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Entretien

Entretien avec Julio C. Neffa, régulationniste argentin et analyste des transformations du travail

Interview with Julio C. Neffa, Argentine regulationist and analyst of labor transformations
Entrevista con Julio C. Neffa, regulacionista argentino y analista de las transformaciones del trabajo
Julio C. Neffa, Thomas Lamarche et Jonathan Marie

Texte intégral

1Julio César Neffa est économiste, spécialisé sur les problématiques de travail et de l’emploi. Il étudie le mode de développement argentin dans une perspective de long terme. Ses recherches s’inscrivent dans l’économie de l’innovation, et abordent largement les questions d’emploi et de chômage et, depuis une dizaine d’années, les risques psychosociaux au travail, notamment en collaboration avec Michel Gollac. La Théorie de la régulation est l’approche théorique qu’il mobilise, en cohérence et en dialogue avec les travaux de Robert Boyer, Benjamin Coriat ou encore Jacques Freyssinet.

2En 1969, Julio César Neffa a soutenu sa thèse à Paris I, intitulée « Les stratégies de luttes sociales en Argentine », effectuée sous la direction d’Henri Bartoli. Pendant la dictature militaire en Argentine (1976-1983), il a été contraint de s’exiler. Il a d’abord travaillé comme expert auprès du BIT sur les conditions de travail, avant d’être intégré en tant que chercheur au CNRS, au sein de l’IREP de Grenoble II et du CREDAL de l’université Sorbonne Nouvelle. À son retour en Argentine, il a repris son poste au CONICET, au CEIL (Centro de Estudios e Investigaciones Laborales), centre qu’il avait fondé en 1971. Actuellement, il est professeur à l’université de Buenos Aires (UBA), à l’université nationale du Nord-Est (UNNE) ainsi qu’à l’université de Moreno. Il dirige un programme de troisième cycle en relations professionnelles et coordonne un réseau de chercheurs latino-américains sur les risques psychosociaux au travail.

Un voyage marqué par des échanges nourris entre la France et l’Argentine

3Argentin de naissance, votre formation et votre carrière sont marquées par des relations entre la France et l’Argentine. Ainsi, vous êtes diplômé en France de l’École nationale de l’administration (ENA) et de l’Institut d’études du développement de la Sorbonne (IEDES) et en Argentine de l’université de Buenos Aires en plus de mener une carrière de chercheur au CONICET. Quelle est l’origine de ces liens que vous avez développés avec la France ?

4Pendant mes études universitaires à la faculté d’économie de l’université de Buenos Aires, qui se sont prolongées parce que je devais avoir un emploi pour subvenir à mes besoins, j’ai travaillé dans un institut de formation sociale syndicale (IFSS). Cela m’a donné l’occasion de rencontrer des responsables syndicaux, mais aussi de saisir la logique de l’activité syndicale et de nouer des amitiés qui se sont maintenues jusqu’à aujourd’hui. Au cours des années 1963-1965, j’ai été chargé de coordonner les cours de formation syndicale à la CGT, l’unique centrale syndicale argentine, en donnant des cours sur l’histoire du mouvement ouvrier, les doctrines sociales et la participation des travailleurs à la gestion de l’entreprise. Avec d’autres collègues, inspirés par l’économie et l’humanisme, nous avons créé le Centro Argentino de Economía Humana (Centre argentin d’économie humaine) et nous avons reçu la visite de Joseph Lebret. C’est à cette époque que j’ai appris le français.

5Pouvez-vous revenir sur les conditions de votre arrivée en France ?

6J’ai pu rencontrer François Perroux, Gérard Destanne de Bernis et Jean-Marie Martin, chercheurs à l’IREP de l’université de Grenoble, lors de leurs séjours dans les années 1960 en Argentine. Ils m’ont invité à poursuivre mes études en France. C’est donc par ces échanges que j’ai noué des liens avec l’IEDES (Paris I) et l’université de Grenoble II. J’ai terminé mon diplôme d’économie politique en Argentine et j’ai alors sollicité une bourse à l’ambassade de France. Fin 1965, nous sommes partis en France avec ma femme Mercedes. À Paris, nous avons suivi les cours de DEA de l’IEDES. J’étais particulièrement intéressé par l’approfondissement de la « théorie des pôles de développement », sujet sur lequel j’ai ensuite fait ma thèse. Pendant cette période, j’ai fait plusieurs visites au BIT (Bureau international du travail), où je suis entré en contact avec le Département des conditions de travail et l’Institut international d’études sociales (IILS). Mes travaux se focalisaient sur les problèmes des conditions de travail, hygiène et sécurité, et de la participation des travailleurs à la gestion des entreprises. En 1968, j’ai effectué un séjour de plusieurs mois en Yougoslavie avec une bourse du BIT. À partir de cette expérience, l’autogestion est devenue une partie de mes recherches.

7Pendant l’année universitaire 1967-1968, j’ai suivi les cours de l’ENA en tant qu’étudiant étranger. Ce fut une expérience extraordinaire, car je partageais les cours avec des collègues qui ont ensuite occupé de hautes fonctions dans l’administration française. Pendant cette période, j’ai pu vivre de près mai 1968. De plus, en raison de ma vocation pour les études sur le travail, je me suis inscrit au doctorat en sciences sociales du travail, qui était enseigné à Paris I, où j’ai rencontré les professeurs Marcel David (créateur de l’ISST) et Henry Bartoli, qui a été mon directeur de thèse. Ma thèse était centrée sur « les stratégies des luttes sociales en Argentine », thèse que j’ai soutenue à la fin de l’année 1969. En mai de la même année, Patricio, notre premier fils, est né à Paris.

8Depuis l’IILS du BIT, j’ai été invité à participer en 1969 et 1970 à une série de séminaires « tripartites » en Amérique latine (Argentine, Pérou et Mexique), en partageant les chaires avec d’importantes personnalités des sciences sociales de cette région : Rodolfo Stavenhagen, Fernando Henrique Cardoso, Amino Affonso, Paulo Singer, Orlando Fals Borda, Anibal Quijano, Víctor Urquidi, Francisco Correa Weffort ou encore Georges Spyropoulos (du BIT).

9Comment s’est déroulé votre retour en Argentine ? Comment s’est-il articulé avec l’expérience acquise en Europe et les liens tissés ?

10Je suis rentré avec ma famille en Argentine à la fin de l’année 1969 pour rejoindre le Centre de recherche en administration publique (de l’Instituto Torcuato di Tella), qui était soutenu par la Fondation Ford. Mais en raison de la crise financière aux États‑Unis, cette Fondation a cessé de recevoir ces ressources et a été contrainte de licencier les chercheurs qui avaient été embauchés et avaient poursuivi, comme moi, des études à l’étranger. Ce fut ma première expérience en tant que chômeur…

11J’ai posé ma candidature pour devenir chercheur au CONICET, l’équivalent argentin du CNRS (qui a d’ailleurs servi de modèle pour sa création en 1958) et ma candidature a été acceptée. Je suis devenu professeur à la Faculté des sciences économiques de l’université nationale de La Plata, ayant en charge le cours Politique et droit social du cursus d’administration jusqu’à ma retraite. Là, avec peu de moyens mais avec l’appui du doyen, j’ai créé en mai 1971 le Centre d’études et de recherches sur le travail (CEIL), en m’inspirant de l’ISST fondé par Marcel David en France. Les premiers sujets étudiés concernaient les politiques de l’emploi, la participation des travailleurs à la gestion des entreprises (co-détermination, co-gestion…) et les conditions de travail (compte tenu de mes liens avec l’OIT), en établissant des relations de coopération avec les syndicats de la ville de La Plata, avec lesquels nous réalisions un travail d’éducation ouvrière. J’ai obtenu l’appui du doyen de la faculté pour gérer le soutien de l’OIT au financement, par l’intermédiaire du PNUD, du premier cours universitaire de troisième cycle en Amérique latine sur les « sciences sociales du travail », qui s’est déroulé de 1972 jusqu’au coup d’État militaire de 1976. Parmi les experts internationaux, nous avons par exemple recruté comme expert principal Jacques Freyssinet, spécialiste en économie du travail de l’université des sciences sociales de Grenoble. C’est lui qui a guidé mes recherches en économie du travail et m’a familiarisé avec la Théorie de la régulation. Simultanément, nous avons organisé au CEIL un séminaire intensif avec beaucoup de participants sur le système d’autogestion yougoslave, animé par Zulejman Redgepavic, professeur de l’université de Zagreb. Ces travaux permettaient de réaliser que cette expérience était très différente du « communisme centralisé, autoritaire et administratif » qui prévalait encore en Union soviétique.

12En mars 1976, le coup d’État militaire le plus sanglant de l’histoire de l’Argentine a eu lieu. Ma femme, responsable d’un centre de documentation pédagogique, et moi-même avons été licenciés « pour raisons de service », sans procès. Cela aurait pu être encore pire : nombreux sont celles et ceux qui l’ont été « pour des raisons de sécurité » et ont été tués ou ont « disparu ». On me soupçonnait d’être un « idéologue subversif », en raison de mes publications en France sur la révolution en Amérique latine et pour avoir organisé ce séminaire sur l’autogestion yougoslave.

13Pendant plusieurs mois, ma vie et celle de ma famille ont été menacées. Nous étions confinés dans notre maison, écoutant les sirènes des voitures de police et de l’armée et les tirs de mitrailleuses à toute heure, recevant des informations selon lesquelles beaucoup de nos collègues avaient été assassinés ou avaient « disparu ». Je crois que ma vie a été préservée par une lettre signée par mes professeurs de doctorat (G. De Bernis, J.‑M. Martin, A. Touraine, M. David, H. Bartoli, et d’autres) adressée à l’ambassade de France pour demander ma protection, lettre qui a été remise par l’ambassadeur au ministre de l’Éducation du gouvernement militaire qui avait été boursier en France.

14Cette année-là, un changement fondamental s’est produit : j’ai eu l’opportunité de signer un contrat dont l’objectif était la rédaction d’articles monographiques sur le travail en Argentine. Puis, en tant qu’expert, j’ai reçu la proposition de quitter le pays pour rejoindre une mission interdisciplinaire sur les conditions de travail et l’environnement de travail en Amérique latine, qui a débuté au Venezuela à la fin de l’année 1976. Tout au long de l’année 1977, j’ai travaillé dans la région en tant qu’expert de l’OIT sur ces questions et j’ai été chargé de coordonner les activités d’assistance technique, d’organisation scientifique et d’enseignement avec le siège au Pérou et les missions au Venezuela, en Bolivie, au Mexique, au Honduras, à Cuba et en Colombie.

15À la fin de l’année 1977, j’ai candidaté pour devenir chercheur au CNRS, à l’IREP de Grenoble, et j’ai été accepté. En janvier 1978, nous sommes partis avec la famille à Grenoble, qui s’était agrandie avec la naissance de deux fils, Gustavo et Marcelo, et d’une fille, Gabriela. Nous avons été accueillis par Jacques Freyssinet et Jean-Marie Martin qui nous ont aidés à nous installer. C’est le début de mon deuxième séjour en France, qui durera jusqu’à la fin de la dictature militaire.

16C’est à Grenoble que j’ai connu personnellement des collègues régulationnistes lorsqu’ils venaient donner des séminaires – Robert Boyer, Benjamin Coriat, Pascal Petit, Bernard Billaudot – ainsi que les chercheurs du LEST-CNRS – Alain d’Iribarne, François Sellier, Guy Roustang, Jacques Silvestre – et ceux qui dirigeaient le CEREQ délocalisé à Marseille – Yves Lichtenberger, Éric Verdier, Philippe Mehaut. C’est à l’IREP que j’ai approfondi ma connaissance des deux courants de la Théorie de la régulation : la version marxiste exprimée par Gérard Destanne de Bernis, et la version parisienne de Robert Boyer, Michel Aglietta, Benjamin Coriat, Pascal Petit. Quant à l’économie du travail et de l’emploi, les auteurs les plus visités ont été Annie Fouquet, Guy Caire, François Eymard Duvernay, Olivier Favereau (un des fondateurs de l´École des conventions), et Serge Volkoff du Centre d’études de l’emploi. J’ai également eu l’occasion de suivre les cours d’Alain Wisner au CNAM où j’ai acquis des notions théoriques sur l’ergonomie, et sur les risques psychosociaux au travail, en suivant les cours d’Yves Clot et de Christophe Dejours. Enfin, les rencontres fréquentes avec Michel Gollac et Serge Volkoff ont été décisives pour commencer à approfondir les théories sur les risques psychosociaux au travail (RPST) soutenues par Thomas Coutrot. Il s’ensuit que la Théorie de la régulation m’a donné des éléments pour étudier, avec une vision de synthèse intégrant plusieurs disciplines, les problèmes du marché du travail, des relations professionnelles et de l’impact du travail sur la santé.

17Pendant cette période, j’ai également enseigné à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL) sur le thème « Conditions et environnement du travail » et participé à de nombreux séminaires organisés mensuellement au siège du CEPREMAP, séminaires qui participaient largement à nourrir les réflexions des auteurs régulationnistes.

  • 1 Le CREDAL (Centre de recherche et d’études sur l’Amérique latine, aujourd’hui CREDA) est le laborat (...)

18De retour en Argentine en 1984, en tant que chercheur du CNRS en « mission de longue durée », j’ai travaillé pendant 10 ans en coopération avec le Secrétariat de la science et de la technologie (SECYT), où j’ai été directeur puis coordinateur académique du « Programme d’études et de recherches en sciences sociales du travail » qui, sous les gouvernements successifs, a pris le nom de « Programme national prioritaire de recherche sur la technologie, le travail et l’emploi » (PRONATTE) du SECYT. Ces programmes ont permis de recenser les études et les recherches sur ces sujets dans le but de développer un programme national de recherche (similaire au PIRTEM). Au cours de cette décennie, j’ai réintégré le CEIL en tant que chercheur, tout en conservant mon affiliation institutionnelle au CREDAL1 et au CNRS.

19La vie universitaire se normalisant en Argentine avec la restauration de la démocratie, au CEIL nous avons élaboré et proposé la création d’un diplôme en relations du travail, qui a été intégré à la faculté des sciences sociales de l’université de Buenos Aires (UBA). J’ai fait partie de la direction de cette formation pendant plus d’une décennie. J’y ai donné des cours sur l’économie du travail et sur les conditions et l’environnement de travail et, en coopération avec le CEIL et le CREDAL ainsi qu’avec le ministère du travail, nous avons obtenu le soutien de l’OIT-PNUD pour mener à bien pendant plusieurs années un programme de coopération tripartite sur les conditions et l’environnement de travail, en préparant un diagnostic de la situation argentine en association avec les organisations patronales et syndicales.

20En 1992, en coopération avec plusieurs collègues, nous avons élaboré la proposition d’un cours de troisième cycle multidisciplinaire en sciences sociales du travail, au sein de la faculté des sciences sociales de l’université de Buenos Aires (UBA). Il s’agit du premier cours de ce type en Amérique latine. J’y ai été co-directeur pendant plusieurs périodes, y ai enseigné des séminaires sur l’économie du travail, les conditions de l’environnement de travail et la Théorie de la régulation, ainsi que supervisé une douzaine de mémoires de maîtrise et de thèses de doctorat. Parmi ces travaux, citons notamment ceux de Demian Panigo, Pablo Pérez, Nicolás Dvoskin, Mariana Busso ou Mariano Féliz, actuellement chercheurs au CONICET et professeurs universitaires ainsi que la thèse de Gustavo Ludmer co-dirigée avec Robert Boyer.

21Grâce à un soutien important du service de coopération scientifique et technique de l’ambassade de France, plusieurs dizaines de séminaires de recherche intensive ont été organisés entre le milieu des années 1980 et 2010. Chaque année, l’Ambassade proposait plusieurs séjours d’experts français qui passaient une ou deux semaines en Argentine pour donner des cours de 20 heures, qui étaient ensuite validés dans les différents cursus de troisième cycle des universités argentines. Grâce à ces ressources, nous avons pu offrir aux étudiants et diplômés argentins la possibilité d’assister à des séminaires avec des professeurs et chercheurs français de haut niveau, par exemple sur l’économie du travail (Freyssinet, Gautié, Germe, Bertrand, Friot, Eymard Duvernay, Lichtenberger, Verdier, Mehaut, Bertrand, Charmes, Mignot, Fouquet, Husson, Bessy, Rehfeldt, Richard, Gazier, Nadel, Bertrand, Bourguignon), la sociologie du travail (Touraine, Freyssenet, Castel, Dubois, Jobert, Linhart, Vatin, Rose, Paugam, Rozemblatt), l’ergonomie (Wisner, Jayet, Queinec, Davidson, Laville, Moyen) ; le droit du travail (Lyon-Caen), la psychodynamique du travail (Dejours, Coutrot) ; l’économie des innovations (D’Iribarne, Barré, Midler), les risques psychosociaux au travail (Gollac, Volkoff) et bien sûr aussi sur la Théorie de la régulation (Boyer, Coriat, Petit, Lamarche, Delorme, Lipietz, Theret, De Bernis, Mazier). Avec une maison d’édition que nous avons créée en tant qu’ONG (Trabajo y Sociedad), nous avons publié près d’une centaine de livres, dont de nombreuses traductions de publications des enseignants et chercheurs susmentionnés, qui font désormais partie des bibliographies des cours universitaires en sciences sociales.

22J’ai participé à tous ces séminaires, ce qui m’a permis d’échanger avec ces collègues, d’élargir mes connaissances dans différentes disciplines, et de promouvoir la rédaction de thèses en cotutelle avec plusieurs universités françaises.

23Vous continuez à jouer un rôle important en encourageant le développement de l’analyse régulationniste en Argentine. Comment la Théorie de la régulation a-t-elle nourri votre travail et votre cadre théorique ?

24Il ressort de ce qui précède que, si ma formation de base est l’économie politique spécialisée sur l’économie du travail, j’ai acquis des connaissances qui me permettent d’avoir une vision plus globale de l’économie à travers les formations complémentaires que j’ai reçues et les activités que j’ai menées au CNRS, au CONICET et dans la vie universitaire. Cela pose des difficultés car, pour les économistes académiques, je ne suis pas un économiste « standard ». Mais cela me permet de dialoguer facilement avec des collègues d’autres disciplines et de participer à des projets de recherche pluridisciplinaires.

  • 2 Par exemple : Neffa J. C. (1998), Modos de Regulación, Regímenes de Acumulación y su crisis en Arge (...)

25Depuis mon retour d’exil, la Théorie de la régulation m’a été très utile. Tout d’abord, pour comprendre l’évolution de l’économie argentine dans une perspective de long terme, en suivant les schémas d’Aglietta sur le régime d’accumulation dans l’économie américaine et de Robert Boyer sur le rapport salarial en France depuis la Révolution française jusqu’à la crise du régime keynésien fordiste. Cette recherche a duré plusieurs années et a donné lieu à plusieurs publications2. Ce projet a permis de vérifier l’utilité de ces approches et d’identifier les étapes du mode de développement (à partir du secteur industriel), bien que je ne disposasse pas des séries statistiques ni de la formation pour réaliser des études économétriques.

  • 3 Neffa J. C. (1990), Proceso de trabajo y economía de tiempo. Contribución al análisis crítico del p (...)
  • 4 Neffa J. C. & Henry M. L. (2024), Innovación tecnológica y reorganización del proceso de trabajo en (...)

26Une autre recherche pluriannuelle a été inspirée par les travaux de Benjamin Coriat sur les processus de travail, ce qui a donné lieu à une publication3 qui a été largement diffusée en Amérique latine. Par la suite, j’ai pu utiliser les travaux du GERPISA et faire des recherches sur les processus de travail dans les entreprises de pièces automobiles sous-traitantes dans le cadre d’un projet de recherche soutenu par le ministère de la science et de la technologie4.

27Les travaux de Boyer (en particulier « Les salaires en longue période », Économie et Statistique, no 103, septembre 1978), sur le rapport salarial m’ont amené à étudier la période 1945-1955, au cours de laquelle la première expérience « péroniste » a vu le jour en Argentine. À cette époque, à l’initiative des responsables de la gestion des ressources humaines et avec le soutien du gouvernement, ils ont tenté d’appliquer systématiquement le taylorisme en Argentine afin d’augmenter la productivité (qui était freinée par l’absentéisme et la résistance des travailleurs), à l’instar de l’expérience américaine des « Missions de productivité » après le deuxième après-guerre.

  • 5 UOM (Unión Obrera Metalúrgica, Seccional La Plata), ATSA, (Asociación de Trabajadores de la Sanidad (...)

28La Théorie de la régulation (TR) m’a permis de voir comment les modes de développement macroéconomiques ont des répercussions sur le travail, l’emploi, la consommation et le niveau de vie, et finalement sur la santé de ceux qui travaillent. Mon expérience d’expert auprès du BIT m’a amené à approfondir l’impact du travail sur la santé et, dans un premier temps, la recherche théorique et le travail empirique m’ont permis d’aboutir à une synthèse, en proposant le concept de « conditions et environnement de travail » (CyMAT), inspiré du BIT. Mais la TR m’a permis d’identifier le contenu et l’organisation du processus de travail comme la cause déterminante des problèmes de santé des travailleurs et d’éviter ainsi les approches partielles basées sur le concept de stress de Hans Selye, qui néglige les aspects structurels. Par la suite, avec l’appui de Michel Gollac et Pierre Volkoff (deux statisticiens du travail), j’ai pu approfondir le concept de risques psychosociaux au travail (RPS). Je travaille sur ce sujet depuis une dizaine d’années, en menant des recherches auprès de grandes entreprises et d’établissements de santé, à la demande des organisations syndicales5 et du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Innovation productive, pour servir de base à l’adoption de politiques de prévention. Boyer (voir Boyer (2018), « Transformation des capitalismes, nouveaux modes de gestion du travail et subjectivité des salariés (1970-2016) », Institut des Amériques) a depuis confirmé mes intuitions quant aux répercussions des modes de développement sur la santé mentale et psychologique des travailleurs.

29Votre collaboration avec les régulationnistes et avec R. Boyer en particulier a notamment permis la publication de deux ouvrages collectifs importants, l’un consacré à l’analyse de la crise argentine de 2002, remontant à ses origines historiques et publié en 2004, et l‘autre en 2007, sur les possibilités d’un nouveau régime de croissance entrepris par l’Argentine au début du xxie siècle. Ces ouvrages marquent un moment important de fertilisation croisée entre les travaux de la TR et les analyses hétérodoxes argentines, souvent influencées par l’école de la CEPALC (Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes). Souhaitez-vous revenir sur ce moment et sur ce qu’il a apporté ?

30À la faculté d’économie de l’université de Buenos Aires, les enseignants appartenaient à différentes écoles de pensée, mais la TR n’attirait pas beaucoup d’attention pendant les années 1990, étant parfois confondue avec la conception néoclassique de la “regulation” perçue comme simple synonyme de réglementation. Pendant plusieurs années, j’ai pourtant donné un séminaire sur la Théorie de la régulation à des étudiants hétérodoxes en fin de licence d’économie.

  • 6 Les réflexions de ce groupe sont entamées lors de l’année 2001, marquée par une violente crise tout (...)

31Le Plan Fénix6 de l’UBA, créé par Aldo Ferrer, qui réunit des professeurs hétérodoxes, nous a aidés à organiser les activités que vous mentionnez, qui ont eu un large impact sur l’identification des causes et des conséquences de la crise. Dans ces activités, une critique profonde a été faite du « régime de convertibilité » qui, pendant presque une décennie, a imposé légalement l’équivalence entre 1 peso et 1 dollar américain, une politique monétaire qui a conduit à la crise la plus grave de l’histoire de l’économie argentine en 2001-2002.

32Robert Boyer, Benjamin Coriat et Carlos Quenan (avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignations) ont joué un rôle décisif non seulement dans les débats mais aussi dans la réalisation de ces publications qui ont eu un large impact. C’est dans ce cadre que les approches de la Théorie de la régulation ont été présentées et confrontées en Argentine aux approches hétérodoxes marxistes, keynésiennes, postkeynésiennes et schumpétériennes : toutes critiquant les théories qui sous-tendent la convertibilité. Malheureusement, il n’a pas été possible de consolider un groupe stable d’économistes régulationnistes, bien que ce fut l’occasion pour plusieurs jeunes économistes hétérodoxes d’obtenir des bourses et de se rendre à Paris pour suivre des cours et préparer leurs thèses de doctorat sous la direction de Boyer, Coriat, Chesnais, Freyssinet, Mazier, Petit, Marques Pereira, Salama et bien d’autres. Certains de ceux qui ont fait leurs études doctorales en France ont ensuite occupé des postes importants au ministère de l’Économie (dans la période 2003-2015) et à la Banque centrale. Parmi eux, Demian Panigo, l’un des thésards de Robert Boyer, qui a occupé des postes à responsabilité au ministère de l’Économie et dans de grandes entreprises publiques. D’autres jeunes économistes proches de lui, sans toujours revendiquer d’ancrage à la Théorie de la régulation, l’utilisent pour leurs cours et projets de recherche (Paula Español, Pablo Pérez, Mariano Félix, Pablo Lavarello, Pablo Chena, entre autres).

  • 7 Voir Boyer R. & Y. Saillard (dir.) (1995), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La (...)

33L’influence régulationniste demeure donc aujourd’hui présente dans les universités et les centres de recherche, bien que marginale. Le Centre d’études et de recherches sur le travail (CEIL) du CONICET constitue peut-être l’exception. L’État des savoirs7 et les éditions en castillan des livres de R. Boyer, P. Petit et B. Coriat ont été diffusés. Le travail macroéconomique de Demian Panigo à partir de sa thèse de doctorat est une contribution importante. Et, modestement, je pense que nos publications sur le marché du travail, le rapport salarial, les processus de travail, les politiques de l’emploi, l’économie des innovations, les conditions de travail et les risques psychosociaux au travail, s’inspirent et se situent dans le cadre théorique proposé par R. Boyer et B. Coriat et ne sont pas passées inaperçues.

34Plus généralement, comment expliquer l’adéquation, souvent reconnue par les économistes hétérodoxes latino-américains, de la démarche régulationniste aux économies latino-américaines ?

35Les orientations néoclassiques et postkeynésiennes prédominent en Amérique latine, car de nombreux collègues ont fait leurs études doctorales dans des universités nord-américaines. Les analyses marxistes sont aussi présentes dans certaines chaires universitaires hétérodoxes. Mais la pensée économique « développementaliste » de la CEPALC est également très influente. Il n’y a pas de théorie dominante unique au sein de la CEPALC, mais dans certaines publications, on trouve des citations des travaux de Boyer, Aglietta, Coriat ou Petit.

36Les approches macroéconomiques régulationnistes sont très utiles, mais au sein de l’association Recherche et Régulation, on trouve aussi nombre d’analyses ou de propositions mésoéconomiques et sectorielles qui ne mettent pas l’accent sur les problèmes des pays latino-américains. Cependant, les numéros spéciaux de la Revue de la régulation (no 11, 2012 ou no 33, 2022), que nous avons programmés avec Boyer et qui étaient amplement rédigés par des économistes latino-américains, ont été largement diffusés.

37En résumé, nous pouvons affirmer que, en Amérique latine, la TR n’a pas d’ennemis pour l’invalider. Elle y est considérée comme très utile et appropriée pour analyser la réalité des pays capitalistes industrialisés, notamment la France, et les textes de ses créateurs sont fréquemment cités par les hétérodoxes. Toutefois, elle n’est pas encore perçue comme une théorie alternative à la théorie néoclassique dominante dans les cercles académiques.

38Vous avez largement participé à l’internationalisation de la Revue de la régulation, favorisant sa diffusion dans le monde hispanophone, en particulier depuis votre participation au comité éditorial, mais aussi à travers des initiatives telles que la traduction des métadonnées en espagnol ou la diffusion de la lettre Noticias de la regulación, diffusée depuis le début des années 1990. Aujourd’hui, comment la Revue est-elle perçue par nos collègues argentins ?

  • 8 Voir note précédente.

39Les deux livres intitulés Théorie de la régulation : l’état des Savoirs sont très utiles. Le premier8, que nous avons traduit, a été publié en Argentine et a été distribué dans toute l’Amérique latine. La première édition a été rapidement épuisée.

  • 9 Il s´agit de Piketty T., Labrousse A., Montalban M. & N. da Silva (2020), “Entrevista con Thomas Pi (...)

40La qualité du travail d’évaluation, de discussion et d’édition effectué au sein de la Revue de la régulation est impressionnante. Elle est très rigoureuse et je réalise que c’est un travail véritablement collectif. Dans la revue Cefiro, de l´université nationale de Moreno, un article de la Revue de la régulation a été traduit en espagnol et publié9. Toutefois, la Revue de la régulation ne contient que peu d’études « macro » qui peuvent être reproduites en Argentine, mais aussi peu d’études sur le marché du travail ou les questionnements autour du rapport salarial. Ce numéro de la Revue est peut-être une exception.

41Une façon de remédier à ces lacunes serait de favoriser la constitution d’équipes mixtes de recherche comparative composées de collègues régulationnistes français et de collègues de plusieurs pays d’Amérique latine. Ce serait l’occasion de s’engager dans des projets de coopération Nord-Sud. Mais les contraintes budgétaires actuelles du système scientifique argentin nous empêchent de prendre une telle initiative.

Travaux sur le travail et l’emploi et les formes d’entreprises

42Vous travaillez sur l’emploi et l’évolution de la qualité des emplois. Comment identifiez-vous les principaux changements ou ruptures dans le rapport salarial ? Comment ce concept peut-il être adapté à des économies telles que celle de l’Argentine, où l’informalité est souvent très importante ?

43Les processus de modification du rapport salarial depuis la fin de la période fordiste se sont déroulés à l’échelle mondiale, donc également en Argentine. Mais, dans ce pays, cette crise a provoqué une chute particulièrement importante de l´emploi de type CDI, de la productivité et de la rentabilité des entreprises. Et la détérioration se poursuit encore aujourd’hui. Le terme « informalité » est ambigu et ne donne pas une image claire de la situation du marché du travail. Le terme a été formulé par l’OIT en 1971-1973 et comprend quatre catégories : les travailleurs familiaux non rémunérés, les travailleurs indépendants, le travail domestique rémunéré et les membres de microentreprises (moins de cinq personnes). Cependant, après 2003, ce secteur a également inclus toutes les personnes qui travaillaient dans des « entreprises informelles », c’est-à-dire qui n’étaient pas enregistrées à des fins fiscales et de sécurité sociale, et enfin celles classées comme « précaires ».

44La période actuelle montre une nouvelle phase de détérioration des emplois en CDI : selon les dernières données officielles (SIPA), le nombre d’employés inscrits dans le secteur privé est passé de 6 369 119 en novembre 2023 à 6 253 766 en mars 2025, ce qui représente une baisse de 115 353 emplois. Les employés du secteur public sont passés de 3 466 731 à 3 408 521 sur la même période, soit un total de 58 210 postes de moins ; tandis que les travailleurs domestiques sont passés de 463 640 à 441 529, soit une baisse de 22 111. Ainsi, près de 200 000 emplois enregistrés (CDI) ont été perdus.

  • 10 Ce terme renvoie au statut fiscal que peuvent décider de prendre les Argentins aux revenus les plus (...)

45La rémunération du travail plonge aussi : d’une base 100 en janvier 2017 le salaire réel est tombé à 83 en 2020, et c´est encore plus faible en 2024. On observe également une forte croissance des catégories des salariés « non enregistrés » (travailleurs au « noir », près de 30 % du total), une proportion croissante d’artisans, de travailleurs précaires ou « d’autonomes » qui travaillent pour leur propre compte mais émettent des factures selon le droit commercial pour leurs services et qui peuvent être “monotributistas10”. D’autre part, des microentrepreneurs et les travailleurs de l´« économie populaire » sont fortement organisés et survivent grâce à des activités d´autoconsommation et de soutien (ils s´occupent de gérer des « soupes populaires », des travaux de nettoyage et de cuisine, sans un salaire formel, pour les familles du voisinage dont certains membres travaillent à l´extérieur du foyer). Elles sont souvent bénéficiaires de politiques sociales « alimentaires » mais dont le montant est bien inférieur au salaire minimum légal.

46Un faible nombre de politiques publiques de promotion de « l´entrepreneuriat formel », soutenues par la Banque mondiale, facilite l’accès au crédit et l’accomplissement des nombreuses formalités auprès des organismes fiscaux et de Sécurité sociale, mais le « taux de mortalité des microentreprises » est très élevé car elles sont situées sur des marchés concurrentiels et ne bénéficient pas d’un soutien dans le temps suffisant.

47Ces observations sont la conséquence des politiques néolibérales, de la stagnation économique, d’une forte hétérogénéité de la structure productive, de la faible croissance du PIB, de la baisse du taux d’investissement, des crises fiscales et monétaires périodiques, de l’inadéquation des politiques de contrôle du gouvernement (pour pénaliser l’économie « au noir ») et du faible pouvoir des syndicats pour obtenir la régularisation de la situation de ceux qui travaillent dans des conditions irrégulières. La Théorie de la régulation, à travers le concept du rapport salarial, permet de comprendre la logique qui explique cette situation.

48La catégorie du rapport salarial (RS) a été forgée dans et pour les pays à salaires relativement élevés. Est-elle pertinente pour l’Argentine et l’Amérique latine en général ou devrions-nous envisager une compréhension ou une définition différente du RS ?

49Le concept de rapport salarial est également pertinent pour l’Argentine ; il doit être replacé dans son contexte politique, économique et social. Cependant, il n’y a pas d’histoire du « fordisme » comme dans les pays capitalistes industrialisés où il existe des institutions au niveau macro où les partenaires sociaux sont encore représentés mais où l´affaiblissement y est aussi marqué.

50En Argentine, le concept de RS que nous avons diffusé se réfère :

  1. à l’utilisation de la force de travail réglementée par la loi nationale sur l’emploi, la loi sur le contrat de travail, les conventions collectives de travail qui s’appliquent au secteur « formel » mais qui n’ont pas empêché l’existence du travail non déclaré et les différentes formes de précarité ;
  2. à la reproduction de la force de travail : les règles relatives au salaire minimum vital et mobile (qui représente environ la moitié du panier alimentaire de base total – niveau de subsistance), le système de Sécurité sociale (retraite et pensions), le système de prévention des risques professionnels (géré par les compagnies d’assurance, les ART, Aseguradoras de Riesgos del Trabajo, entreprises privées sollicitées par les employeurs pour faire face aux risques du travail de ses employés en l’externalisant, qui reçoivent des contributions des employeurs), les régimes syndicaux qui sont partiellement responsables de la protection de la santé des travailleurs et de leurs familles parce qu’ils reçoivent des contributions des employeurs et des travailleurs enregistrés (Obras Sociales Sindicales).

51Mais les travailleurs qui ne sont pas inscrits en CDI ou en CDD représentent presque le tiers des salariés et sont exclus de tous ces droits et ressources, ce qui conduit à une situation dramatique.

52Comment votre recherche s’articule-t-elle avec des travaux plus sociologiques ou psychosociologiques sur la qualité du travail (ou sur l’érosion de la qualité de l’emploi) ? Pouvez-vous indiquer quelle démarche vous adoptez dans votre travail ?

53L’une des caractéristiques des régulationnistes argentins est leur prédisposition au travail en équipe, ouvert à la pluridisciplinarité, et nos recherches ont impliqué des juristes du travail, des ergonomes, des psychologues du travail et de l’organisation ainsi que des sociologues du travail, et nos publications ont généralement plusieurs auteurs. Dans mon expérience personnelle, tant au CEIL du CONICET que dans plusieurs universités, le travail en équipe a prédominé, avec la particularité que les jeunes acquièrent la pratique de la recherche de cette manière mais cherchent ensuite un emploi dans d’autres activités. Plusieurs des projets de recherche que nous avons menés à la demande des organisations syndicales ont produit des résultats qui nous ont permis d’intégrer des améliorations dans leurs conventions collectives respectives, tout en approfondissant la compréhension de leurs problèmes.

54Dans le cadre d’une recherche récente sur les risques psychosociaux au travail dans les grandes entreprises et organisations, nous avons utilisé, en équipe, différentes méthodologies pour comprendre la complexité des problèmes : analyse documentaire de l’entreprise ou de l’organisation étudiée, entretiens approfondis à différents niveaux de la structure de l’organisation et des organisations syndicales, études ergonomiques sur la santé du personnel par l’observation et l’utilisation des registres tenus par les professionnels de santé dans ces domaines, description du système de relations de travail par des entretiens avec la direction chargée de la gestion du personnel et avec l’organisation syndicale concernée, et enfin des enquêtes auprès d’un échantillon représentatif afin de quantifier les risques déclarés par les personnes interrogées. Les premières versions des rapports, avant d’être publiées, sont présentées aux responsables des entreprises ou des syndicats qui en ont fait la demande.

55Pouvez-vous nous dire comment vous en êtes venu à traiter plus finement les risques psychosociaux liés au travail (RPST) ? La situation argentine nous donne-t-elle encore des pistes pour appréhender d’autres situations nationales ?

56C’est grâce à des collègues de la DARES (T. Coutrot), du CNAM (A. Wisner, C. Dejours, Y. Clot) et surtout de Michel Gollac (CREST et INSEE) que nous avons pu nous introduire dans la problématique des RPST. Le point de départ a toujours été le processus de travail et le rapport salarial. Les spécialistes anglo-saxons et australiens sont partis du concept de stress (H. Selye), et ont développé un nombre impressionnant d’études empiriques et théoriques sur son impact sur la santé (Karasek, Siegrist, Moorman, entre autres) avec le soutien de l’OMS, mais ils ont la limite de se référer seulement à la « santé mentale ». Notre approche, à la suite de Gollac (et de son Collège d’expertise) et de Dejours, part du contenu et de l’organisation du processus de travail et du rapport salarial. Outre la charge mentale, nous explicitons les dimensions psychiques, c’est-à-dire les aspects affectifs (émotions) et les aspects relationnels (avec les collègues, la hiérarchie des entreprises et les organisations syndicales pour les échanges ou pour régler les litiges).

57Nous avons maintenant constitué un « Espace latino-américain de recherche sur les RPST » composé de chercheurs de différentes disciplines travaillant dans 11 pays d’Amérique latine. Peu à peu, le rapport salarial et le processus de travail sont devenus des variables ou des facteurs qui expliquent l’émergence ou la visibilité des problèmes de santé mentale et psychologique qui sont devenus prédominants dans les secteurs du tertiaire et des services, qui emploient actuellement plus de travailleurs que l’industrie et l’agriculture en raison du changement du mode de développement.

58La situation en Argentine est très particulière en ce qui concerne le rôle des coopératives et, en particulier, la situation des entreprises recapitalisées souvent autogérées. Cela joue-t-il un rôle particulier pour le travail (sachant que la plupart du temps les travailleurs ne sont pas salariés, mais associés) ? Quel est l’intérêt de l’analyse de ces entreprises pour la Théorie de la régulation ?

59Le coopérativisme et l’économie sociale ont vu le jour en Argentine parallèlement au processus d’industrialisation visant à remplacer les importations. En 1898, la coopérative d’assurance « El Progreso Agrícola de Pigüé » a été fondée par des colons français afin de se prémunir contre les risques liés à la grêle sur les cultures. La coopérative de crédit « Fondo Comunal Sociedad Cooperativa Agrícola Ltda. » a été créée en 1900. En 1922, l’Association des coopératives argentines Ltda. (ACA) a été constituée. Mais la première coopérative de travail en Argentine remonte à 1928 : « La Edilicia de Pergamino », qui se consacrait à la construction et comptait en 1950 170 travailleurs associés. Entre 1928 et 1950, les coopératives de travail ne représentaient que 3,9 % du total des coopératives et étaient peu nombreuses dans le secteur industriel.

60De 1976 à 2002, la plupart des coopératives créées l’étaient en réaction aux politiques néolibérales et de contention sociale ; elles visaient à compenser l’impact des privatisations et la réduction des effectifs, et à offrir une alternative à l’emploi salarié. Par la suite, nombre de nouvelles coopératives de travail constituaient des formes frauduleuses mises en place par des employeurs en difficulté qui les proposaient comme alternative à la menace de fermeture afin de ne pas avoir à cotiser au système de Sécurité sociale et même d’éviter la présence syndicale.

61Plus de 7 000 coopératives ont été créées entre 2005 et 2008, mais environ 4 000 d’entre elles étaient des coopératives de travail issues de la mise en œuvre de plans sociaux (programme Ingreso Social con Trabajo-Argentina Trabaja) dans lesquelles les autorités étaient désignées par le gouvernement.

62En vertu d’une décision de la Cour suprême de justice et de la résolution 784/92 de l’Administration nationale de la Sécurité sociale, il a été déclaré « comme règle générale, que les membres des coopératives de travail ne sont pas considérés comme des employés de celles-ci, mais comme des travailleurs indépendants ».

63La loi no 20.337 sur les coopératives date de 1973 et n’a pas été mise à jour pour tenir compte des entreprises récupérées par leurs propres travailleurs (ERT) – créées en raison de la faillite (parfois frauduleuse) des entreprises et de l’attitude des entrepreneurs qui les ont abandonnées sans avoir préalablement rempli leurs obligations de paiement des dettes et des impôts, et sans verser les salaires dus et les cotisations à la Sécurité sociale. Il s’agit de tentatives d’autogestion d’établissements de production en faillite et abandonnés par les capitalistes, dont l’objectif premier est de préserver l’emploi. En résumé, entre 2002 et 2008, le nombre de coopératives a augmenté de 150 % pour ces raisons.

64Après 2015, les politiques des gouvernements de droite ont cessé leur soutien et l’INAES (Institut national d’économie sociale) a été désactivé, cessant de soutenir les coopératives et en premier lieu les ERT, qui traversent actuellement des moments difficiles et dont beaucoup ont déjà fermé ou survivent dans des conditions héroïques. Notre équipe a mené une enquête sur le coopérativisme argentin. Thomas Lamarche et Noémie De Grenier ont participé aux sessions d’évaluation, et nous avons également étudié une des entreprises récupérées qui est devenue une coopérative, en enquêtant sur les risques psychosociaux au travail, ce qui a été une expérience très riche. Elles sont confrontées à des contraintes juridiques, à un manque de soutien substantiel en matière de technologie et de gestion d’entreprise, ont besoin de crédits pour investir et moderniser les moyens de production et doivent être compétitives sur un marché étroit.

La situation argentine actuelle

65L’arrivée au pouvoir de Milei le 10 décembre 2023 s’est effectuée dans un climat de très forte conflictualité sociale et dans un contexte de forte inflation. Le début de sa présidence est notamment marqué par des coupures budgétaires très fortes et par des attaques contre les chercheuses et chercheurs en sciences sociales. Le CONICET est menacé. Quelle est votre perception de cette actualité ?

66Malheureusement, l’élection de J. Milei a considérablement réduit les ressources consacrées à la recherche, affaiblissant largement la capacité de poursuivre ces activités. L’idéologie qu’on pourrait désigner comme l’anarcho-capitalisme libéral, qui inspire le gouvernement actuel a été nourri en partie par les faiblesses ou les échecs des gouvernements précédents en matière de croissance économique, d’endettement, de maîtrise de l’inflation, et par l’absence d’un modèle de développement alternatif et viable.

67Le soutien actuel aux mesures adoptées réside dans les fortes baisses des taux d’inflation et du déficit fiscal, mais elles ont été obtenues au prix de réductions des salaires réels des fonctionnaires, des pensions des retraités et par des ajustements dans les secteurs de la construction d’infrastructures publiques, de l’éducation et de la santé. Les réformes en cours accroissent primarisation de l’économie : pétrole, gaz, mines et agriculture d’exportation sont les seuls secteurs qui ne souffrent pas de l’ancrage du taux de change, qui entraîne des difficultés à l’exportation pour les autres secteurs et facilite les importations, générant des déséquilibres dans la balance des paiements. Pour l’avenir, des réformes du système de Sécurité sociale, du système fiscal et de la législation du travail, afin de réduire les coûts salariaux, sont d’ores et déjà annoncées. Déjà, le salaire minimum légal et les pensions minimales ne couvrent que la moitié du « panier de consommation de base ».

68En termes réels, le budget des universités et du système scientifique et technique a été réduit d’un tiers environ par rapport à 2023, ce qui a entrainé des restrictions d’activité, l’interruption des programmes de recherche, des troubles, des grèves et une forte rotation des enseignants et des chercheurs. Outre les licenciements, les ruptures des contrats à durée déterminée ou leur non-renouvellement, la peur et l’anxiété ont encouragé ces travailleurs à accepter des indemnités pour une retraite volontaire, et on constate déjà une forte rotation vers l’activité privée ou pour chercher un emploi à l’étranger. Les protestations, les grèves et les arrêts de travail se sont multipliés, mais n’ont pas permis d’obtenir un changement de politique.

69En outre, une véritable réforme culturelle est menée avec le soutien des médias, dénigrant l’État, exaltant l’individualisme, la compétitivité, la méritocratie et décourageant la solidarité et la justice sociale (décrite comme un vol subi par ceux qui ont le plus). Et elle justifie ceux qui n’ont pas déclaré leur possession de dollars acquis en dehors des circuits légaux et qui les ont cachés ou sous-déclarés, en prétendant « qu’ils étaient des héros pour avoir échappé au contrôle de l’État ».

70Ceux qui critiquent les mesures néolibérales du gouvernement sont publiquement insultés par les autorités, mais jusqu’à présent, ils n’ont pas été directement licenciés pour cette raison. Les sanctions prennent la forme de restrictions budgétaires sévères imposées à leurs institutions, ce qui réduit leur capacité de travail.

71Vous participez au développement de l’université publique de Moreno, créée en 2009 et située dans une zone très peuplée à près de 40 kilomètres du centre de Buenos Aires. Les politiques actuelles représentent-elles une menace particulière pour ces universités ?

72Oui, le budget de fonctionnement a été réduit, les salaires n’ont pas été revalorisés, aucun nouveau poste d’enseignant n’a été créé et les installations n’ont pas été achevées pour accueillir le flux croissant d’étudiants dans ces régions, qui considèrent l’enseignement universitaire comme une voie de mobilité sociale « ascendante ». De nombreux enseignants ont démissionné. La charge de travail des enseignants restants s’est multipliée, ce qui risque d’en détériorer la qualité.

73Concernant le CONICET, pensez-vous que la présidence pourrait conduire à la destruction de cette institution nationale créée en 1958 ou que les chercheurs peuvent sauver l’organisation ?

74Aucune intention de le détruire n’a été exprimée publiquement mais sa taille (nombre de chercheurs, techniciens et boursiers), sa hiérarchie au sein de la structure étatique et son budget de fonctionnement ont été fortement réduits, ralentissant l’entrée de nouveaux chercheurs et boursiers, interrompant les subventions aux projets et les activités d’échanges internationaux, tout en donnant la priorité aux sciences « dures ». Le nombre d’emplois dans le Système national de la science, de la technologie et de l’innovation (SNCTI) est en forte baisse depuis l’entrée en fonction de Javier Milei. Depuis décembre 2023, 4 148 emplois scientifiques ont été détruits et, rien qu’au cours des trois derniers mois, 531 postes ont été supprimés. À noter la forte baisse du CONICET qui a déjà perdu 1 513 emplois depuis 2024. La méthode a consisté à encourager les départs volontaires à la retraite, les préretraites et le non-renouvellement des contrats temporaires.

75L’aile la plus radicale du gouvernement propose de changer radicalement le statut : au lieu d’un emploi stable dans le secteur public, ils proposent que tous les chercheurs soient employés avec les fonds qu’ils obtiennent pour leurs projets de recherche. Ils deviendraient des travailleurs à leur propre compte au lieu d’avoir un emploi permanent ! La peur du chômage, le malaise, le découragement, le turnover et la recherche d’emplois alternatifs se répandent. Plusieurs ont déjà trouvé un emploi dans d’autres pays. Et la rareté des ressources stimule en interne l’individualisme. Cela crée un découragement chez ceux qui décident de rester dans le pays.

76Il est important de soutenir les relations scientifiques internationales, en particulier entre la France et l’Argentine. On doit chercher à développer des projets internationaux communs, promouvoir l’échange de boursiers et de chercheurs dans les deux sens, en tenant compte des restrictions budgétaires. Encourager les vidéoconférences thématiques, organiser des séminaires internationaux, et si nécessaire, comme ce fut le cas pendant la dictature militaire, accueillir des chercheurs qui ont subi des persécutions. Je voudrais aussi rappeler le soutien précieux de Pascal Petit et de Robert Boyer pendant la crise argentine de 2001-2002 : ils ont organisé des rencontres régulières avec des Argentins qui avaient émigré en France pour échapper à la crise et à la répression.

L’avenir de la régulation et de l’hétérodoxie en Argentine

77Percevez-vous un certain renouveau de l’analyse hétérodoxe de la part d’une nouvelle génération d’économistes argentins ?

78En effet, l’expérience actuelle a incité les hétérodoxes à réfléchir aux modèles de développement néoclassiques et néolibéraux pour les critiquer. Mais, parmi les jeunes économistes, les idées néolibérales sont encore très prégnantes.

79La Théorie de la régulation fournit des éléments pour comprendre la logique du modèle actuel et ses conséquences, et c’est ce que nous proposons aux collègues du Plan Fénix. Les hétérodoxes « marxiens » ne sont pas légion, compte tenu de l’échec du communisme soviétique et de la faiblesse de la social-démocratie européenne. L’influence des keynésiens, des postkeynésiens et des schumpétériens reste importante au sein de la CEPALC. En Argentine, les courants des économistes écologiques jouissent d’un certain prestige mais occupent encore une place résiduelle dans la vie académique et politique. Ceci est aggravé par le fait que les autorités actuelles du pays en sont à nier l’existence même du changement climatique.

80Pour finir, peut-être avez-vous un message à destination de la communauté des régulationnistes que vous souhaitez ajouter ?

81Mon message est un appel à la solidarité internationale, une sorte de retour, en rappelant que des milliers de Français ont émigré en Argentine depuis le xixe siècle, souvent dans des moments difficiles, fuyant la répression (comme après la Commune de Paris), les guerres et les conséquences de la révolution industrielle, et qui ont pour certains pu avoir une meilleure vie ici. Quant aux sciences sociales et économiques, le moyen le plus efficace serait de développer des projets communs de recherche et de formation postuniversitaire, en tenant compte de l’inégalité des ressources.

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Bibliographie

La recherche et publications dans une perspective régulationniste

1. Régulation et crises

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Neffa J. C. (2006) “Evolución conceptual de la teoría de la regulación” en de la Garza E. (dir.), Teorías sociales y estudios del trabajo: nuevos enfoques, Barcelona, Anthropos, p. 183‑206.

Boyer R. & Neffa J. C. (dir.) (2004), La economía argentina y su crisis (1976-2001): visiones institucionalistas y regulacionistas, Buenos Aires, Miño y Dávila, Asociación Trabajo y Sociedad y CEIL PIETTE/CONICET.

Boyer R. & Neffa J. C. (dir.) (2007), Salida de crisis y estrategias alternativas de desarrollo. La experiencia argentina, Buenos Aires, Miño y Dávila, CEIL-PIETTE del CONICET, Trabajo y Sociedad, Institut CDC pour la Recherche.

Boyer R. & Neffa J. C. (2022), « Les transformations de l’Amérique Latine : nouvelle dépendance ou possible bifurcation ? », Revue de la régulation, no 33. URL : http://journals.openedition.org/regulation/21810

2. Processus de travail

Neffa J. C. (1990), Proceso de trabajo y economía de tiempo. Contribución alanálisis crítico del pensamiento de Karl Marx, Frederick W. Taylor y Henry Ford, CREDAL/CNRS, Humanitas, Prologue de Benjamin Coriat.

Neffa J. C. (1998), Los paradigmas productivos taylorista y fordista y su crisis. Una contribución a su estudio desde la Teoría de la Regulación, Asociación Trabajo y Sociedad, CEIL-PIETTE-CONICET, Lumen/Humanitas.

Neffa J. C. & H. Cordone (2024), Procesos de trabajo, productividad, acuerdos y desacuerdos en Argentina 1945-1955. Contribuciones para el estudio de las relaciones de trabajo, Buenos Aires, CEIL libros/Proyectos, URL: http://www.ceil-conicet.gov.ar/?p=15527

Neffa J. C. & M. L. Henry (2024), Innovación tecnológica y reorganización del proceso de trabajo en la industria automotriz, Moreno, Universidad Nacional de Moreno, URL: https://www.ceil-conicet.gov.ar/wp-content/uploads/2024/08/UNM-Neffa-Henry-Innovacion-tecnologica-y-reorganizacion-del-proceso-de-trabajo.pdf

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3. Les marchés du travail

Neffa J. C. (1980), « Programme de recherche sur l’économie du travail en Amérique latine », Travail et Societé, vol. 5, p. 431‑444.

Neffa J. C. et al. (2003), Teorías económicas sobre el mercado de trabajo, Buenos Aires, Fondo de Cultura Económica y CEIL PIETTE del CONICET, vol. I (Marxistas y Keynesianos), II (Neoclásicos y nuevos keynesianos) & III (Análisis institucionalistas), URL: https://www.researchgate.net/publication/302883576

Neffa J. C., Brown B., Balagna M. & L. Castillo Marin (2022), “Modos de desarrollo y políticas de empleo. Estudio de caso 2015-2019”, Empleo, Desempleo Y Políticas De Empleo, no 26, URL: http://www.ceil-conicet.gov.ar/publicaciones/empleo-desempleo-y-politicas-de-empleo/

Neffa J. C. & J. Isaza Castro (2024), “Población, empleo y salarios: enfoques teóricos y tendencias de América latina y el Caribe en las primeras dos décadas del siglo XXI”, in De La Garza Toledo E. et al., Tratado latinoamericano de sociología del trabajo (II). Desafíos y debates en el siglo XXI, Buenos Aires, CLACSO/CEIL, URL: https://biblioteca-repositorio.clacso.edu.ar/bitstream/CLACSO/251633/1/TLST2.pdf

4. Santé des travailleurs

4.1. Conditions et environnement de travail (CyMAT)

Neffa J. C., Cordone H., Korinfield S. & E. Giraudo (1987), Condiciones y medio ambiente de trabajo en la Argentina, Área de Estudios e Investigaciones, Laborales/SECYT – CEIL/CONICET – Humanitas.

Neffa J. C. (1989), ¿Qué son las condiciones y medio ambiente de trabajo? Propuesta de una nueva perspectiva, Área de Estudios e Investigaciones, Laborales/SECYT – CEIL/CONICET – Humanitas.

4.2. Risques psychosociaux au travail

Neffa J. C. (2024), Procesos de trabajo y salud. Crisis del modelo de desarrolloneoliberal y emergencia de los riesgos psicosociales en el trabajo, Uruguay, Fundación Electra.

Neffa J. C. & M. L. Henry (dir.) (2024), El estudio de los riesgos psicosociales en el trabajo en una gran empresa industrial: marco teórico y diseño metodológico, Moreno, UNM Editora.

Neffa J. C. (2023), “El futuro del trabajo y la salud mental de los trabajadores. Determinantes y condicionantes”, Revista de la Facultad de Ciencias Económicas, URL : https://revistas.unne.edu.ar/index.php/rfce/article/view/7155

Neffa J. C. (2015), Los riesgos psicosociales en el trabajo: una contribución a su estudio, CEIL-CONICET, URL: http://www.ceil-conicet.gov.ar/wp- content/uploads/2015/11/Neffa-Riesgos-psicosociales-trabajo.pdf

Neffa J. C., Korinfield S., Henry M. L. et al. (2017), Trabajo y salud en puestos de atención al público: una investigación sobre riesgos psicosociales en el trabajo en ANSES, SECASFPI.

Neffa J. C. & M. L. Henry (dir.) (2019), Los riesgos psicosociales en el trabajo en una clínica de salud mental, CEIL-CONICET, Universidad Nacional de la Plata, Colección Materiales, URL: http://www.ceil-conicet.gov.ar/?attachment_id=10405

Neffa J. C. & M. L. Henry (2022), “Cooperativismo y riesgos psicosociales en el trabajo: un estudio de caso”, Biblioteca Red Latinoamericana de Estudios e Investigaciones sobre Riesgos Psicosociales en el Trabajo (RPST-LA), no 18, URL : http://www.ceil-conicet.gov.ar/wp-content/uploads/2022/04/18-Neffa-Henry- Cooperativsmo-y-RPST.pdf

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Notes

1 Le CREDAL (Centre de recherche et d’études sur l’Amérique latine, aujourd’hui CREDA) est le laboratoire rattaché à l’IHEAL et à l’université Sorbonne Nouvelle.

2 Par exemple : Neffa J. C. (1998), Modos de Regulación, Regímenes de Acumulación y su crisis en Argentina (1880-1996). Una contribución a su estudio desde la Teoría de la Regulación, EUDEBA, PIETTE del CONICET & Trabajo y Sociedad, et Neffa J. C. (1998), Los paradigmas productivos taylorista y fordista y su crisis. Una contribución a su estudio desde la Teoría de la Regulación, Asociación Trabajo y Sociedad, CEIL-PIETTE-CONICET & Lumen/Humanitas.

3 Neffa J. C. (1990), Proceso de trabajo y economía de tiempo. Contribución al análisis crítico del pensamiento de Karl Marx, Frederick W. Taylor y Henry Ford, CREDAL/CNRS, Humanitas.

4 Neffa J. C. & Henry M. L. (2024), Innovación tecnológica y reorganización del proceso de trabajo en la industria automotriz, Moreno, Universidad Nacional de Moreno, URL: https://www.ceil-conicet.gov.ar/wp-content/uploads/2024/08/UNM-Neffa-Henry-Innovacion-tecnologica-y-reorganizacion-del-proceso-de-trabajo.pdf.

5 UOM (Unión Obrera Metalúrgica, Seccional La Plata), ATSA, (Asociación de Trabajadores de la Sanidad Argentina) et SECASFPI (Sindicato de Empleados de las Cajas de Asignaciones Familiares y Previsionales de la Industria).

6 Les réflexions de ce groupe sont entamées lors de l’année 2001, marquée par une violente crise tout à la fois monétaire, financière, de l’économie réelle et politique en Argentine. Cette crise vient clore une période de mises en œuvre de politiques économiques en phase avec les préceptes du consensus de Washington initiée en plein contexte hyperinflationniste par l’élection de C. Menem en 1989.

7 Voir Boyer R. & Y. Saillard (dir.) (1995), Théorie de la régulation, l’état des savoirs, Paris, La Découverte. Une deuxième édition complétée est publiée en 2002. La version en castillan, intitulée Teoría de la regulación: estado de los conocimientos est publié en 3 volumes sur 3 années (Buenos Aires, Trabajo y Sociedad/PIETTE-CONICET/Eudeba/CBC.

8 Voir note précédente.

9 Il s´agit de Piketty T., Labrousse A., Montalban M. & N. da Silva (2020), “Entrevista con Thomas Piketty. Para una economía política e histórica: En torno de Capital e ideología”, publicada en Revue de la régulation. Capitalisme,institutions, pouvoirs no 28, traducida por J. C. Neffa.

10 Ce terme renvoie au statut fiscal que peuvent décider de prendre les Argentins aux revenus les plus modestes. Ce statut permet de simplifier le processus de déclaration fiscale et de fusionner le versement des cotisations sociales et des impôts sur le revenu. Ce statut est notamment soumis à un plafond de revenus et à l’absence de détention de titre de propriété d’entreprise.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Julio C. Neffa, Thomas Lamarche et Jonathan Marie, « Entretien avec Julio C. Neffa, régulationniste argentin et analyste des transformations du travail »Revue de la régulation [En ligne], 38 | 1er semestre |Spring 2025, mis en ligne le 05 novembre 2025, consulté le 13 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/regulation/25135 ; DOI : https://doi.org/10.4000/15151

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Auteurs

Julio C. Neffa

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