Navigation – Plan du site

AccueilAppels à contributionAppels en coursÉconomie politique des transforma...

Économie politique des transformations de la protection sociale

Date limite de soumission des articles : 28 février 2026.
Coordination : Nicolas Da Silva, Elvire Guillaud, Sandrine Michel et Mickaël Zemmour.

En tant que dispositifs institutionnels, les politiques de protection sociale présentent une forme de permanence ou de persistance. L’économie politique de la protection sociale produit des représentations stylisées des systèmes de protection sociale, opposant financement par les cotisations et financement par l’impôt, prestations ciblées et prestations universelles, revenus de remplacement et versements forfaitaires. Ces représentations stylisées sont utiles pour structurer notre réflexion : chacun connaît les grandes typologies utilisées pour comparer les systèmes de protection sociale (Bismarck/Beveridge ; Titmuss, 1974 ; Esping-Andersen, 1999 ; etc.). Mais ces catégories, enseignées et répétées, doivent être conjuguées avec l’analyse du changement si l’on veut rendre compte des transformations de la protection sociale.

C’est l’objet de ce numéro spécial que de chercher à caractériser analytiquement le changement institutionnel au sein de la protection sociale (André & Delorme, 1983 ; Boyer, 2003 ; Streeck & Thelen, 2005). Les grandes questions qui animent cet appel peuvent se résumer ainsi : quels sont les moteurs du changement ? Quelles formes prend le changement ? Quelles sont les conséquences économiques et politiques du changement ?

Les systèmes nationaux de protection sociale se transforment en permanence, à l’échelle agrégée, mais également dispositif par dispositif. Cette évolution est le fruit de multiples facteurs qui peuvent être discutés séparément ou conjointement. Pour tous les pays, la dynamique démographique modifie le type et la prévalence des besoins sociaux (Razing et al., 2002 ; Elbaum, 2014). Ces dernières années la question du vieillissement de la population a beaucoup occupé les esprits mais on peut aussi penser à la place de la jeunesse (Carbonnier & Palier, 2022). La dynamique économique est souvent présentée comme première : les institutions de la protection sociale structurent le marché du travail et sont structurées par lui (Boyer, 2015 ; Grégoire & Vivés, 2021). Les usages et pratiques des agents (entreprises, ménages) sont également susceptibles de redessiner la protection sociale. Les innovations technologiques portent le changement dans la protection sociale car elles créent des nouveaux besoins ou les traduisent dans un nouveau langage qui percute les façons de faire habituelles (dématérialisation, plateformisation, etc.) (Kappler, 2023). Les décisions de politique publique sont bien entendu au cœur du changement. Elles sont parfois discrètes, comme la transformation du mode d’indexation des retraites ou la mise sous condition de ressource de l’accès aux allocations familiales. Elles sont parfois introduites suite à l’instauration d’un rapport de force ouvertement politique comme pour l’individualisation de l’accès à l’Allocation adulte handicapé. Si la protection sociale est souvent présentée comme le produit de compromis, elle doit beaucoup au conflit (Amable & Palombarini, 2017 ; Obinger et al., 2018). Richard Titmuss a par exemple beaucoup insisté sur le rôle du conflit militaire dans le développement de la protection sociale en Europe (Titmuss, 2018). Cet enjeu est d’autant plus important que les dernières tensions géopolitiques mondiales tendent à imposer l’idée d’un arbitrage entre dépense militaire et dépense sociale sur le thème “guns or butter” (Gal, 2007 ; Skaperdas & Syropoulos, 2001). La théorie économique peut nourrir les projets de réformes et les réformes d’une représentation du comportement des acteurs. C’est par exemple le cas de l’assurance chômage qui peut être conçue comme un obstacle à la reprise de l’emploi lorsque l’on considère les individus comme des calculateurs rationnels, c’est-à-dire des fraudeurs en puissance. En plus des effets performatifs de la théorie économique, le débat public peut être orienté par tout un ensemble de discours qui s’éloignent de ce que disent les connaissances existantes. Ce type d’effet de cadrage (ou d’agenda) a été discuté en France autour de l’expression « trou de la Sécu » (Dubois, 2014 ; Duval, 2020) mais les « idées reçues » sur les politiques sociales sont très nombreuses en France (Dujarier, 2023) comme dans les autres pays (Jensen & Wenzelburger, 2021).

Le changement dans l’ordre de la protection sociale peut prendre diverses formes dans le temps et dans l’espace. Le type de prestation peut évoluer, par exemple, avec la tendance prêtée au néolibéralisme de préférer les transferts en espèce par rapport aux transferts en nature tant dans les pays du nord que dans les pays du sud (Jäger & Zamora Vargas, 2023). La population concernée par les prestations peut changer fortement selon que la politique publique favorise le ciblage ou l’universalisation. En particulier, dans un contexte de montée des extrêmes droites en Europe et dans une grande partie du monde, la place des étrangers, en situation régulière ou non, dans les systèmes de protection sociale est à interroger (Greve, 2021). L’articulation entre le privé et le public reste un point central des analyses sur le changement dans la protection sociale : marchandisation, financiarisation, etc. La place de la sphère domestique (Morel, 2007 ; Théret, 1996) et associative se modifie également en réaction à la fluctuation du marché et du service public (Hély & Simonet, 2023 ; Krinsky & Simonet, 2017). Ces mouvements redéfinissent le travail gratuit, entre nécessité subie et volonté choisie de contribuer autrement au bien-être collectif. La gouvernance est un autre point focal des travaux sur les transformations de la protection sociale notamment en Europe (Palier, 2010) : étatisation, place des caisses professionnelles, des communes et autres collectivités locales. Le financement de la protection sociale est un sujet majeur avec les enjeux autour de la fiscalisation du social welfare ou encore du partage public-privé pour les investissements nouveaux. Le changement de la protection sociale, c’est aussi penser les nouvelles frontières. En plus du cas de la dépendance et de l’extension de la sécurité sociale au détriment des complémentaires santé, ces dernières années des projets de sécurité sociale de l’alimentation et des risques climatiques ont émergé.

Les transformations de la protection sociale s’inscrivent dans les mutations du capitalisme. Plusieurs approches théoriques cherchent à comprendre les articulations entre ces deux mouvements. Pour la théorie de la régulation en particulier, les politiques liées à la protection sociale peuvent permettre de faciliter l’accumulation du capital dans le cadre de compromis institutionnalisés (André, 2002 ; Michel & Vallade, 2007). Les bouleversements dans le champ de la protection sociale sont alors inséparables des modifications importantes que connait le rapport salarial mais aussi les autres formes institutionnelles du régime d’accumulation en vigueur (Marie & Michel, 2024). La dégradation du rapport salarial fordiste (chômage, précarité, flexibilité, plateformisation, etc.) implique inévitablement une pression sur les formes traditionnelles de la protection sociale et appelle une remise en cohérence institutionnelle. Celle-ci peut se donner à voir à un niveau macro avec, par exemple, l’hypothèse du capitalisme anthropogénique (Boyer, 2015), mais aussi au niveau méso, où, par exemple, se développent des formes originales de la production et de la protection (Gallois, 2023 ; Lamarche & Richez-Battesti, 2023).

Les contributions à ce numéro spécial pourront porter sur un système national de protection sociale ou s’appuyer sur des comparaisons internationales, proposer une réflexion à l’échelle d’un risque social ou se focaliser sur un dispositif en particulier. Le comité de rédaction sera particulièrement attentif aux propositions qui s’intéressent à l’échelle internationale ou qui portent sur des pays dont les institutions sont peu connues (par exemple l’Aadhaar en Inde, ou le crédit social en Chine). Les contributions chercheront à établir une démonstration méthodique des changements intervenus et à les caractériser analytiquement. Elles chercheront également à identifier les causes économiques, politiques ou idéologiques des changements intervenus et/ou à mesurer les conséquences d’un changement spécifique sur le fonctionnement de l’économie, ou sur les agents. La protection sociale a, par exemple, un impact sur le niveau et la qualité de la production de richesses, mais aussi sur les inégalités de revenu, en fonction du genre, de l’origine ethnique, du territoire, etc. Les propositions pourront s’appuyer sur le vaste pluralisme des approches théoriques en économie (théorie de la régulation, économie des conventions, postkeynésien, etc.) mais elles pourront aussi provenir de toute discipline des sciences sociales et utiliser des méthodes quantitatives ou qualitatives.

Calendrier

Date limite de soumission des articles : 28 février 2026.

Publication prévisionnelle en 2027.

Modalités de soumission des articles :

https ://ojs.openedition.org/index.php/regulation/index

Pour toute question écrire à l’adresse suivante :

revue.regulation@mshparisnord.fr

Il est demandé de suivre soigneusement les instructions aux auteurs, y compris les recommandations éditoriales (formats et styles), dont on trouvera le détail sur le site : https ://journals.openedition.org/regulation/1701

Bibliographie

Amable B. & S. Palombarini (2017), L’illusion du bloc bourgeois. Alliances sociales et avenir du modèle français, Paris, Raisons d’agir.

André C. & R. Delorme (1983), L’État et l’économie. Un essai d’explication de l’évolution des dépenses publiques en France 1870-1980, Paris, Édition du seuil.

André C. (2002), « État providence et compromis institutionnalisés. Des origines à la crise contemporaine » dans Théorie de la régulation, l’état des savoirs, vol. 2, Paris, La Découverte, p. 144‑152.

Boyer R. (2003), « Les analyses historiques comparatives du changement institutionnel : quels enseignements pour la théorie de la régulation ? », L’Année de la régulation no 7, p. 167‑203.

Boyer R. (2015), « L’essor du secteur de la santé annonce-t-il un modèle de développement anthropogénétique ? », Revue de la régulation, no 17, URL : https://journals.openedition.org/regulation/11159

Carbonnier C. & B. Palier (2022), Les femmes, les jeunes et les enfants d’abord. Investissement social et économie de la qualité, Paris, Presses universitaires de France.

Dubois V. (2014), “The economic vulgate of welfare reform. Elements for socioanthropological critique”, Current Anthropology, vol. 55, no 59, p. 138146.

Dujarier M. A. (dir.) (2023), Idées reçues sur le travail. Emploi, activité, organisation, Paris, Le Cavalier Bleu.

Duval J. (2020), Le mythe du trou de la Sécu, Paris, Raisons d’agir.

Elbaum M. (2014), Économie politique de la protection sociale, Paris, Presses universitaires de France.

Esping-Andersen G. (1999), Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne, Paris, Presses universitaires de France.

Gal J. (2007), “The Puzzling Warfare—Welfare Nexus”, War & Society, vol. 26, no 1, p. 99118.

Gallois F. (2023), « Les associations du secteur social et médico-social : une analyse par les médiations institutionnelles », Revue de la régulation, no 34, en ligne.

Grégoire M. & C. Vivés (2021), « L’assurance chômage de 1979 à 2021 : quelles évolutions des droits? », La Revue de l’IRES, vol. 105, no 3, p. 25‑59.

Greve B. (ed) (2021), Handbook on Austerity, Populism and the Welfare State, Cheltenham, Edward Elgar Publishing.

Hély M. & M. Simonet (dir.) (2023), Mondes associatif et néolibéralisme, Paris, Presses universitaires de France.

Jäger A. & D. Zamora Vargas (2023), Welfare for Markets. A Global History of Basic Income, Chicago, University of Chicago Press.

Jensen C. & G. Wenzelburger (2021), “Welfare state reforms and mass media attention: Evidence from three European democracies”, European Journal of Political Research, vol. 60, no 4, p. 914933.

Kappler K. (2023), “E-health and the digitization of health”, in Diaz-Bone R. & G. de Larquier (eds.), Handbook of Economics and Sociology of Conventions, Springer, online first.

Krinsky J. & M. Simonet (2017), Who Cleans the Park? Public Work and Urban Governance in New York City, Chicago, University of Chicago Press.

Lamarche T. & N. Richez-Battesti, « Produire est politique : les coopératives, levier de transformation », Revue de la régulation, no 34, URL : https://journals.openedition.org/regulation/22341

Marie J. & S. Michel (2024), « Rapport salarial : redécouvrir la centralité de ses enjeux », Revue de la régulation, Appel à communication, URL : https://journals.openedition.org/regulation/22869

Michel S. & D. Vallade (2007), « Une Analyse de long terme des dépenses sociales », Revue de la régulation, no 1, URL : https://journals.openedition.org/regulation/1507

Morel N. (2007), « Le genre des politiques sociales. L’apport théorique des “gender studies” à l’analyse des politiques sociales », Sociologie du travail, vol. 49, no 3, p. 383‑397.

Obinger H., Petersen K. & P. Starke (eds.) (2018), Warfare and Welfare: Military Conflict and Welfare State Development in Western Countries, Oxford, Oxford University Press.

Palier B. (2010), A Long Goodbye to Bismarck? The Politics of Welfare Reform in Continental Europe, Amsterdam, Amsterdam University Press.

Razin A., Sadka, E. & P. Swagel (2002), “The aging population and the size of the welfare state”, Journal of Political Economy, vol. 110, no 4, p. 900918.

Skaperdas S. & C. Syropoulos (2001), “Guns, butter, and openness: on the relationship between security and trade”, American Economic Review, vol. 91, no 2, p. 353357.

Streeck W. & K. Thelen (eds) (2005), Beyond Continuity: Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press.

Théret B. (1996), « Les structures élémentaires de la protection sociale », Revue française des affaires sociales, vol. 50, no 4, p. 165‑188.

Titmuss R. M. (1974), Social policy, London, Allen and Unwin.

Titmuss R. M. (2018), Essays on the welfare state, Bristol, Policy Press.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search