Texte intégral
1Le numéro 38 de la Revue de la régulation paraît, une fois n’est pas coutume, à la toute fin de l’été. Ce calendrier inédit s’explique par le fait que Félix Terrier, l’éditeur en charge de la Revue a saisi une opportunité lui permettant d’évoluer professionnellement et a donc quitté son poste au sein du pôle éditorial de la MSH Paris Nord au début du printemps. Cet éditorial est l’occasion de le remercier pour son investissement avec nous – et de mettre en évidence combien le discret travail des éditrices et éditeurs scientifiques est indispensable dans l’activité d’une revue et pour sa qualité.
2Nous sommes très heureux d’avoir pu rapidement lancer un processus de recrutement grâce aux soutiens réaffirmés du pôle éditorial de la MSH Paris Nord et de l’université Sorbonne Paris Nord : ce numéro est ainsi le premier à être édité par Cedric Raoul.
3Il est mis en ligne alors qu’en France les débats politiques sont focalisés sur des questions économiques et budgétaires ou, plus exactement, sur les déficits publics et la dette publique. Dans ces débats interviennent beaucoup d’économistes proposant leurs analyses ou qui cherchent à promouvoir leurs préconisations. La façon dont la thématique a enflé, comme la manière dont les discussions sont organisées, empêchent très largement de bien intégrer ou de recontextualiser la situation actuelle des finances publiques avec d’autres caractéristiques économiques, sociales ou institutionnelles. D’ailleurs, en à peine 5 années, à la crise sanitaire ont succédé la crise énergétique, la crise inflationniste et la crise des finances publiques. Si l’on peut remarquer que chacun de ces évènements a capté l’attention de manière hégémonique pendant quelques mois ou années, ils sont cependant largement vus comme déconnectés les uns d’avec les autres. Par voie de conséquence, les réponses que l’on apporte au problème jugé clé d’une période peut accroitre d’autres difficultés. Ainsi, on a lutté contre l’inflation par des politiques monétaires restrictives, non sans lien avec la hausse du coût du financement des déficits publics et le report sine die de nombreux investissements pourtant nécessaires à la transformation de nos systèmes productifs, notamment d’un point de vue écologique et de santé. La dynamique salariale et de l’emploi public, au cœur des réflexions du dossier de ce numéro, est, elle aussi, affectée.
4A contrario, le projet éditorial de la Revue de la régulation cherche à promouvoir des recherches qui s’attachent à analyser les dynamiques longues, à penser l’évolution des institutions, à comprendre les conflictualités mais aussi les processus de compromis sociaux, à s’intéresser aux effets des politiques économiques dans un temps long ou encore à exposer et démêler l’enchevêtrement des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. S’attacher à promouvoir ce projet et les approches qui s’articulent avec celui-ci nous semble fondamental.
5Le numéro 38 est structuré autour d’un dossier thématique consacré au Rapport salarial, l’une des formes institutionnelles clés de la Théorie de la régulation, et à ses transformations à l’aune de celles des capitalismes. Le dossier veut promouvoir une dynamique de recherches sur l’évolution des rapports sociaux liés au travail en lien avec les dynamiques de régimes.
6Cet objectif est rappelé dans la contribution de Michel et Marie qui introduit le dossier et qui présente les articles (Bénicourt et Issehnane, Maradan et al., Gallois) qui composent le dossier ainsi que l’entretien mené avec J. C. Neffa, économiste régulationniste argentin, spécialiste des transformations du travail.
7Au-delà du dossier, dans la rubrique Varia, c’est une approche similaire qui anime Amable et Darcillon dans leur analyse des changements des stratégies politiques dans 11 pays de l’OCDE entre 1985 et 2020. Cette contribution appréhende la constitution ou l’évolution de coalitions politiques autour de groupes sociaux dominants. L’analyse met à jour l’hétérogénéité des préférences dans le soutien politique de la part des citoyens selon les pays.
8Ce numéro est riche de 3 notes de lecture. Deux d’entre elles entrent en résonnance avec le dossier thématique. N. Magne souligne la portée de l’ouvrage coordonné par B. Giraud et C. Signoretto, Un compromis salarial en crise. Que reste-t-il à négocier dans les entreprises ?. Elle estime que l’ouvrage est important pour la littérature en sciences sociales sur le rôle des syndicats dans la négociation du compromis salarial et qu’il constitue une réussite d’utilisation du cadre théorique des modèles socio-productifs.
9H. Bensussan s’intéresse elle à l’ouvrage d’U. Lojkine, Le fil Invisible du capital. Elle décrit la reconceptualisation de l’exploitation défendue dans le livre et l’interroge.
10T. Lamarche nous propose sa lecture de l’ouvrage d’E. Bidet et N. Richez-Battesti, L’innovation sociale. Expérimenter et transformer à partir des territoires. La note indique que le livre est très renseigné et fourmille d’exemples tout en demeurant très accessible et synthétique, non sans révéler combien la capacité d’invention et d’expérimentation est un des constituants de l’économie sociale et solidaire.
11Enfin, 3 comptes-rendus de thèse intègrent ce numéro, attestant une nouvelle fois de la vivacité des recherches doctorales actuelles menées en économie politique. La thèse de C. Grassart se situe en socioéconomie et est consacrée aux projets de supermarchés coopératifs et participatifs en France. Celle de P. Funalot, en macroéconomie écologique post-keynésienne, interroge les configurations institutionnelles de la monnaie adaptées aux nécessités de la crise écologique. Quant à celle de M. Follot, en macroéconomie historique, elle dévoile l’importance de l’histoire économique de la Hongrie dans les stratégies menées par la Banque centrale du pays aujourd’hui, mobilisant notamment les outils de l’institutionnalisme monétaire francophone.
12Cet éditorial ne peut omettre d’évoquer le triste mois d’avril 2025 où, en l’espace de deux journées, nous apprenions qu’Edwin Le Héron, le 23, puis Michel Aglietta, le 24, étaient décédés. Au-delà de leurs thématiques de recherche qui intègrent notamment l’analyse des systèmes monétaires et bancaires, ces deux collègues avaient des points communs. Michel comme Edwin avaient ainsi tous les deux la capacité à accompagner et à promouvoir les recherches menées par celles et ceux qui débutent leur carrière de chercheur, tout comme la volonté de défendre un indispensable pluralisme en économie. Du fait de leur importance et de leur portée, leurs apports scientifiques devraient inévitablement nourrir les travaux des économistes des générations futures. Ils ont de ce point de vue laissé une trace indélébile. La Revue de la régulation publiera les travaux qui mettront en évidence ces apports comme ceux qui mobiliseront ou discuteront leurs résultats et propositions, par exemple parus dans le numéro 16 de la Revue en 2014. Dans ce même numéro, Edwin a coordonné avec Mickaël Clévenot le dossier consacré aux évolutions de la macroéconomie alors que Michel Aglietta a accepté de livrer un entretien mené par J.-F. Ponsot et P. Ould Ahmed au cours duquel il revient en particulier sur l’importance des concepts qu’il a contribué à forger.
13Leurs disparitions nous invitent et nous obligent à soutenir le mouvement auquel ils ont, tous les deux, largement contribué. Ainsi, la Revue de la régulation souhaite offrir aux jeunes collègues tant des espaces stimulants et exigeants pour discuter et publier leurs travaux que des dispositifs favorisant leurs activités et permettant leur recrutement.
Pour citer cet article
Référence électronique
« Éditorial », Revue de la régulation [En ligne], 38 | 1er semestre |Spring 2025, mis en ligne le 26 septembre 2025, consulté le 13 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/regulation/25141 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1514w
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