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De Crésus à Nakamoto, comment émergent les monnaies : entre pratiques et théories

Date limite de soumission des articles : 30 mai 2025. Coordination : Pierre ALARY et Jérôme BLANC

Les recherches en sciences sociales offrent un vaste panorama de travaux sur la monnaie. Elles mettent l’accent sur ses multiples facettes, mais abordent assez peu les conditions d’émergence des monnaies. Dans une perspective pluridisciplinaire, cet appel à articles cherche à éclairer l’émergence et les conditions d’existence des monnaies et des dispositifs qui leur sont associés. Les contributions devront prendre la forme d’études de cas (de très anciens à contemporains) et/ou contribuer à une montée en généralités, à partir d’approches économiques mais également anthropologiques, historiques, juridiques, politistes ou sociologiques.

Des travaux sur la monnaie à la question de l’émergence des monnaies

La signification sociale des monnaies est irréductible aux rapports marchands : « à tout social différent, monnaie différente » (Orléan, 2002, p. 33). Les sciences sociales contemporaines, parmi lesquelles l’économie institutionnaliste, ont porté leur attention sur : l’articulation de la souveraineté, de la légitimité, de la dette et de la confiance (Aglietta & Orléan, 1995 ; 1998) ; la souveraineté monétaire et les configurations politiques différenciées de la monnaie (Théret & Cuillerai, à paraître) ; la construction d’ordres monétaires articulant compromis sociaux et autonomie des acteurs (Bloch & Parry, 1989 ; Crump, 1981 ; Hogendorn & Johnson, 1986 ; Zelizer, 1994) ; les liens avec des projets monétaires transformateurs visant, pour certains, des formes d’émancipation (Barinaga, 2024 ; Caliskan, 2020 ; Desan, 2017 ; Diniz et al., 2024 ; Fama & Musolino, 2020 ; Feinig, 2022 ; Fare, 2025). L’accent est de plus en plus mis sur la pluralité des objectifs doublée par une grande diversité de formes monétaires et d’émetteurs (Blanc, 2000 ; Blanc & Théret, 2025 ; Gómez, 2019 ; Kuroda, 2020) que révèlent les crises monétaires (Théret, 2007). En d’autres termes, les analyses postulant l’unicité de la monnaie et l’homogénéité de ses manifestations ne font pas écho à cette « explosion cambrienne des paiements » observée par Maurer (2017). C’est dans ce contexte que cet appel sollicite des travaux sur la séquence particulière qui correspond à l’émergence d’une monnaie, sur un plan empirique en s’appuyant sur des cas d’étude, mais également dans une perspective épistémologique en interrogeant les constructions théoriques de la genèse des monnaies.

Sur un plan empirique : des cas d’émergence de monnaies

L’appel couvre toutes les formes de monnaies, toutes les périodes historiques (pré-antiques, antiques, féodales, contemporaines) et toutes les aires culturelles quelles que soient les organisations qui les conçoivent et mettent en œuvre (un État ou plusieurs États comme pour l’euro ; des entités privées parmi lesquelles des banques, des firmes ou des associations de citoyens, etc.). L’appel concerne notamment des formes électroniques de monnaie (certaines cryptomonnaies, les monnaies numériques de banque centrale, etc.) tout comme les moyens électroniques de circulation (les monnaies mobiles, les portemonnaies électroniques, etc.) ainsi que les monnaies dites alternatives (Blanc, 2018). Les réponses pourront tout particulièrement prendre la forme de monographies.

Le processus d’élaboration d’une monnaie, en tant qu’infrastructure de nature sociotechnique, requiert à priori un travail à trois niveaux. Un premier travail est de nature politique : il concerne les fondements politiques de la création d’une monnaie et la manière dont elle affecte le compromis monétaire, c’est-à-dire à qui revient les droits d’émission et d’usage de la monnaie. Les cas des assignats (Sicard, 2000), du bitcoin (Lakomski-Laguerre & Desmedt, 2015) ou du palmas (Rigo & França Filho, 2017) résultent de projets politiques très différents. Le second niveau porte sur le processus de définition de l’unité de compte ; sur les règles de monnayage des moyens de paiement (par le crédit, par la dépense, par le don...) ; sur les règles de leur retrait (par exemple via la fiscalité...) ; enfin, pour éviter la contrefaçon (Coativy, 2020) et les paiements abusifs, sur les technologies de matérialisation des moyens de paiement et de passation des paiements. Enfin, le dernier niveau met l’accent sur la manière dont les usagers sont conduits à recevoir et utiliser les moyens de paiement. La contrainte et la liberté de choix s’articulent et donnent lieu à des logiques de concurrence et de complémentarité. Ces dernières jouent sur l’étendue et la dynamique des usages monétaires (Blanc, 2017).

Dans une perspective épistémologique : la genèse des monnaies

La fable du troc provient d’approches réifiant la monnaie et dont les germes sont très anciens (Codere, 1968 ; Moreau, 1969), développées à la période classique, approfondies par Jevons, retravaillées par Menger et reprises dans les modèles de prospection (dits de search) des années 1990. La fable persiste au titre de vérité non démontrée et irrigue toujours les représentations communes et celles de certains économistes (Servet, 1994 ; Graeber, 2011). Les analyses critiques de ces approches orthodoxes intéressent cet appel, tout comme les analyses critiques des positions hétérodoxes partant d’autres conceptions de la genèse des monnaies. Les courants chartalistes et leurs suites contemporaines sous la forme de la Théorie moderne de la monnaie (MMT) mettent l’accent sur l’origine étatique de la monnaie et sur sa dimension politique (Knapp, 1905 ; Tymoigne & Wray, 2014). Ils convergent, à certains égards, avec les approches post-keynésiennes, qui insistent sur le rôle des banques et du crédit dans son émergence (Rossi et Ponsot, 2009 ; Lavoie, 2022). D’autres courants, marxistes, insistent sur la combinaison structurante du pouvoir financier et du pouvoir étatique dans la construction des systèmes monétaires (Moseley, 2005 ; Lapavitsas, 2016). Enfin, les approches institutionnalistes évoquées plus haut proposent un renouvellement de la théorie de l’apparition des monnaies (Orléan, 2013).

Dans ce contexte, sous ses différentes déclinaisons, il s’agit d’interroger la manière dont ces théories pensent le phénomène d’émergence des monnaies.

Calendrier

Date limite de soumission des articles : 30 mai 2025.

Publication prévisionnelle en 2026.

Les articles sont à envoyer par courrier électronique, avec pour objet de l’email : « CFP émergence des monnaies », aux adresses suivantes :

revue.regulation@mshparisnord.fr

pierre.alary@univ-lille.fr

jerome.blanc@sciencespo-lyon.fr

Il est demandé de suivre soigneusement les instructions aux auteurs, y compris les recommandations éditoriales (formats et styles), dont on trouvera le détail sur le site : https://journals.openedition.org/regulation/1701

Bibliographie

Aglietta M. & A. Orléan (dir.) (1995), Souveraineté et légitimité de la monnaie. Paris, A.E.F. / C.R.E.A.

Aglietta M. & A. Orléan (dir.) (1998), La monnaie souveraine. Paris, Odile Jacob.

Barinaga Martín E. (2024), Remaking Money for a Sustainable Future: Money Commons, Bristol, Bristol University Press.

Blanc J. (2000), Les Monnaies parallèles : unité et diversité du fait monétaire, Paris, L’Harmattan.

Blanc J. (2017), “Unpacking monetary complementarity and competition : a conceptual framework”, Cambridge Journal of Economics, vol. 41, no 1, p. 239-257.

Blanc J. (2018), Les Monnaies alternatives, Paris, La Découverte.

Blanc J. & B. Théret (dir.), (2025), La Monnaie entre unicité et pluralité. Regards pluridisciplinaires et enjeux de théorisation, Paris, Classiques Garnier.

Bloch M. & J. Parry (1989), “Introduction: money and the morality of exchange” in Bloch M. & J. Parry, (dir.), Money and the Morality of Exchange. Cambridge: Cambridge University Press.

Caliskan K. (2020), “Data money: The socio-technical infrastructure of cryptocurrency blockchains”, Economy and Society, vol. 49, no 4, p. 540–561.

Coativy Y., (2020), « Les freins à l’innovation technologique dans la fabrication monétaire (Occident, Extrême-Orient, xvie-xxe siècle) », Dialogues d’histoire ancienne, p. 125-142.

Codere H., (1968), « Money-exchange systems and a Theory of Money », Man, New Serie, vol. 3, no 4, p. 557-577.

Crump T. (1981), The Phenomenon of Money, London, Boston & Henley: Routledge & Kegan Paul.

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