1En France, depuis 1950, les enseignants du second degré sont recrutés par le ministère de l’Éducation nationale dans le cadre d’un concours national, le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES). Ce concours vise à sélectionner, à partir d’un ensemble d’épreuves écrites, orales, voire pratiques, des étudiants pour enseigner une ou plusieurs disciplines dans un établissement scolaire.
- 1 INSPE : L’institut national supérieur du professorat et de l’éducation est la nouvelle appellation (...)
- 2 CAPEPS 2023 (chiffre MESRI).
2Une des particularités de la formation initiale proposée depuis 1990 dans les INSPE1 consiste à la fois à préparer les étudiants aux différentes épreuves académiques de recrutement et à l’exercice du métier dans un établissement scolaire. Cependant, l'articulation entre formation professionnelle et préparation au concours reste complexe malgré les réformes successives des épreuves du concours et son placement « année de passation ». En effet, les étudiants estiment que le faible taux de réussite et les exigences du concours ne leur permettent pas de s’investir autant qu’ils le souhaiteraient dans la formation préprofessionnelle lors du stage en établissement scolaire. Ils préfèrent donner la priorité à la préparation des épreuves du concours. Dans le contexte spécifique de l’éducation physique et sportive (EPS), le terrain d’étude de l’enquête scientifique présentée dans l’article, les étudiants sont principalement focalisés sur la préparation du concours en raison d’épreuves d’admissibilité sélectives et un taux de réussite proche de dix-sept pour cent2.
- 3 Par contre, il existe une littérature professionnelle spécialisée proposant de nombreux ouvrages d’ (...)
3Malgré les enjeux forts pour les étudiants et les formateurs, la recherche en sciences de l’éducation et de la formation (SEF) s’est peu intéressée à la formation des étudiants au concours3. L’état de l’art révèle peu ou pas de travaux scientifiques ayant pris comme objet d’étude la préparation des étudiants. Seule l’étude de Jérôme Visioli & Oriane Petiot (2020) fait exception. Les auteurs se sont intéressés à l’expérience émotionnelle d’étudiants se préparant au concours de l’agrégation d’EPS lors de séances de théâtre d’improvisation. Celles-ci sont vécues par les étudiants comme des ressources au développement de la compétence à s’exprimer face à un public et identifiées comme un espace de décompression collectif salutaire dans une année de formation exigeante.
4La littérature scientifique ne dit rien à propos des stratégies des étudiants, de leurs apprentissages, des effets de la formation sur leurs habitudes de vie en termes de sommeil, alimentation et vie sociale. La recherche s’est davantage préoccupée de la formation professionnelle des lauréats au concours en tant qu’enseignants novices et donc de l’entrée dans le métier. Depuis une vingtaine d’années, l’apprentissage et le développement des enseignants novices font l’objet de nombreuses enquêtes à visée scientifique. Des travaux propres à l’EPS, s’inspirant des approches en analyse du travail, sont ainsi consacrés aux incidences du tutorat et du conseil pédagogique sur la construction de connaissances professionnelles (Chaliès & Bertone, 2015), aux préoccupations des enseignants débutants en classe (Serres, Ria & Adé 2004), etc. D’autres travaux concernant différentes disciplines scolaires ont aussi interrogé les effets de la vidéoformation sur la construction et le développement des compétences professionnelles pour intervenir en classe (Gaudin et al., 2018 ; Ria & Leblanc, 2011).
5Ce constat a conforté l’intention de conduire une enquête scientifique à propos de la préparation au concours dans la perspective de décrire et comprendre la manière dont les étudiants préparaient et se préparaient au CAPES. En s’inscrivant dans une approche par l’activité humaine (Barbier & Durand, 2011), cette étude avait pour ambition de répondre à un enjeu scientifique, c’est-à-dire produire des connaissances sur les processus et phénomènes d’apprentissage relatifs à la préparation en investiguant l’activité des étudiants en institut et dans d’autres espaces mais aussi contribuer à l’amélioration de la conception de la formation.
6Compte tenu de l’enjeu crucial pour les étudiants candidats aux concours, et des différents espaces et lieux potentiels de préparation, l’investigation sur le terrain se présentait comme un défi méthodologique majeur. C’est pourquoi l’article rend compte de la construction progressive d'une relation de collaboration sur le long terme en présentant l’analyse des effets de la présence du chercheur et de ses instruments sur l'activité des étudiants se préparant aux concours. En prenant pour objet d’étude les conditions de réalisation de l’enquête scientifique et notamment l’activité de collaboration entre le chercheur et les étudiants, il s’agit ainsi de montrer la manière dont l’observation participante et la conduite d’entretien d’explicitation pour documenter les significations relatives à l’activité menée dans différents espaces de préparation ont ouvert des possibilités inattendues d’apprentissage pour les étudiants.
Approche ethnographique de l’activité humaine en situation de formation
7L’objectif d’investiguer l’activité des étudiants sur le terrain de la préparation nécessitait le recours à une approche ethnographique et donc une adaptation de l'appareillage conceptuel et méthodologique. En effet, approcher un objet d’étude relatif à la complexité des interactions entre des individus et leur environnement demande une approche flexible. Le chercheur doit constamment renouveler, expérimenter ou transformer sa méthode pour appréhender les phénomènes émergents en situation. Cette activité du chercheur est d’autant plus nécessaire dans un contexte où les étudiants consacrent un maximum de leur temps à se former. Jérôme Guérin (2012), Anne Bertin-Renoux et Guérin (2021) ont ainsi montré, sur différents terrains (élèves scolarisés en milieu dit difficile, apprentis-chercheurs, parents à l’arrivée du premier enfant) que le chercheur devait faire preuve de créativité, de patience pour approcher et documenter l’expérience vécue des participants. Autrement dit, le chercheur ne peut se contenter de transposer un cadre conceptuel et/ou une méthode pour construire des matériaux empiriques susceptibles de l’aider à répondre aux objectifs de l’enquête scientifique. En fonction de la culture, de la spécificité du terrain, le chercheur va mener une investigation au cours de laquelle il devra résoudre des problèmes méthodologiques non anticipés pour adapter ses instruments, voire renoncer à certaines modalités de construction des matériaux telles que l’enregistrement audio-visuel de l’activité (Bertin-Renoux & Guérin, 2021 ; Guérin, 2020 ; Le Corre & Archieri, 2023).
8Dans un premier temps, le cadre conceptuel et les principes méthodologiques de l’enquête scientifique sont précisés avant qu’une deuxième partie présente les étapes de la méthode ad hoc. La troisième partie est consacrée à la présentation et l’interprétation des résultats relatifs à la dynamique de l’activité de collaboration entre le chercheur et les participants d’une part et d’autre part aux effets de l’activité du chercheur et des outils sur la préparation au concours. Enfin, la conclusion porte sur les pistes praxéologiques ouvertes par cette recherche.
9L’étude s’inscrit en analyse de l’activité (Champy-Remoussenard, 2005 ; Albero & Guérin, 2014) et une approche écologique de l’agir humain développée en SEF (Albero, Guérin & Watteau, 2019 ; Guérin, Thievenaz & Simonian, 2023). Elle mobilise un ensemble de concepts et des instruments méthodologiques empruntés au programme de recherche du cours d’action (PRCA) (Theureau, 2015).
10L’activité humaine est définie en référence aux théories qualifiées et résumées par le sigle « 4 E approach » de l’esprit (Embodied, Embedded, Enacted and Extended). Elle est considérée comme située, incorporée, cultivée, individuelle, collective, vécue et donnant lieu à la construction de connaissances pour l’action. Autrement dit, l’activité est un tout complexe inséparable de la situation dans laquelle elle prend forme (Varela, 1989) et transforme en retour l'environnement.
11En référence à cette définition de l’activité humaine et pour tenter d’en comprendre la complexité dans le contexte de la préparation au concours, il s’est agi d’approcher l’activité des étudiants sur les différents lieux, espaces et moments relatifs à leur travail de préparation. Plus précisément, sur la durée de formation aux épreuves écrites du concours du CAPEPS, l’objectif était de rendre compte de l’expérience et de l’apprentissage des étudiants dans le cadre de leurs différentes interrelations avec leurs pairs et les formateurs.
Le cours d’existence relatif au projet de préparer un concours
12Pour répondre à cet objectif, le cours d’existence relatif à une pratique (Theureau, 2006 ; Poizat & Durand, 2015) s’est avéré être un objet d’analyse adapté aux particularités de l’objet d’étude. En effet, cet objet construit dans le cadre du programme de recherche du cours d’action (Theureau, 2015) permet d’identifier des dynamiques d’organisation de l’activité de sujets sur des durées de plusieurs mois à plusieurs années. Il est ainsi possible de faire des liens entre des périodes d’activités discontinues relatives à une pratique considérée. La méthodologie est fondée sur le principe que l’activité d’un sujet peut être décomposée en unité d’activité (UA) (Theureau, 2006), ayant comme principales propriétés d’être autonomes, c’est-à-dire d’émerger d’une auto-organisation créant leurs propres conditions d’existence. Dans le champ des SEF, cet objet d’analyse a été éprouvé sur différents terrains dont celui de l’éducation thérapeutique du patient (Guérin & Zeitler, 2017), de la formation professionnelle des enseignants novices en EPS au gré de différents contextes de classe et de formation (Serres, 2006 ; Serres, Ria & Adé, 2004) de l’élaboration d’un spectacle de danse en milieu scolaire (Crance, 2013 ; Saury, Trohel & Crance, 2014), et du développement professionnel d’enseignants novices par la pratique de l’improvisation théâtrale (Archieri, 2013). Ces travaux ont ainsi montré la manière dont l’activité et les sujets se transformaient et donnaient lieu à la construction de connaissances relatives aux projets de se soigner, d’enseigner l’EPS, de réaliser collectivement un spectacle de danse, de développer le sens de la répartie par l’improvisation.
13Le cours d’existence relatif à la pratique de préparer le concours s’inscrit dans une épistémologie pragmatique et poursuit deux objectifs complémentaires et interdépendants. En premier lieu, un objectif épistémique visant à produire des connaissances scientifiques à propos de l’activité des étudiants dans les situations relevant de la préparation au concours. Le second objectif est tourné vers l’action et concerne les usages potentiels des connaissances scientifiques pour optimiser la formation. Autrement dit, sans chercher à prescrire ce qu’il conviendrait de faire, la recherche peut aider à penser l’amélioration de la formation.
14Cet article met la focale sur la démarche d’investigation ayant permis au chercheur d’accéder et de documenter l’activité des étudiants lors des différents temps de formation notamment les temps non institués. Le recours à la méthode ethnographique (Laplantine, 1996) s’est imposé pour construire une relation de confiance et enrichir les méthodes psycho-phénoménologiques de l’observatoire de l’activité individuelle et collective tout au long de la formation (Guérin, 2012). Une présence du chercheur en immersion longue était nécessaire pour approcher l’activité et la culture des étudiants, et ainsi repérer les espaces où elles se déroulaient. L’immersion devait permettre d’accéder à ce que Alban Bensa & Michel Naepels (1998), appellent « le rapport d’intimité extérieure », favorisant ainsi le partage de langue et culture communes, et contribuant à construire l'authenticité et la richesse des échanges entre le chercheur et les étudiants (Guérin & Albero, 2014).
15La démarche méthodologique détaille les différentes étapes marquant l'évolution de l'activité de collaboration, ainsi que la méthode de construction des matériaux empiriques. Entre février 2020 et mars 2021, l’enquête s'est déroulée sur le terrain de la formation des étudiants de master « Métier de l’éducation et de la formation spécialité éducation physique et sportive » (MEEF-EPS) de l’INSPE de Bretagne sur le site de Brest. Elle s’est réalisée en trois étapes (figure 1). Chaque étape se caractérise soit par la documentation d'une nouvelle dimension de l’activité, l’accès à un espace d’activité ou encore l'introduction d'un nouvel outil méthodologique. Il est important de souligner que cette enquête a été menée dans un contexte particulier, celui de la pandémie de COVID-19. Ce contexte a eu des incidences sur la collaboration avec le chercheur et a imposé du fait des contraintes sanitaires de faire preuve de créativité et d’adaptation pour poursuivre l’investigation empirique sur le terrain.
Figure 1 - Les étapes de la démarche ethnographique du chercheur et des étudiants
|
1. Entrer sur le terrain de formation
|
2. Se focaliser sur l’activité des étudiants en dehors de l’INSPE pendant la pandémie
|
3. Documenter en distanciel de manière méthodique l’activité des étudiants pendant un mois avant le concours
|
16La construction des matériaux sur un temps long s’est réalisée en trois étapes successives : entrer sur le terrain ; se focaliser sur l’activité des étudiants en dehors de l’INSPE ; documenter méthodiquement l’activité un mois avant le concours.
- 4 Ces entretiens ethnographiques sont nommés formels et informels car ils se basent sur un canevas ou (...)
17L’entrée sur le terrain de la formation est une étape d’observation participante périphérique (Lapassade, 2016) dont l’objectif était d’établir une relation de confiance avec les étudiants, de s’acculturer et de présenter les objectifs de la recherche (Laplantine, 1996). Durant ces journées d’observation, un journal de terrain a été tenu pour y conserver des notes relatives aux contenus des cours, aux placements des étudiants dans la salle, et des informations issues des entretiens formels et informels4 (Olivier de Sardan, 2008 ; Beaud, 1996). Dans un journal de bord ont aussi été consignées des informations subjectives et personnelles du chercheur dépassant le terrain de la recherche.
18Lors des entretiens avec les étudiants, il est rapidement apparu que l’activité des étudiants relative à la préparation se déroulait en dehors de l’INSPE dans d’autres espaces et dans le cadre de petits groupes de travail.
- 5 À l’exception d’un groupe où chaque membre a participé à l'enquête, la collaboration, pour des rais (...)
19Durant cette période, l'observation participante régulière et les entretiens informels ont permis d'identifier différents groupes de travail construits selon différents critères (affinité, proximité géographique, etc.). Au total, quatre groupes distincts ont été repérés. Le chercheur a réussi à nouer une relation privilégiée avec au moins un étudiant de chaque groupe5. L’objectif était de leur proposer un protocole de collaboration afin de documenter plus finement leur activité à l’INSPE et en dehors.
Intensifier la collaboration avec des étudiants volontaires pour participer à l’enquête
20Après un mois d’observation participante et d’un commun accord, des rencontres régulières ont été instaurées avec des étudiants volontaires. Elles avaient pour objectif de documenter leur engagement et les préoccupations sous-jacentes lors des temps d’activité non institués. Chaque étudiant s’est ainsi engagé à échanger régulièrement avec le chercheur à propos du travail du groupe.
21À l’issue d’un temps de formation à l’INSPE et/ou après un travail collectif à la bibliothèque universitaire, des entretiens de remise en situation (Donin & Theureau, 2008) ont lors été menés. Ces entretiens basés sur des notes ethnographiques avaient pour objectifs d’encourager les étudiants à décrire et commenter leur activité sans chercher à l’analyser, la rationaliser, ou la justifier a posteriori. L’objectif est d’accéder à la partie non visible de l’activité, aux significations construites par le sujet. Le questionnement s'est appuyé sur les notes ethnographiques et les documents utilisés par les étudiants. Les entretiens collectifs de remise en situation étaient d'une durée de 60 à 95 minutes. Ils se sont concentrés sur l'activité non instituée des étudiants. Quatre entretiens ont été menés avec le groupe 1, trois avec les représentants des groupes 2 et 3, et quatre avec le représentant du groupe 4. À la fin de l’entretien, les étudiants ont souhaité prendre un temps pour échanger avec le chercheur à propos de l’organisation de leur préparation, partager leurs doutes et incertitudes, et lui demander des conseils.
- 6 La nethnographie est une méthode d'enquête qualitative qui utilise Internet comme source de données (...)
22Cette période d’investigation a été perturbée par la pandémie et notamment le confinement ; stoppant ainsi la dynamique d'observation participante en raison des cours en distanciel. Une réflexion commune avec les étudiants a permis d'adapter les méthodes et de s’inspirer de la nethongraphie6.
23Les étudiants ont ainsi rapidement suggéré d’utiliser les réseaux sociaux et plus particulièrement les messageries instantanées pour communiquer avec le chercheur de leur activité de préparation au concours. C’est ainsi que le chercheur a reçu quasiment quotidiennement des enregistrements audio et/ou des messages instantanés précisant l’action réalisée, son objectif, une description, et les préoccupations et attentes sous-jacentes à l’activité des étudiants. Deux à trois fois par semaine, il a aussi été convenu de réaliser des entretiens courts (entre 20 et 30 minutes) de remise en situation par visioconférence.
24L’usage de la visioconférence s’est aussi systématisé pour maintenir le travail collectif des étudiants. Ceux-ci ont régulièrement adressé leur planning de travail et le lien de connexion en proposant au chercheur de participer à leurs séances de travail. C’est ainsi que le chercheur a pu collecter des traces audiovisuelles en demandant aux participants de pouvoir enregistrer les temps en visioconférence. Malgré les contraintes liées à la pandémie, le chercheur a ainsi pu construire des matériaux documentant la manière dont les étudiants organisaient leur activité de préparation en dehors de l’INSPE.
25Un mois avant les épreuves écrites du concours, les étudiants ont intensifié leur préparation, limitant ainsi leur disponibilité pour des entretiens de remise en situation. C’est pourquoi le chercheur a proposé aux étudiants de tenir un journal de bord audio afin d’enregistrer une présentation de leur activité quotidienne. Un guide présentant plusieurs rubriques leur avait été préalablement présenté. Il s’agissait ainsi de documenter leur expérience vécue. Les enregistrements étaient ensuite adressés au chercheur via le dépôt sur une plateforme. Enfin, après les épreuves écrites, des entretiens de remise en situation utilisant les traces audios ont été réalisés pour inviter les étudiants à communiquer à propos de leur expérience vécue lors du dernier mois de préparation. Cela a permis d'approfondir la compréhension des activités des étudiants et d'explorer notamment leurs expériences émotionnelles post-concours.
26Au cours de l’investigation sur une période de six mois, nous avons mené quatorze entretiens de remise en situation d’une durée variant entre 45 et 90 minutes. De plus, en raison de la pandémie, dix entretiens ont été réalisés à distance. Ces entretiens ont été complétés par soixante enregistrements audio réalisés par les étudiants, ainsi que par les informations recueillies dans les carnets de bord et de recherche et les traces d’activité matérielles.
27Les matériaux recueillis au cours de l’enquête (enregistrements audio, entretiens informels et de remise en situation), ont été transcrits, organisés et analysés en référence à la théorie ancrée (Strauss & Corbin, 1990). L'objectif du traitement des matériaux a consisté à repérer parmi les verbatims les unités de signification pouvant être associées aux effets de l'enquête scientifique sur l'activité de préparation des étudiants. Cette étape d’analyse a associé deux autres chercheurs n'ayant pas participé au recueil afin d’aider le chercheur principal dans cette entreprise d’organisation et de classification des matériaux.
28La première étape a été de transcrire les entretiens informels et de remise en situation avant de repérer et classer dans deux colonnes différentes les verbatims à propos de l’expérience vécue pendant les différents moments de la préparation du concours en dehors de l’INSPE et les verbatims relatifs à la réflexivité à propos de la préparation et la manière dont la présence du chercheur et des outils de la recherche est instrumentée par les étudiants.
29Pour illustrer la documentation de l’expérience vécue, lors d'un entretien de remise en situation, les étudiants ont explicité leur approche collaborative pour élaborer des fiches de lecture sur un thème donné : « Nous avons commencé par identifier les principaux concepts et théories liés au thème. Ensuite, nous les avons divisés en sections pour une meilleure organisation. Chacun de nous a pris en charge une section spécifique et a contribué en apportant des idées et des exemples avec leurs références. » (Jack, entretien de remise en situation)
30Concernant les verbatims liés à la réflexivité concernant la présence du chercheur, les étudiants ont momentanément suspendu l’explicitation de leur activité pour exprimer leur désir de bénéficier de l‘expertise du chercheur. Un étudiant a ainsi demandé « Peux-tu nous donner ton avis par rapport à cette organisation de la fiche stp ? ». Le chercheur a répondu à cette sollicitation en précisant qu’il trouvait intéressant de faire des liens entre un concept et une situation professionnelle : « Je considère aussi qu’il est important d’illustrer les concepts didactiques. En fournissant des exemples tangibles, ça devrait vous aider à construire des paragraphes argumentaires. » (Le chercheur, entretien de remise en situation)
31Les matériaux consignés dans le journal de recherche ont été organisés en veillant à identifier sur la durée de l’investigation du chercheur ou des étudiants qui avaient initié l’entretien, le lieu, la durée, les thèmes abordés.
32Une lecture du journal de recherche a aussi mis en évidence que les étudiants volontaires avaient été à l’initiative de plusieurs entretiens avec le chercheur. À partir de l’étape « intensifier la collaboration » deux entretiens sur trois sont réalisés à la suite d’une demande d’étudiants. Ce sont eux qui proposaient le moment et la durée. Ces initiatives ont émergé du souhait de partager avec le chercheur leurs doutes, leurs craintes mais aussi les modifications relatives à la manière de préparer et se préparer aux épreuves écrites. À l’issue des épreuves écrites du concours, ces analyses et notamment les résultats relatifs aux effets de la collaboration à l’enquête sur l’activité relative à la préparation et l’apprentissage ont été soumis aux étudiants dans le cadre d’un entretien. Outre l’intention de valider les résultats du point de vue des étudiants, il s’agissait aussi potentiellement de compléter certaines analyses.
33L’analyse des matériaux relatifs à l’expérience des étudiants dans le cadre de leur collaboration avec le chercheur a révélé plusieurs axes de résultats significatifs. Tout d'abord, elle a mis en lumière la nécessité d'une inventivité méthodologique pour maintenir l'engagement des étudiants volontaires tout au long de la période de préparation. Ensuite, elle a révélé une transformation notable de l'engagement des étudiants dans la relation de collaboration, illustrant ainsi l'évolution dynamique de leur participation au fil du temps. Enfin, cette analyse a permis d'identifier des instruments essentiels à la fois pour documenter l'expérience vécue des étudiants et pour les aider à se préparer aux épreuves du concours.
34L’analyse de la relation entre le chercheur et les étudiants sur la durée de l’enquête de terrain a mis en évidence que l’enquête scientifique s’était petit à petit inscrite dans le projet de préparation du concours.
35Les étudiants se sont ainsi de plus en plus impliqués dans l’enquête en accordant du temps au chercheur dans leur emploi du temps et en lui faisant des propositions pour maintenir des rendez-vous réguliers. Progressivement, une relation de collaboration s’est instaurée se concrétisant pour l’intégration progressive du chercheur et des instruments de l’enquête comme des ressources pour la préparation au concours.
36L’accès aux activités privées a imposé au chercheur de faire preuve d’inventivité méthodologique pour documenter de manière détaillée l’expérience vécue des participants à l’enquête. En effet, l’organisation personnelle des étudiants et le contexte de pandémie ont rendu impossible l’observation au domicile des activités relatives à la préparation au concours. Il s’agissait donc de créer une méthode ad hoc pour obtenir des traces à propos de ce que faisaient les étudiants susceptibles de répondre aux nécessités du cadre théorique et ainsi d’être des ressources pour comprendre et expliquer leurs activités. C’est la qualité de la relation entre le chercheur et les participants et les possibilités de l’enquête de type ethnographique qui ont été déterminantes pour innover et concevoir une méthode adaptée au contexte. C’est ainsi qu’il a été convenu d’un usage inédit de la messagerie instantanée et de réaliser des enregistrements audios pour construire des matériaux à propos de l’activité des étudiants. Malgré son éloignement géographique contraint, le chercheur a pu ainsi maintenir un contact régulier avec les étudiants et obtenir des matériaux riches et nombreux à propos de l’organisation et des objets des activités non instituées. Ce développement méthodologique de l’enquête rappelle la nécessité et l’importance de considérer que la méthode n’est que la conséquence logique et pratique de ce à quoi la construction de l’objet d’étude conduit le chercheur (Lahire, 2022). Autrement dit, la méthode doit être pensée pour résoudre les difficultés relatives à la documentation de l’objet et non comme une technique prête à l’emploi à appliquer.
37Dans le cadre de cette étude, le « bricolage méthodologique » entre l’approche ethnographique et les méthodes psycho-phénoménologiques du programme du cours d’action (PRCA) s’est avéré déterminant pour approcher les activités les plus éloignées du centre de formation. Ce métissage a permis d’accéder aux activités intimes des étudiants qui n’étaient pas visibles aux formateurs et de documenter leur vécu. Ce métissage rejoint les travaux de Guillaume Azéma et Serge Leblanc, (2014) et de Jacques Saury et Marie-Cécile Crance (2014). Ces auteurs ont souligné l’importance de la complémentarité de la démarche ethnographique et les méthodes psycho-phénoménologiques du PRCA pour documenter l’expérience vécue. Dans le but de « se rapprocher au plus près du “réel des autres” sans jamais avoir les moyens d’y arriver totalement » (Olivier de Sardan, 2008, p. 32), le chercheur se doit donc d’être attentif aux effets produits par sa présence et ses outils méthodologiques d’une part et d’autre de penser la méthode comme une activité ayant les mêmes caractéristiques que l’activité humaine ; c’est-à-dire dynamique, située socialement et culturellement.
38Au cours des entretiens, les étudiants expriment leur doute et leur inquiétude à propos de leurs choix méthodologiques spécifiques à la préparation des dissertations du concours. Ils interrogent alors le chercheur pour avoir son avis à propos de telles ou telles orientations ou modalités de travail. À titre d’illustration, Maxime intervient à propos de sa difficulté à formuler une problématique dans le cadre d’un sujet portant sur la prise en compte de la diversité des élèves en EPS : « Je suis actuellement en train de travailler sur une question de dissertation liée à la place de l'EPS dans le contexte scolaire actuel. Pourriez-vous m'aider à affiner la formulation de ma problématique et à identifier les axes de développement les plus pertinents ? » (Maxime, entretien de remise en situation). Ces questions s’insèrent entre des moments où les étudiants explicitent, à la première personne, leurs expériences relatives à des travaux collectifs ou individuels réalisés au cours des jours précédant l’entretien. Elles interviennent ponctuellement lors des premières semaines de l’investigation pour être plus régulières dans la dernière période de préparation du concours. Les étudiants ont compris que les compétences du chercheur et les modalités de l’entretien étaient des ressources précieuses pour valider ou invalider certaines actions relatives à leur préparation. En effet, le fait que le chercheur soit diplômé d’un master STAPS et spécialiste des pratiques sportives présentées par les étudiants au concours a donné de la valeur à ses propos et une certaine légitimité.
39À titre d’illustration, en fin d’entretien consacré au travail collectif de recherches bibliographiques à la bibliothèque universitaire, les étudiants demandent au chercheur, du fait de ses compétences en gymnastique de les aider à concevoir leur plan d’entraînement : « Étant donné que vous êtes arbitre national de gymnastique, pourriez-vous nous donner des recommandations sur la manière dont nous pourrions structurer nos séances d'entraînement en gymnastique pour mieux nous préparer à l'épreuve du concours ? » (Maxime, Thom, Yassmine, entretien de remise en situation). À la suite d’Andrew Jones et ses collègues (2018), cette interaction pointe le rôle crucial du chercheur en tant que source de soutien et de conseils pour les participants.
40Les étudiants ont progressivement fait de ce rendez-vous avec le chercheur un moment au service de leur préparation au concours. Ce fut notamment le cas lors des entretiens portant sur le travail collectif de conception des fiches de lecture thématique ou d’analyse de dissertation. Le questionnement à propos de la manière dont s’organisait leur activité au moment de construire l’introduction ou encore la problématique a conduit à interroger la méthode d’analyse du sujet et in fine à ouvrir de nouveaux possibles pour un prochain devoir : « Nous avons réalisé que nos échanges avec vous étaient bien plus que de simples discussions. C'étaient des occasions précieuses pour approfondir notre compréhension des concepts clés du concours. Par exemple, lors de notre dernière rencontre, nous avons passé en revue ensemble nos fiches de lecture thématique. Vous avez posé des questions qui nous ont vraiment poussés à réfléchir sur la manière dont nous abordions nos analyses. Ça a été très utile pour clarifier nos idées. » (Bertrand, entretien de remise en situation)
41Plusieurs travaux ont mis en évidence que la participation à une enquête scientifique qualitative accorde une place centrale à l’expérience vécue et au point de vue en première personne était progressivement saisie comme une opportunité pour répondre au projet personnel ou professionnel des participants (Guérin & Méard, 2017 ; Smith et al., 2017). En effet, sans que cela soit prémédité et organisé, l’organisation d’entretiens de remise en situation a été un moment privilégié pour que les étudiants s’engagent dans une activité réflexive et ainsi construire de nouvelles significations et identifier de nouveaux possibles.
42L’analyse des matériaux a révélé que pour deux groupes d'étudiants, constitués respectivement de quatre et cinq membres, le chercheur est graduellement devenu un acteur dont la présence revêtait une importance particulière au sein du réseau social virtuel des étudiants. Le chercheur est ainsi devenu un confident, une personne dont l’écoute a été reconnue comme précieuse par des étudiants pour maintenir leur investissement dans la préparation à des moments où ils s’interrogeaient sur la capacité à tenir un rythme de préparation soutenu ; ou encore à l’issue d’une dissertation dont la note n’était pas satisfaisante.
43À titre d’illustration, « C'était vraiment rassurant de savoir que vous étiez là pour nous guider et répondre à nos questions. On se sentait moins seuls dans cette période intense de préparation. » (Thom, entretien de remise en situation). Cette déclaration souligne la confiance et le réconfort que les étudiants trouvaient dans le cadre de cette collaboration. Lors de discussions informelles, les étudiants partageaient ouvertement leurs préoccupations, leurs doutes et leurs succès : « C'était vraiment bénéfique de pouvoir échanger avec vous sur nos pratiques de révision et de recevoir vos conseils personnalisés. Ça nous a permis d'avoir une perspective différente et de nous sentir soutenus. » (Yasmine, entretien de remise en situation)
44Ces extraits issus du journal de bord témoignent de l’existence d’une relation de confiance entre le chercheur et les étudiants pouvant être interprétée comme une alliance au service à la fois de l’enquête scientifique et de la préparation. En reconnaissant et en répondant aux besoins des étudiants, le chercheur a créé les conditions pour l’émergence d’une relation authentique qui in fine a renforcé leur engagement dans l'enquête et leur préparation au concours. Ces résultats renforcent l'idée que la qualité des interactions entre chercheurs et participants influence directement la qualité des données construites (Morse et al., 2002). Sur le terrain de l’éducation en milieu scolaire, Jérôme Guérin et Jacques Riff (2006) ont observé le même phénomène avant de décider d’en faire une ressource pour apaiser des relations interpersonnelles tendues entre les élèves et leur enseignant.
45Cette recherche sur le terrain de la préparation aux épreuves écrites du concours de recrutement avait pour objectif d’approcher au plus près l’activité d’étudiants afin d’identifier ses caractéristiques et ses transformations éventuelles ainsi que les apprentissages sur l’année de préparation au concours. La spécificité du contexte a conduit le chercheur à se focaliser sur la méthode et notamment les conditions de l’enquête scientifique susceptibles d’encourager les étudiants à participer à une enquête scientifique d’une durée de six mois. Outre la construction progressive de la méthode dans le cadre de la relation de coopération entre le chercheur et les participants, l’analyse des matériaux relatifs au déroulement des interrelations entre le chercheur et les étudiants a montré que l’activité de chercheur a progressivement occupé une place prépondérante dans la préparation au concours. Les étudiants ont compris que le chercheur et ses propositions d’instruments au service de sa recherche pourraient être utiles pour analyser leur activité de préparation et in fine faire évoluer certaines actions relatives à la préparation. C’est pourquoi, après quelques semaines d’observation ethnographique, les étudiants se sont montrés investis et disponibles pour permettre la poursuite de la construction de matériaux de recherche.
46Cette évolution souligne qu’une épistémologie qui ne disjoint pas processus de connaissance et engagement dans l’action a des conséquences méthodologiques sur la manière d’appréhender l’activité et d’engager une coopération entre chercheur et informateur. Cette étude met également en évidence que la recherche de type collaboratif s’appuyant principalement sur le discours et le point de vue des acteurs créée un nouvel écosystème où coexistent compréhension et transformation (Thievenaz, Barbier & Saussez, 2022). En invitant les étudiants à prendre pour objet de réflexion leur expérience vécue, le chercheur participe indirectement à l’émergence de certaines transformations de l’activité de préparation. Au final, malgré des intérêts et finalités différents, le chercheur et les participants ont développé une activité conjointe conduisant les deux parties à satisfaire leurs besoins et attentes. Ces résultats invitent à considérer l’enquête scientifique comme une activité à part entière et la méthode comme une activité collective dynamique et en évolution au fil du déroulement de l’investigation et une situation dotée d’affordance (Simonian, 2020) pour les instances engagées. Ce type de recherche implique alors que le chercheur ait une activité réflexive tout au long de l’investigation sur le terrain pour agir entre engagement et distanciation pour ne pas perdre de vue les critères de scientificité d’une recherche garant de la production rigoureuse de connaissances scientifiques.
Flux RSS
