1L’évolution des considérations sociales, économiques et environnementales n’est pas sans conséquence sur le secteur de la distribution alimentaire. Au tournant des années 2000, la grande distribution, qui s’est développée de façon massive au cours de la période fordiste jusqu’à dominer toute la distribution du commerce de détail, entre en crise. La crise est à la fois économique, ce dont témoigne la stagnation des parts de marché et des ventes en volume, et également sociale et symbolique, avec la formulation de critiques à l’encontre du modèle qui contribuent à délégitimer l’offre et l’imaginaire qui lui est associé. Cette remise en cause, ce défaut d’acceptabilité sociale, a conduit de nouveaux acteurs, notamment issus de l’économie sociale et solidaire, à investir le secteur pour créer des modes de production et d’échange alternatifs aux circuits conventionnels. Ce contexte de transition est propice à la réinvention des modèles socioéconomiques et sociopolitiques de l’entreprise, portés par un imaginaire instituant (Castoriadis, 1999), dans le secteur de la distribution alimentaire. Les projets de supermarchés coopératifs et participatifs, inspirés de l’expérience américaine Park Slope Food Coop (PSFC), créée en 1973 à Brooklyn, en sont une illustration. Sur son modèle, ces magasins sont exclusivement ouverts à leurs membres : il faut être sociétaire de la coopérative et contribuer bénévolement à son fonctionnement pour y faire ses courses. À compter de l’ouverture de La Louve en 2016, le supermarché parisien pionnier, d’autres projets du même type se sont déployés en France. La réalisation d’entretiens semi-directifs avec les instigateurs et instigatrices de ces projets et l’étude de la littérature grise ont permis d’étudier les motivations, les fondements ainsi que la diversité des pratiques qui caractérisent ces coopératives. Symptomatique de l’émergence d’un espace méso critique au sein du secteur de la distribution alimentaire (Bodet & Lamarche, 2020), l’article propose d’étudier cette émergence et la diversité qui la caractérise comme processus de création d’un nouveau modèle socio-productif, c’est-à-dire comme « processus, largement intentionnel, de mise en pertinence externe et en cohérence interne des changements techniques, organisationnels, gestionnaires et sociaux, en réponse aux problèmes nouveaux de profitabilité économique et d’acceptabilité sociale, nés de la dynamique du modèle antérieur et des transformations du contexte concurrentiel, macroéconomique et sociétal » (Boyer & Freyssenet, 2000, p. 8).
2Ce cadre analytique a été développé originellement par Robert Boyer et Michel Freyssenet pour analyser les stratégies de profits mises en place par les firmes du secteur automobile au cours du xxe siècle. Il a ensuite été mobilisé, et adapté, pour analyser d’autres organisations et secteurs, comme l’industrie pharmaceutique (Montalban, 2007) ou encore les coopératives d’activités et d’emploi (Ballon, 2020). Nous le mobilisons à notre tour en considérant les organisations issues de l’économie sociale et solidaire étudiées comme des unités productives à part entière des systèmes économiques (Le Roy et al., 2019), qui élaborent en ce sens des stratégies de bénéfices pour mener à bien leurs activités. Ces unités sont le produits d’actions collectives porteuses d’un imaginaire instituant partagé par les acteurs qui s’y engagent (Desreumaux, 2013). Plutôt que d’adopter une démarche monographique, l’article propose de s’intéresser au processus d’émergence des supermarchés coopératifs et participatifs dans le secteur de la distribution alimentaire française à partir de l’étude des choix socio-productifs opérés par les différents projets analysés. Il s’agit de rendre compte des dynamiques de différenciation qui en sont à l’origine et de la diversité des stratégies et des modalités organisationnelles qui en résultent. Pour cela, nous tâcherons de préciser, en nous appuyant sur le travail réalisé par les fondateurs de La Louve pour répliquer l’expérience PSFC en France, les trois composantes qui caractérisent un modèle socio-productif (Boyer & Freyssenet, 2000) : (i) la politique-produit, c’est-à-dire les segments de marchés et volumes de ventes visés, la constitution des gammes, etc., (ii) l’organisation productive, à savoir les méthodes et les moyens mis en œuvre pour réaliser la politique-produit (la répartition spatiale, l’approvisionnement, les techniques employées, etc.) et (iii) la relation salariale, que nous déclinerons, pour notre objet, en « relation de travail » pour l’appliquer aux rapports sociaux et productifs qui encadrent non seulement le travail salarié, mais aussi le recours au bénévolat dans les organisations étudiées (Simonet, 2004 ; 2010). L’étude des différentes initiatives témoigne de la diversité des formes d’application, des futurs possibles, des difficiles compromissions et des tensions sous-jacentes à la construction d’un modèle socio-productif spécifique dans la mesure où elle repose sur des processus collectifs et politiques qui mêlent croyances, discours et pratiques. Dès lors, quelles sont les stratégies de différenciation élaborées et dans quelles mesures ces projets parviennent-ils à se coordonner pour se distinguer et gagner en autonomie vis-à-vis de leurs concurrents ?
3D’abord, nous spécifierons les conditions d’émergence de ces initiatives au regard des évolutions sociohistoriques qu’ont connues le mouvement coopératif et la grande distribution en France. Puis nous nous attacherons à caractériser les dynamiques d’essaimage et la stratégie élaborée par La Louve à partir de l’expérience PFCA, à savoir sa fonction contestataire et son organisation socio-productive. Enfin, nous nous intéresserons aux modes d’organisations des initiatives affiliées afin de rendre compte de la diversité des discours, des pratiques et des multiples stratégies de différenciation déployées au sein du réseau.
4Les coopératives, les mutuelles et les associations sont les composantes historiques de l’économie sociale, mouvement qui émerge en Europe occidentale au cours du xixe siècle, en parallèle du processus d’industrialisation. Pour les acteurs qui la promeuvent, il s’agit tout à la fois de dénoncer les externalités négatives liées aux modes d’organisation des entreprises capitalistes naissantes, mais aussi de montrer qu’une autre économie est possible et souhaitable. Malgré des statuts différents, les organisations de l’économie sociale ont pour point commun d’être des groupements de personnes, et pas seulement des groupements de capitaux (Draperi, 2011), qui ambitionnent de transformer les moyens de production et de consommation dominants en mettant leurs critiques en pratique au travers d’expérimentations et d’actions collectives. Les formes juridiques mais aussi organisationnelles de ces entreprises sont intimement liées à leur environnement institutionnel. C’est pourquoi nous considérons les organisations coopératives comme un fait institutionnel dans la mesure où leur émergence s’accompagne d’un ensemble de règles instituées qui font sens pour les acteurs qui les promeuvent (Chanteau, 2017 ; Celle, 2020).
5Nous appréhendons l’apparition des supermarchés coopératifs et participatifs comme une adaptation contemporaine du modèle coopératif du xixe siècle et de celui de la grande distribution qui a émergé dans la seconde moitié du xxe siècle. Il semble alors particulièrement heuristique d’expliciter les conditions historiques, politiques, sociales et économiques de leur émergence.
6Les règles coopératives, encore aujourd’hui au cœur des dynamiques de l’économie sociale et solidaire, ont été formulées au cours du xixe siècle, notamment à partir de l’expérience d’une coopérative pionnière, celle des « équitables pionniers de Rochdale » de Manchester, un regroupement d’ouvriers tisserands qui a vu le jour en 1844. Insatisfaits des décisions patronales prises au sein de l’usine, les ouvriers décident de se réapproprier leurs moyens de production et de fonder une association pour être en mesure de répondre à leurs propres besoins de façon collective. Un magasin coopératif est notamment ouvert afin d’améliorer leurs conditions matérielles d’existence et celles de leurs familles (Richez-Battesti & Defourny, 2017).
7L’objectif affiché de cette coopération ouvrière est de permettre une meilleure accessibilité par le prix à des biens de consommation de qualité pour les membres de la coopérative. Pour en bénéficier, il faut être coopérateur, ce qui implique un apport en capital des ouvriers afin de l’investir en commun. C’est ce qu’on appelle le principe de la double qualité, selon lequel « les acteurs sociaux qui constituent les bénéficiaires de l’action sont aussi les sociétaires de l’entreprise » (Draperi, 2014, p. 19). Cette spécificité est à l’origine de plusieurs principes, encore aujourd’hui structurants pour le mouvement coopératif, à savoir : (i) une adhésion libre et volontaire, puisque les coopératives de consommation sont ouvertes à tous et toutes ; (ii) une participation démocratique des membres selon le principe « une personne = une voix », le pouvoir décisionnel n’étant pas défini en fonction de l’apport financier des membres, mais de leur qualité de coopérateur ; et enfin (iii) une participation économique, chacun devant participer à la constitution du capital via l’achat de parts sociales. L’apport en capital des coopérateurs sert à engager des dépenses pour créer le magasin, leur permet d’en devenir propriétaire et de participer aux décisions relatives à la coopérative en ce qui concerne la définition de l’agir projectif et ses orientations stratégiques. Ainsi, l’activité économique se développe aux côtés du projet social, démocratique et politique qui sous-tend sa création. Une autre caractéristique historique du modèle coopératif se situe dans la manière dont sont distribués les excédents liés à l’activité économique. La coopérative étant non lucrative, cette distribution se fait selon le principe de la ristourne. Cela consiste à reverser aux membres les excédents de l’activité en proportion de leur propre contribution, c’est-à-dire qu’une remise est appliquée sur leurs achats au prorata de leurs dépenses dans le magasin (Collectif Samson, 2019). Ce principe présente un double avantage : il doit permettre de garantir une certaine stabilité financière dans la mesure où le retour sur investissement des membres se fait à la fin de l’exercice comptable et il encourage également l’achat de biens de consommation au sein du magasin puisque le montant de la ristourne dépend des dépenses relatives de chacun. Il s’agit à la fois de fidéliser la clientèle et de sensibiliser les membres aux impératifs économiques et financiers.
8Au cours du xixe siècle, en parallèle du processus d’industrialisation, nombre de coopératives de consommation émergent en Europe en s’appuyant sur ces principes fondateurs. Peu à peu, les acteurs de ces initiatives cherchent à se fédérer. Ainsi, Charles Gide va créer l’Union coopérative, une fédération d’inspiration chrétienne, tandis que Jean Jaurès crée la Bourse coopérative, son pendant socialiste (Celle, 2020). Mais la coexistence de ces deux organisations indépendantes participe à diviser le mouvement jusqu’au début du xxe siècle. C’est en 1912, après plusieurs tentatives de rapprochements, qu’est créée la Fédération nationale des coopératives de consommation (FNCC) dans le but de recenser et de promouvoir les initiatives coopératives françaises :
- 1 Extrait du manifeste de la fondation de la FNCC (Draperi, 2017, p. 25).
L’Union Coopérative et la confédération des coopératives (la Bourse coopérative), désireuses de mettre fin à un état de division qui fournit un prétexte à trop de sociétés pour n’adhérer ni à l’une ni à l’autre des organisations existantes, et retarde l’essor du mouvement coopératif […] d’accord sur les principes essentiels de la coopérative tels qu’ils ont été formulés par les pionniers de Rochdale et appliqués depuis lors avec un succès croissant par des millions de travailleurs dans tous les pays […] décident de supprimer les organisations centrales existantes et de les remplacer par une organisation nouvelle qui s’appelle la Fédération nationale des coopératives de consommateurs, organe d’émancipation des travailleurs1.
9Concomitamment à la création de cette fédération, des dispositions juridiques, à l’instar de la loi de 1917 ayant pour objet l’organisation du crédit aux sociétés coopératives de consommation2, ont également participé à l’essor du mouvement en précisant le statut coopératif des premiers groupements. Des sociétés régionales voient le jour dans tout le pays, ce qui donne lieu à la création de magasins de gros coopératifs organisant la distribution de denrées alimentaires de manière territorialisée et collective. Au cours de la première moitié du xxe siècle, les coopératives de consommation deviennent des acteurs économiques à part entière du secteur de la distribution et du succursalisme en France. Ce mouvement, qui se structure à l’échelle régionale, permet l’ouverture de multiples points de vente. On compte ainsi approximativement 8000 magasins Coop sur le territoire français en 1950 (Draperi, 2017). Les Coop vont se décliner en différents formats au cours du siècle, d’abord en épiceries et supérettes, puis en petits supermarchés en libre-service, à l’image des Pointcoop et des Supercoop, et enfin des enseignes de grande distribution avec une attraction plus large, telles que les supermarchés Maxicoop et les hypermarchés Rond-Point (Soumagne, 1991).
10Le secteur de la distribution se structure quant à lui, en France, au cours du xxe siècle, parallèlement à l’urbanisation et à l’industrialisation de la production. Jusqu’alors, le paysage commercial était morcelé et nombre de formes commerciales coexistaient, tels que les magasins succursalistes, les commerces indépendants et les coopératives de consommation. Alors que le régime fordiste s’impose après la Seconde Guerre mondiale, l’État va intervenir sur le marché avec la volonté de moderniser les structures commerciales françaises en favorisant la concurrence entre les acteurs du secteur (Billows, 2016). La décision de réformer le commerce français est prise en 1959. En 1963, Valéry Giscard D’Estaing, alors ministre des Finances et des Affaires économiques, prononce un discours promouvant le « remembrement commercial » lors des Assises nationales du commerce :
- 3 AN, 19910028/1, Discours d’ouverture des Assises nationales du Commerce de Valéry Giscard d’Estain (...)
Il est évident qu’une politique tendant à diminuer le coût de la distribution risque de remettre en cause, dans une certaine mesure, la structure même de l’appareil de distribution. Il n’est pas question ici de porter une condamnation même à long terme, du commerce indépendant et de prévoir une élimination progressive de celui-ci par des formes plus capitalistes. Toute action de modernisation exige une adaptation des structures, mais au lieu de laisser se développer sans limites le courant désordonné de concentration commerciale, il importe de déterminer, ainsi que cela se fait dans le secteur agricole, la taille optimum des entreprises et de favoriser le développement des entités commerciales les mieux adaptées aux conditions économiques nouvelles. J’attache ainsi un intérêt tout particulier au problème du remembrement commercial qui seul permettra au secteur de la distribution français d’aborder dans de bonnes conditions la concurrence dans le marché commun. L’aide gouvernementale dans le domaine du crédit notamment doit permettre aux commerçants individuels de se grouper et de constituer par la fusion de plusieurs magasins voisins des entités viables et productives3.
11C’est dans ce contexte institutionnel que vont s’imposer les grandes surfaces en libre-service et le discount importés des États-Unis, d’abord avec la figure du supermarché en 1957 puis avec celle de l’hypermarché en 1963 (Bossuat, 1999; Jacques, 2017a). L’économiste Philippe Moati qualifie de « révolution commerciale » les mutations économiques qui se déploient au cours de cette période et qui aboutissent à l’invention d’« une distribution de masse, chaînon manquant entre la production de masse et la consommation de masse caractéristiques du fordisme » (Moati, 2001). La grande distribution apparaît comme une extension du fordisme, au sens où sont transposées des logiques industrielles au tertiaire pour créer des « usines à vendre » (Daumas, 2006). C’est une stratégie « volume », et plus tard « volume et diversité » (Boyer & Freyssenet, 2000), qui va être mise en place par les nouveaux entrepreneurs du secteur, à la tête de Carrefour ou de Auchan. Cette stratégie se caractérise par : (i) une politique-produit axée sur l’opulence de biens standardisés à bas coût et une division des activités logistiques et commerciales (Daumas, 2006 ; 2018) ; (ii) une relation salariale fordiste basée sur une division sociale et technique du travail, où les salariés bénéficient d’un retour sur les gains de productivité et les bénéfices réalisés par l’entreprise (Benquet, 2013 ; 2015) ; (iii) une organisation productive qui vise la réduction des coûts liés à l’activité, la réalisation d’économies d’échelles et l’accroissement de la vitesse de circulation du capital circulant (Moati, 2001). La stratégie de profits mise en place repose sur la réalisation d’économies d’échelle, la multiplication des gammes proposées et la contraction des frais commerciaux liés à l’activité afin de proposer du choix tout en garantissant des produits à bas prix aux consommateurs. Comme le résume l’historien Jean-Claude Daumas, « la recette est simple : libre choix des articles sans intervention d’un vendeur, produits préemballés, paniers mis à la disposition du client, affichage très apparent des prix et caisse à la sortie » (Daumas, 2006, p. 60). Cette formule connaît un franc succès durant la période fordiste du capitalisme, où l’accessibilité du foncier et la généralisation de l’automobile permettent une implantation des enseignes en périphérie des villes. Alors que de nouveaux acteurs s’immiscent au sein du secteur, à l’image de Leclerc ou de Carrefour, les enseignes Coop, elles, peinent à faire face à ces nouveaux entrants.
- 4 Extrait de l’article « Les coop écopent » publié dans La Vie des idées, le 26 septembre 1985.
Que s’est-il passé ? Lorsque les premiers hypermarchés sont sortis de terre, en 1963, les Coop n’ont pas compris que le commerce allait changer de visage. Quand les dirigeants des Coop s’aperçoivent que leurs clients désertent les boutiques pour remplir les caddies dans les grandes surfaces, il est trop tard. Les premiers hypermarchés coopératifs « Rond-point » naissent en 1967, mais les meilleurs emplacements sont pris. Et la concurrence est sévère. Carrefour, Auchan, Leclerc, Euromarché ont les dents longues4.
12Dans cette course à l’ouverture de grandes surfaces, les coopératives de consommation qui composent le mouvement sont éclatées sur le plan géographique, tandis que d’importantes dissymétries caractérisent les coopératives régionales. Les efforts d’investissement sont inégaux, nombre d’unités commerciales ne sont pas encore modernisées et les ventes plafonnent (Soumagne, 1988). En 1985, les Coop connaissent une crise qui remet en question l’avenir du mouvement. Les difficultés lancinantes rencontrées sont alors accentuées par l’arrivée offensive du discount et la concurrence exacerbée qui caractérise le secteur à l’époque [[[UNTRANSLATED text:bibliography-mark: (Bondue, 1989)]]] . La FNCC est contrainte à la fermeture et à la cession d’unités comme sa centrale d’achats, ses usines et ses magasins – notamment ses nouveaux hypermarchés qui sont rachetés par Leclerc, Carrefour et Rallye (groupe Casino). Malgré ce plan de sauvetage, la FNCC ne parvient pas à éviter la liquidation, ce qui entraîne le licenciement d’une centaine de salariés au cours du premier trimestre 1986 (Soumagne, 1988).
13Alors que les coopératives de consommation constituaient des acteurs importants du commerce français, elles sont victimes de l’intensification de la concurrence et des innovations distributives naissantes au cours de la seconde moitié du xxe siècle. Lorsque les supermarchés et les hypermarchés se sont développés en France, le mouvement coopératif s’est engagé dans le renouvellement de son parc commercial de façon tardive et inégale. Les Coop ne sont pas parvenues à faire face à la concurrence et à conserver leurs parts de marché. Avec l’appui de dispositions publiques, l’offre en sein du secteur s’est concentrée dans les mains des distributeurs à l’origine de l’importation en France des nouvelles méthodes marchandes issues des États-Unis (Jacques, 2017a).
14Au tournant des années 2000, avec la densification du maillage territorial et la concentration des parts de marché, la régulation fordiste de la grande distribution entre en crise (Moati, 2001 ; 2011 ; Benquet et al., 2016). Cette situation va conduire les distributeurs à modifier leurs modes de fonctionnement et leurs stratégies vis-à-vis de leur clientèle. De nombreuses critiques sont en effet formulées à l’encontre de la grande distribution, tant au niveau économique (modèle actionnarial, taux de marge, etc.) qu’environnemental (circuits longs, production de déchets, etc.) et social, notamment en ce qui concerne les conditions d’emploi (précarité, flexibilité, très faible autonomie, etc.) (Benquet, 2013 ; 2015 ; Chiffoleau, 2019). Ces positions s’inscrivent petit à petit dans les pratiques de consommation. Qualifiées d’engagées, elles permettent aux consommateurs d’inscrire des positions militantes et politiques dans leurs choix marchands. En ce qui concerne les actes d’achats, il s’agit aussi bien d’actes individuels qui consistent à privilégier la consommation de certains biens au détriment d’autres, en raison de leur impact supposé sur l’environnement ou des conditions de leur production, que d’actions collectives qui consistent à privilégier d’autres circuits de distribution dans la veine de l’économie sociale et solidaire ou des circuits courts (Dubuisson-Quellier, 2009 ; Desjeux & Moati, 2016). La mise en crise du système fordiste de la grande distribution est alors propice à la formation d’un espace critique et différencié au sein du secteur, condition sine qua none de l’émergence de nouveaux modes d’échanges et de consommation, dont les supermarchés coopératifs et participatifs ne sont qu’un exemple.
- 5 Traduit de l’anglais depuis leur site internet foodcoop.com, rubrique “About, mission Statement”, (...)
15Le premier supermarché coopératif et participatif (la Park Slope Food Coop) voit le jour à Brooklyn en 1973. Soucieux des problématiques alimentaires aux États-Unis, un collectif de consommateurs se forme de manière à proposer une alternative aux circuits conventionnels [[[UNTRANSLATED text:bibliography-mark: (Jochnowitz, 2001)]]] . Sur son site internet, cette initiative se définit comme « un magasin d’alimentation détenu et géré par ses membres, une alternative aux entreprises commerciales à but lucratif 5 ». Exclusivement ouverte à ses membres, elle met en avant l’importance de leur participation à la gestion et à la gouvernance de l’organisation pour parvenir à être concurrentielle sur les prix et à promouvoir les valeurs sociales et environnementales qu’elle entend défendre à travers son modèle organisationnel (recyclage, solidarité, alimentation biologique et saine, égalité, inclusivité, etc.). La promesse vis-à-vis des membres est double : la condition de participation doit permettre l’accès à des produits moins chers que dans la grande distribution tout en assurant une rémunération décente aux producteurs. C’est ce projet qui a inspiré la première initiative française de ce genre, La Louve, implantée à Paris, et les différents projets qui lui ont succédé. Ce sont les fondateurs de cette entreprise parisienne qui ont traduit et caractérisé les configurations socio-productives appliquées outre-Atlantique afin de les transposer dans leur projet mais aussi pour initier « l’essaimage » du modèle en France. Nous nous centrons ici sur les compromis de gouvernement d’entreprises et les stratégies émanant de La Louve dans la mesure où, en plus d’être pionnier, il s’agit du seul projet à avoir engagé un travail approfondi de caractérisation du modèle afin de le différencier à la fois de la grande distribution et d’autres modèles alternatifs émergents.
16Tom Boothe, installé en France depuis 2002 et originaire de l’Indiana aux États-Unis, est l’un des fondateurs de l’initiative parisienne. Œnologue et titulaire d’un master de cinéma, il décide de réaliser un documentaire sur Park Slope intitulé Food Coop. Ce film a pour objectif de préciser et de faire connaître le modèle en France dans la mesure où sa sortie coïncide avec l’ouverture du supermarché parisien à l’automne 2016. L’expérience américaine est présentée comme un franc succès : les prix apparaissent significativement moins chers pour l’ensemble des produits et la qualité des biens vendus incomparable à celle proposée par les enseignes concurrentes. La stratégie et les principes de l’organisation y sont exposés, en particulier en ce qui concerne la division du travail productif et la gestion de la main-d’œuvre bénévole. Mais au-delà d’informer et de présenter les bénéfices associés au fonctionnement coopératif et participatif du modèle, la diffusion du documentaire et les stratégies de communication de La Louve visent principalement à critiquer et à se distinguer des systèmes conventionnels. On peut ainsi lire sur son site internet : « Nous n’étions pas satisfaits de l’offre alimentaire qui nous était proposée, alors nous avons décidé de créer notre propre supermarché ». Ces initiatives se saisissent volontiers du « dualisme alternatif/conventionnel » pour promouvoir des conceptions normatives en termes de production, d’échange et de consommation (Le Velly, 2017). Ainsi, on retrouve à l’origine du modèle ce que Ronan Le Velly appelle une promesse de différence, c’est-à-dire « la promesse d’une autre modalité d’organisation de la production, des échanges et/ou de la consommation alimentaire et la promesse de bénéfices associés » (ibid., p. 24). Il s’agit de l’ensemble des raisons et des objectifs définis par le collectif pour légitimer et mettre en place ses actions dans le cadre de son agir projectif. Comme en témoignent les propos d’un des fondateurs de La Louve, ce modèle de distribution peut être vu comme l’expression collective de la contestation des consommateurs vis-à-vis de l’ordre marchand, et plus spécifiquement de la grande distribution (Dubuisson-Quellier, 2009).
- 6 Extrait d’entretien avec le co-fondateur de La Louve, Paris, août 2022.
Une autre façon dont on le dit est : est-ce que la personne est intéressée pour créer un complément, pour les systèmes de distribution alimentaire existants, ou pour les remplacer. […] Nous on veut remplacer à la fois Franprix et Naturalia, on veut faire en sorte qu’on n’a pas besoin de faire ses courses dans des magasins comme ça. […] Sur le plan global, comme l’histoire des coopératives de consommateurs, on veut bouffer les parts de l’économie capitalistique, pour que ça passe à une économie qui n’enrichit pas des personnes qui n’ont pas besoin d’être encore plus enrichies6.
17Le projet émane du souhait partagé par les coopérateurs de se regrouper afin de satisfaire collectivement leurs besoins, plutôt que de laisser cette tâche aux mains des circuits lucratifs conventionnels. Il s’agit en ce sens d’une critique pratique c’est-à-dire une critique par la pratique associative et militante (Frère, 2009). Ainsi, à l’inverse des actions collectives individualisées (Micheletti, 1999), qui envisagent un changement par l’agrégation d’actions individuelles, comme le boycott et le buycott, la création d’une alternative portée collectivement vise ici à incarner la critique directement dans des espaces et des relations marchandes, tout en montrant que d’autres modalités d’échanges sont possibles et souhaitables (Dubuisson-Quellier, 2009). L’adoption de ce modèle consiste à inscrire la contestation dans un projet collectif en s’opposant au régime dominant via la concurrence des distributeurs critiqués (Blanc, 2015). L’inscription de la critique dans des actes marchands résulte à la fois d’une volonté individuelle d’accéder à un espace de vente et un mode de commercialisation considérés comme vertueux, mais aussi d’une volonté collective de réappropriation citoyenne des systèmes d’échanges et de consommation. Comme le suggère Jérôme Blanc à propos des monnaies locales et complémentaires, il s’agit de passer d’une « posture individuelle de critique à une posture collective du faire » (ibid.). De la même manière que se développent ces projets, des CAE ou des SCIC, les projets de supermarché coopératif et participatif s’inscrivent dans un mouvement méso plus large, qui consiste à la fois à contester par la pratique les dynamiques économiques dominantes (Bodet & Lamarche, 2020), et à adopter une posture normative pour promouvoir la recherche d’une « bonne économie » et d’une « bonne consommation », notamment au travers d’initiatives solidaires (Gardin, 2006 ; Blanc, 2015).
18La particularité du modèle socio-productif que les instigateurs de La Louve appliquent et entendent impulser est qu’il s’agit autant d’une alternative, support de contestation des consommateurs, que d’un substitut, concurrent direct, aux supermarchés conventionnels. L’étude de documents internes et l’entretien mené avec l’un des fondateurs témoignent d’une volonté de critiquer en pratique la grande distribution tout en répliquant une stratégie volume et diversité afin d’être concurrentiel en termes de prix. Le compromis de gouvernement d’entreprise qui en résulte s’inspire à la fois des coopératives de consommation historiques d’un point de vue statutaire (gouvernance et non lucrativité) et de la grande distribution d’un point de vue stratégique.
- 7 La Louve, « introduction » in « Le modèle Park Slope. Notre modèle à La Louve ».
- 8 C’est notamment le cas de l’épicerie La Source qui a accumulé une dette de 37 000 € depuis son ouv (...)
19Les supermarchés coopératifs et participatifs sont des organisations non lucratives gérées par leurs membres. Les bénéfices générés par l’activité sont à ce titre réinvestis dans la structure pour favoriser son développement. Mais le modèle économique diffère des coopératives de consommation du xixe siècle car il repose sur un principe d’économie directe7 et non sur celui de la ristourne. La marge est préalablement réduite dans le sens où est appliqué un coefficient de 1,20 sur l’intégralité des produits. Plutôt que de bénéficier des retombées économiques de l’activité à la fin de l’exercice comptable, les coopérateurs bénéficient des avantages liés à la participation collective au moment de l’achat. En plus d’être réduite, cette marge est relativement fixe, car elle vise à s’opposer au principe de discrimination tarifaire qui a cours dans la grande distribution. Pour reprendre Bernardo Trujillo, présenté par Étienne Thil comme le gourou de la grande distribution, ce principe consiste à « créer un îlot de perte dans un océan de profits » (Thil, 2000), c’est-à-dire à attirer les consommateurs avec des produits d’appels sur lesquels la marge appliquée est très faible, voire nulle. En établissant une marge réduite et fixe à l’ensemble des produits, le modèle des supermarchés coopératifs et participatifs s’oppose à cette pratique. Cela implique une certaine vigilance financière, dans la mesure où les prix de vente peuvent être inférieurs aux prix de revient. En effet, si la marge fixée en amont est trop faible par rapport aux charges engagées par l’activité, aux ventes réalisées par les coopérateurs et aux pertes survenues, la coopérative risque d’être déficitaire et endettée8. Ainsi, bien que l’entreprise soit non lucrative, il faut veiller à dégager suffisamment de bénéfices pour atteindre un seuil de rentabilité et être en mesure de maintenir l’activité.
20La politique-produit et l’organisation productive mises en œuvre et défendues par La Louve, reprennent la formule tout sous le même toit de Bernardo Trujillo (Thil, 2000). L’objectif est que l’ensemble des coopérateurs au sein de l’initiative parviennent à faire, si ce n’est la totalité, la majorité de leurs courses au sein du magasin. Cela implique de disposer d’une surface de vente conséquente où il est possible de diversifier son offre de produits en proposant plusieurs gammes afin qu’une majorité de profils de consommateurs soient représentés. Dans le document intitulé « Le modèle Park Slope », La Louve défend ainsi la constitution d’une « gamme complète de produits » et le recours à des canaux de distribution mutualisés afin de s’approvisionner.
- 9 La Louve, « Offre » in « Le modèle Park Slope. Notre modèle à La Louve ».
Nous souhaitons longue vie à la mutualisation logistique, aux intermédiaires adaptés au besoin de nourrir des personnes regroupées par centaines ou milliers qui occasionnent le moins de dégâts écologiques possible, et le moins d’embêtements possible pour le producteur et le magasin. Grâce à ce réseau d’intermédiaires, les magasins indépendants peuvent proposer une large gamme de produits aux prix plus ou moins raisonnables. À la Park Slope et à La Louve, ces intermédiaires nous permettent de proposer nos produits globalement moins chers que de gros acteurs à but lucratif en dépit de tous les avantages qu’ils détiennent grâce à leurs tas gigantesques de capital9.
- 10 La Louve, « l’équilibre entre la « pureté » de l’offre et l’inclusivité du projet » in « Le modèle (...)
- 11 Un magasin dont la surface de vente est comprise entre 400 et 2500 mètres carrés.
21De la même manière, l’initiative s’oppose à la création d’une « charte produits » et entend proposer des produits premiers prix au nom de l’inclusivité du projet. Plusieurs critères sont pris en compte lors de la constitution des gammes et du passage des commandes, à savoir ; (i) l’impact environnemental (ii) la proximité (iii) le mode de production (équitable), (iv) le goût (v) le prix et (vi) les besoins culinaires du quartier10. Bien que l’initiative entende promouvoir des modes de production et de distribution vertueux, elle développe une stratégie-produit qu’elle justifie par le refus d’adopter une posture moralisatrice dans la constitution de sa gamme de produits. Ainsi, aux côtés des étals de fruits et légumes, on retrouve un magasin avec une diversité de gammes disposée à la manière des concurrents où chaque produit est disposé en libre-service selon sa catégorisation dans les nombreux rayons (droguerie, épicerie salée, crémerie, etc.). D’ailleurs, la raison pour laquelle un produit n’a pas ou plus sa place en rayon relève d’une pure convention marchande qui vise à limiter les pertes pour la coopérative : le retrait survient si le produit n’est pas acheté par les coopérateurs. Pour l’ensemble de ces raisons, le co-fondateur de La Louve rencontré explique que s’emparer de la notion de « supermarché 11 » a été un choix réfléchi lorsqu’il a fallu trouver une traduction française pour qualifier ce modèle issu de l’expérience de PSFC.
- 12 Extrait d’entretien avec le fondateur de La Louve à Paris, août 2022.
C’est nous qui avons inventé ce… appelé ce qu’ils appellent à Park Slope : worker member coop, ça c’est notre modèle en anglais, c’est [nous] qui ont dit, en français on va dire supermarché coopératif et participatif. Et ça c’était un choix exprès de garder le mot supermarché au lieu de dire coopérative alimentaire ou quelque chose comme ça, parce que justement, on voulait exprimer le fait que ce n’est pas un truc exclusif pour bobo riche, mais le côté trash d’un supermarché dans un sens, utile, ou… accessible. […] Si on veut utiliser ces trois mots-là, supermarché veut dire gamme complète et gamme démocratique12.
- 13 La Louve, « Répartition du pouvoir décisionnel » in « Le modèle Park Slope. Notre modèle à La Louv (...)
22Enfin, en ce qui concerne la relation de travail, nous étudions ces organisations comme un véritable monde du travail (Hély, 2009), dans la mesure où nous considérons le bénévolat comme une activité de production de biens et services à part entière. Pour conduire l’activité, les tâches sont en effet réparties entre une main-d’œuvre salariée et une main-d’œuvre bénévole. Ceux-ci constituent une troisième qualité, particulière au modèle des supermarchés coopératifs, qui s’ajoute à la double qualité des coopératives de consommation historique (El Karmouni & Prévot-Carpentier, 2018). Ainsi, en plus d’acquérir des parts sociales et de participer aux décisions de la coopérative selon le principe « une personne = une voix », les coopérateurs sont contraints de participer bénévolement à la gestion quotidienne du magasin pour pouvoir y faire leurs courses, à hauteur de 2h45 toutes les quatre semaines. Les missions qui leur sont alors affectées relèvent principalement des opérations de manutention quotidiennes telles que la tenue de la caisse, le conditionnement de produits, le réassort des rayons ou encore la réception des livraisons. Ce principe participatif s’applique à l’ensemble des membres de la coopérative, les motifs dérogatoires relevant de cas particuliers (maladie, parentalité, congés, etc.). La participation bénévole s’organise de la manière suivante : plusieurs créneaux de participation sont proposés au cours de la journée, les équipes de bénévoles se succèdent pour entretenir le magasin et sont supervisées par l’un d’entre eux, formé et généralement plus expérimenté, qui endosse le rôle de coordinateur d’équipe. À cela s’ajoute également une équipe de salariés réduite qui s’occupe principalement des activités logistiques, des relations avec les fournisseurs et les divers partenaires, et accompagne les différentes commissions bénévoles qui prennent en charge un aspect particulier de la coopérative comme la gestion informatique, la comptabilité, le bureau des membres, la communication ou encore le local et l’aménagement. Les salariés au sein du magasin disposent chacun d’une voix à l’assemblée générale, au même titre que les autres membres, mais ont « une grande latitude pour gérer le magasin en fonction des besoins réels qu’ils affrontent quotidiennement13 ». La gestion opérationnelle du magasin incombe aux salariés, alors que l’orientation stratégique et les politiques générales sont discutées au sein du comité de gouvernance, constitué de membres élus, et au cours des assemblées générales qui accueillent l’ensemble des coopérateurs.
23Ce processus de mise en pratique de la contestation commerciale a abouti à la caractérisation des composantes socio-productives du modèle issu de l’expérience de PSFC. Outre la formulation d’une promesse de différence, le modèle s’avère ne pas être complètement autonome des systèmes alimentaires conventionnels qu’il entend critiquer. En effet, le modèle mis en exergue par La Louve s’apparente plutôt à une forme d’hybridation organisationnelle des coopératives historiques de consommation et de la distribution moderne (Richez-Battesti & Oswald, 2010). Certains des compromis institués au sein de la coopérative qui ne semblent pas pour autant partagés par l’ensemble des initiatives françaises qui revendiquent une filiation avec l’expérience PSFC.
- 14 Soient les initiatives qui emploient le terme « supermarché coopératif et participatif » pour se d (...)
- 15 L’une des initiatives parisiennes recensées, Les Grains de Sel, était en phase de liquidation judi (...)
- 16 Cf. Annexes.
24Dans le cadre de notre recherche, nous avons recensé les différents magasins français qui revendiquent une filiation avec la PSFC et La Louve14. À l’issue de ce travail, 51 projets de supermarchés coopératifs et participatifs ont été répertoriés en France métropolitaine, et 50 ont pu être enquêtés15. Pour chaque initiative ont été rencontrés des membres actifs dans la mise en œuvre du projet, qu’il s’agisse de membres fondateurs, de salariés ou de personnes occupant des activités de direction ou d’administration. L’analyse de l’enquête donne à voir que toutes endossent une fonction critique et que toutes élaborent des stratégies de différenciation vis-à-vis de la grande distribution [[[UNTRANSLATED text:bibliography-mark: (Bodet & Lamarche, 2020)]]] . Leurs outils de communication16 mobilisent le fait de se positionner comme des alternatives et de mettre en avant une promesse de différence (Le Velly, 2017). Toutefois, le contenu et l’application de cette promesse divergent, ce qui participe de l’élaboration de stratégies différentes au sein du réseau. Le compromis de gouvernement d’entreprise basé sur l’expérience PSFC inhérent au fonctionnement de La Louve ne semble notamment pas partagé par tous des magasins qui s’en inspirent à leur tour. Sur l’ensemble de ces initiatives se présentant comme des projets de supermarchés coopératifs et participatifs, il n’existe ainsi pas de compromis d’entreprises stabilisé sur la stratégie à mettre en place. Les politiques-produit, les organisations productives et les relations de travail élaborées par chaque initiative divergent et semblent diviser le réseau.
25La phase de passation des entretiens a commencé en novembre 2021 et s’est terminée, avec La Louve, en août 2022. Au cours de cette période, 59 personnes, membres des 50 initiatives recensées, ont été interrogées. Le choix a été fait de s’entretenir avec les membres fondateurs, les salariés ou des membres occupant des fonctions d’administration, car nous voulions recueillir un discours sur l’organisation qui soit le plus complet possible avec une connaissance fine de l’historique, des enjeux, de la multiplicité des groupes institués en interne et des stratégies de développement mises en œuvre. Au cours de la discussion, les enquêtés étaient amenés à décrire les évolutions du projet depuis sa création, les modalités de fonctionnement, les motivations qui guident l’action des membres ainsi que les relations que l’organisation entretient dans le cadre de son activité avec les autres initiatives du réseau et avec ses partenaires (publics, associatifs, privés). L’ensemble de ces initiatives ont émergé après 2016 et nombre d’entre elles étaient encore en phase de développement au moment de l’enquête, raison pour laquelle nous qualifions ces organisations de magasins coopératifs et participatifs ou de projets de supermarché coopératif et participatif.
Tableau 1 : Formats de distribution des magasins coopératifs et participatifs
Source : Grassart, 2023.
26En ce qui concerne la morphologie commerciale de la population étudiée, parmi les 50 initiatives recensées, cinq sont au format supermarché, 17 au format supérette et plus de la moitié sont au format épicerie (Tableau 1). Cette diversité quant aux formats de magasin trouve plusieurs causes. D’abord, le développement du projet se fait à tâtons puisqu’il faut fédérer coopérateurs et partenaires pour engager la création du magasin. Plusieurs stades d’évolution sont généralement éprouvés avant que l’initiative n’accède au format de supermarché et devienne bénéficiaire. Ensuite, sur les 50 initiatives rencontrées, si plus du tiers (19 sur 50) s’inscrivent dans une stratégie « volume et diversité » (Boyer & Freyssenet, 2000) avec l’objectif d’ouvrir en supermarché, sept s’interrogent encore et quasiment la moitié des initiatives ne le souhaitent pas ou plus (24 sur 50), notamment par crainte d’un isomorphisme mimétique (DiMaggio & Powell, 1983) avec la grande distribution.
27On observe également des disparités en termes de statuts : certaines sont sous forme coopérative et d’autres en association, mais également en termes de nombre de membres. Alors que le supermarché La Louve compte 9000 membres, le supermarché SuperQuinquin de Lille 1730, la supérette La Cagette de Montpellier 3700, d’autres initiatives comme l’épicerie Les Oies Sauvages de Colmar dénombre seulement 160 membres. Ces différences s’expliquent notamment par les choix réalisés par les porteurs et porteuses de projet, notamment en ce qui concerne les stratégies d’implantation. La représentation cartographique que nous avons réalisée suggère qu’outre une concentration d’initiatives en région parisienne, la majorité des initiatives qui composent le réseau sont dispersées sur le plan géographique (Carte 1). Les stratégies divergent en premier lieu par rapport aux bassins de population ciblés. Certaines sont implantées dans des métropoles comme Paris, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux quand d’autres investissent des villes plus modestes comme Brest, Saint-Nazaire, Charleville-Mézières, Colmar ou Annecy. Dès lors, le nombre de membres potentiels n’est pas le même suivant le bassin d’implantation choisi.
Carte 1 : Carte des magasins coopératifs et participatifs français
Source : Grassart, 2023.
28Le recours à une importante main-d’œuvre bénévole étant une condition de la pérennité du modèle économique, plusieurs fondateurs rencontrés se montrent réservés quant à la possibilité d’une reproduction de celui-ci dans des territoires peu peuplés. Elles se distinguent également de par la localisation du magasin au sein des agglomérations d’implantation. On trouve des initiatives en centre-ville, malgré l’absence notable de parking pour beaucoup d’entre elles, mais aussi en périphérie comme leurs concurrents conventionnels. L’ensemble de ces éléments impacte l’amplitude horaire d’ouverture du magasin, le chiffre d’affaires, le volume des ventes, les capacités de négociation avec les fournisseurs ou encore les modalités et le coût des livraisons (franco de port).
29La prise de distance de certains projets vis-à-vis de quelques-uns des aspects socio-productifs de l’expérience PSFC résulte de considérations différentes quant à la manière de se distinguer des circuits conventionnels. Les disparités dans les promesses de différence élaborées par chaque initiative se traduisent par la mise en œuvre de stratégies et donc de configurations socio-productives différentes de celles préconisées par La Louve. Elles visent alors autant à s’autonomiser de la grande distribution que de l’initiative pionnière et de celles qui empruntent son sillon.
- 17 Nous entendons par travail rémunéré le travail s’exerçant dans le cadre de contrats à durée déterm (...)
- 18 Il s’agit de figures-repoussoirs dont l’organisation tend à s’autonomiser, c’est-à-dire imposer un (...)
30En ce qui concerne la relation de travail, si toutes les expériences fonctionnent sur un principe participatif, certaines préfèrent employer une main-d’œuvre exclusivement bénévole. Alors que le modèle institué par La Louve nécessite que les aspects logistiques et la participation soient coordonnés par une équipe salariée, certains magasins refusent l’embauche de salariés. Ainsi, plus du tiers des établissements enquêtés (17 sur 50) ne recourent pas à du travail rémunéré pour mener leur activité17. Pour près du quart d’entre eux (12 sur 50), l’étape à laquelle elles se situent dans leur développement ne leur permet pas d’embaucher, mais elles l’envisagent par la suite. Deux sont indécises, tandis qu’il s’agit d’un refus délibéré pour les trois autres. Les raisons avancées sont de deux ordres : financier d’une part, avec le risque de contraindre économiquement la structure, et démocratique d’autre part, avec la crainte d’instaurer une inégalité statutaire entre les membres. Ces tensions internes quant au recours au salariat dans un modèle participatif s’incarnent de façon externe dans d’autres solutions distributives émergentes : c’est ce que Sébastien Chauvin appelle des spectres18 (Chauvin, 2007). Ces critiques sont notamment exprimées dans le modèle alternatif des coopératives alimentaires autogérées. Initié par l’enseigne Diony Coop, il s’agit d’un magasin qui se définit comme un espace sans salarié. Sur son site internet, la fédération des coopératives alimentaires autogérées explique s’opposer : « à la grande distribution et aux diverses expériences qui cherchent à mélanger la carpe et le lapin, à savoir faire du néolibéralisme avancé en permettant à certains de se rémunérer sur le travail bénévole des autres ». Se joue une bataille entre ces deux modalités d’organisation afin de se distinguer l’une de l’autre et de courtiser des projets en cours de création. D’un côté, l’un des promoteurs de Diony Coop, Jean-Claude Richard, décrit le modèle des supermarchés coopératifs et participatifs comme « compliqué », avec une offre alimentaire trop peu restrictive, des amplitudes d’ouverture trop importantes qui contraignent l’organisation à l’embauche et à l’efficacité pour être rentable (Richard, 2022). De l’autre, les initiatives rencontrées qui affirment leur filiation avec La Louve s’opposent frontalement au fonctionnement organisationnel et aux modalités de gouvernance des coopératives alimentaires autogérées, comme en témoigne l’extrait suivant.
– Je pense qu’on est fondamentalement en désaccord avec ceux qui se réclament du modèle, mais qui ne… qui n’en sont pas et qui adhèrent à… On ne peut pas être en accord avec le modèle de La Louve, et en même temps être membre de Diony-Coop, c’est antinomique, c’est pas possible.
– Pour quelles raisons ?
- 19 Extrait d’entretien avec la fondatrice du Chaudron Coop, Le Chesnay-Rocquencourt, novembre 2021.
– C’est philosophique. L’équipe fondatrice du modèle de Diony-Coop, c’est une équipe anarchiste. C’est politique. Ils sont anarchistes. La Louve, c’est pas du tout un modèle anarchiste, c’est un modèle très structuré. C’est un modèle démocratique, c’est pas un modèle anarchique, anarchiste. Et donc je pense que là, il y a vraiment quelque chose qui n’est pas cohérent19.
31La politique-produit et l’organisation productive sont également clivantes entre les initiatives, autant qu’en leur sein. Alors que le modèle défendu par La Louve n’interdit aucun produit à la vente, nombreuses sont les initiatives qui établissent des « chartes produits » afin de favoriser l’achat de produits biologiques, équitables, sans emballage ou locaux. Sur l’ensemble des initiatives, plus de la moitié (27 sur 50) ne proposent pas de gamme conventionnelle, premier prix, issue de l’agro-industrie, dix élaborent une gamme partielle généralement pour les produits jugés de première nécessité comme les pâtes ou le riz, et seulement un peu plus du quart (13 sur 50) proposent plusieurs gammes, dont une avec des produits conventionnels (Graphique 1). Ces disparités s’expliquent, en partie, par un avancement différent dans le cycle de vie du projet, comme on l’a déjà suggéré supra, mais aussi par des choix politiques divergeants. Ainsi, si pour certaines il faut offrir les mêmes services qu’un supermarché conventionnel en élaborant une stratégie « volume et diversité » (Boyer & Freyssenet, 2000) afin d’attirer tous les profils de consommateurs, pour d’autres la promesse de différence vis-à-vis de la grande distribution s’inscrit dans la proposition d’une offre alternative à leurs concurrents conventionnels.
Graphique 1 : Gamme conventionnelle et magasins coopératifs et participatifs
Source : Grassart, 2023.
32De même, le choix des fournisseurs est un sujet qui fait débat entre les magasins coopératifs et participatifs rencontrés. Si pour La Louve le recours à des plateformes pour s’approvisionner est bénéfique, tant d’un point de vue logistique et organisationnel qu’environnemental, nombre de ses consœurs souhaitent limiter leur recours. En effet, parmi les initiatives rencontrées certaines inscrivent leur démarche dans des circuits courts alimentaires en favorisant la fourniture auprès de producteurs en direct et souvent locaux. Un choix qui amène à multiplier les intermédiaires, le nombre de commandes à réaliser, le nombre de livraisons pour approvisionner le magasin et qui ne permet pas d’élaborer une stratégie « volume » pour maintenir les prix bas (Boyer & Freyssenet, 2000). Par exemple, parmi les initiatives qui s’inscrivent dans le sillon de La Louve, comme le supermarché SuperQuinquin ou la supérette Le Chaudron, le nombre moyen de produits achetés auprès d’un fournisseur est respectivement de 56 et 67. La fourniture du magasin repose principalement sur le recours à des plateformes, tandis que le recours aux fournisseurs en direct vient en complément pour offrir une gamme locale. En revanche, pour les initiatives les plus critiques vis-à-vis de cet aspect du modèle, le nombre moyen de produits achetés auprès des fournisseurs est significativement plus faible : il s’élève à 12 pour le supermarché Scopéli et à 13 pour l’épicerie La Cambuse. L’offre alimentaire se constitue alors principalement à partir de produits achetés directement auprès du producteur, majoritairement local, et le recours aux plateformes se fait uniquement pour les produits introuvables par d’autres biais. Cette différence dans le recours aux plateformes interroge les fondements du modèle, sa mise en œuvre et la dénomination même de certaines initiatives comme des projets de création de supermarchés coopératifs et participatifs, comme en témoigne l’extrait suivant :
– Il n’y a pas de débat, un supermarché c’est des grossistes, il faut arrêter. Pour moi cette fausse question de grossistes contre producteurs, c’est pas une question. Un approvisionnement c’est des grossistes aujourd’hui, ça marche comme ça, ou alors tu fais une boutique de producteurs, ça c’est autre chose ça, c’est un autre projet […] Enfin… pardon, je, je n’en reviens toujours pas qu’aujourd’hui des gens se posent la question dans le montage d’un SUPERMARCHÉ coopératif, de ne pas avoir de grossistes.
– Ce qui revient souvent dans les entretiens c’est : “on est contraint, mais on fait en sorte d’éviter au maximum, dès qu’on peut éviter, on évite”.
– Mais pourquoi ?
– Ce serait plus vertueux de passer par du direct.
- 20 Extrait d’entretien avec le fondateur de Graouccop, Metz, et co-fondateur de La Cagette, Montpelli (...)
– Ah bon ? Tu as 50 mecs qui viennent avec leurs camionnettes en diesel te livrer c’est plus vertueux ? En terme écologique, non, mais pose-toi la question, la logistique, personne ne pense à la logistique, réfléchissez les mecs, et les meufs. C’est, c’est vertueux ? Tu as un supermarché, tu ne vas pas aller chercher les produits chez le producteur20 !
33Ici encore, on retrouve un esprit proche de celui d’autres modèles alternatifs qui se structurent à une échelle plus fine, comme Monépi, un réseau d’épiceries associatives et participatives créées et gérées par les adhérents qui se nomment des « épis ». Sur le site web du réseau, on peut lire « les solutions alternatives à la grande distribution sont peu nombreuses et il est actuellement difficile de se procurer des produits à la fois locaux, de qualité, et bon marché, tout en respectant l’environnement ». Il y est expliqué que si « certaines solutions existent, tels que les AMAP, les groupements d’achat, les marchés et les magasins de producteurs, ces circuits courts sont souvent coûteux en temps et en déplacements. Chacune présente des avantages, et nous avons cherché à les réunir dans un nouveau modèle replacé au cœur des quartiers et villages21. » La promesse de différence vis-à-vis des circuits conventionnels et d’autres modèles alternatifs, réside dans le fait de trouver une solution distributive en la présence d’un magasin de proximité qui permet de mettre en relation des producteurs locaux et des citoyens. Ce sont principalement des collectifs de consommateurs, appuyés par des municipalités, qui sont à l’origine de la création d’épis. Exclusivement gérées par des bénévoles, les initiatives du réseau bénéficient d’outils informatiques et de solutions logicielles pour conduire les activités de vente. À l’inverse du modèle défendu par La Louve, il ne s’agit pas d’offrir aux consommateurs une diversité de gammes à la manière des grandes surfaces, mais de permettre aux consommateurs d’accéder à une offre locale de produits qui ne vise pas la complétude.
34Au sein du réseau étudié, émerge d’un côté une critique des initiatives qui revendiquent une filiation avec La Louve mais qui ne s’inscriraient pas pleinement dans la stratégie élaborée et promue à partir de l’expérience américaine. De l’autre, les initiatives les plus proches d’autres solutions distributives alternatives considèrent que le développement de l’initiative pionnière est marqué par une forme de conventionnalisation en raison des similitudes que revêtent les stratégies déployées (Le Velly, Dufeu, & Le Grel, 2016). Alors que l’objectif partagé est de se différencier de la grande distribution, les diverses configurations socio-productives observées entravent la spécification des singularités du modèle vis-à-vis de concurrents alternatifs. Malgré le travail de préfiguration des fondateurs de La Louve pour permettre la transposition de l’expérience PSFC en France, on constate l’absence d’un compromis de gouvernement stabilisé entre ces organisations qui se disent affiliées, ce qui se traduit par un manque de formalisation en ce qui concerne l’emploi même de la dénomination « supermarché coopératif et participatif ».
35Au début du xxe siècle, le paysage commercial français est morcelé : les coopératives de consommation sont l’une des modalités de la distribution alimentaire, aux côtés des chaînes succursalistes et du commerce indépendant. Issues du mouvement ouvrier, elles ont permis à leurs membres de gagner en pouvoir d’achat et d’avoir accès à des biens alimentaires de qualité. Or, aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, le secteur connait des processus d’industrialisation et de rationalisation qui ont participé à modifier les conditions de la concurrence. Ces changements institutionnels ont favorisé la marginalisation des coopératives de consommation au profit des grandes surfaces commerciales telles que les supermarchés et les hypermarchés. Au début du xxie siècle, ces modalités de distribution connaissent toutefois une période de crise, à la fois économique, sociale et symbolique. Ce contexte est alors propice à l’émergence d’initiatives se présentant comme des critiques en acte vis-à-vis du modèle dominant (Bodet & Lamarche, 2020). Elles interviennent au sein de la sphère productive afin d’expérimenter de nouvelles façons d’organiser la production et les échanges. C’est notamment le cas des supermarchés coopératifs et participatifs, dont le modèle se structure et essaime en France ces dix dernières années sous l’impulsion de La Louve. Son objectif est de visibiliser les écueils du modèle dominant en contestant, en pratiques, la grande distribution par la formulation d’une promesse de différence. Dans le lignage de l’initiative américaine Park Slope Food Coop, il s’agit de réactualiser le modèle coopératif hérité du xixe siècle tout en s’appropriant le format du supermarché. Le modèle qui en résulte consiste à élaborer des formes de coproduction de l’offre commerciale entre les membres de la coopérative tout en offrant les mêmes services que les concurrents conventionnels. La détermination de la stratégie et des caractéristiques du modèle par l’initiative française pionnière avait pour but de favoriser son essaimage sur le territoire par d’autres collectifs de consommateurs, mais également de se distinguer d’autres systèmes de distribution émergents. À la manière du mouvement Coop d’antan, il s’agissait de favoriser des formes de mutualisation au sein d’un réseau aux initiatives semblables, constitué aux marges du modèle capitaliste dominant. Malgré une promesse de différence partagée et des caractéristiques communes, les stratégies et les configurations socio-productives mises en place par les magasins coopératifs et participatifs divergent, tant par leur politique-produit, leur organisation productive que leur relation de travail. Le modèle établi par La Louve s’apparente plutôt à un idéal type, basé sur le cas d’école PSFC, finalement assez peu représentatif des expériences concrètes éprouvées par les divers collectifs qui s’en inspirent. Pour l’heure, les stratégies de différenciation mises en œuvre ne permettent pas d’identifier l’émergence d’un modèle socio-productif, spécifique et autonome. Malgré l’existence de rencontres, de canaux de discussion et d’échanges entre les différentes coopératives, ce réseau semble assez divisé, tout à la fois en termes de discours, de croyances que de pratiques. Les processus actuels de définition et de construction du modèle résultent autant de coopération entre les initiatives que de conflits vis-à-vis des stratégies à élaborer (Lamarche et al., 2021). Cette diversité, aussi riche soit-elle, ne permet pas d’aboutir à un unique compromis de gouvernement entre les initiatives du réseau. Elle est symptomatique de la porosité des frontières de ce mode d’organisation vis-à-vis d’autres modèles émergents, eux aussi critiques vis-à-vis des dynamiques économiques dominantes du secteur de la distribution alimentaire.