Navigation – Plan du site

AccueilNuméros38Dossier « Rapport salarial »Assurance chômage, discontinuité ...

Dossier « Rapport salarial »

Assurance chômage, discontinuité de l’emploi et rapport salarial

Unemployment insurance, the wage-labour nexus and fragmented employment
Seguro de desempleo, discontinuidad del empleo y relación salarial
Emmanuelle Bénicourt et Sabina Issehnane

Résumés

Résumé : La question du « retour du rapport salarial » ne peut s’appréhender sans analyser la place des consommations collectives et de la protection sociale, dont les dépenses d’assurance chômage. En tant que composante du salaire indirect, l’assurance chômage participe au maintien de la consommation et du niveau de vie des demandeurs d’emploi. Elle joue ainsi un rôle dit de stabilisateur automatique et constitue un moyen de lutter contre la pauvreté. Cependant le régime d’assurance chômage constitue aussi une modalité institutionnelle de contrôle et de hiérarchisation des forces sociales. Cet article présente les liens entre les notions de rapport salarial et d’assurance chômage. Il souligne les principales évolutions ayant traversé l’assurance chômage depuis sa création en 1958 en les reliant à leurs conséquences sur le rapport salarial. L’accélération des réformes depuis 2017 a été rendue possible par la fiscalisation croissante du régime d’assurance chômage et par le cadrage étatique des négociations. La transformation de la prise en charge du risque chômage en raison de la croissance du nombre d’allocataires qui travaillent, le durcissement des règles de l’assurance chômage, et la diminution de la couverture des demandeurs d’emploi ont affecté la situation des chômeurs, mais aussi celle de l’ensemble des travailleurs. Face à la croissance de la discontinuité de l’emploi, l’analyse d’un secteur particulier, celui des artistes et techniciens du spectacle, lui aussi marqué par la discontinuité des périodes travaillées, questionne enfin la manière dont l’assurance chômage peut garantir une meilleure sécurisation matérielle aux « travailleurs intermittents ». 

Haut de page

Texte intégral

1Les analyses économiques régulationnistes du rapport salarial (RS) – défini comme « l’ensemble des conditions qui régissent l’usage et la reproduction de la force de travail, qu’il s’agisse de l’organisation du procès de travail, de la hiérarchie des qualifications, de la mobilité de la force de travail ou encore de la formation et de l’utilisation du revenu salarial » (Boyer, 1980, p. 5) – ont investi l’étude d’un nombre important de ses composantes ou expressions, via l’étude du salaire indirect (Saillard, 2002), des consommations collectives (Michel & Vallade, 2007 ; Michel, 2023), des règles salariales (Reynaud, 1990, 2002) ou encore des systèmes d’emploi (Bertrand, 2002). Cependant, la place et le rôle de la protection sociale, et de l’assurance chômage en particulier, restent peu étudiés. Reynaud (2002, p. 135) souligne ainsi le manque de travaux sur le rôle des institutions dans la formation du salaire. Du Tertre (2013, p. 25) relève quant à lui la marginalisation progressive du rapport salarial dans les recherches régulationnistes dès les années 1990, au profit d’analyses axées sur l’emploi et les formes de la concurrence dans les régulations sectorielles et territoriales.

2Les évolutions économiques du dernier demi-siècle – telles que le ralentissement de la croissance, l’extension du chômage, le développement des emplois atypiques ou encore la paupérisation des chômeurs – auraient pu conduire à ce que les évolutions du régime d’assurance chômage (RAC) soient étudiées et/ou mobilisées dans le cadre d’analyses sur le régime postfordiste. Depuis les années 1990, et plus encore depuis 2017, des réformes successives ont durci les conditions d’accès à l’indemnisation, en ont réduit la durée ou modifié le calcul. Un nouveau durcissement a été mis en œuvre le 1er avril 2025, alors que le RAC avait déjà subi deux réformes majeures en 2021 et 2023. Le RAC étant un stabilisateur essentiel en cas de crise et en raison de l’impact de ses réformes sur le rapport salarial (Boyer, 2002), notre contribution vise ainsi à enrichir les développements de la théorie de la régulation (TR) à l’aune de ces changements. Comment le RAC s’est-il transformé ? Comment ces évolutions s’inscrivent-elles dans celles du RS ?

3Nous explicitons pour commencer les liens entre les notions de rapport salarial et d’assurance chômage en insistant sur les pistes de recherche à explorer. Nous présentons dans un second temps les principales évolutions ayant traversé l’assurance chômage depuis sa création en 1958 en les reliant à leurs conséquences sur le rapport salarial. Nous nous intéressons tout particulièrement à celles qui transforment le RAC en réduisant la prise en charge du risque, tout en faisant aussi de l’allocation chômage un revenu de complément au nom de la logique d’activation. Nous nous appuyons enfin sur les règles spécifiques des intermittents du spectacle afin de questionner la manière dont l’assurance chômage opère différemment dans un secteur où l’emploi est particulièrement marqué par la discontinuité.

1. Quels liens entre régime d’assurance chômage et rapport salarial ?

1.1. La place du salaire indirect dans le rapport salarial fordiste

4Les mutations du rapport salarial, qu’il soit « fordiste » ou « postfordiste », ont fait l’objet d’études nombreuses. Elles ont notamment cherché à éclairer les modalités de fixation du salaire et leurs évolutions. Ces recherches concluent que ces modalités sont « marqué[e]s d’historicité : [elles] dépendent des configurations du rapport salarial et donc, in fine, des différents modes de régulation correspondant à chacun d’eux » (Reynaud, 2002, p. 135). Dans le rapport salarial fordiste, la place du salaire indirect est cruciale dans la régulation d’ensemble. C’est notamment par son biais qu’est réalisé l’ajustement entre les normes de production et de consommation d’après-guerre :

Jusqu’à 1973, la croissance des prestations sociales [« les salaires indirects »] a participé à la stabilité des revenus salariaux, au développement et à l’extension de la norme de consommation des ménages ; elle s’est accompagnée d’une forte augmentation des gains de productivité. […] La part prise par les composantes du salaire indirect dans les revenus salariaux participe, pendant la phase d’accumulation intensive, au rééquilibrage du mode de croissance (Saillard, 2002, p. 156).

5Le mode de régulation fordiste s’accompagne en effet d’une institutionnalisation de nouvelles conditions de production des forces productives qui permettent la poursuite de l’accumulation. Cela passe notamment par la croissance des consommations collectives (éducation, santé) et de la protection sociale (assurance maladie, assurance chômage, assurance vieillesse) qui participent alors à la montée absolue et relative du salaire indirect.

6Suivant Saillard, le salaire indirect correspond à une part socialisée du coût de la reproduction de la force de travail : « La distinction entre salaire direct et salaire indirect correspond alors à deux modes de reproduction complémentaires de la force de travail : par des dépenses de consommation individuelles et par un circuit de financement socialisé » (Saillard, 2002, p. 154). L’essor du salaire indirect dans le régime de régulation fordiste va conduire à plusieurs mouvements distincts. Il permet d’abord de stabiliser la demande : i) par les revenus de remplacement garantis dans le cadre de l’assurance socialisée de certains risques (vieillesse, maladie, chômage) et qui permettent de sécuriser les dépenses de consommation individuelles et ii) par la prise en charge socialisée de certaines dépenses liées à la reproduction de la force de travail (comme, par exemple, les consommations collectives en matière de santé). L’extension du salaire indirect contribue également à déconnecter (en partie) les revenus des salariés de leur situation au travail, amoindrissant par-là l’efficacité du salaire (direct) en tant qu’instrument de discipline sur les travailleurs (voir section 1.3 infra). Enfin, le financement de ces prestations (cotisations sociales ou impôt) a soulevé des questionnements sur les parts respectives de ces financements, sur leur dynamique et sur leurs conséquences (Boyer, 1979, p. 60‑61). Tandis que les prestations sociales participent à la reproduction élargie des forces productives et au soutien de la norme de consommation, leur financement porte cependant atteinte à la reproduction du capital, questionnant ainsi la soutenabilité du régime fordiste. Le RAC s’est en effet construit sur un modèle paritaire, lié à l’emploi, « qui donne lieu à des apprentissages institutionnels et procède d’une première forme de gestion démocratique, certes incomplète, du rapport salarial par l’intermédiaire des institutions supports de droits » (Michel, 2023, p. 143).

7L’essor du salaire indirect dans le régime fordiste s’éclaire du point de vue des compromis sociaux institutionnalisés autour du travail et de son exploitation. Comme le signalaient Devetter et Messaoudi (2013) :

[L]a construction du salariat fordiste repose sur au moins quatre éléments : un risque économique largement supporté par l’employeur, la prise en charge des frais professionnels par l’employeur, l’opposition entre un collectif de travailleurs et un employeur unique et enfin, un régime de disponibilité temporelle garantissant un temps de travail régulier et séparant travail et hors-travail en respectant les rythmes collectifs. (p. 54).

8Si la période fordiste a été marquée par le développement de « l’emploi typique » (en CDI et à temps plein), l’assurance chômage apparaît, dans ses débuts, comme un dispositif institutionnel permettant la prise en charge du risque d’être privé d’emploi. 

9La prise en charge collective des populations ne parvenant pas à intégrer pleinement la norme des rapports économiques dominants est une question ancienne (Castel, 1995) : analyser la manière dont le régime d’assurance chômage est gouverné (nature des instances, mode de prise de décisions…) renseigne ainsi sur les rapports entre travail et capital. Demazière (2018) signale ainsi : « historiquement, le chômage résulte de manières renouvelées de considérer [une catégorie de] pauvres : [celle] des involontaires et valides, recherchant un travail pour survivre, qui doivent être secourus et aidés dans leurs recherches. » (p. 85 ; voir également Salais et al., 1990). À côté de la figure du « désaffilié » de Castel se dresse ainsi celle du « désemployé » (sans emploi ou sous-employé), la frontière entre chômage et emploi étant de plus en plus ténue.

1.2. Rupture du compromis fordiste, fragmentation des relations salariales et persistance des consommations collectives

10Dans les années 1980, la rupture du compromis fordiste s’est d’abord traduite par le développement de relations salariales différenciées. Comme le constatent Devetter et Messaoudi (2013, p. 54), suivant Boyer (2009), la relation salariale fordiste coexiste aujourd’hui avec d’autres formes de relations salariales, « différentes, voire opposées ». L’essor des emplois atypiques ou discontinus s’est accompagné d’une diversification des relations salariales, qui s’inscrivent cependant toutes dans un mouvement consistant à faire prendre en charge, par les salariés, une part croissante du risque. Dans un contexte où « la balkanisation des relations salariales apparaît comme l’expression de l’émiettement du pouvoir de négociation des salariés » (Boyer 2001, p. 9), cela se traduit dans des compromis sociaux institutionnalisés qui leur sont moins favorables. La crise du RS fordiste se traduit, entre autres, par l’inscription du fractionnement de l’emploi (contrats courts, temps partiels…) dans les modalités de gestion des forces productives. Celles-ci sont de moins en moins protectrices des salariés.

11Le salaire indirect a pu être perçu comme un des freins possibles à la poursuite de la dynamique de croissance antérieure. La remise en cause de l’État social, au motif de ses « dépenses excessives » ou des « déficits publics », n’a cependant pas empêché les dépenses sociales de progresser (Da Silva, 2023). Michel (2023) questionne ainsi le « retour du rapport salarial » en étudiant le rôle joué par les consommations collectives (éducation, santé, vieillesse).

[Celles-ci] déterminent de manière croissante l’efficacité du travail mais en améliorant sa qualité par des coûts croissants. […] Pour les capacités de travail, les dépenses publiques et sociales ont produit et entretiennent la qualité de la main d’œuvre. Or le fonctionnement du marché se traduit par un gaspillage de potentiel par le chômage ou le sous-emploi (Michel, 2023, p. 143).

12Les dépenses sociales – en matière d’éducation ou de santé – contribuent à la qualité des capacités de travail, mais certaines de ces forces productives sont sans emploi ou « sous-employées » (i.e. à temps partiel, souhaitant travailler d’avantage et étant disponibles pour le faire).

13Poursuivre cette analyse par celle des liens entre régime d’assurance chômage (RAC) et rapport salarial nous semble, à ce titre, pertinent. D’une part, parce qu’elle vient compléter l’étude des consommations collectives (santé, éducation) par une autre composante du salaire indirect – à savoir les revenus de remplacement assurés par le RAC. D’autre part, parce que France Travail contribue aussi à la « qualité » de la main-d’œuvre en proposant des formations répondant aux besoins des employeurs et des chômeurs. Enfin, le RAC (via les différents dispositifs juridiques, institutionnels, et politiques conçus pour prendre en charge le risque de chômage et accompagner les bénéficiaires vers l’emploi) participe directement au rapport salarial, considéré comme « une relation de transformation d’une population en un ensemble hiérarchisé de forces de travail » (Théret, 2023, p. 111). Étudier ces différents dispositifs permet d’expliciter la manière dont sont institutionnalisés les compromis sociaux autour du travail et d’approfondir l’analyse des évolutions du rapport salarial dans le régime postfordiste.

1.3. Salaire indirect, revenus de remplacement et incitation au travail

14L’essor du salaire indirect a contribué à déconnecter en partie les revenus des salariés de leur situation au travail. Le niveau de ces prestations n’est donc pas sans affecter la relation salariale, où le contrôle de la productivité du travail est une problématique centrale. Comme le signalait déjà Reynaud (1990) :

Traditionnellement, la théorie économique, orthodoxe et hétérodoxe, considère qu’il y a deux solutions possibles pour que l’employeur puisse contrôler l’intensité du travail : instituer des modes de rémunération incitatifs [« la carotte »] ou instaurer une hiérarchie dans l’entreprise [« le bâton »] (p. 2).

15Les prestations d’assurance chômage sont également mobilisées par les économistes dans l’analyse de la productivité ou de l’effort consenti par les salariés. On peut d’abord citer le modèle standard canonique de Shapiro et Stiglitz (1984), “Equilibrium unemployment as a worker discipline device” qui suppose qu’un travailleur sera désincité à tirer-au-flanc (shirk) si l’écart entre l’utilité en emploi et celle au chômage est suffisamment important. Leur construction théorique les conduit ainsi à affirmer que « les indemnités chômage (et autres prestations sociales) augmentent le taux de chômage » (p. 435) puisqu’elles réduisent la sanction financière du licenciement. Les travaux de Bowles, Gordon et Weisskopf (1983), qui s’inscrivent dans la théorie de la Social Structure of Accumulation et dans la tradition des radicaux américains, supposent que :

[P]lus le coût de la perte d’emploi est élevé pour les travailleurs, plus ils auront tendance à être coopératifs au travail. A contrario, plus le coût de la perte d’emploi est faible pour les travailleurs, moins ils réagiront favorablement aux efforts de l’employeur pour augmenter la productivité et pour obtenir de plus grands efforts au travail (p. 387).

16Dans cette perspective, les revenus de remplacement octroyés par l’assurance chômage s’intègrent donc bien à l’étude des évolutions du rapport salarial. 

17À l’heure où les prestations sociales représentent près de la moitié du niveau de vie du premier quintile (INSEE, 2024b, p. 84‑85), le financement de telles prestations via les prélèvements obligatoires, en particulier par les cotisations sociales, est pourtant associé à « coût trop élevé » du travail qui serait, quant à lui, source de chômage. L’ensemble de ces récits est mobilisé pour appuyer les réformes visant à réduire l’étendue des droits et une partie des personnes privées d’emploi voit ainsi ses revenus provenir de prestations de solidarité (comme le RSA), dont certaines sont aujourd’hui aussi assorties d’obligations d’activité. L’étendue des droits encadrant l’assurance chômage peut ainsi s’appréhender en tant que modalité institutionnelle de « contrôle social de la force de travail », à travers les obligations que doivent remplir les bénéficiaires dans le cadre des politiques d’activation.

18L’analyse de l’évolution des modalités d’accès, de l’étendue des droits, et de la gouvernance des institutions encadrant le chômage permettra d’expliciter certaines des mutations du rapport salarial (et de ses expressions dans des branches ou professions particulières). Cela suppose d’envisager, non seulement la réglementation encadrant les prestations sociales liées à la privation d’emploi, mais également les modalités par lesquelles ces prestations sont financées et dont elles participent au maintien de la consommation des ménages. Cette analyse s’inspire ainsi des travaux s’inscrivant dans l’étude des « règles salariales » (Reynaud, 1990, 2002), des « systèmes d’emplois » (Bertrand, 2002), des « systèmes de relations professionnelles » (Gourgues & Yon, 2018) ou du « rapport social d’activité » (Magnan & Laurent, 2023) et des travaux sur le rapport salarial développés par les sociologues et les politistes, qui insistent sur les rapports sociaux et sur leurs conséquences quant aux compromis institutionnalisés qui en résultent.

19Dans la partie qui suit, nous présentons les principales évolutions du régime d’assurance chômage en les inscrivant dans celles du système d’emploi.

2. Genèse et transformations du régime d’assurance chômage : quelles conséquences sur le rapport salarial ? 

2.1. L’institutionnalisation de la prise en charge du risque de chômage

  • 1 Une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie sera créée en 2020.

20Le régime d’assurance chômage (RAC) a été institué tardivement le 31 décembre 1958. Avant cette date, coexistaient des caisses syndicales financées par les cotisations des adhérents qui fonctionnaient par métiers, aux côtés de caisses municipales ou départementales financées par des fonds publics (Salais et al., 1990). Cependant, de nombreux travailleurs n’étaient pas couverts contre le risque de perdre leur emploi. Le régime créé en 1958 complète le système national de protection sociale existant – la Sécurité sociale – créé en 1945, dont la vocation était d’assurer les travailleurs et leur famille contre quatre risques sociaux que sont la maladie, la vieillesse, la famille et les accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP)1. Le RAC est créé afin de procurer un revenu de remplacement aux travailleurs privés involontairement d’emploi qui se voient ainsi assurés contre un nouveau risque social qu’est le chômage. Le taux de chômage est très faible à cette époque et l’objectif est d’accompagner les travailleurs dans leur reconversion professionnelle lorsqu’ils sont affectés par les restructurations industrielles (mines, métallurgie, textile, chantiers navals…).

21L’institution chargée d’organiser la prise en charge du chômage est issue d’un accord signé entre le Conseil national du patronat français (le CNPF, devenu Medef) et quatre organisations syndicales. L’Unedic (Union nationale pour l’emploi dans l’industrie et le commerce), une association loi de 1901, est ainsi créée en 1958. La gestion se fait de manière paritaire par les partenaires sociaux (organisations syndicales et patronales) et le financement est assuré par les cotisations sociales, salariales et patronales. En 1958, le régime ne concerne d’abord que les salariés des entreprises qui adhèrent au CNPF. Il se généralise à l’ensemble des salariés du secteur privé (en 1968) suite à l’ordonnance du 13 juillet 1967 qui crée l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) dont la mission est d’accompagner et de placer les demandeurs d’emploi, tandis que l’Unedic conserve la mission d’indemnisation. L’ANPE et l’Unedic fusionnent en 2009 sous le nom de « Pôle Emploi », qui deviendra « France Travail » au 1er janvier 2024. 

22Le risque chômage pris en charge à la fin des années 1960 concerne les pertes d’emploi involontaires et pour la totalité de leur activité (Domergue, 2019, p. 40‑41). Le RAC fournit alors des revenus de remplacement en cas de chômage dit « total » suivant une logique assurantielle. La principale « allocation d’assurance chômage » est aujourd’hui appelée Allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Elle est principalement financée par la cotisation sociale et est versée en contrepartie d’une cotisation antérieure. Elle est donc dite contributive. 

23Les prestations non contributives relevant d’une logique de solidarité, financées par l’État, ne sont mises en place que plus tardivement. On peut citer par exemple la création, en 1974, d’une allocation spéciale pour les chômeurs de longue durée qui sera remplacée en 1984 par l’Allocation de solidarité spécifique. Elle est délivrée sous condition de ressources du foyer – comme tous les minima sociaux – et d’activité passée aux demandeurs d’emploi ayant épuisé leurs droits à une allocation d’assurance chômage contributive. 

24La croissance du salaire indirect dans le régime fordiste s’est traduite par une forte augmentation, depuis la fin des années 1950, des dépenses de protection sociale portée principalement par les risques de vieillesse-survie et de maladie. Les risques emploi (i.e. dépenses associées à l’insertion et à la réinsertion professionnelles ainsi que les dépenses liées au chômage) et pauvreté-exclusion (i.e. dépenses associées aux revenus d’assistance, aux compléments de ressources, ainsi qu’aux biens et services procurés aux publics vulnérables) ne contribuent qu’à une très faible part de l’ensemble des dépenses de protection sociale et présentent la particularité d’évoluer de manière contracyclique. Comme l’illustre le graphique 1, la part des dépenses associées au risque emploi a atteint 2,5 % du PIB en 1983 en raison de la montée du chômage. Leur poids a ensuite baissé pour atteindre 1,9 % en 2019, avant d’augmenter à 3,2 % pendant la crise sanitaire (liée aux différentes mesures d’allongement des droits), pour ensuite baisser à nouveau. Avec l’institutionnalisation de la prise en charge du risque exclusion-pauvreté, par la création du RMI en 1988, les dépenses associées ont depuis constamment augmenté. Cela résulte d’une prise en charge de plus en plus importante d’une partie des privés d’emploi exclus du RAC, mais aussi du développement des prestations de cumul pour les travailleurs pauvres, avec la création du RSA activité en 2009, puis de la prime d’activité en 2016. La crise de la Covid-19 marque une augmentation de l’ensemble des dépenses sociales en 2020. Ces évolutions mettent en évidence que les prestations sociales dites de solidarité, dont le financement repose sur l’impôt, viennent combler l’insuffisante prise en charge des privés d’emploi par le système assurantiel de protection sociale.

Graphique 1. Dépenses de protection sociale en France depuis 1959 (en % du PIB)

Graphique 1. Dépenses de protection sociale en France depuis 1959 (en % du PIB)

Sources : DREES, CPS, Insee, les comptes nationaux annuels pour le PIB.

25L’analyse de l’évolution du poids de l’indemnisation chômage au regard du coût de la protection sociale dans son ensemble conduit à un constat paradoxal : alors que le risque chômage a fortement augmenté (passant de 5,1 % de la population active en 1980 à près de 10 % en 2014, et à 7,5 % aujourd’hui), la part des dépenses consacrées à la couverture de ce risque rapportée à l’ensemble des dépenses de protection sociale a diminué. Tandis que l’ensemble des dépenses de prestations sociales s’élèvent à 848,9 milliards d’euros en 2022, seules 4 % sont allouées aux prestations liées aux régimes d’indemnisation du chômage (32,3 milliards d’euros), contre 11 % en 1983 (Dherbécourt, Didier & Lefebvre, 2023). Cette baisse de la part consacrée aux régimes d’indemnisation chômage, alors même que le taux de chômage a augmenté, recouvre une triple évolution : la diminution des dépenses d’indemnisation liée aux nouvelles réglementations plus restrictives de l’assurance chômage, l’accroissement de la part exclusion-pauvreté et l’augmentation des dépenses maladie et vieillesse, qui conduit mécaniquement à diminuer la part relative des autres risques.

26Si le risque emploi ne représente qu’une faible part des dépenses de protection sociale, il contribue néanmoins à la sécurisation matérielle du niveau de vie des demandeurs d’emploi, en particulier pour les ménages les plus modestes. En 2021, les prestations chômage contribuent en effet pour 8 % au niveau de vie du premier quintile (respectivement pour 9,2 % à celui du 1er décile et pour 6,8 % à celui du 2ème), contre seulement 2,9 % pour l’ensemble de la population (INSEE, 2024b). Les transformations du RAC ont bouleversé la logique initiale du système. 

2.2. Les mutations du régime d’assurance chômage

2.2.1. La fiscalisation croissante des recettes

27Si la protection sociale contemporaine a été principalement institutionnalisée dans une logique assurantielle, les années 1990 témoignent d’une évolution significative du système. Une part croissante de ses ressources provient des impôts et taxes affectés (ITAF), et en particulier de la CSG (Cotisation sociale généralisée, instaurée en 1991) et des contributions publiques (i.e. dotation directe du budget de l’État afin de financer les prestations du système de protection sociale, mais qui n’est pas initialement allouée au financement de la protection sociale).

La part de la CSG et des impôts et taxes affectés dans les ressources a fortement progressé, pour atteindre 30 % en 2021, tandis que les cotisations sociales, qui représentaient près des trois quarts du financement en 1959, constituent désormais à peine plus de la moitié des ressources de la protection sociale (Dherbécourt, Didier & Lefebvre, 2023, p. 52).

28L’évolution des politiques de l’emploi s’inscrit dans cette tendance en cherchant à réduire le « coût du travail ». Cela a notamment pris la forme d’allègements et d’exonérations des cotisations sociales employeurs, initialement intégralement compensées par l’État. Ce principe de compensation, prévu par la loi « Veil » de 1994, a été remis en cause à partir de 2019. En effet, l’article 27 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022 a introduit la possibilité de ne plus garantir systématiquement la couverture des pertes de recettes subies par les organismes de protection sociale, ce qui porte « atteinte aux équilibres financiers de la Sécurité sociale et à l’équité du prélèvement social entre les entreprises et entre les salariés » (Cour des comptes, 2024, p. 185).

  • 2 La CSG a été créée en 1991 pour financer la branche famille, en remplacement d’une partie des cotis (...)

29Suivant la tendance générale des recettes de la protection sociale, le régime d’assurance chômage se voit financé depuis janvier 2019 par une part de la CSG activité2. Celle-ci est prélevée sur les revenus d’activité et est donc payée par les seuls travailleurs (salariés, agents publics, non-salariés). Elle représente désormais plus d’un tiers des ressources du régime (UNEDIC, 2024), alors que la part des ressources issues des cotisations sociales diminue. La fiscalisation des recettes se traduit ainsi par la suppression de la cotisation sociale salariale de 0,95 % (au 1er octobre 2018), par son remplacement par des ressources issues de la CSG activité, mais aussi par une baisse de la cotisation sociale patronale (de 4,05 % à 4 % au 1er mai 2025). Ces évolutions ont modifié la gouvernance traditionnelle du RAC.

30Le poids de l’État dans la gouvernance de l’assurance chômage est en effet renforcé, alors que celui des partenaires sociaux s’en trouve réduit. L’État peut désormais influer sur les ressources du régime (soumises, depuis 1996, au vote du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale) via la part qu’il leur consacre dans son budget ; il peut non seulement appeler à des réformes au motif de la « nécessaire maîtrise des dépenses publiques » mais il peut également passer ces réformes par décret lorsque les organisations représentant les salariés et employeurs ne respectent pas le « cadrage » qui leur a été imposé (depuis 2018) par l’État et qu’elles ne parviennent pas à établir une convention d’assurance-chômage dans les délais, généralement courts, qui leurs sont impartis. 

31L’analyse des évolutions récentes des comptes de l’Unedic se révèle à cet égard instructive. Depuis sa création, les recettes et les dépenses globales du RAC ont augmenté en raison de l’augmentation du volume d’emploi salarié (qui est passé de 20 millions de salariés en 1993 à 27 millions aujourd’hui), du niveau des salaires et du taux de chômage. Dans le même temps, les dépenses globales ont également augmenté en lien avec la progression du taux de chômage.

Graphique 2. Évolution des dépenses et des recettes de l’Unedic de 2011 à 2022

Graphique 2. Évolution des dépenses et des recettes de l’Unedic de 2011 à 2022

Source : Unedic.

32Les dépenses totales de la caisse d’assurance chômage s’élèvent à 39,4 milliards d’euros en 2022, mais parmi elles, on trouve non seulement les 32,3 milliards pour financer l’indemnisation chômage, mais aussi 2,2 milliards d’euros de points de retraite complémentaire, ainsi que le financement de France Travail qui s’est accru (passant de 10 à 11 % en 2020) pour atteindre 3,9 milliards d’euros, soit près de 61 % de son budget annuel de fonctionnement. Un tiers des indemnités versées aux employeurs en raison de l’activité partielle est financé par l’Unedic, ce qui a représenté depuis la crise sanitaire de 2020 plus de 14 milliards d’euros. L’ensemble des mesures d’urgence (activité partielle principalement, mais aussi prolongation des droits, année blanche pour les intermittents du spectacle…) a été évalué au total à plus de 19 milliards d’euros (Graphique 2). 

33En 2022, les recettes s’élèvent à 44,5 milliards d’euros. Elles continuent d’augmenter légèrement (45,5 milliards d’euros en 2023). On assiste néanmoins à un tassement des recettes en raison de différentes ponctions de l’État (Unedic, 2024). Ce dernier prévoit, selon l’arrêté du 27 décembre 2023, une moindre compensation des exonérations de cotisations sociales d’assurance chômage, prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2024, de l’ordre de 12 milliards d’euros d’ici 2026 (dont 2 milliards en 2023, 2,6 milliards en 2024, etc.). Malgré ces ponctions, la trajectoire financière du régime d’assurance chômage reste positive. Pourtant la tendance va vers une poursuite des réformes de la prise en charge du risque chômage dans un objectif de réduction des dépenses publiques. 

2.2.2. Les évolutions de la prise en charge du chômage : logique d’activation et baisse des droits

34Le RAC a connu de nombreuses réformes depuis sa création contribuant ainsi à un changement de paradigme de l’indemnisation du chômage. Ces transformations concernent d’abord le développement des logiques d’activation, qui conditionnent le versement des indemnités au comportement des bénéficiaires et qui impliquent un contrôle accru des chômeurs. Initialement, ce contrôle consiste principalement à constater que les individus sont dépourvus d’emploi (i.e. qu’ils ne dissimulent pas une activité professionnelle tout en bénéficiant de l’allocation chômage). Les sanctions des chômeurs, en cas de manquement à leurs obligations, se durcissent à la fin des années 1970 et au cours des années 1980, mais le contrôle des chômeurs ne s’institutionnalise véritablement qu’au cours des années 1990 via « [un] ensemble d’outils qui donnent corps à la politique nationale de contrôle » (Vivès et al., 2023, p. 32‑33). Il n’est alors plus question de contrôler la dissimulation éventuelle d’une activité (comme au début des années 70), mais de vérifier que les bénéficiaires ne sont pas oisifs (i.e. ceux-ci devant désormais faire preuve d’une recherche active d’emploi). Des programmes individualisés se développent, introduisant des droits et des devoirs pour les chômeurs. En parallèle de ces programmes de contrôle des chômeurs, de nombreuses réformes paramétriques vont avoir lieu conduisant à une baisse des droits : augmentation de la durée minimale d’affiliation, diminution de l’allocation (baisse du taux de remplacement, dégressivité, réforme du salaire journalier de référence), diminution de la durée potentielle d’indemnisation. Ces réformes ont non seulement été justifiées d’un point de vue comptable mais visaient également à inciter financièrement les bénéficiaires à reprendre un emploi. 

35Un autre élément central de transformation du RAC va tout particulièrement nous intéresser ici : le développement parallèle de la logique d’activation et de la flexibilité de l’emploi qui ont entraîné une croissance importante de la part des demandeurs d’emploi en activité réduite. Les évolutions du RAC ne peuvent se comprendre sans exposer les principales mutations de l’emploi. En effet, « dès les années 1980, les catégories de chômage et d’emploi et l’institution d’indemnisation se trouvent déstabilisées par l’installation du chômage de masse et le développement des formes particulières d’emploi » (Vivès, 2018, p. 61). 

36Depuis vingt ans, le recours à des contrats courts s’est intensifié. Le nombre d’embauches en CDD très courts (de moins d’un mois) a été multiplié par 2,5 en 20 ans (Unedic, 2019) et cette catégorie de contrats représentait plus de deux-tiers des embauches en 2018 (Coquet & Heyer, 2018). La croissance de la discontinuité de l’emploi est visible à travers la hausse du nombre de demandeurs d’emploi en activité réduite (les catégories B et C de France Travail). Au 4ème trimestre 2023, ces demandeurs d’emploi en catégories B et C représentaient 2,3 millions d’individus, aux côtés des 3,1 millions de demandeurs d’emploi de catégorie A, sans aucune activité. Depuis trente ans, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégories B et C a très fortement augmenté. Leur proportion a ainsi triplé depuis le milieu des années 1990, avec une accélération depuis la crise financière de 2007-2008 (graphique 2). Le brouillage des catégories d’emploi et de chômage résulte de ces évolutions toujours en cours. 

Graphique 3. Évolution de la part des catégories de demandeurs d’emploi (base 1996) 

Graphique 3. Évolution de la part des catégories de demandeurs d’emploi (base 1996) 

Source : Fichier historique statistique des demandeurs d’emploi (FHS), DARES

37Le Graphique 4 met en évidence qu’en 2023, chaque mois, la moitié des allocataires de l’assurance chômage travaille. Les allocataires ont en effet la possibilité, sous un certain seuil, de cumuler une partie de leur allocation avec les revenus issus d’une activité. Le seuil est tel que l’allocation ajoutée au salaire ne peut dépasser l’ancien salaire brut. Si le cumul est possible, l’allocation mensuelle (pour un mois sans activité) est diminuée de 70 % des revenus mensuels bruts issus de cette activité. Ce montant est ensuite divisé par celui de l’allocation journalière afin d’obtenir le nombre de jours indemnisables dans le mois. L’allocation mensuelle (en activité réduite) correspond alors à l’allocation journalière multipliée par le nombre de jours indemnisables ainsi calculés.

Graphique 4. Nombre de demandeurs d’emploi, nombre d’allocataires pris en charge par l’assurance chômage et part des allocataires ayant travaillé chaque mois

Graphique 4. Nombre de demandeurs d’emploi, nombre d’allocataires pris en charge par l’assurance chômage et part des allocataires ayant travaillé chaque mois

Source : FHS et FNA, France Travail

38Cette possibilité de cumul avec une activité réduite ne date pas d’aujourd’hui. Elle est introduite dès 1961, mais n’est alors accordée que de manière dérogatoire. À partir de 1983, elle se généralise à l’ensemble des demandeurs d’emploi, l’idée étant de ne pas interrompre complètement le versement de l’indemnisation chômage en cas d’exercice d’une activité réduite. Au fil du temps, face à la croissance des activités discontinues et à temps partiels, et au développement de l’idée qu’il faut inciter les chômeurs à travailler, le RAC assouplit certains critères et autorise ainsi un nombre croissant de situations de cumul. Cette évolution s’inscrit dans la logique de rendre le travail rémunérateur (“making work pay”) en incitant financièrement à la reprise d’un emploi. Elle part de l’idée qu’il est préférable d’avoir un emploi à temps partiel, moins rémunéré, ou d’être en contrat court, plutôt que d’être au chômage « total ». Si l’individu continue d’être inscrit à France Travail et souhaite un autre emploi (à durée indéterminée, mieux rémunéré…), il est toujours considéré comme demandeur d’emploi (en catégorie B ou C), même s’il travaille. 

39Si ce cumul peut augmenter l’acceptabilité d’emplois de mauvaise qualité, ces heures d’activités effectuées diminuent le temps que les chômeurs pourraient consacrer à leur recherche d’emploi afin d’en trouver un qui les satisfasse (Tuchszirer, 2002). Par ailleurs, les enquêtes de terrain menées auprès de demandeurs d’emploi en activité réduite montrent que, lorsqu’ils perçoivent une partie de leur allocation en complément de leur revenu d’activité, ce cumul devient une nécessité afin de pouvoir subvenir à leurs besoins essentiels tels que se nourrir, se loger, se chauffer ou encore élever leurs enfants (Issehnane et al., 2016). Le salaire reçu peut être insuffisant pour vivre dignement, en raison des faibles rémunérations couplées à un faible temps de travail ou à un contrat court. L’assurance chômage intervient ainsi en tant que composante du salaire indirect pour maintenir le niveau de consommation des demandeurs d’emploi. L’activité réduite permet aussi aux demandeurs d’emploi de reconstituer leurs droits et ainsi de reporter la date de leur fin de droits et d’allonger leur période d’indemnisation.

40Le développement de la discontinuité de l’emploi faisant prendre en charge par le RAC une partie des interruptions de contrats, les mécanismes de cumul avec une activité réduite, et plus largement la hausse du chômage, auraient dû entraîner une hausse des dépenses. Cependant, ces dernières ont été largement contenues en raison des différentes réformes menées. Les plus récentes affectent tout particulièrement les salariés aux parcours discontinus.

  • 3 Cette borne d’âge est passée à 55 ans depuis le 1er avril 2025.

41La réforme du 1er octobre 2021 a modifié le mode de calcul du salaire journalier de référence (SJR), qui sert de base au calcul de l’allocation journalière d’assurance chômage. Ce calcul prend désormais en compte les salaires des 24 derniers mois (36 mois après 53 ans3), et non plus les 12 derniers mois, et divise ces salaires sur l’ensemble des jours calendaires au lieu de ne prendre que les jours travaillés. L’allongement de la période de référence augmente la probabilité d’avoir des périodes non travaillées, et la prise en compte des jours non travaillés induit une baisse automatique du montant de l’allocation pour les individus ayant eu un parcours discontinu. Si l’effet à la baisse de l’allocation se confirme, cette réforme n’accélère que très peu le retour à l’emploi et conduit surtout les allocataires à accepter davantage de contrats précaires (Issehnane et al., 2025). Les allocataires qui exercent une activité réduite sont tout particulièrement touchés : ils peuvent ne plus être indemnisés s’ils dépassent le seuil d’éligibilité de cumul, seuil ayant baissé pour les salariés aux parcours discontinus en raison de la réforme. 

42Au 1er décembre 2021, c’est la période d’affiliation minimale qui a été modifiée : il faut désormais avoir travaillé 6 mois et non plus 4 au cours des 24 derniers mois (ou 36 mois à partir de 53 ans) afin d’être éligible à l’assurance chômage. En 2021, est introduite une dégressivité des allocations pour les plus hauts salaires. Les réformes se poursuivent avec, au 1er février 2023, la baisse de la durée d’indemnisation : un coefficient de 0,75 est appliqué sur la durée de cotisation afin de définir la durée maximale d’indemnisation, si bien qu’un allocataire de moins de 53 ans qui a cotisé 24 mois voit sa durée d’indemnisation passer de 24 à 18 mois. 

  • 4 En vue de limiter l’utilisation des contrats courts, une modulation de la cotisation sociale patron (...)

43Toutes ces réformes ont été justifiées par les gouvernements qui les ont mises en œuvre par le fait que les règles du RAC seraient trop généreuses et qu’elles favoriseraient les contrats courts4. Elles ont conduit à une détérioration des droits des demandeurs d’emploi et de leurs conditions de vie et alimentent la crise du rapport salarial fordiste. On assiste ainsi à une détérioration de la couverture du risque chômage (i.e. la part des demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance chômage) (Grégoire & Vivès, 2021). 

  • 5 La dégradation des salaires, en particulier pour les plus démunis, est un phénomène qui a été étudi (...)

44Ces évolutions contribuent à diminuer le pouvoir de négociation des salariés en poste et s’accompagnent d’une pression à la baisse sur les salaires et, plus largement, d’une détérioration des conditions de travail et d’emploi5. Si le RAC a été créé pour assurer un revenu de remplacement aux travailleurs privés involontairement et totalement d’emploi, les transformations qui l’ont traversé ont contribué à changer la nature du régime. La fiscalisation croissante du régime a permis à l’État d’imposer certaines réformes dans une logique de réduction des dépenses publiques. Les politiques d’activation ont contribué à faire de l’assurance chômage un revenu de complément pour une partie des salariés en activité réduite. L’idée qui sous-tend ces évolutions est d’inciter les bénéficiaires à reprendre un emploi, qu’elle qu’en soit la qualité. L’allocation chômage est devenue un complément de revenu nécessaire face à des salaires souvent insuffisants pour vivre dignement. Ces réformes ont ainsi affaibli les droits des chômeurs, mais aussi des salariés précaires en poste.

45Alors que la trajectoire financière du régime était positive et n’imposait pas de nouvelles réformes, le gouvernement introduit une nouvelle réforme le 1er avril 2025. En lien avec la réforme des retraites, les bornes d’âge permettant l’accès aux filières sénior sont décalées de 2 ans : la durée d’indemnisation maximale est désormais de 22,5 mois à partir de 55 ans (au lieu de 53) et de 27 mois à partir de 57 ans (au lieu de 55). Par ailleurs, l’âge à partir duquel la dégressivité des allocations chômage ne s’applique pas est abaissé à 55 ans (au lieu de 57).

46La remise en cause du régime a également ciblé les règles d’indemnisation de certaines professions bénéficiant de modalités spécifiques, en particulier les annexes 8 et 10 des intermittents du spectacle. Dans la prochaine partie, nous présentons ces règles qui permettent d’assurer une sécurité financière aux intermittents du spectacle, un secteur marqué depuis plus d’un siècle par la fragmentation des périodes d’emploi. 

3. Comment des règles spécifiques de l’assurance chômage permettent-elles de sécuriser une relation salariale incomplète ?

3.1. Les intermittents du spectacle : une relation salariale incomplète

47Depuis plus d’un siècle, le secteur du spectacle vivant (et maintenant de l’audiovisuel et de la radiophonie) est marqué par la discontinuité de l’emploi. Il a en outre comme particularité d’avoir obtenu une sécurisation matérielle des périodes intercontrats de ses travailleurs, à la suite de compromis sociaux. Tandis que l’emploi discontinu croît pour l’ensemble des salariés, l’analyse des spécificités de ce secteur d’activité et des règles particulières régissant la prise en charge du risque chômage permettent de mieux comprendre comment le RAC permet une meilleure sécurisation matérielle à ces salariés. 

48Chez les intermittents du spectacle, la relation salariale peut être qualifiée d’incomplète, au sens où elle s’éloigne à plusieurs titres du cadre classique du salariat fordiste (Devetter & Messaoudi, 2013). À la différence d’autres professions, où le risque économique est censé être principalement supporté par l’employeur, les intermittents connaissent une multiplicité de contrats chez de multiples employeurs. Dans de nombreux pays, les intermittents du spectacle exercent en tant qu’indépendants et ne sont pas considérés comme salariés (Sénat, 2013). En France, le droit du travail considère qu’un artiste du spectacle (article L7121-3) est présumé être salarié, sauf preuve du contraire. Ce principe de présomption de salariat est inscrit dans le code du travail :

Tout contrat par lequel une personne physique ou morale s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité, objet de ce contrat, dans des conditions impliquant son inscription au Registre du commerce.

49Cependant, si l’artiste exerce son art en se comportant en tant que « co-entrepreneur d’un spectacle », en prenant à sa charge, même en partie, le risque économique de la production ou de l’exploitation de ce spectacle, alors il ne peut faire valoir la présomption de salariat (Pech de Laclause, 1997).

50La présomption de salariat est inscrite explicitement dans le droit du travail français pour les artistes, mais elle l’est aussi pour d’autres professions, comme les journalistes, les mannequins ou les travailleurs à domicile. Celle-ci pourrait pourtant concerner également d’autres travailleurs, comme ceux des plateformes (Saillard, 2019 ; Levratto & Serverin, 2012). Certains pays, comme l’Espagne, ont en effet fait le choix d’accorder cette présomption aux livreurs (décret-loi royal 9/2021 ou « Loi Riders »). Une directive européenne votée le 11 novembre 2024, la Directive (UE) 2024/2831, relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme conduit à transposer la présomption de salariat aux travailleurs des plateformes. Si la Cour de cassation a requalifié certains de ces travailleurs indépendants en salariés (arrêt de mars 2020), la France n’a toujours pas transposé cette directive. Sera donc inscrite dans le droit une inversion de la charge de la preuve : il incombera aux plateformes de prouver que ce sont des travailleurs indépendants.

51L’introduction de la présomption de salariat en 1969 dans le code du travail a été concomitante à l’introduction des annexes 8 et 10 du RAC. Pour prétendre à une allocation au titre ces annexes, les intermittents du spectacle doivent être embauchés par une entreprise du spectacle, via des CDD d’usage (CDDU dits contrats d’extra). Les CDDU permettent à un employeur d’embaucher un salarié pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire certes, mais avec la possibilité de proposer plusieurs contrats successifs à ce même salarié pour une même tâche, sans période de carence, sans limitation de renouvellement et sans prime de précarité. La durée du contrat peut être de quelques heures, d’une journée ou de plusieurs journées consécutives. En dehors des secteurs définis par l’article D1242-1 du code du travail (où l’activité est par nature temporaire) et des secteurs ayant établi une convention ou un accord collectif étendu précisant les emplois pour lesquels un CCDU peut-être conclu, le recours à ce type de contrat est illégal. Près de 5 millions de CDDU ont été conclus en 2023 dans les secteurs concernés par l’intermittence du spectacle, soit presque un cinquième des CDD conclus durant l’année 2023 (Insee, 2024a).

  • 6 Au sens de Matonti & Poupeau, 2004.

52Une des caractéristiques du salariat fordiste s’appuie sur l’idée d’une capacité d’opposition entre un collectif de travailleurs et un employeur unique. En 2021, les intermittents du spectacle peuvent avoir entre 1 et 78 employeurs sur l’année (Merchaoui et Issehnane, 2025), ce qui pourrait rendre difficile leur mobilisation. Pourtant, les intermittents du spectacle ont montré depuis longtemps une forte mobilisation afin de lutter pour « vivre de leur métier » (Grégoire, 2013), soit pour conserver leurs règles spécifiques de l’assurance chômage ; soit pour s’opposer aux baisses des subventions au monde du spectacle vivant. Sinigaglia (2012) et Sigalo Santos (2024) soulignent ce qui permet à ces salariés de dépasser « les obstacles à l’action collective » qu’ils pourraient connaître en raison de leur activité par nature discontinue et leur multiples employeurs : leurs dispositions (fort capital culturel lié à un niveau de diplôme moyen plus élevé que dans le reste de la population active, « capital militant6 », etc.) et leurs ressources (socialisation professionnelle, appartenance à différents collectifs de travail, disponibilité, etc.).

53Le régime de disponibilité temporelle, les conditions spécifiques d’exercice des métiers dans ce secteur, et la concurrence qui s’y joue, conduisent les intermittents du spectacle à s’adapter à des rythmes d’activités très hétérogènes et à des rémunérations très variables en fonction des projets (Corsani & Lazzarato, 2008). En effet, le rythme de travail des artistes et techniciens du spectacle diffère des autres travailleurs d’autres secteurs (Joachimowicz, 2015), avec des pics d’activité très intenses et des fluctuations importantes en termes de durée du travail et de revenus. Durant leur période sans activité ou lors d’une baisse de leur activité, les artistes et techniciens du spectacle peuvent être indemnisés par l’assurance chômage selon des règles spécifiques inscrites dans les annexes 8 et 10 du RAC. En quoi ces règles spécifiques de l’assurance chômage affectent-elles leur relation salariale ? 

3.2. Les annexes 8 et 10 du régime d’assurance chômage : une sécurisation par la socialisation du risque

54Les artistes et techniciens du spectacle qui ont travaillé au moins une heure une année donnée en CDDU sont environ 312 000 en 2023 (Sonnerat, 2025), mais moins de la moitié parvient à ouvrir des droits au sein des annexes 8 et 10 du RAC (Delvaux, 2024). Ces règles sont le fruit de conquêtes et de compromis sociaux. Dès 1936, un régime spécifique d’indemnisation a été mis en place pour les techniciens et cadres du cinéma, dont les activités sont courtes mais multiples, offrant la possibilité d’indemniser les périodes d’intercontrats. Il faut attendre les années 1960 pour voir naître des règles spécifiques du RAC pour les intermittents du spectacle : l’annexe 8, destinée aux ouvriers et techniciens du spectacle enregistré (cinéma, audiovisuel, radio, édition sonore), est créée en 1964, et l’annexe 10, destinée aux artistes du spectacle vivant (théâtre, musique, danse, etc.) voit le jour en 1967. L’objectif était d’élargir le droit à l’assurance chômage aux professionnels du spectacle tout en tenant compte de la spécificité de ce secteur d’activité. Depuis, le régime a connu plusieurs modifications paramétriques des conditions d’accès ou d’indemnisation, et la dernière convention d’assurance chômage concernant les annexes 8 et 10 a été mise en œuvre à partir de 2016. 

55Elle est née dans un contexte particulier. En 2016, pour faire des économies, le gouvernement demande aux partenaires sociaux de s’entendre sur les règles du régime général et sur celles de la branche spectacle. Les partenaires sociaux de la branche spectacle parviennent à un accord partiel, mais la négociation de la convention n’aboutit pas en raison des désaccords concernant le régime général. Face à la mobilisation du secteur du spectacle (et la menace d’annuler tous les festivals de l’été), le ministre du Travail transpose cet accord partiel sur les annexes 8 et 10. Désormais, la durée maximale d’indemnisation passe à 365 jours (contre 243 jours auparavant). Le seuil du nombre d’heures travaillées nécessaires à l’ouverture d’un droit est conservé (507 heures) mais la période de référence sur laquelle ces heures sont comptabilisées passe à 12 mois à la fois pour les techniciens et pour les artistes (au lieu de respectivement 10 mois et 10 mois et demi). Le patronat du secteur accepte une augmentation de leur cotisation de 1 point. Paradoxalement, c’est par cette reprise en main de l’État, que la convention de 2016 améliore la prise en charge des intermittents du spectacle qui avaient connu une réduction de leurs droits avec l’ancienne convention.

56Cette protection sociale plus étendue est rendue possible par des mobilisations sociales importantes (Sinigaglia, 2012) et par une contribution supérieure au droit commun en matière d’assurance chômage. Ainsi, alors que le taux des cotisation sociales (CS) des employeurs de droit commun en matière d’assurance chômage est de 4 % du salaire brut et que la CS salariale a été supprimée depuis le 1er janvier 2019, la contribution globale des intermittents du spectacle s’élève à 11,4 %, voire à 11,9 % pour les CDDU de 3 mois ou moins. Une CS salariale y est maintenue à 2,4 %, et le taux de la CS employeurs est de 9 % (+0,5 % pour les CDDU inférieurs ou égaux à 3 mois). 

57En desserrant la contrainte monétaire, l’assurance chômage permet ainsi de libérer du temps pour l’activité créative (Corsani, 2012). Ces règles spécifiques d’indemnisation chômage garantissent une sécurisation matérielle à ces travailleurs discontinus, tout en maintenant leur « autonomie salariale » (Grégoire, 2013). Lors de la crise sanitaire, elles ont ainsi joué un rôle protecteur pour ces salariés : les techniciens ont vu la part de l’indemnisation chômage dans leur revenu total passer de 34 % en 2019 à 49 % en 2020, et de 53 % à 69 % pour les artistes sur la même période (Unedic, 2022). Cet exemple nous montre que le système d’assurance chômage constitue une garantie de revenu et ainsi un moyen d’émancipation pour ces travailleurs. 

Conclusion

58Le RAC intervient à plusieurs titres dans le rapport salarial. Les revenus de remplacement qu’il garantit permettent aux demandeurs d’emploi de sécuriser leurs dépenses de consommation individuelles, participant ainsi à l’ajustement des normes de consommation et de production. Le RAC a été créé pour protéger les salariés qui seraient privés involontairement d’emploi par le biais d’un système assurantiel financé par les cotisations sociales. La prise en charge collective du risque chômage s’est institutionnalisée et unifiée à un moment où l’économie française faisait face à de nombreuses restructurations industrielles. Cette prise en charge était cependant limitée et ce n’est qu’à partir de la fin des années 60 qu’elle s’est étendue à une part conséquente de la population.

59Le ralentissement de la croissance, l’installation d’un chômage de masse et la rupture du compromis fordiste ont conduit à un changement du paradigme du RAC. Le régime postfordiste est en effet marqué par le développement de relations salariales différenciées, qui ont cependant comme point commun une moindre prise en charge du risque pour les salariés. Cette fragmentation des relations salariales a contribué à amoindrir le pouvoir de négociation des salariés et les compromis sociaux institutionnalisés leur ont ainsi été moins favorables. Le financement du salaire indirect a ainsi pu être perçu comme un frein à la poursuite de la dynamique antérieure. À la différence de la partie du salaire indirect assurant la production des consommations collectives (comme la santé) ou des prélèvements obligatoires permettant de financer l’éducation, dont l’importance peut s’analyser par leur contribution à la qualité des forces productives, les revenus de remplacement permis par le RAC ont été progressivement associés à « l’oisiveté » des demandeurs d’emploi (voire même à celle des salariés en poste) et le financement de ces prestations (via les cotisations sociales) à un « coût trop élevé » du travail qui contribuerait au chômage. 

60Depuis le début des années 1990, les politiques de l’emploi ont en effet cherché à réduire le « coût » du travail par la baisse des cotisations sociales (via la baisse des taux ou via des dispositifs d’allègement ou d’exonération). La socialisation du risque chômage, s’appuyant sur une négociation institutionnalisée entre partenaires sociaux, devait pourtant permettre de ne pas soumettre le RAC aux évolutions politiques. Le financement du RAC par une part de la CSG activité depuis 2019 a renforcé le poids de l’État dans la gouvernance du régime au détriment de celui des partenaires sociaux. La fiscalisation croissante du régime et le cadrage étatique des négociations ont permis au gouvernement d’imposer, en passant outre toute démocratie sociale, un nombre croissant de réformes. 

61Les politiques d’activation se sont développées suivant l’idée selon laquelle l’allocation chômage, comme les autres prestations sociales, ne doit pas décourager à la reprise d’un emploi. Les différentes réformes concernant l’indemnisation (augmentation de la durée minimale d’affiliation, baisse de la durée d’indemnisation, modification des règles de calculs de l’indemnisation pénalisant les salariés les plus précaires, etc.) se sont accompagnées de mesures punitives envers les chômeurs accentuant le rôle de « contrôle au travail » du système. Les modalités de cumul se sont assouplies afin de faire en sorte « qu’on ne gagne pas plus au chômage qu’en travaillant ». Parallèlement, le système d’emploi a connu une très forte croissance de l’usage des contrats courts et le nombre de demandeurs d’emploi effectuant une activité réduite a été multiplié par 3 depuis les années 1990. L’allocation d’assurance chômage est aussi devenue un revenu de complément au salaire direct et non plus uniquement un revenu de remplacement, comme le sont les indemnités journalières d’assurance maladie et, majoritairement, la pension de retraite. Elle est désormais devenue un élément permettant d’atténuer « la Misère de France » (Gilles et al., 2016). En cela, le système d’assurance chômage, et ses évolutions, affectent le rapport salarial. 

62Pourtant, dans un secteur particulier, des règles spécifiques du RAC – les annexes 8 et 10 – ont permis aux techniciens, ouvriers et artistes du spectacle de maintenir une sécurisation financière de leur trajectoire professionnelle malgré une multitude de contrats courts. Ces règles résultent d’autres compromis sociaux et sont rendues possibles par des cotisations sociales spécifiques au secteur. Ces annexes s’inscrivent dans un cadre particulier, visant à sécuriser une relation salariale incomplète, caractérisée par une relative autonomie salariale et une activité par nature discontinue. Même si ces règles sont souvent décriées en raison de leur coût pour le RAC, elles montrent que les négociations, les compromis mais également les luttes sociales ont permis d’en assurer la pérennité. Cette analyse méso-économique de règles de l’assurance chômage sur une relation salariale spécifique permet également d’interroger les transformations du rapport salarial à l’aune des évolutions de l’emploi ‑‑ où la discontinuité des parcours s’accroît ‑‑ et où l’étendue de la protection sociale est remise en question. 

Haut de page

Bibliographie

Aglietta M. (1976), Régulation et crises du capitalisme, Paris, Calmann-Lévy.

Bélanger P. & B. Lévesque (1991), « La “théorie” de la régulation, du rapport salarial au rapport de consommation. Un point de vue sociologique », Cahiers de recherche sociologique UQAM, no 17.

Bertrand H. (2002), « Rapport salarial et système d’emploi », in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 126-134.

Bjaï B., Fauvre L., Lardeux R., Ozil S. & J. Presotto (2025), « Rapport du comité d’évaluation de la réforme de l’assurance chômage 2019-2021 », Rapport de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

Boucher J. (1990), « Théorie de la régulation et rapport salarial », Cahiers du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), Collection Études théoriques, no ET 9001.

Bouvard F., Rambert L., Romanello L. & N. Studer (2013), « Réformes Hartz : quels effets sur le marché du travail allemand ? », Trésor Eco, no 110.

Bowles S., Gordon D.E. & T.E. Weisskopf (1983), “Hearts and Minds: a Social Model of US Productivity Growth”, Brookings Papers on Economic Activity, no 2.

Boyer R. (1978), « Les salaires en longue période », Économie et Statistique, no 103, p. 27‑57.

Boyer R. (1979), « La crise actuelle : une mise en perspective historique », Critiques de l’économique politique, p. 5‑113.

Boyer R. (1980), « Rapport salarial et analyses en termes de régulation : une mise en rapport avec les théories de la segmentation du marché du travail », Cepremap, no 8017.

Boyer R. (2001), « Du rapport salarial fordiste à la diversité des relations salariales », Cepremap Working Papers, no 0114.

Boyer R. (2002), « Vingt ans de recherches sur le rapport salarial : un bilan succinct », in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 106‑114.

Boyer R. (2003), « Les institutions dans la théorie de la régulation », Cahiers d’économie Politique, no 44, vol. 2003/1, p. 79‑101.

Boyer R. (2009), « Du rapport salarial fordiste à la diversité des relations salariales », Les Cahiers français, no 349, mars-avril, p. 23‑28.

Castel R. (1995), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard.

Coquet B. & É. Heyer (2019), « Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage », Rapport de l’OFCE, Sciences Po publications.

Corsani A. & M. Lazzarato (2008), Intermittents et précaires, Paris, Éditions Amsterdam, 240 p.

Corsani A. (2012), « Autonomie et hétéronomie dans les marges du salariat : les journalistes pigistes et les intermittents du spectacle porteurs de projets », Sociologie du travail, vol. 54, no 4, p. 495‑510.

Cour des comptes (2024), « La Sécurité sociale : Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale », Rapport de la Cour des comptes.

Da Silva N. (2023), « Reconfigurations de l’État social dans les pays du Nord » in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A & T. Lamarche (dir.), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris, Dunod, p. 428‑437.

Delvaux G. (2024), « Les allocataires indemnisés au titre des annexes 8 et 10 en 2023 », France Travail, Statistiques et Indicateurs, no 24.037.

Demazière D. (2018), « Le devenir des frontières du chômage : cadrages institutionnels et expériences vécues », Revue Française de Socio-Économie, no 20, p. 83‑100.

Devetter F. & D. Messaoudi (2013), « Les aides à domicile entre flexibilité et incomplétude du rapport salarial : conséquences sur le temps de travail et les conditions d’emploi », La Revue de l’Ires, no 78, p. 51‑76.

Dherbécourt C., Didier M. & G. Lefebvre (dir). (2023), La protection sociale en France et en Europe en 2022. Résultats des comptes de la protection sociale – Édition 2023, Paris, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), coll. Panoramas de la DREES – SOCIAL.

Domergue J.-P. (2019), Histoire de l’assurance chômage, La Sécurité sociale, son histoire à travers les textes. Tome VIII, Paris, Comité d’histoire de la sécurité sociale & La Documentation Française.

Du Tertre C. (2013), « Travail, “rapport salarial” et théorie de la régulation : apports et limites », Travailler no 29, p. 17‑28.

Dustmann C., Fitzenberger B., Schönberg U. & A. Spitz-Oener (2014), “From Sick Man of Europe to Economic Superstar: Germany’s Resurgent Economy”, no 1406, Discussion Paper Series, Centre for Research and Analysis of Migration (CReAM).

Gilles F., Issehnane S., Moulin L. & L. Oumeddour (2018), “The Trajectories of Jobseekers with Reduced Activity—A Quantitative and Qualitative Cross-analysis”, Socio-économie du travail, no 3), p. 31‑68.

Gourgues G. & K. Yon (2018), « Rapport salarial », in Hay C. & A. Smith (dir.), Dictionnaire d’économie politique, Paris, Presses de Sciences Po, p. 391‑402.

Grégoire M. (2013), Les intermittents du spectacle. Enjeux d’un siècle de luttes, Paris, La Dispute.

Grégoire M. & C. Vivès (2021), « Indemnisation du chômage : quel taux de couverture ? », La Revue de l’Ires, no 105, p. 3‑24.

Insee (2024a), Emploi, chômage, revenus du travail – Éditions 2024, Montrouge, Insee Références.

Insee (2024b), Revenus et patrimoine des ménages– Éditions 2024, Montrouge, Insee Références.

Issehnane S., Gilles F., Moulin l., Oumeddour L. & F. Sari (2016), « Le recours à l’activité réduite : déterminants et trajectoires des demandeurs d’emploi », Pôle Emploi, Études et recherches, no 8.

Issehnane S., Deguilhem T., Fares R., Merchaoui W., Rebérioux A., Signoretto C. & N. Yol (2025), « Discontinuité de l’emploi et réforme de l’assurance chômage : quels effets sur le revenu et le retour à l’emploi des demandeurs d’emploi ? », Rapport de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

Joachimowicz A. (2015), « Le statut de l’artiste en Belgique : un mythe ! », Études théâtrales, no 62, p. 78‑101.

Leroy C. (2002), « Les salaires en longue période » in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 115‑125.

Levratto N. & E. Serverin (2012), « L’auto-entrepreneur, instrument de compétitivité ou adoucissant de la rigueur ? Bilan de trois années de fonctionnement du régime », Revue de la régulation, no 12, URL : https://journals.openedition.org/regulation/9879

Magnan A. & C. Laurent (2023), « Changement institutionnel et rapport social d’activité dans l’agriculture » in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 419‑427.

Matonti F. & F. Poupeau (2004)., « Le capital militant. Essai de définition », Actes de la recherche en sciences sociales, no 155, p. 5‑11.

Merchaoui W. & S. Issehnane (2025), « Les inégalités salariales entre les femmes et les hommes intermittents du spectacle », Culture Études, DEPS (à paraître).

Michel S. & D. Vallade (2007), « Une Analyse de long terme des dépenses sociales », Revue de la régulation, no 1, URL : https://journals.openedition.org/regulation/1507

Michel S. (2023), « Le retour du rapport salarial ? Une enquête régulationniste » in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A & T. Lamarche (dir.), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris, Dunod, p. 137‑146.

Pech de Laclause C. (1997), « Statut social des artistes du spectacle », LEGICOM, no 13(1), p. 85‑90.

Reynaud B. (2002), « Diversité et changement des règles salariales » in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 135‑143.

Reynaud B. (1990), « Les modes de rémunération et le rapport salarial », Économie & prévision, no 92(1), p. 1-14.

Salais R., Baverez N. & B. Reynaud (1990), L’Invention du chômage, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige ».

Saillard Y. (2002), « Le salaire indirect » in Boyer R. & Y. Saillard (dir.), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, p. 153‑161.

Saillard Y. (2019). « Chapitre 8. Créer une protection sociale pour les travailleurs des plateformes de services » in Warin P. (dir.), Agir contre le non-recours aux droits sociaux. Scènes et enjeux politiques ; Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, p. 81‑202.

Sénat (2013), « L’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle », Sénat français, Étude de législation comparée, no 241.

Shapiro C. & J. Stiglitz (1984), “Equilibrium unemployment as a worker discipline device”, The American Economic Review, vol. 74, no 3, p. 433‑444.

Sigalo Santos L. (2022), « L’intermittence du spectacle, un financement paradoxal de la culture ? », Regards croisés sur l’économie, no 30‑31(1), p. 41‑49.

Sinigaglia, J. (2012), Artistes, intermittents, précaires en lutte. Retour sur une mobilisation paradoxale, Nancy, PUN-Éditions universitaires de Lorraine.

Sonnerat F. (2025), « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 », France Travail, Statistiques et Indicateurs, no 25.002.

Théret B., 2023, « État et politique dans la théorie de la régulation » in Boyer R., Chanteau J.-P., Labrousse A & T. Lamarche (dir.), Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Paris, Dunod, p. 104‑113.

Tuchszirer C. (2002), « Activités réduites et trajectoires d’insertion des demandeurs d’emploi », Les Travaux de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale 2001-2002, Paris, La Documentation française et l’ONPES, p. 433‑456.

Unedic (2019), « Repères sur l’assurance chômage en fonction de la durée des contrats », Cahier de recherche.

Unedic (2022), « L’indemnisation des intermittents du spectacle », Dossier de synthèse.

Unedic (2024), « Situation financière de l’assurance chômage pour 2024-2027 », Prévisions financières, p. 16.

Unedic (2025), Réforme 2019-2021 : Premiers résultats d’évaluation du bonus-malus, Paris, Unedic.

Vivès C. (2018), « Justifications et règles d’indemnisation de “l’activité réduite” : le sens de l’assurance chômage en question (1983-2014) », Revue Française de Socio-Économie, no 20, p. 61‑81.

Vivès C., Sigalo-Santos L., Pillon J.-M., Dubois V. & H. Clouet (2023), Chômeurs, vos papiers ! Contrôler les chômeurs pour réduire le chômage ?, Paris, Raisons d’agir.

Haut de page

Notes

1 Une cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie sera créée en 2020.

2 La CSG a été créée en 1991 pour financer la branche famille, en remplacement d’une partie des cotisations sociales employeurs d’allocations familiales. Le taux de la CSG était alors de 1,1 % sur l’ensemble des revenus (d’activité, de remplacement et du patrimoine). Ce taux est ensuite modulé selon les catégories de revenus et celui de la CSG activité s’accroit à mesure qu’elle intervient dans le financement d’autres dépenses sociales (fonds solidarité vieillesse en 1993, branche maladie en 1997, assurance chômage en 2019) pour se porter à 9,2 % des revenus d’activité en 2025.

3 Cette borne d’âge est passée à 55 ans depuis le 1er avril 2025.

4 En vue de limiter l’utilisation des contrats courts, une modulation de la cotisation sociale patronale, du type « bonus-malus », est introduite au 1er juillet 2022 dans certains secteurs d’activité. La cotisation patronale augmente (malus) ou diminue (bonus) en fonction du taux de séparation de l’entreprise concernée et du taux de séparation médian du secteur d’activité de l’entreprise. Le taux de séparation correspond au nombre de fins de contrats de travail ou de missions d’intérim assorties d’une inscription à France Travail. Depuis le 1er mai 2025, cette modulation peut aller de 2,95 % (bonus) à 5,00 % (malus), alors que le taux de la cotisation sociale patronale non modulé est de 4 %. Pour une analyse des premiers effets de ce dispositif, voir Bjaï et al., 2025 et Unedic, 2025).

5 La dégradation des salaires, en particulier pour les plus démunis, est un phénomène qui a été étudié en Allemagne où des réformes similaires ont été adoptées. L’étude de Dustmann et al. (2014) souligne ainsi que les lois Hartz IV (réformant l’assurance chômage en Allemagne) ont directement participé à l’accroissement des inégalités salariales. En parallèle, le taux de pauvreté des chômeurs en Allemagne est passé de 40 à 70 % entre 2004 et 2009 (Bouvard et al., 2013). 

6 Au sens de Matonti & Poupeau, 2004.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Graphique 1. Dépenses de protection sociale en France depuis 1959 (en % du PIB)
Crédits Sources : DREES, CPS, Insee, les comptes nationaux annuels pour le PIB.
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/25014/img-1.png
Fichier image/png, 63k
Titre Graphique 2. Évolution des dépenses et des recettes de l’Unedic de 2011 à 2022
Crédits Source : Unedic.
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/25014/img-2.png
Fichier image/png, 146k
Titre Graphique 3. Évolution de la part des catégories de demandeurs d’emploi (base 1996) 
Crédits Source : Fichier historique statistique des demandeurs d’emploi (FHS), DARES
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/25014/img-3.png
Fichier image/png, 74k
Titre Graphique 4. Nombre de demandeurs d’emploi, nombre d’allocataires pris en charge par l’assurance chômage et part des allocataires ayant travaillé chaque mois
Crédits Source : FHS et FNA, France Travail
URL http://journals.openedition.org/regulation/docannexe/image/25014/img-4.png
Fichier image/png, 568k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Emmanuelle Bénicourt et Sabina Issehnane, « Assurance chômage, discontinuité de l’emploi et rapport salarial »Revue de la régulation [En ligne], 38 | 1er semestre |Spring 2025, mis en ligne le 17 octobre 2025, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/regulation/25014 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1514y

Haut de page

Auteurs

Emmanuelle Bénicourt

Maîtresse de conférences en économie, université de Picardie Jules Verne, CRIISEA

Articles du même auteur

Sabina Issehnane

Maîtresse de conférences en économie, université Paris Cité, CNRS, LIED, Ceet-Cnam & Ined

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont susceptibles d’être soumis à des autorisations d’usage spécifiques.

Haut de page
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search