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1Faouzia Kalali, dans son ouvrage Perspectives curriculaires en éducation scientifique, situe son propos dans un cadre où éducation, formation et recherche sont profondément influencées par les évolutions rapides des sciences et de la société. Sur la base des travaux qu’elle mène depuis de nombreuses années, elle interroge, selon une démarche critique, les conditions d’un renouveau de l’éducation scientifique, de ses enjeux contemporains aux niveaux scientifique et politique, et de ses perspectives curriculaires. Dans son analyse historique, elle défend la thèse selon laquelle l'éducation scientifique du citoyen « réside dans la mise en correspondance des pratiques scientifiques contemporaines avec des activités et des contenus scolaires » (p. 34). Son ouvrage, qui mobilise de nombreux travaux français et anglo-saxons, se structure en trois grandes parties abordant le contexte et les enjeux, les recherches et les perspectives curriculaires que nous allons présenter successivement.

2Dans une première partie de l’ouvrage, l’auteure examine les quatre vagues de réformes et de reconfigurations curriculaires, allant des grands projets curriculaires produits par les scientifiques à l’émergence des nouveaux régimes de production des savoirs de la technoscience. L’auteure développe comment l’idée de progrès a laissé place à une approche des pratiques scientifiques, des défis et des enjeux notamment environnementaux qui se caractérise par des risques et des incertitudes dans une approche socioscientifique (socioscientific issue). Au-delà du constat que l’introduction des questions socioscientifiques suscite des débats dans l’enseignement des sciences, l’auteure considère que « La question de la citoyenneté peut devenir une question pour les didactiques et pas seulement une question de philosophie politique. » (p. 34) et «  Les registres de sensibilisation et d’action ne peuvent pas faire l’économie de la maîtrise des grands principes organisateurs des savoirs biologiques.  » (p. 57). Plus globalement, c’est bien le lien entre les dimensions citoyennes et didactiques des sciences qui est souligné puisque « les pratiques scientifiques et les pratiques en vue de l’engagement citoyen se partagent des caractéristiques en lien avec la problématisation, la compréhension des systèmes et l’élucidation des chaînes causales, l’examen d’explications alternatives et le débat critique au sein d’une communauté. » (p. 71). Dans son analyse, Faouzia Kalali souligne la complexité des rapports entre démocratie et technique dans la technoscience. Face à un « enchevêtrement de la démocratie et de la technique » retrouvé dans la technoscience, l’auteure propose un modèle de passage d’une science normale à une science appliquée puis impliquée selon le degré d’incertitude et de prise de décision, déterminant ainsi une science au pluriel. Ceci conduit à proposer trois registres d’éducation scientifique (p. 45) : le registre technocratique du déficit de connaissances dans la société face auquel l’objectif de l’éducation est ici de fournir aux citoyens les savoirs nécessaires pour combler cette lacune ; le régime critique des rapports sciences-société qui met l’accent sur la crise de confiance entre la société et les institutions scientifiques ; le régime critique et constructiviste de la crise d’engagement des citoyens face à laquelle il convient d’impliquer activement les citoyens dans le processus scientifique, les invitant à participer à la co-construction des savoirs.

3Dans une seconde partie, Faouzia Kalali explore les recherches sur les questions socioscientifiques, et pose la question centrale de savoir si ces nouvelles pratiques culturelles et scolaires visent l'émancipation du citoyen ou simplement un meilleur accès aux savoirs savants. Faouzia Kalali souligne que le passage aux décisions institutionnelles peut mener à des prescriptions ambiguës, car « l’éducation du citoyen doit opérer dans une double incertitude : « incertitude scientifique et technique (question posée en termes du « comment l’éducation scientifique… ? » ; incertitude pragmatique (« quelle éducation scientifique et pourquoi ? ») » (p. 61). L’approche science-technologie-société ouvre la voie à des recherches participatives et à des réflexions sur des décisions éclairées par des connaissances scientifiques pertinentes pour l'action sociale. Faouzia Kalali examine également les apports des enquêtes internationales telles que TIMSS, PISA et ROSE. L’analyse critique et nuancée de ces enquêtes internationales montre l'intérêt de ces enquêtes pour les chercheurs en didactique des sciences et les décideurs politiques, mais aussi le risque de détournement des résultats à des fins politiques. Ensuite, l’analyse de la question de la pertinence de l’existence des sciences dans les curriculums d’enseignement pose différemment le lien entre sciences, politique et citoyen tout en montrant que rendre les curriculums scientifiques pertinents pour les élèves est une manière de promouvoir une attitude favorable envers les sciences. En ce sens, les recherches environnementales qui ont déjà exploré les convergences entre connaissances, valeurs et raisonnements, et les composantes de cette culture orientée vers l'environnement restent pertinentes pour d'autres questions socioscientifiques (p. 71). Ces éléments peuvent grandement enrichir l'éducation scientifique, dans une approche curriculaire qui montre comment l’éducation scientifique elle-même se trouve dans des formes d’incertitudes scientifique et technique et dans une « incertitude pragmatique » qui questionne le pourquoi de l’éducation scientifique.

4La troisième partie de l’ouvrage aborde la perspective contemporaine de l’éducation scientifique, en se concentrant sur les incertitudes scientifiques, techniques et pragmatiques des recherches actuelles. « L’émergence des questions socioscientifiques et des problèmes socioépistémologiques relève d’un véritable défi que constitue l’innovation des contenus en SVT pour élargir vers des possibles » (p. 133). En se basant sur des exemples curriculaires en SVT, l’auteure donne à voir, en se basant sur l’exemple des ressources naturelles, la question des recompositions en lien avec les approches d’éducation au développement durable. Faouzia Kalali propose de revoir le curriculum pour mieux intégrer les interactions entre science et société, dans une approche de didactique curriculaire qu’elle considère comme un domaine fertile pour l'innovation et nécessaire pour répondre aux enjeux contemporains de l'éducation scientifique. L’auteure fait ressortir des éléments pouvant orienter les interventions des enseignants : modèle « éducatif critique des technosciences » ; modèle de « partage responsable d’une critique politique » (en maintenant la légitimité et l’identité disciplinaire ; modèle de « travail collectif vers l’interdisciplinarité » (p. 143). Pour l’auteure, ces approches pourraient servir de base, de « référentiel » à un curriculum renouvelé intégrant les questions socioscientifiques.

5À l'heure des bouleversements environnementaux et juste après la crise de la COVID-19, les débats socioscientifiques actuels revêtent une importance cruciale. Cet ouvrage de Faouzia Kalali fournit une contribution importante à ce débat en offrant une synthèse critique de certains enjeux contemporains de l'enseignement scientifique et des questions socioscientifiques dans une approche curriculaire. En mobilisant des travaux de recherche variés, Faouzia Kalali enrichit la réflexion sur l'éducation scientifique et son rôle dans la formation des citoyens d'aujourd'hui et de demain.