou commenté en différé. Enfin la consultation peut être délibérée ou encouragée par le fil Twitter du participant via le paramétrage de son système de notifications.
- 2 Un hashtag ou « mot dièse » consiste à placer le caractère “#” devant une chaîne de caractères. Cet (...)
13Un tweetchat est une discussion en direct sur Twitter. Elle est centrée sur un sujet et utilise un hashtag2 unique pour permettre aux participants de la suivre. Ces discussions sont généralement prévues à l’avance et supervisées par un utilisateur ou un groupe d’utilisateurs, qui l’animent grâce à une série de questions. Amaury Daele (2004), s’inspirant de Jenny Preece et Diane Maloney-Krichmar (2003), propose une classification de six systèmes techniques de communication. Par comparaison, cette classification permet de mettre en évidence six caractéristiques d’un tweetchat. Il est programmé à l’avance, comme le sont certains groupes de réflexion professionnelle en présence. Il est synchrone comme les anciens systèmes de conversation textuelle en temps réel ou de messagerie instantanée. Il est aussi asynchrone dans le sens où il est possible de lire et/ou de relancer la discussion en différé. Il est centré sur un thème et animé par un modérateur comme dans les listes de discussion ou les forums, à la différence desquels le modérateur n’exerce pas nécessairement un rôle d’expert. Enfin, il est public comme un forum sans que la participation ne requière un abonnement, excepté si l’on souhaite être notifié des nouvelles publications.
- 3 @Classe_Inversee est le compte Twitter officiel de l’association ILC. Consulté le 30 août 2018 à l’ (...)
14Ces caractéristiques d’un tweetchat résonnent avec plusieurs aspects du processus de développement professionnel. Tout d’abord, en tant qu’espace virtuel le tweetchat classe inversée fournit un contexte spécifique de mise relation avec des acteurs de la communauté éducative. De plus, le fait qu’il ait un thème lui donne une orientation. Ses caractéristiques temporelles : programmation récurrente et participation synchrone et/ou asynchrone permettent au processus de développement professionnel de s’inscrire dans une continuité, une dynamique spiralaire et de répondre au caractère imprévisible du processus. Enfin le fait qu’il soit animé par un modérateur serait le garant d’une éthique professionnelle ainsi formulée dans la description du compte Twitter d’@Classe_Inversee3 : « Change l’école par la réussite de ts les élèves. Impulse, accompagne, nourrit les changements de pratiques enseignantes par les pairs. […] ». Finalement, seule la dimension de responsabilité partagée ne semble pas trouver d’écho aux caractéristiques du tweetchat. Notre hypothèse est qu’un dispositif présentant de telles caractéristiques favoriserait le développement professionnel.
15La classe inversée est communément définie comme une réorganisation de l’espace et du temps (Bissonnette et al., 2012 ; Lebrun et al., 2016 ; Bishop & Verleger, 2013). Les activités ayant traditionnellement lieu en classe ont lieu à la maison et inversement. Toutefois, la pratique consistant à donner du travail préparatoire aux élèves à faire à la maison en amont de la leçon n’est pas nouvelle. Aussi, pour certains auteurs, la particularité de la classe inversée est plutôt d’être conditionnée à l’usage d’un environnement techno-pédagogique qui en fait un dispositif hybride d’apprentissage. Selon eux, l’usage de la technologie pour apprendre nécessite de construire de nouvelles compétences chez les élèves (Bishop & Verleger, 2013). En ce sens, ils entendent la classe inversée comme un élargissement du programme d’enseignement davantage que comme une réorganisation spatio-temporelle des activités.
16Ainsi définie, la classe inversée nous semble constituer une opportunité de développement professionnel. D’abord par le potentiel d’innovation dont elle est porteuse. L’exploitation des possibilités offertes par les environnements technologiques peut permettre aux enseignants de faire évoluer leurs pratiques (Charlier, Deschryver & Peraya, 2006). C’est d’ailleurs ainsi que la découverte d’un logiciel permettant de convertir les présentations en vidéo a permis à Bergmann et Sams de mettre à disposition ces dernières par l’intermédiaire de la plateforme YouTube. Ensuite par l’engagement dans une nouvelle pratique qu’elle constitue. S’engager dans une nouvelle pratique s’ancre souvent dans un projet de développement personnel. Enfin par le contexte français dans lequel existe une communauté d’inverseurs. L’existence du collectif ILC nous semble à même de favoriser la socialisation et la construction de l’identité professionnelle.
- 4 Ces évènements sont désignés ainsi sur le site : le CLIC (Classe Inversée le Congrès : des conféren (...)
17Le tweetchat classe inversée, support de notre étude, est à l’initiative de l’association française Inversons la classe ! fondée en 2014. Cette dernière ambitionne de former les enseignants aux pratiques de la classe inversée et plus récemment aux méthodes pédagogiques dites actives. Pour atteindre ses objectifs, ILC répertorie sur son site l’ensemble des moyens qu’elle met en œuvre : des ressources, des témoignages et des « évènements »4 , parmi lesquels en présence, un congrès avec des conférences et des ateliers, des ouvertures de classes au public, des échanges de pratiques en pairs organisés et à distance l’animation d’un chat en ligne sur Twitter. Récemment l’appellation « évènements » a été remplacée par la dénomination « actions de socialisation professionnelles enseignantes ». Cette modification a des effets sur l’affichage du site : la longueur de la nouvelle désignation et le registre de vocabulaire employé contrastent avec les autres intitulés. On peut faire l’hypothèse que ce changement viserait à légitimer, par l’usage d’un jargon « scientifique », un type d’action de formation peu mobilisé par l’institution et n’appartenant pas à la culture des enseignants français.
- 5 Ces informations sont celles données par le modérateur du tweetchat à partir du tableau de bord du (...)
18Le tweetchat classe inversée, dont le compte Twitter a été créé en 2015, est donc une discussion en direct visant à échanger autour des pratiques de la classe inversée. Elle est la seule des cinq actions mises en place par ILC à être mise en œuvre à distance. L’intérêt de la distance résiderait dans la possibilité d’établir un contact continu même en cas d’éloignement géographique, créant un fil conducteur entre les différentes actions organisées en présence au cours desquelles pourraient se rencontrer dans la vie réelle, les personnes rencontrées à distance. En moyenne, un tweetchat classe inversée dure une heure. Il génère entre cinquante et cent messages, selon le nombre de participants qui n’excède pas en général la dizaine5. Sur cette dizaine, deux ou trois participants semblent être des membres récurrents appartenant à ILC, souvent interpellés par le modérateur pour leur capacité à enrichir la conversation. Les autres sont en général de passage. C’est peu comparé au nombre d’abonnés d’@tweetchatCI qui compte neuf cent cinquante-sept followers et c’est dix fois moins que le nombre de tweets échangés dans une session des Oklaed Twitter Chats examinés par Tutaleni Asino et ses collègues (2016).
19Nous avons d’abord procédé à une exploration de la dynamique du tweetchat classe inversée par l’observation d’un nombre restreint de sessions dont l’analyse a permis d’identifier la nature des échanges ainsi que d’en comprendre les dynamiques globales et structurelles. Ce tweetchat classe inversée ne rassemble que peu de participants. Les questions du modérateur reçoivent en général un nombre de réponses directes proche du nombre de participants. Peu de questions du modérateur suscitent des réponses indirectes, ces dernières étant généralement la conséquence d’une relance du modérateur. Parfois il arrive que les participants échangent entre eux et que certaines réponses soient fournies en différé. On peut qualifier la dynamique conversationnelle de faible.
20Cherchant à déterminer dans quelle mesure les interactions professionnelles se tenant dans le chat favorisent le développement professionnel enseignant et à quelles conditions, nous avons décidé de nous concentrer sur l’étude d’une trajectoire individuelle, permettant d’observer des évolutions dans la durée (temps long du développement professionnel). Nous avons cherché d’abord à observer un individu dont la participation s’étendrait sur une période suffisamment longue. Par ailleurs la conception du développement professionnel dans laquelle nous situons notre étude conditionne le développement professionnel à l’engagement de l’individu. Aussi, nous avons choisi d’étudier la trajectoire d’un individu engagé dans le chat en termes de participation en dépit du fait qu’une telle trajectoire ne soit pas représentative de ce qui s’y produit le plus souvent.
21Pour sélectionner le compte à étudier, nous avons pris en compte l’étendue dans le temps de la participation à partir de la création du compte dédié au tweetchat en septembre 2015 ainsi que la fréquence de la participation. Nous avons sélectionné le compte présentant la participation la plus étalée dans le temps et la plus fréquente. Il s’agissait du compte d’une enseignante de mathématiques, âgée de quarante ans au moment de sa première participation au tweetchat classe inversée et qui, alors, enseignait depuis une quinzaine d’années en collège.
22Nous avons d’abord constitué un corpus de toutes les interactions de cette enseignante dans le tweetchat classe inversée, ces dernières s’étalant sur une période d’un an et demi. De ces données provenant de Twitter, nous avons retenu les champs suivants : identité du compte, contenu du tweet, URL du tweet, date de publication, heure de publication, nombre de retweets, nombre de like et de réponses. Par ailleurs, un aspect de notre conception du développement professionnel étant qu’il s’agit d’un processus d’apprentissage « reconnu par la personne elle-même », nous avons choisi de collecter également des données témoignant de la perception par l’enseignante de son développement professionnel. Nous avons ainsi constitué un deuxième corpus avec des données générées par un entretien semi-dirigé avec cette enseignante. Nous verrons par la suite que les données de l’entretien et tweets présentent des contrastes porteurs de sens.
23Concernant l’analyse du corpus de tweets et de l’entretien, nous avons identifié différents indicateurs. Le développement professionnel étant un processus de changement de pratique et de transformation identitaire conditionné à l’engagement de la personne, il nous a semblé important d’en chercher les traces dans les interactions et le verbatim. Nous avons donc retenu les catégories de l’engagement, des changements de pratiques et des changements d’identité comme indicateurs de développement professionnel. Afin d’amener des compléments de réponse à la deuxième partie de notre question de recherche relative aux conditions selon lesquelles les interactions professionnelles sur Twitter favoriseraient le développement professionnel enseignant dans des chats, nous avons défini une quatrième catégorie de nature à expliquer la motivation de l’individu à s’engager et à persévérer dans le processus.
24Nous décrivons ci-après chacune de ces catégories et leurs sous-catégories, en les illustrant par un exemple significatif du corpus. Pour faciliter la lecture, nous reprécisons que le corpus est constitué de deux types de données : des traces d’activités issues du réseau social Twitter, autrement dit des tweets et de la retranscription d’un entretien individuel. Les tweets, identifiables par le code R placés en début d’extrait, sont reproduits tel quel et peuvent comprendre des fautes d’orthographe, des abréviations, des émoticônes, des hashtags, etc.
25L’engagement est divisé en deux sous-catégories : les formes positives et les formes neutres ou négatives d’engagement. Les formes positives sont relatives aux propos de l’enseignante témoignant d’une intention d’améliorer, de faire évoluer une situation, de faire quelque chose de nouveau. [Question relative à la CLISE 2018] « R1 : après hésitation (dur dur d'oser se soumettre au regard de collègues quand on débute), je participerai pour la 1re fois à la #CLISE en ouvrant les portes de #ClassesInversées et en assistant au séminaire académique concocté par @DANECreteil @canope_94. » Les formes neutres ou négatives sont constituées des propos de l’enseignante témoignant de la volonté de ne pas s’impliquer (forme neutre d’engagement) ou de ne plus s’impliquer (forme négative d’engagement).
26À l’égard des pratiques pédagogiques, nous distinguerons les approches centrées sur l’enseignant (teacher-centered), de celles centrées sur l’élève (student-centered) (de la Sablonnière, Taylor & Sadykova, 2009). Les pratiques teacher-centered s’expriment dans des propos de l’enseignante sur ses pratiques pédagogiques. [Question relative à la production de ressources par les élèves] « R7 : oui pr pratiquer, évaluer autrement, pr valoriser des élèves parfois bloqués par écrit, pr les familiariser avec num #ClassesInverses. » Les deuxièmes s’expriment dans des propos relatifs à l’apprentissage des élèves, leurs besoins et leurs difficultés. Nous n’en avons pas trouvé d’occurrence dans le corpus de tweets, et une seule occurrence dans l’entretien : « Alors c’est un choix personnel, il y a des inverseurs qui font la découverte du cours à la maison, ça moi j’ai pas passé le cap parce que je ne veux pas qu’ils éprouvent une question, seuls. Finalement, ce serait aussi compliqué d’être face à une notion sans comprendre que face à un exercice. » Nous distinguons à l’égard des pratiques une troisième sous-catégorie concernant les modalités de ces changements : « R10 : Les 3 pour 3 raisons différentes. 1) Formation #ClassesInversées pour le déclic. 2) les rencontres pr l'aspect humain, pr les encouragements pdt les moments de doute. 3) les événements pr l'approfondisst, la consolidation, les belles surprises... »
27La catégorie de l’identité est divisée en deux sous-catégories : l’identité pour soi et l’identité pour soi relationnelle (Dubar, 1991). L’identité pour soi relève de la perception par l’enseignante de ses pratiques et de ses compétences professionnelles : « R0 #Classeinversée prof de maths en collège, en classe inversée depuis mars seulement. » L’identité pour soi relationnelle relève de la perception par l’enseignante de ses relations avec autrui dans la communauté : « R7 : des rencontres, des échanges, des idées... du réconfort (parfois ça n'est pas forcément simple d'être le seul prof d'un établissement à pratiquer #ClassesInversées pouvoir rencontrer des inverseurs ça peut rebooster !) »
28Enfin, la motivation est divisée en deux sous-catégories : les raisons de la motivation initiale et les raisons de la persévérance. Les raisons de la motivation initiale recouvrent la perception par l’enseignante, de ce qui l’a poussée à s’investir dans la classe inversée au départ : [Question relative à un éventuel encouragement de l’inspection] « R5 : ni dans un sens ni dans l'autre, je n'ai eu aucun contact avec inspecteur sur #ClassesInversées ms je crois dans notre académie ils sont plutôt favorables et soutiennent les CI. » Les raisons de la persévérance recouvrent la perception par l’enseignante de ce qui l’a conduite à poursuivre la mise en œuvre de la classe inversée par la suite : « R6 : #classeinversée l'enthousiasme des élèves ! la classe revit ! »
29Pour chaque tweetchat auquel l’enseignante a participé, nous avons comptabilisé le nombre de tweets directs et indirects, le nombre de retweets, de like et de réponses reçues. Nous avons pu déterminer trois étapes dans l’évolution de la participation : une première participation isolée suivie d’une période d’absence, puis un retour en ligne avec une participation croissante. En effet, nous observons une première participation le 7/09/2016 avec quatre tweets seulement, suivie d’une longue période d’absence de presque dix mois et d’un retour en ligne juste avant les vacances d’été. À partir de la rentrée 2017, elle participe ensuite avec régularité et une intensité croissante.
- 6 En France, les priorités en termes de formation des enseignants sont définies au plan national. Ces (...)
30On apprend au tweetchat du 18/10/2017 que pendant sa longue période d’absence du chat, elle a suivi une formation institutionnelle en présence proposée au Plan académique de formation6 et animée par le modérateur du tweetchat : « R0 : Isabel, prof de maths en collège. Je pratique #ClassesInversées depuis mars dernier après stage avec @MathsLepretre ». À partir de la rentrée 2017, elle ne manque qu’un seul tweetchat entre le 20/12/2017 et le 21/02/2018. On observe une intensification de sa participation : le nombre de tweets par tweetchat dépasse peu à peu le nombre de questions de l’animateur. Les signes de reconnaissance envoyés par les membres du tweetchat augmentent. Le nombre de like qu’elle reçoit se multiplie par cinq entre le 18/10/2017 et le 20/12/2017 et se maintiendra à une moyenne de vingt à chaque tweetchat, par la suite. Le nombre des autres interactions croît également. Le 20/12/2017, elle obtient six réponses. À partir du 21/02/2017, elle commence à répondre à d’autres tweets que ceux émis par le modérateur.
31Sur la période observée, trente-deux tweetchats se sont tenus. L’enseignante a émis soixante et onze tweets au cours des sept tweetchats. Dans cet ensemble de tweets, presque la moitié, 45 %, sont relatifs à la catégorie de l’identité (perception de soi et de ses relations avec autrui). Les tweets relatifs aux pratiques représentent 17 %, ceux relatifs à l’engagement 15 %, ceux relatifs à la motivation 13 % et ceux relatifs aux modalités du changement 10 %. L’indicateur relatif à l’identité domine. Il nous semble que cela peut indiquer une influence de la participation de l’enseignante au chat sur son identité professionnelle, toutefois conditionnée dans le cas de cette trajectoire par une rencontre en personne avec le modérateur.
- 7 Voir aussi, dans ce même numéro, la conclusion de l’article de Marie-Sylvie Claude et Patrick Rayou (...)
32La motivation initiale de l’enseignante pour s’engager dans la classe inversée relève manifestement d’un choix personnel : ni prescriptions formelles, ni encouragements informels. Par la suite, les retours des élèves sont positifs et source de motivation pour elle à persévérer. Toujours selon elle, les parents n’expriment pas d’insatisfaction liée à la pratique de la classe inversée, tout comme la hiérarchie administrative. Toutefois, au fur et à mesure qu’elle développe un sentiment d’appartenance au groupe du tweetchat, elle dit ressentir après un an une forme d’hostilité de la part de certains collègues de son établissement7 : « R8 : ils sont majoritairement positifs pr les élèves et la direction. Certains collègues ne voient pas cela d’un bon œil. Les parents en sont pas manifestés (peut-être demain en réu parents-profs) #ClassesIversées. »
33Les raisons de la motivation de l’enseignante s’expriment au travers des bénéfices retirés par la pratique de classe inversée. Du point de vue de la relation avec les élèves, elle déclare : « R6 : #classeinversée l’enthousiasme des élèves ! la classe revit ! » On peut faire l’hypothèse qu’avant la mise en œuvre de la classe inversée, l’enseignante aurait été confrontée au manque d’intérêt et de motivation des élèves. Selon Anne Barrère (2017), le métier d’enseignant est fondé sur la relation avec les élèves et s’est trouvé modifié par le contexte de massification de l’enseignement secondaire et l’évolution du statut de l’enfant, mettant les enseignants face à quatre « épreuves » : le deuil de la discipline, la cyclothymie de la relation, le fantôme de l’impuissance et les enjeux de la reconnaissance. La trajectoire personnelle joue un rôle important dans la manière dont ces épreuves sont vécues par les enseignants et la nécessité d’y faire face pourrait avoir motivé le choix de l’enseignante de s’engager puis de persévérer dans la classe inversée.
34Lors de sa première participation, l’enseignante s’interroge sur la possibilité de mettre en œuvre la classe inversée sans être autonome dans la publication des ressources proposées aux élèves : « R5 faut-il obligatoirement avoir un blog-site pr la #ClasseInversée ? comment faire sans ? » Cette remarque génère un fil de discussion avec le modérateur, de neuf messages qui la met face à une alternative alors laissée sans réponse : « mais sans avoir la main directe sur le contenu, c’est pas gérable ! » (Dernière réponse d’@MathsLepretre du 7/09/2016) Suivant cette discussion, l’enseignante semble quitter le tweetchat, du moins elle n’y publie plus : « […] je ne m’en souviens pas du tout, du coup je vais aller regarder. Après j’en ai fait plusieurs, mais je ne participais pas, j’ai pas mis des j’aime ou des choses comme ça ? » Il lui faudra attendre le « déclic » provoqué quelques mois plus tard par une formation institutionnelle en présence animée par le modérateur du tweetchat, pour se positionner en rupture par rapport aux pratiques de publication en ligne en vigueur dans son établissement et s’engager dans la classe inversée.
35Après son retour en ligne, elle construit au fur et à mesure son sentiment d’appartenance à la communauté du tweetchat. Parallèlement à l’augmentation progressive des signes de reconnaissance envoyés par les autres participants (Cf. analyse des données de participation) elle prend peu à peu confiance en sa propre expérience et compétence en tant que pratiquante de classe inversée. L’évolution des réponses de l’enseignante à chacune des premières questions du tweetchat, question rituelle dans laquelle le modérateur demande aux participants de se présenter, en témoigne : « R0 je suis prof de maths en clg, je n’ai jms fait de #ClasseInversée ms suis très tentée bien qu’encore en mode découverte » ; « R0 #Classeinversée prof de maths en collège, en classe inversée depuis mars seulement » ; « R0 : Caroline, prof de maths en collège. Je pratique #ClassesInversées depuis mars dernier après stage avec @MathsLepretre » ; « R0 : Caroline qui va bientôt souffler sa 1re bougie de #ClassesInversées en maths collège. » Le premier usage du prénom, postérieur à la formation en présence avec le modérateur, marque un tournant décisif dans son engagement. L’usage du prénom persistera par la suite auquel sera parfois adjoint la mention d’autres participants.
36Au départ, l’enseignante exprime qu’elle se sent freinée par la culture de son établissement. Elle se sent isolée dans sa volonté d’expérimentation. Au moyen du tweetchat, mais aussi plus généralement sur Twitter, elle rencontre peu à peu d’autres enseignants. Elle gagne progressivement en confiance pour se lancer à son tour et persévérer dans cette pratique. Certains « inverseurs » constituent pour elle une source d’inspiration : « R9 : d’abord finir la boucle d’une année entière. Ensuite, mon gros objectif sera de faire de vrais plans de travail et des situations concrètes et challengeantes un peu comme la #teamphysique mais en maths :-) #ClassesInversées ». Elle remercie abondamment certains membres d’ILC, notamment le modérateur, partageant à plusieurs reprises ce type de tweets : « R7 : hey hey j’ai eu la mega chance de suivre une formation #ClassesInversées top niveau avec des formateurs en or et contaminants @MathsLepretre and co + des échanges inspirants et déclenchants sur Twitter. »
- 8 Voir aussi, dans ce même numéro, l’article de Jacques Crinon et Georges Ferone sur le développement (...)
37Les relations personnelles qu’elle noue au moyen des différentes actions proposées par ILC semblent lui apporter un soutien important. Les propos de ce membre central d’ILC à son égard en témoignent : [en réponse à son hésitation de s’engager dans la CLISE] « A mon sens, c’est interressant, peu importe le temps de pratique. Et je pense que tu fais partie des gens qu’on a envie d’aller voir ». (Tweet du 17/01/2018 émis par @AntBordet). Les pairs « inverseurs » perçus par l’enseignante comme « inspirants » et « déclenchants », souvent plus expérimentés et plus influents par leur centralité dans le collectif, jouent un rôle important pour cette enseignante. Dans le cas particulier de cette trajectoire, une rencontre avec le modérateur du tweetchat, a constitué le déclencheur suite auquel l’enseignante s’est lancée dans la classe inversée. À propos du rôle du modérateur, on pourrait parler d’un rôle décisif à un moment précis de la trajectoire8.
38Les premiers propos de l’enseignante dans le tweetchat relatifs à ses pratiques pédagogiques se situent à la fin de l’année scolaire après quelques mois d’expérience de la classe inversée. Elle évoque abondamment son travail de préparation qui lui demande un investissement personnel initial très important. Notamment, elle partage régulièrement la manière dont elle utilise le numérique pour médiatiser les ressources et souligne son autonomie dans le processus de publication puisque cela avait été un point d’achoppement avec le modérateur du tweetchat lors de sa première participation : « R3 : Diffusion des ressources sur mon propre site internet #ClassesInversées : pas d’ENT au clg et + facile de tout centraliser pr les élèves ».
39Pour autant, il n’y a pas de traces dans le tweetchat de discussions dans lesquelles les changements déclarés ou projetés seraient débattus avec les autres participants. Alors qu’elle semble se démarquer de certaines pratiques partagées dans le tweetchat concernant l’usage des capsules vidéo, elle précise dans l’entretien ne pas avoir eu l’occasion de faire part de son point de vue lors d’une session. Pourtant son point de vue, motivé par une réflexion sur les problèmes d’autonomie que pourraient rencontrer les élèves dans la consultation des ressources, nous semble légitime et d’intérêt pour le groupe. En fait les données de l’entretien contrastent avec le contenu des interactions en ligne. Si dans le chat, elle fait état de changements, l’entretien révèle une réflexivité et des aller-retour entre lectures personnelles, problèmes rencontrés et changements entrepris.
40Elle éprouve elle-même des difficultés à relier ces mêmes changements à sa participation au tweetchat, mais elle établit au contraire un lien clair entre sa participation et un changement de perception de la façon dont elle conçoit sa propre formation. Elle déclare en percevoir la dimension sociale : « Après [le] tweetchat, ça a changé ma façon de voir la formation. En fait, je me suis rendu compte qu’il y avait des formations, ok, mais que les formations entre pairs c’était parfois plus puissant. » Les échanges en ligne avec ses pairs l’ont conduite à développer un réseau professionnel lui permettant de se maintenir dans une dynamique de recherches et d’expérimentations, et d’effectuer une veille professionnelle, témoignant de l’aspect collectif et de la dimension de socialisation du développement professionnel enseignant.
41Cette étude ambitionnait d’apporter une réflexion quant à l’étude des communautés en ligne supportées par les réseaux sociaux numériques. Pour répondre à notre question de recherche : « dans quelle mesure les interactions professionnelles sur Twitter dans le cadre de chats favorisent-elles le développement professionnel des enseignants et, si oui, à quelles conditions ? », nous avons élaboré une méthode permettant d’analyser les interactions d’un individu dans un chat sur Twitter au regard de différents indicateurs du développement professionnel.
42Si nous avons pu observer la présence de la majorité des indicateurs de développement professionnel retenus, nous n’avons pas observé le processus dans son entièreté. Nous n’avons pas vraiment pu relier la présence des indicateurs à la participation de l’enseignante au tweetchat. Autrement dit, si l’enseignante fait état de changements de pratiques dans le chat par rapport à ce qu’elle faisait avant de s’engager dans la classe inversée, ces changements ne s’élaborent pas dans le chat. Une seule discussion du tweetchat semble à l’origine d’un changement de pratique. Il s’agit d’un des premiers échanges avec le modérateur sur les conditions nécessaires à la mise en œuvre de la classe inversée et qui a débouché sur un arrêt temporaire de la participation. On peut faire l’hypothèse ici que la discussion s’est produite avant que l’enseignante ne se sente légitime dans le groupe (Audran & Daele, 2009). Toutefois, même par la suite alors qu’elle reçoit des signes de reconnaissance du groupe, l’enseignante ne fait pas état, dans le chat, de points de vue allant à l’encontre des pratiques du groupe. Pourtant elle fait état de tels points de vue lors de l’entretien qui semble indiquer que les changements de pratiques résulteraient davantage de retours réflexifs personnels, découlant parfois de sa participation au chat, mais aussi d’échanges en présence dans des contextes professionnels (formation institutionnelle) et privés (relations amicales avec d’autres enseignants).
43Notre corpus rend compte finalement de fragments du processus de développement professionnel. Par exemple, si l’enseignante dit avoir changé certaines pratiques pédagogiques, on ne sait pas quelles observations, réflexions, échanges, partages d’expérience, analyses ou autres débats l’ont conduite à s’approprier ce changement dans sa pratique. Il nous semble que cela confirme le caractère distribué du développement professionnel dans différents espaces : en ligne et en présence, dans différents réseaux ou communautés, etc. L’absence de discussions témoignant d’une construction sociale de savoirs vient étayer la thèse selon laquelle Twitter serait davantage un lieu de diffusion de pratiques et de ressources construites ailleurs (Quentin, 2018). Le tweetchat apparait ici comme un espace de sociabilité qui permet à l’enseignante de construire son rapport à la communauté des inverseurs et de développer son réseau professionnel d’apprentissage (Krutka & Carpenter, 2016).
44Cette étude témoigne de l’intérêt qu’un enseignant peut avoir à développer un réseau professionnel d’apprentissage en ligne. Elle conduit à de nouvelles questions interrogeant le positionnement de l’action de formation instituée quant à la manière dont l’animation de réseaux connectés d’enseignants pourrait contribuer à améliorer la formation continue et quant à la manière dont les enseignants pourraient être préparés à tirer parti de ce type de ressources. Enfin, le cas particulier de cette trajectoire révèle selon nous l’importance du modérateur de ce tweetchat, et à travers lui, plus généralement le rôle des pairs « inverseurs » exerçant une influence sur l’enseignante. Il nous semble qu’une nouvelle figure d’enseignant se dessine, à mettre en relation avec le phénomène des « influenceurs » du web. L’étude de trajectoires de ces figures d’enseignants « influenceurs », nous semble une piste prometteuse qui permettrait d’éclairer la perception du métier par les enseignants et les transformations récentes du paysage de la formation.
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